Élisabeth Tible
Élisabeth Tible est une aéronaute française, née à Lyon en 1757 et morte en un lieu indéterminé après 1784. Elle est considérée comme la première femme de l'histoire à avoir effectué un vol à bord d'un aérostat libre[n 1]. L'événement a eu lieu le à Lyon, à bord de la montgolfière nommée La Gustave.
Naissance | |
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Décès |
Entre et |
Nom dans la langue maternelle |
Élizabeth Tible |
Nom de naissance |
Élisabeth Estrieux |
Activités |
Chanteuse (?), aérostière, artiste lyrique (?) |
Période d'activité |
Biographie
Élisabeth Estrieux est la fille de Pierre Estrieux, ouvrier en soie et d’Agathe Desclaustre (les orthographes de leurs patronymes varient selon les actes). Née le , elle est baptisée le lendemain dans l’église ND de la Platière à Lyon[1].
Le , dans l’église de Saint-Nizier de Lyon, à l'âge de 14 ans et 10 mois, elle épouse Claude Tible, fabricant lyonnais de bas de soie[2], aussi désigné comme un industriel fabricant et montreur d'objets en cire[3]. Claude Tible dont le nom est passé à la postérité grâce à son épouse, est mort à Lyon, le , âgé de 58 ans, il est veuf[4].
Le contrat de mariage[5] précise qu'Elisabeth est marchande de mode. Elle reçoit en dot 2 200 livres dont le trousseau, un lit garni, une garde robe… et 800 livres de marchandises de mode et fonds de commerce. Elle aurait rapidement été délaissée par son mari[n 2]. On dit encore qu'elle est soprano à la Comédie de Lyon[6], mais ces dernières affirmations sont à prendre avec précaution, car elles apparaissent parfois contradictoires et non corroborées[7].
Premier vol libre féminin de l'histoire
Le , Élisabeth Tible prend place à bord de la montgolfière baptisée La Gustave en l'honneur du roi Gustave III de Suède. Il est en visite à Lyon ce jour-là, il voyage sous le nom de comte de Haga[3]. Les festivités sont prévues pour le . Mais, il arrive le à Lyon, entre 3 et 4 h de l’après-midi, et il annonce qu’il ne reste que le lendemain dans la ville[8].
Le sieur Fleurant, peintre que l'on dit vénitien, est le constructeur du ballon[9]. Il a effectué les calculs, inventé un réchaud pour le combustible[10] et mis au point ce projet avec Jean Espérance Blandine comte de Laurencin, mécène et organisateur de l'évènement. Le , celui-ci avait été passager du premier vol à Lyon qu'il avait aussi financé, dans le ballon nommé Le Flesselles en l'honneur de Jacques de Flesselles. Peut-être refroidi par l'atterrissage rude, le comte laisse sa place à Élisabeth Tible[3]. Les calculs de Fleurant et Laurencin leur avaient montré que la nacelle ne pourrait emporter que deux passagers au lieu des trois initialement envisagés.
À 18 h, les notables de Lyon, ainsi qu'une foule de citoyens admirent le ballon qui décolle des Brotteaux dans le 6e arrondissement de Lyon, (entre les actuelles rues Duguesclin, Créqui, Sèze et Bossuet[5]). Laurencin estime qu'il y a 100 000 spectateurs[8] ; ce nombre semble exagéré, car la population de Lyon est alors de 150 000 personnes[11] .
Élisabeth aurait été costumée en Minerve : une robe blanche de taffetas serrée à la taille d'une ceinture de soie bleue et un chapeau oriental à large bord[6]. Elle chante une ariette en vogue de l'opéra La Belle Arsène et Fleurant lui répond par des extraits de l'opéra Zémire et Azor[12].
L'aérostat monte à une hauteur estimée de 1 500 m, traverse le Rhône et la Saône, dérivant au gré des vents.
Élisabeth fait le récit de son exploit[13] : un incident se produit, une des planches de la nacelle se disjoint. Pour se tenir en équilibre, elle doit s’accrocher au cercle de la galerie, tout en continuant à alimenter le foyer. Le sieur Fleurant dit que « Mlle Tible qui a été la première de son sexe portée sur les Ailes des Airs, a mis une précision, une prudence attentive et réfléchie à alimenter le réchaud placé au-dessous de l’aérostat. Il a ajouté que le sang-froid et le courage de sa compagne ont fait tout le succès de l’expérience »[14]. Le ballon monte à 2 700 m. Il fait froid, les aéronautes ressentent des douleurs dans les oreilles et il devient difficile de respirer. Fleurant diminue le feu, les réserves s’épuisent. Le ballon descend. Il faut choisir un terrain convenable. La chute s’accélère, la voilure éclate, le ballon tombe incliné et la toile s’abat sur les passagers avant de s’embraser. Aveuglée par la fumée, Élisabeth se blesse légèrement en dégageant son pied de la galerie. Cependant, les deux passagers réussissent à sortir sains et saufs. Le vol a duré 45 minutes. Le ballon a atterri à 3 km du point de départ, dans la propriété de M. René Tabareau, située dans le haut du clos de la Piémente, près de la montée de Balmont dans le quartier de La Duchère[3]. Élisabeth Tible et Fleurant viennent d’établir les records mondiaux d'altitude (environ 1 500 m) et de durée (45 minutes) pour un vol en montgolfière de la première génération. Ils ont parcouru plus de 3 000 toises dans les airs (environ six kilomètres).
