Alfred de Liesville

Alfred Robert Frigoult de Liesville, né le à Caen et mort le [1] à Paris 17e, est un aristocrate d’origine normande qui a consacré sa vie à rassembler dans sa maison des Batignolles des objets de toutes sortes sur la Révolution française, qu’il a légués pour l’essentiel au musée Carnavalet dont il fut l’un des premiers conservateurs.

Alfred Robert Frigoult de Liesville
Portrait de Liesville par Ange Tissier (1857). Huile sur toile 81,5 × 65,5 cm. Musée Carnavalet.
Titre de noblesse
Comte
Biographie
Naissance
Décès
Nom de naissance
Alfred Robert Frigoult de Liesville
Nationalité
Activités

Un érudit normand

À 8 ans, il perd ses parents et devient l’héritier d’une confortable fortune qui lui donne le choix et la possibilité d’assouvir ses passions.

À Alençon, chez sa sœur Octavie de Saint Paterne où il passe une partie de sa jeunesse, il fréquente les sociétés savantes tout en rassemblant des minéraux, des fossiles, des mollusques ou en se consacrant à l’apiculture. Il s’intéresse à la photographie en immortalisant le port de Cherbourg[2], il écrit des guides de voyage sur l’Orne[3].

Il est même un temps critique d’art pour les Salons de 1875 à 1879 où il rend compte du travail des artistes normands.

Dès 1855, il part pour Paris afin de se rapprocher des milieux artistiques qu’il admire et s’installe en 1860 dans le tout nouveau quartier des Batignolles, au 28 rue Gauthey. C’est là qu’il rassemble méthodiquement et pendant 25 ans, des chefs-d'œuvre de la céramique et des témoignages de la Révolution française qui ornent désormais les murs du musée Carnavalet.

Son musée privé

Tout amateur qui en faisait la demande, pouvait s’y rendre le dimanche et admirer ses trésors. Pendant longtemps son musée privé fut, le dimanche, un rendez-vous pour tout un groupe d’érudits, spécialistes, tels que Poulet-Malassis, Duranty, Champfleury[4]. Ils acceptaient de venir, même de l’étranger, pour aller dans ce quartier perdu de Paris « dans cette petite maison des Batignolles dont ses amis connaissaient seuls le chemin[5]. » Ainsi, Lady Charlotte Schreiber évoque dans son journal la visite qu’elle fit chez Liesville en [6]. Les amateurs pouvaient discuter ou enrichir leur connaissance avec Liesville. « Il leur montrait, religieusement, ses pièces favorites, les étudiait avec eux détail à détail, les commentait sans bruit, sans phrases, en mode précis, en historien plutôt qu’en dilettante[7] ».

Dans le salon et la salle à manger se trouvaient la plupart des objets en porcelaine de Chine ou du Japon. Sa chambre et le fumoir gardaient une collection d’objets en cuivre ou en étain de l’orfèvre Briot et des gravures sur bois. Mais c’est dans l’atelier au premier étage, (Liesville avait acheté sa maison à un peintre) qu’était concentré et même accumulé l’ensemble des faïences. Les murs et les armoires offraient au regard des visiteurs plus de mille objets venant des régions de France comme le Beauvaisis, la Normandie, la Bourgogne mais aussi d’Allemagne, d’Italie, de Hollande et d’Iran. Un petit cabinet était consacré à son importante collection de monnaies et médailles, dont celles du graveur Dupré.

Liesville avait également acquis un nombre considérable d’ouvrages, plus de trois mille, sur les techniques et périodes historiques qui l’intéressaient[8]. Liesville n’hésitait pas à offrir ses collections au regard d’un public plus large puisque, dès 1850, il a participé à la plupart des expositions régionales ou rétrospectives à Paris comme en province et sans doute même à l’étranger.

Cette quantité importante d’objets collectionnés venait de ses achats en salle des ventes, Drouot pour l’essentiel[9] et du marchand parisien Baur.

Près de deux tiers de cette collection sont détruits au cours d’un bombardement pendant les derniers jours de la Commune en 1871.

L’intérêt pour les périodes révolutionnaires

Vues de l’hôtel et du musée Carnavalet : salles de l’époque révolutionnaire. Bibliothèque et musée historique de la ville de Paris. 1884. s.l.

Les motivations de Liesville qui expliqueraient les origines de cette collection sur les périodes révolutionnaires sont inconnues. Ses contemporains disent de lui qu’il était un farouche défenseur de la République « rêvant sans cesse d’un idéal sociologique qui tenait à la fois de Platon, de madame Roland, de Danton, de Lammenais et de Michelet[10] ». Est-ce pour ces raisons qu’il a participé à la défense de Paris pendant le siège de 1870 et a été inquiété par la police à la suite de dénonciations lors de la répression de la Commune ?

