Abbaye de Munster
L'abbaye Saint-Grégoire de Munster (Haut-Rhin) est une abbaye de l'ordre de Saint-Benoît fondée vers les années sous l'administration du duc franc Bonifacius.
Abbaye de Munster | |
Ruines de l'abbaye de Munster (au fond, l'église protestante) | |
Fondation | 660 |
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Protection | Inscrit MH (1990, ancien palais abbatial avec tour, façades, toitures, caves voûtées avec puits, ancien moulin, vestiges du cloître et des constructions attenantes, sol avec vestiges archéologiques) Inscrit MH (1992, ancien palais abbatial avec tour, façades, toitures, caves voûtées avec puits, ancien moulin, vestiges du cloître et des constructions attenantes, sol avec vestiges archéologiques) |
Localisation | |
Pays | France |
Région | Alsace |
Département | Haut-Rhin |
Commune | Munster |
Coordonnées | 48° 02′ 24″ nord, 7° 08′ 16″ est |
Restée célèbre pour être à l'origine du fromage de Munster, l'abbaye fut surtout l'un des plus influents monastères d'Alsace.
L'abbaye fait l'objet d'une inscription au titre des monuments historiques le modifié le [1].
Origine légendaire
D’après la légende, l’abbaye aurait été fondée par des moines irlandais ou anglo-saxons, disciples de Grégoire Ier, qui auraient choisis de se retirer à l’écart du monde dans une vallée sans nom, sauvage et inhabitée. S’étant d’abord installés en 633 dans un lieu qu’ils appelèrent Schweinsbach, au fond de ce qui deviendra la vallée de Munster, ils déménagèrent en 660 au confluent de la Fecht et du Muhlbach, où il fondèrent l’abbaye[2].
Les incohérences de cette histoire sont nombreuses. En premier lieu, la vallée n’était au VIIe siècle ni inhabitée, ni inculte : outre les établissements romains de Walbach, Wihr-au-Val et Metzeral, il existait une cour colongère à proximité d’Eschbach-au-Val[3],[4]. Par ailleurs, il est peu probable que les moines cherchaient à se retirer loin du monde, puisque, d’une part, la vallée était exploitée et, d’autre part, le but premier des établissements monastiques fondés à cette période en Alsace était de rechristianiser la région et donc d’être au contact des populations rurales[5]. Il n’existe également aucun élément attestant de la fondation du monastère par des moines originaires des îles britanniques, les arguments linguistiques utilisés, par exemple que le « Stoss- » de Stosswihr proviendrait de schott, « écossais », étant de l’étymologie populaire sans réalité scientifique[6]. Enfin, tout indique que le site même de Schweinsbach n’a été occupé qu’à une époque plus tardive, probablement pas avant le XIIIe siècle[7].
La majeure partie des éléments composant cette légende n’ont de fait émergé qu’à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ainsi, la première mention de l’abbaye primitive de Schweinsbach se trouve dans l’Alsatia illustrata de Jean-Daniel Schoepflin, tandis que les théories sur les moines irlandais datent du XIXe siècle[8].
Histoire
Aux alentours de l'an 660, des moines appartenant à l’obédience de saint Benoît s’installent dans la vallée de Munster, à la jonction entre les petite et grande vallée de la Fecht. Ils bénéficient pour ce faire d’une donation du roi des Francs Chilpéric II, qui leur offre une partie de ses terres situées dans la vallée[9]. Le nouveau monastère est placé sous le patronage de saint Grégoire et est généralement appelé dans les documents simplement monasterium ad confluente, abrégé plus tard en monasterium, qui évoluera plus tard en « Munster »[10]. Au début du IXe siècle, l’abbaye reste un établissement assez modeste, classé par l’administration royale dans la catégorie des établissements monastiques n’ayant pas suffisamment de richesses pour payer des impôts ou fournir des hommes pour l’armée[11]. Le domaine s’agrandit cependant continuellement et comprend à la fin du IXe siècle la majeure partie de la vallée de Munster, à laquelle s’ajoute de nombreux villages dans la plaine d’Alsace et au-delà[12].