Les deux aéronautes sont portés en triomphe au centre-ville pour rejoindre les organisateurs. Ils se rendent au Grand Théâtre (à l'emplacement de l'actuel Opéra de Lyon) où le roi de Suède avait souhaité assister à Warwick et à L'Amant jaloux. Selon Nougaret[15], «Comme ces deux nouveaux voyageurs aériens sont d’un état obscur et que l’intérêt avait été visiblement le mobile de leur entreprise, il s’en faut de beaucoup qu’ils aient reçu autant d’honneurs que les sept argonautes (du Flesselles) tant applaudis. On leur refusa même l’entrée de la comédie, dans la crainte que le spectacle, honoré de la présence du roi de Suède, ne fut interrompu par les acclamations que méritaient leur audace et leur succès. Enfin quelques personnes engagèrent le parterre à les demander, et ils parurent humblement dans l’amphithéâtre où la dame Thible (sic) reçut une couronne et une guirlande de fleurs.»
Ils vont ensuite au Palais archiépiscopal où le roi Gustave dîne avec l'archevêque et des notables de la ville. Pour amuser le roi, le pied d'Élisabeth Tible passe pour l'objet d'une démonstration de soin par magnétisme animal, au bout d'une demi-heure sans succès, elle demande qu'on la laisse tranquille[13].
Quelques jours après, Élisabeth assiste à la représentation de La Belle Arsène au Grand Théâtre. Elle essaye d'attirer l'attention sur elle, mais les rares spectateurs n'applaudissent que l'actrice[15].
Pour chercher les honneurs qu'ils ont jugés insuffisants à Lyon, Élisabeth Tible et Fleurant montent à Paris le . Le , ils sont reçus à l'Académie royale des Sciences, ils reçoivent une médaille pour témoigner l'estime que mérite leur courage[16]. Elle est la deuxième femme à avoir cet honneur depuis la création de l’Académie en 1700. Fleurant lit un mémoire sur la construction et le voyage du Gustave.
Elle demande en vain à l'abbé Miolan et à Jean-François Janinet de l'associer au voyage en montgolfière qui doit partir du jardin du Luxembourg le , en présence du roi de Suède. Elle ne doit pas le regretter, car le ballon ne réussit pas à décoller, les spectateurs furieux, le mettent en pièces[17].
Fin de vie
Élisabeth Tible habite ensuite à Paris, où on peut supposer qu'elle meurt avant le , son mari étant veuf à cette date[4].
Postérité
- Une rue Élisabeth-Tible se trouve à La Rochelle.
- Un panneau de la Fresque du Centenaire sur le mur de la gare de Lyon-Jean-Macé rappelle cet événement.
- En 1983, le valet de carreaux du jeu de cartes Grimaud Les Montgolfières figure La Gustave.
- En 1983 à Cuba et 1984 en France et au Zaïre, des timbres-poste sont émis pour célébrer le bicentenaire du vol de La Gustave :
- Jeux de cartes Les Montgolfières, Grimaud, légendé : La Gustave de Mme Tible...
- 1784-1984 Philatélie Bicentenaire du vol du ballon Le Gustave à Lyon.
- Timbre poste de Cuba, 1983.
- Timbre-poste du Zaïre, 1984.
- En 1990 un film, Venus im Wolkenschiff (Vénus sur un vaisseau de nuages), a été réalisé par Annette Reeker (de) avec Anouk Plany dans le rôle d'Élisabeth Tible, il raconte également la vie de Marie Sophie Blanchard, aérostière mariée à Jean-Pierre Blanchard, incarnée par Angelika Steinborn[18].
Notes et références
Notes
- Elizabeth Tible est la première femme à faire un vol libre en montgolfière. Cependant, la marquise et la comtesse de Montalembert, la comtesse de Podenas et une demoiselle de Lagarde avaient effectué une ascension dans un ballon captif à Paris, le 20 mai 1784. En 1804, Sophie Blanchard est la première femme à piloter son propre ballon et à devenir aérostière professionnelle.