Son ami La Sicotière en dit un peu plus : « C’est surtout à l’histoire de la Révolution, étudiée, non pas dans ses grandes lignes, mais dans ses curiosités, dans ses détails intimes et pittoresques, qu’il se livra avec une passion qui finit par l’absorber tout entier[11] ». Les témoins étaient ébahis par la masse d’objets ayant trait à cette période, il y en avait partout et de toutes sortes : des médailles, des armes, des insignes, des costumes, de la vaisselle, des instruments, des étendards, des éventails, des caricatures et divers ustensiles.

Il venait d’être nommé membre du conseil consultatif de la future exposition du centenaire de la Révolution lorsqu’il succomba, le , à l’âge de 48 ans, à un cancer de la gorge, dans sa maison de la rue Gauthey[12]. Ses obsèques eurent lieu le [13].

Les faïences et médailles révolutionnaires

Le goût pour les faïences révolutionnaires datait des années 1850. La mode avait été lancée par Champfleury[14], journaliste, critique d’art puis directeur de la Manufacture de Sèvres. « C’est Champfleury, je le répète, qui a mis la faïence révolutionnaire à la mode. » Il a initié Liesville à ce domaine. Dans son livre, Violon de faïence, Champfleury évoque peut-être Liesville lorsque le personnage principal de ce roman propose de rendre visite à un amateur : « Il ne recherche que les faïences de la Révolution de 1789 ; assiettes de la Fédération, brocs en mémoire des prêtres constitutionnels, saucières chantant les vertus de M. Necker, soupières représentant la prise de la Bastille. Cet être bizarre a rempli une maison de haut en bas de céramiques séditieuses…[15] ».

Sa collection de médailles, quelques milliers, portait essentiellement sur les périodes révolutionnaires de 1789, 1830 et 1848[16]. Selon lui, les médailles étaient la mémoire dont il fallait garder la trace. Liesville explique ainsi les raisons de ses recherches : « les regrets si souvent exhalés sur la dispersion, la destruction des matériaux historiques ou sur l’imprévoyance et l’ignorance qui ne savent ni les créer, ni les rassembler, ni les conserver, ne nous font-ils pas un devoir, dans l’intérêt de l’avenir, de travailler de toutes nos forces, à réunir et à publier tous les documents qui concernent notre époque[17]. »

Rassembler, conserver, publier les témoignages historiques : tels furent les objectifs de Liesville. Il lui a paru sans doute logique, puisqu’il n’avait pas d’héritiers directs, de faire don à la ville de Paris d’une partie de ses collections, celle ayant trait à la Révolution. La municipalité était d’autant plus heureuse d’accepter ce don qu’elle n’avait pu acheter la collection de Champfleury qui avait pourtant, aux dires des contemporains, toute sa place à Paris. « Ce serait là une bonne fortune et pour les amateurs et pour la ville, qui aurait ainsi sa propre histoire écrite d’une façon si spéciale ; car l’histoire de la Révolution ne fait qu’une seule et même chose avec l’histoire de la ville de Paris[18]. » Il fut décidé que les pièces iraient au musée Carnavalet pour d’une part, alimenter le fonds alors ténu du musée et d’autre part, illustrer la célébration du centenaire de la Révolution française qui était en pleine préparation à Paris.

Les collections Liesville dans différents musées

Le musée Carnavalet ouvrit en février 1880 après une réorganisation de ses collections et le conseil municipal reconnut alors la qualité de la collection Liesville qui était estimée à 200 000 francs. « Nous en connaissons une, formée patiemment, mais avec un goût exquis par son propriétaire, qui est devenue un véritable trésor et quelque chose comme le reliquaire sacré de nos temps révolutionnaires[19]. » Le nombre considérable de pièces données permet d’affirmer que Liesville a été l’un des fondateurs du musée pour sa partie moderne. L’inauguration de ces nouvelles salles, dédiées à la Révolution, eut lieu le . C’est Liesville qui a veillé à la mise en place d’une partie de sa collection dans le musée (la totalité représentant des dizaines de milliers d’objets), il fut même nommé, en , conservateur-adjoint. Jules Cousin, alors directeur du musée, pensait à lui pour lui succéder.

La tâche de Liesville était importante mais très vite, sa santé déclina et il n’avait pas fini de faire un inventaire précis de sa collection lorsqu’il mourut en . Des procès intentés par des cousines compliquèrent le règlement de sa succession par laquelle le musée Carnavalet se vit attribuer de nouveaux objets. La ville de Paris a reçu également en legs sa maison du 28 rue Gauthey pour en faire une école de dessin pour les jeunes ouvriers[20].

