Eau régale

L’eau régale ou eau royale (aqua regia en latin) est un mélange d’acide chlorhydrique et d’acide nitrique concentrés dans une proportion de deux à quatre volumes d’acide chlorhydrique pour un d’acide nitrique. Elle est appelée ainsi parce qu’elle est capable de dissoudre certains métaux nobles tels le platine, l'or ou le tantale insolubles dans ces acides seuls ou dans tout autre acide simple concentré[2].

Eau régale
Eau régale utilisée pour le nettoyage de tubes RMN.
Identification
Synonymes

aqua regia,
eau royale

No CAS 8007-56-5
SMILES
InChI
Apparence liquide jaune à rouge-brun[1]
Propriétés chimiques
Formule HNO3 + 3 HCl
Propriétés physiques
fusion −42 °C[1]
ébullition 108 °C[1]
Solubilité miscible avec l’eau[1]
Masse volumique 1,01 à 1,21 g cm−3[1]
Pression de vapeur saturante 21 mbar (20 °C)[1]
Précautions
SGH
NFPA 704
Directive 67/548/EEC[1]

C

O


Transport[1]
-
   1798   

Selon le chapitre 2.2.8.2, cette matière n'est pas autorisé au transport par l'ADR
« ADR 2021 Vol 1 » [PDF], Nations unies, (ISBN 978-92-1-139177-0, consulté le ), p. 232

Unités du SI et CNTP, sauf indication contraire.

Applications

L'eau régale est avant tout utilisée dans la production d'acide chloraurique, l'électrolyte utilisé dans le procédé Wohlwill. Ce procédé est utilisé pour le raffinage d'or de très grande pureté (99,999 %).

L'eau régale est aussi utilisée comme agent de gravure et pour certaines analyses chimiques. Elle est aussi utilisée dans certains laboratoires pour nettoyer la verrerie des composés organiques et des particules de métal. Cette méthode est d'ailleurs préférée pour le nettoyage des tubes RMN (en) à la méthode « traditionnelle » du bain dans l'acide chromique, cette dernière pouvant laisser des traces de chrome susceptibles de perturber le spectre de l'analyse suivante[3]. De plus, les bains d'acides chromiques sont dangereux du fait de la haute toxicité du chrome et des risques d'explosion. Cependant l'eau régale est elle-même très corrosive, et a été à l'origine de nombreuses explosions dues à de mauvaises manipulations[4].

Réactions chimiques

Dissolution de l'or

Chaque constituant de l'eau régale joue un rôle dans la dissolution de l'or.

L'acide nitrique est un puissant oxydant, mais pas assez pour permettre l'oxydation de quantités significatives d'or :

Au (s) + 3 NO3 (aq) + 6 H+ (aq) Au3+ (aq) + 3 NO2 (aq) + 3 H2O (l)

Cette réaction est en effet un équilibre, qui n'est pas déplacé dans le sens de la formation de l'ion aurique.

L'acide chlorhydrique fournit des ions chlorure (Cl) qui permettent le déplacement de l'équilibre par la formation des anions chloraurates (AuCl4) :

Au3+ (aq) + 4 Cl (aq) AuCl4 (aq)

la réaction d'oxydation est donc :

Au (s) + 3 NO3 (aq) + 6 H+ (aq) + 4 Cl (aq) AuCl4 (aq) + 3 NO2 (aq) + 3 H2O (l)
Dissolution de l'or par l'eau régale.
État initial de la transformation.
État intermédiaire de la transformation.
État final de la transformation.

Dissolution du platine

La réaction avec le platine est un peu plus complexe, mais similaire. La réaction initiale produit un mélange d'acide chloroplatineux (H2PtCl4) et de chlorure nitrosoplatinique ((NO)2PtCl4). Ce dernier est un solide qui peut être redissous par lavage à l'acide chlorhydrique concentré.

Pt (s) + 2 HNO3 (aq) + 4 HCl (aq) (NO)2PtCl4 (s) + 3 H2O (l) + ½ O2 (g)
(NO)2PtCl4 (s) + 2 HCl (aq) H2PtCl4 (aq) + 2 NOCl (g)
Dissolution du platine par l'eau régale.
État initial de la transformation.
État intermédiaire de la transformation.
État final de la transformation.

Décomposition

L'eau régale n'est pas très stable, elle se décompose rapidement par formation de chlorure de nitrosyle et de dichlore :

HNO3 (aq) + 3 HCl (aq) NOCl (g) + Cl2 (g) + 2 H2O (l)

Le chlorure de nitrosyle se décompose par la suite :

2 NOCl (g) 2 NO (g) + Cl2 (g)

Les produits de ces réactions n'ont pas le pouvoir oxydant de l'acide nitrique, donc avec le temps l'eau régale perd ses propriétés. Elle doit donc être préparée juste avant utilisation.

Histoire

L'eau régale fut mentionnée pour la première fois dans une œuvre de Pseudo-Geber datée d'environ 1300[5].

En 1599, la troisième des Douze Clefs de philosophie (livre d'alchimie) de Basilius Valentinus montre un dragon au premier plan et un renard mangeant un coq au second plan, lui-même attaqué par un coq. Le coq symbolise l'or (de son association avec le lever du soleil et l'association du soleil avec l'or), et le renard représente l'eau régale. La dissolution répétitive, le chauffage et la nouvelle dissolution (le coq qui mange le renard qui mange le coq) entraînent l'accumulation de chlore gazeux dans le ballon de l'alchimiste. L'or se cristallise alors sous forme de chlorure d'or(III), dont les cristaux rouges étaient connus sous le nom de sang de dragon[citation nécessaire].

L'eau régale est constamment évoquée par le philosophe John Locke tout au long son Essai sur l'entendement humain (1690) pour illustrer l'idée de propriété essentielle[pas clair] (en l'occurrence, celle de l'or)[réf. nécessaire].

La réaction n'a pas été rapportée de nouveau dans la littérature chimique avant 1890[5].

Cette capacité à dissoudre l'or fut utilisée pendant la Seconde Guerre mondiale, au moment de la conquête du Danemark par le troisième Reich, par le chimiste hongrois George de Hevesy. Il voulait éviter le vol par les Nazis du prix Nobel en or de Max von Laue et James Franck en dissolvant les deux médailles dans de l'eau régale. La solution résultante fut gardée dans un laboratoire à l’institut Niels Bohr, où George de Hevesy la récupéra après la guerre. George de Hevesy précipita le sel d’or, et récupéra l'or. La société Nobel le refondit, et refabriqua la médaille[6].

Notes et références

  1. Entrée « Aqua regia » dans la base de données de produits chimiques GESTIS de la IFA (organisme allemand responsable de la sécurité et de la santé au travail) (allemand, anglais), accès le 16 juillet 2010 (JavaScript nécessaire).
  2. Encyclopædia Universalis, « EAU RÉGALE », sur Encyclopædia Universalis (consulté le )
  3. Hoffman, R., How to make an NMR sample, Hebrew University, 10 mars 2005 (consulté le 31 octobre 2006).
  4. (en) American Industrial Hygiene Association, Laboratory Incidents: Explosions, 8 décembre 2004 (consulté le 31 octobre 2006).
  5. Lawrence M. Principe, The secrets of alchemy, Chicago, University of Chicago Press, , 281 p. (ISBN 978-0-226-68295-2 et 0-226-68295-1, lire en ligne).
  6. Hevesy, George (1962), Adventures in radioisotope research, 1, New York, Pergamon press, p. 27.
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