À la suite de la dislocation du pouvoir carolingien, l’abbaye passe de mains en mains au gré des conflits. Elle tombe ainsi à la fin du IXe siècle dans le patrimoine du comte Éberhard[réf. nécessaire], puis dans celui de l'évêque de Bâle. Les décennies suivantes la voient passer alternativement du giron de l’évêque de Bâle à celui de l’empereur, jusqu’à ce que Frédéric II parvienne à s’imposer pour un temps[13]. Les disputes reprennent lors du Grand Interrègne : les Geroldseck prennent d’abord possession des lieux par l’intermédiaire de l’évêque de Strasbourg et construisent sans autorisation un château, le Schwartzenbourg, sur les terres de l’abbaye pour s’assurer le contrôle du lieu. Après la défaite des Geroldseck à Hausbergen, l’évêque de Bâle met une nouvelle fois la main sur l’abbaye. Ce dernier doit cependant y renoncer peu de temps après en faveur de Rodolphe de Habsbourg, qui avait entrepris de réintégrer dans le giron impérial les biens qui en avaient été spoliés pendant l’interrègne[14].
Les relations se tendent au cours du Moyen Âge entre l’abbaye et les habitants de la vallée, qui cherchent à acquérir plus d’autonomie. L’abbaye est forcée de renoncer à ses droits lors de la guerre des paysans, mais parvient à les récupérer lorsque la révolte prend fin. La suite du XVIe siècle voit cependant le déclin de l’abbaye se poursuivre : après la peste de 1539, il ne reste que deux moines et le nouvel abbé, Petermann d’Aponex, se révèle être un incompétent qui, après avoir vidé le trésor abbatial en dépenses de luxe, est obligé d’engager certains de ses droits. Profitant de la situation, les Munstériens, invoquant comme prétexte que l’abbé soutient le roi de France contre leur seigneur Charles Quint, envahissent l’abbaye et font prisonnier l’abbé[15].
À la mort de Petermann, il n’y a plus aucun moine à Munster. L’évêque de Bâle nomme Joachim Bremming abbé, mais celui-ci se révèle être un gestionnaire tout aussi catastrophique que son prédécesseur, au point que l’évêque le fait arrêter six ans plus tard. Le poste d’abbé reste ensuite vacant et l’abbaye vide de moines, ce dont les habitants de Munster, qui se sont entretemps convertis à la Réforme, profitent pour prendre leur indépendance[15]. L’empereur intervient en 1568 en nommant abbé Henri de Jestetten, qui tente de réinstaurer les anciens droits de l’abbaye. La confrontation tourne cependant rapidement à l’affrontement armé et l’abbé fait entrer des mercenaires dans la ville pour contraindre les habitants de force. Toutefois, après de violents combats de rue et jusque dans l’église, l’abbé est forcé de se retirer[16]. L’empereur envoie finalement son représentant dans la région, Lazare de Schwendi, afin de servir de médiateur dans la querelle. Après de longues négociations, un traité redéfinissant les droits de chacune des parties est signé en 1575, atténuant les tensions[17]. La situation de l’abbaye continue cependant de se détériorer dans les décennies qui suivent, les abbés successifs se révélant plus intéressés par les plaisirs temporels que par la gestion du patrimoine de leur établissement ou la vie spirituelle de celui-ci[18].
L’abbaye commence à se relever après l’annexion de l’Alsace à la France en 1648 : l’abbaye est unie en 1659 à la Congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe, dont les membres viennent repeupler les bâtiments. Sous l’influence de ces nouveaux arrivants, qui sont davantage orientés vers la spiritualité que leurs prédécesseurs, l’abbaye devient au cours du XVIIIe siècle un centre intellectuel d’importance[18].
Comme beaucoup d'autres, l'abbaye ferme ses portes en . Ses bâtiments sont utilisés pour installer une des premières usines textiles d'Alsace. L'église abbatiale est quant à elle démolie en . En outre sont transférés à Colmar 8 000 volumes de livres dans la bibliothèque[19],[20].
Domaine et privilèges
Domaine
L’étendue du domaine compris dans la donation d’origine de Chilpéric II n’est pas précisément connue, la copie du XIIe siècle de l’acte de donation étant incomplète et l’original disparu. Ce territoire originel devait néanmoins comprendre vers 660 au moins l’ensemble de la petite vallée de la Fecht, ainsi que la partie nord de la grande vallée jusqu’au limites de l’actuelle commune de Gunsbach[9]. En 823, Louis le Débonnaire fait don de la partie sud de la grande vallée comprise entre les actuels château de Schwarzenbourg et village de Breitenbach. À cette époque, la surface du domaine cultivable est probablement comprise entre deux mille et quatre mille hectares[21]. D’autres accroissements font que le domaine comprend à la fin du IXe siècle la totalité de la vallée jusqu’à Munster, puis la rive gauche de la Fecht jusqu’à Turckheim. En dehors de la vallée, l’abbaye possède dans la plaine d’Alsace les villages de Balgau, Jebsheim, Modenheim, Ohnenheim, Ribeauvillé et Sundhoffen, ainsi que d’autres établissements dans le Brisgau, le Jura et en Lorraine, en particulier une exploitation de sel à Marsal[12].