En hommage à son travail, la ville de Paris dédia une salle du musée à son nom mais au gré des divers aménagements imposés par l’augmentation des collections et par l’extension des espaces d’exposition, celle-ci a disparu et le nom de Liesville est tombé dans l’oubli.

Le musée de Sèvres (dirigé alors par son ami Champfleury), le musée des Arts décoratifs ont également reçu en donation ou legs des céramiques de sa collection.

Le musée d’Alençon[21] bénéficia de quelques objets dont sa collection de minéraux. Mais c'est surtout la bibliothèque de la ville[22] qui s'est considérablement enrichie grâce au legs de sa collection d'ouvrages divers (sur les sciences naturelles, la photographie, l'apiculture, la numismatique, les Arts) ainsi que des manuscrits, des autographes ou plus de mille catalogues de vente qui vont des années 1845 à 1880[1].

Références

  1. Cécile Dumont, Alfred de Liesville (1836 - 1885), un érudit aux multiples visages, ill. en noir et en coul., mémoire d'étude, Paris, École du Louvre : sous la dir. de Chantal Georgel, Philippe Sorel, 2005, Bibliogr. f. 56-66.
  2. La Bibliothèque nationale de France conserve un album de 21 planches des vues de Cherbourg qui datent de 1860. Cote est.EO.136 ainsi que l’association ARDI de Caen
  3. Alfred de Liesville, Le Guide du voyageur à Bagnoles les Eaux (Orne), Paris, 1858.
  4. BHVP Papiers Liesville MS 2118, f° 109
  5. BHVP Papiers Liesville MS 2118, f° 83-85.
  6. (en) Lady Charlotte Schreiber’s journals: confidence of a collector of ceramics & antiques throughout Britain, France, Holland, Belgium, Spain, Portugal, Turkey, Austria & Germany from the year 1869 to 1885, London, New York, John Lane, 1911. « The street is a very obscure one, the house is marvellous. I shall never forget the door by which we were admitted into what looked like a vast workshop. We went up a narrow stair, and at the head, found ourselves in M. de Liesville’s presence. His Museum is contained in one immense room, dimly ligthed, of great dimension both as to ground plan and height. The walls are lined with faience plates up to the very top, so that we could not distinguish the merits of any of them. On all sides were cases filled with books and specimens of various kinds of art, some of them very good, but the great feature of M. de Liesville’s collection was his illustration of the art of the Revolutionary Period. He has fans, faience, buttons, cards and numberless other objects of the times, very interesting and instructive, though not beautiful. We regretted much to hear that in the last days of the Commune, an obus head had found its way into this singular building, by which two-thirds of the (then) collection had been destroyed. I was very pleased to have had an opportunity of making this visit. », vol. 2, p. 325-6.
  7. BHVP Papiers Liesville MS 2118, f° 115.
  8. Les livres ont été dans l’ensemble (sauf ceux ayant trait à la Révolution) légués à la bibliothèque municipale d’Alençon.
  9. Le fonds patrimonial de la bibliothèque municipale d’Alençon possède 1039 catalogues de vente rassemblés de 1845 à 1885 et parfois annotés de la main de Liesville.
  10. Nécrologie dans la Revue critique d’histoire et de littérature, 1885, p. 178-9.
  11. Léon de La Sicotière, Biographie, Nantes, imprimerie de V. Forest et E. Grimaud, 1886. cote BNF 8-LN27-41777
  12. Bulletin du bibliophile, t. 1899, Paris, (lire en ligne), p. 543.
  13. Paul Lacombe, Jules Cousin, 1830-1899 : souvenirs d’un ami, Paris, H. Leclerc, , 94 p. (lire en ligne), p. 60.
  14. Troubat, Jules. Une amitié à la d’Arthez. Lucien Duc, 1900, p.  77.
  15. Champfleury, Le Violon de faïence, Paris, Dentu, 1877, p. 135.
  16. Alfred de Liesville, Histoire numismatique de la Révolution de 1848, Paris, Champion, 1877.
  17. Ibid., introduction.
  18. Jules Penelle, « Le Musée Céramique de M. Champfleury » Paris magazine, 1er mars 1868.
  19. Conseil Municipal de Paris, Rapports et documents, t. 1, Imprimerie nationale, 1880, p. 10.
  20. La maison a été démolie en 1996.
  21. Musée des beaux-arts et de la dentelle d'Alençon
  22. Médiathèques de la communauté urbaine d'Alençon

Bibliographie

  • Madeleine Dubois, Les Origines du musée Carnavalet : formation et accroissement des collections de 1870 à 1897, thèse de l’École du Louvre, 4 vol., Paris 1947.
  • Cécile Dumont, Alfred de Liesville (1836-1885), un érudit aux multiples visages, mémoire d'étude, École du Louvre, sous la dir. de Chantal Georgel, Philippe Sorel, 2005.
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