- Dans sa Lettre à Montgolfier du 6 juin 1784 (p.22), le comte de Laurencin écrit : Décidé à ne pas monter la Montgolfière, à qui, Monsieur, croyez-vous que j'ai cédé ma place ? à une jeune & jolie femme, à Madame Tible, née à Lyon, épouse, sans l'aveu de son cœur, dès l'âge de douze ans, d'un mari qui n'est pas homme, ignorant jusqu'au lieu où se tient caché le trompeur, enchaînée conséquemment par des liens qui l'empêchent d'en former de mieux assortis, & qui sans doute a voulu se consoler avec la gloire, des torts perfides de l'hymen. Mille personnes de son sexe ont su nous prouver que le courage n'est pas un attribut exclusif du nôtre ; mais je réponds que nulle ne l'a prouvé mieux qu'elle ; que nulle n'a mis plus de sens froid, plus de vérité dans sa détermination ; que nulle, fière d'un péril inconnu, n'a goûté plus de plaisir à le braver.
Références
- « Archives de Lyon : acte de naissance », sur www.archives-lyon.fr.
- « Archives de Lyon : acte de mariage », sur www.archives-lyon.fr.
- Raoul de Cazenove, « Ascension du ballon le Gustave, à Lyon en juin 1784 », Revue Lyonnaise, , p. 551 (lire en ligne).
- « Archives de Lyon : acte de décès », sur www.archives-lyon.fr.
- « Montgolfier - Les Rues de Lyon », sur lesruesdelyon.hautetfort.com (consulté le ).
- Nicolas Witkowski, Trop belles pour le Nobel : Les femmes et la science, Paris, Seuil, .
- « Venus im Wolkenschiff. Ein Frauen-Traum vom Fliegen | Film », sur kinematoscope.org (consulté le ).
- Jean-Baptiste de Laurencin, Lettre de M. le comte de Laurencin à M. J[ose]ph de Montgolfier, Sur l'Expérience Aérostatique faite à Lyon le 4 juin 1784, en présence du Roi de Suède, Paris, , 32 p. (lire en ligne), p. 15.
- Fleurant 1784.
- Cazenove 1884.
- Bernard Hours, « L'atelier numérique de l'histoire | Ballon de Lyon », sur Atelier histoire ENS Lyon
- Laurencin 1784.
- Tible 1784.
- Gazette d'Amsterdam 1784.
- Pierre-Jean-Baptiste Nougaret, Spectacle et tableau mouvant de Paris ou Variétés amusantes, t. I, Paris, chez la veuve Duchesne, , p. 99-100.
- Sténuit 2021, p. 24.
- Louis Petit de Bachaumont, Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des Lettres en France, t. 26, Londres, chez John Adamson, (lire en ligne), p. 82.
- « Venus im Wolkenschiff. Ein Frauen-Traum vom Fliegen | Film », sur kinematoscope.org (consulté le )
Voir aussi
Bibliographie
- Fleurant, Avis du sieur Fleurant sur la montgolfière qu'il a construite aux Broteaux, Lyon, Imprimerie de la ville,
- Elisabeth Tible, « Lettre à Mme ***[relatant les détails du voyage que j'ai fait dans les airs le 4 juin] », Journal encyclopédique ou universel, dédié à Son Alt. Sérénissime Mgr. le Duc de Bouillon etc., vol. 7, no 1, , p. 289-294 (OCLC 421932427, lire en ligne)
- Jean-Baptiste de Laurencin, Lettre de M. le comte de Laurencin à M. J[ose]ph de Montgolfier, Sur l' Expérience Aérostatique faite à Lyon le 4 juin 1784, en présence du Roi de Suède, , 32 p. (lire en ligne), p. 1
- Le Journal des sçavans, Paris, Jean Cusson, (lire en ligne), p. 760 sqq.
- « De Paris le 18 Juin », La Gazette d'Amsterdam, (lire en ligne)
- Louis Petit de Bachaumont, Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres en France, depuis MDCCLXII jusqu'à nos jours, t. 26, Londres, John Adamson, , 292 p. (lire en ligne), p. 58 et 82
- Pierre-Jean-Baptiste Nougaret, Spectacle et tableau mouvant de Paris ou Variétés amusantes, t. I, Paris, chez la veuve Duchesne, (lire en ligne), p. 99-100
- Raoul de Cazenove, « Ascension du Ballon Le Gustave à Lyon - 4 juin 1784 », Revue lyonnaise, , p. 549 (lire en ligne)
- Ariane, « Les femmes et la conquête de l'air », Nouveauté : modes, ouvrages, variétés, roman, , p. 7 ; 9 (lire en ligne)
- Élisabeth Boselli, « Élisabeth Thible : La première femme volante », Icare, no 124, , p. 112-115
- Nicolas Witkowski, Trop belles pour le Nobel : les femmes et la science, Paris, Seuil, , 259 p.
- Bernard Marck, Elles ont conquis le ciel : 100 femmes qui ont fait l'histoire de l'aviation et de l'espace, Paris, Arthaud, , 232 p. (ISBN 978-2-7003-0121-2).
- Marie-Eve Sténuit, Pionnières du risque : Histoire de femmes intrépides, Paris, Editions du Trésor, , 174 p. (ISBN 979-10-91534-58-1).
Articles connexes
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