Le domaine se restreint lors des troubles qui suivent la disparition de l’empire carolingien, puis lors du Grand Interrègne. À la fin du XIIIe siècle, l’abbaye a notamment perdu tous ses domaines hors d’Alsace, et une partie de ceux se trouvant dans la région[22]. Dans la vallée même, différents seigneurs se sont emparés d’une partie des terres, dont Wihr-au-Val, tandis que l’avoué de l’abbaye s’est fait remettre Gunsbach et Griesbach, ce qui a pour effet de couper le territoire de l’abbaye en deux[23].
Sur son domaine, l’abbaye possède des droits étendus, y compris à Munster, bien que celle-ci soit, en théorie, ville d’Empire depuis 1235. L’abbé dispose notamment du zwing et du ban, c’est-à-dire du pouvoir d’ordonner et de contraindre. Il nomme un tiers des membres du conseil de la ville et seul un de ces conseillers peut en être le président, ou stettmeister, ce dernier agissant également en tant que juge de l’abbaye. Dans tous les cas, les décisions du conseil restent soumises à validation de l’abbé. L’abbaye dispose également de la primauté dans l’usage des bois et des ruisseaux, ainsi que le monopole de la vente du vin pendant les périodes de Noël, Pâques et Pentecôte. Les habitants lui doivent la dîme, des jours de corvée, un loyer pour l’exploitation des terres et ont l’obligation d’utiliser, contre redevance, le moulin et le four de l’abbaye pour préparer leur pain[24].
À l’instar des autres biens ecclésiastique, l’ensemble des biens et droits de l’abbaye sont saisis en 1790. L’inventaire dressé en cette occasion le montre que l’ensemble des droits perçus en 1789 se monte à 49 153 livres ; il s’agit d’une somme assez élevé, mais qui est insuffisante pour couvrir les dépenses de l’abbaye, dont les comptes montrent de fait pour la même année un déficit de 11 560 livres. Les principaux revenus sont ceux de la dîme sur la ville et la vallée de Munster (6 893 livres), de l’affermage des fermes du Fesseneck (4 081 livres) et du Schweinsbach (3 100 livres), ainsi que de l’exploitation des forêts (4 200 livres)[25].
Privilèges
Dès sa création, l’abbaye bénéficie de l’immunité, c’est-à-dire que les fonctionnaires, même ceux du roi, ne peuvent pénétrer sur ses terres. Cela confère une grande autonomie aux abbés, qui peuvent par exemple rendre la justice eux-mêmes sur leur domaine[12]. Par ailleurs, l’abbé Godefroid obtient de Louis le Débonnaire le droit pour les moines de Munster de choisir leurs abbés[26].
- : Childéric II, roi des Francs, délaisse en faveur de l'abbé Valedius la perception du fisc, des amendes et autres sur les habitants de Muntzenheim (arrondissement d'Andolsheim) et Ohnenheim (canton de Marckolsheim).
- Trente années plus tard, en ou , l'empereur Lothaire II[19] confère à l'abbé le pouvoir de justice sur les territoires et villages appartenant à l'abbaye.
- En , l'abbaye reçut l'immédiateté impériale, lui permettant ainsi d'entrer dans le cercle très fermé des abbayes d'Empire[19] (Reichsabteien), accordant également à l'abbé le droit de siéger à la Diète d'Empire.
Le privilège le plus insolite fut conféré à l'abbé de Munster au VIIe siècle par le Roi Dagobert II, qui légua à l'abbaye ses insignes royaux. Lors des processions solennelles, l'abbé portait ainsi la couronne d'argent de Dagobert en lieu et place de la mitre, tandis que deux acolytes portaient le sceptre et l'épée du souverain. L'abbé Grandidier, archiviste de l'évêché de Strasbourg, indique qu'à son époque (quelques années avant la Révolution française), l'usage existait toujours. Les insignes royaux ont malheureusement disparu aujourd'hui.
Galerie de photos
Ruines Logis abbatial (XVIIIe) Logis abbatial (XVIIIe) à gauche, logis prieural (XVIIe-XIXe) au fond Tour (1872)
Annexes
Liste des abbés
- - : Colduin
- - : Valedius
- - : Wolfchis
- - : Heddon[27], futur évêque de Strasbourg[19]
- - : Adalric
- -… : Agoald
- …- : Remigius (futur évêque Remi de Strasbourg)[28],[19]
- - : Restwin[28], futur évêque de Strasbourg[19]
- - : Urolf
- - : Rachion
- - : Gothofred
- - : Winidolf
- - : Berthold Ier
- -… : Rathold
- …- : Crinon
- - : Engilfrid
- -… : Henri Ier
- …-… : Diether
- …-… : Adalbéron
- …- : Hermann
- -… : Guichard
- …-… : Adélard
- …-… : Emmon
- …- : Chénon
- -… : Abbon
- …- : Reginher
- - : Samuel
- - : Rudpert
- -… : Adalbert Ier
- …- : Eggohard
- - : Conrad Ier
- - : Aldalbert II
- - : Conrad II
- - : Egilolf Ier
- - : Ortlieb
- - : Egilolf II
- - : Thuringus
- - : Henri II
- - : Bernard
- - : Frédéric
- - : Gérard
- - : Henri III
- -… : Steinung
- …- : Berthold II
- - : Jean Ier
- - : Hugues
- - : Marquard
- - : Richard
- - : Charles Ier
- - : Othon
- - : Guillaume Steinung
- - : Wernher de Rokurt
- - : André Eypolt
- - : Thomas de Ramstein
- - : Jean II Rodolphe de Loubgatz[vdm 1]
- - : Christophe de Montjustin
- - : Burchard d'Altenschönestein-Nagel
- - : Conrad III de Rulst
- - : Petermann d'Aponex
- - : Joachim Breming
- - : Henri IV de Jesteten
- - : Adam de Holsaffel
- - : Georges Müsinger de Frondest
- - : Cosme Gab
- - : Jean III Henri Bremsy de Herblingen
- - : Grégoire Blarer de Wartensee
- - : Henri V de Stoubon
- - : Alphonse Kleinhaus
- - : Charles II Marchand
- - : Louis de La Grange
- - : Gabriel de Rutant
- - : Benoît Ier Sinsart
- - : Benoît II Joseph Aubertin
Source : Gallia Christiana
Bibliographie
- Dominique Toursel-Harster, Jean-Pierre Beck, Guy Bronner, Dictionnaire des monuments historiques d’Alsace, Strasbourg, La Nuée Bleue, , 663 p. (ISBN 2-7165-0250-1), p. 254-256.
- Pierre Schmitt, « Schwensbach : le problème des origines de l’abbaye bénédictine de Munster », Annuaire de la Société d'histoire du val et de la ville de Munster, vol. 8, , p. 9-51 (ISSN 1146-7363, lire en ligne, consulté le ).
- Christian Wilsdorf, « L’Abbaye de Munster à travers les siècles », Annuaire de la Société d'histoire du val et de la ville de Munster, vol. 13, , p. 47-68 (ISSN 1146-7363, lire en ligne, consulté le ).
Liens externes
- « MUNSTER : L'abbaye Saint Gregoire », sur abbayes.over-blog.fr (consulté le )
- Ancienne abbaye bénédictine Saint-Grégoire à Munster
Références
- Notice no PA00085749, base Mérimée, ministère français de la Culture
- Schmitt 1934, p. 13.
- Schmitt 1934, p. 19.
- Wilsdorf 1958, p. 49.
- Schmitt 1934, p. 20.
- Schmitt 1934, p. 17.
- Schmitt 1934, p. 10.
- Schmitt 1934, p. 16-17.
- Wilsdorf 1958, p. 51.
- Wilsdorf 1958, p. 52.
- Wilsdorf 1958, p. 56.
- Wilsdorf 1958, p. 57.
- Wilsdorf 1958, p. 58.
- Wilsdorf 1958, p. 59.
- Wilsdorf 1958, p. 64.
- Wilsdorf 1958, p. 64-65.
- Wilsdorf 1958, p. 65.
- Wilsdorf 1958, p. 66.
- « Histoire de l'abbaye », sur ville-munster68.fr (consulté le )
- Abel Mathieu, Histoire du Saint-Mont, Dommartin-lès-Remiremont, Imprimerie Girompaire à Cornimont, , 104 p.page 64 : Les chapelles
- Wilsdorf 1958, p. 56-57.
- Wilsdorf 1958, p. 61.
- Wilsdorf 1958, p. 62.
- Wilsdorf 1958, p. 63.
- Claude Muller, « La richesse de l’abbaye bénédictine de Munster en 1790 », Annuaire de la Société d'histoire du val et de la ville de Munster, vol. 41, , p. 30-31 (ISSN 1146-7363, lire en ligne, consulté le )
- Wilsdorf 1958, p. 55.
- L'art de vérifier les dates (lire en ligne), p. 34
- Philippe-André Grandidier, Histoire de l'Église et des évêques-princes de Strasbourg (lire en ligne), p. 302
- p. 3
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