Argentoratum

Argentoratum ou Argentorate (parfois Civitas Argentoratensium[1]) est le nom antique de l'actuelle ville de Strasbourg. Cette dénomination latine d'origine celtique (*arganto-, argent, et *rāti-, levée de terre, fortin[2]) désigne le camp romain fondé vers par le général Nero Claudius Drusus.

Argentoratum
Argentina

Tracé de l'enceinte romaine sur un plan de Strasbourg du XVIIIe siècle.
Localisation
Pays Empire romain
Province romaine Germanie supérieure
(Ier siècle-, Haut-Empire)
Germanie première
(-, Bas-Empire)
Région Grand Est
Département Bas-Rhin
Commune Strasbourg
Type Camp romain
Coordonnées 48° 34′ 24″ nord, 7° 45′ 08″ est
Géolocalisation sur la carte : Empire romain
Argentoratum
Histoire
Époque Antiquité (Empire romain)

Situé dans la province romaine de Germanie supérieure, ce castrum a été la capitale de la Germanie première au IVe siècle. Il n'a toutefois pas constitué une cité sur le plan juridique comme l'ont été Mogontiacum (Mayence), Augusta Treverorum (Trèves) ou Augusta Raurica (près de Bâle).

Des vestiges archéologiques des fortifications du camp perdurent aujourd'hui dans les sous-sols du centre-ville de Strasbourg.

Histoire

Préhistoire

De nombreux objets du Néolithique, de l’âge de bronze et de fer ont été retrouvés lors de fouilles archéologiques. Mais c’est des environs de 1300 av. J.-C. que date l’installation durable de peuples protoceltes. Vers la fin du IIIe siècle av. J.-C. le site est devenu une bourgade celte du nom d’Argentorate, dotée d’un sanctuaire et d’un marché. Grâce à d’importants travaux d’assèchement, les maisons sur pilotis cèdent leur place à des habitations bâties sur la terre ferme[3].

Haut-Empire romain

Les Romains arrivent en Alsace en 58 av. J.-C. et s’installent sur le site de Strasbourg. En 12 av. J.-C. l'empereur romain Auguste décide d'organiser en partie la défense de l'Empire romain et la ville devient un camp militaire fortifié positionné sur le limes du Rhin faisant partie des forts de Drusus. Au fil du temps, la ville va prendre de l’importance. En l'an 12 av. J.-C., le général Romain Nero Claudius Drusus[4] est chargé de fortifier une place celte du nom d'Argentorate. Ce camp, Argentoratum, est agrandi successivement sous les empereurs Tibère et Trajan. Promue colonie militaire, Argentorate est déjà un carrefour commercial important et aux alentours de l’an 20 la population est estimée à près de 10 000 habitants, armée romaine incluse[5].

Le camp militaire d'Argentoratum accueille successivement plusieurs légions : d'abord la Legio II Augusta de à , puis la Legio XXI Rapax de 43 à 45/46 de à ou [6]. L'arrivée de la Legio VIII Augusta à Argentoratum n'est pas datée avec exactitude, probablement sous le règne de l'empereur Domitien, entre les années 85 et 90 de notre ère. Des fouilles menée sur le camp de sa précédente affectation, à Mirebellum près de Dijon, attestent de sa présence en Bourgogne au moins jusque vers 83-84[7]. À la fin du Ier siècle, les 6 000 légionnaires sont mutés à Argentoratum afin de mieux surveiller le limes de Germanie. Sur les bords de l'İll, le camp se fixe au plus près du Rhin et de sa zone inondable mais à l’abri de la plupart de ses crues annuelles.

La ville reste néanmoins essentiellement militaire et donc totalement dépendante de cette activité. Au cours des IIe et IIIe siècles, avec l’agrandissement de l’Empire romain, Argentoratum va servir de base de repli pour les troupes romaines installées en Germanie.

Bas-Empire romain

Mais en 260, les légions quittent la Germanie et Strasbourg redevient une ville frontière[8]. Alors que les limes (frontière de l'Empire romain) de l'Empire atteignent le Danube et le Neckar, le camp est réduit à un centre de ravitaillement.

Rapidement, des artisans et des marchands au service des militaires, s'installent en dehors des murs du camp et se fixent au sein de vici et de canabæ (ville et faubourgs), principalement dans l'actuel quartier de Koenigshoffen le long de l'actuelle route des Romains. Durant le IIIe siècle, la population totale d'Argentoratum est estimée entre 20 000 et 30 000 habitants. Le chiffre de 20 000 habitants s'est probablement maintenu jusqu'au IVe siècle de notre ère pour ensuite fortement décliner.

La ville retrouve son rôle militaire au moment des invasions barbares. En 355, elle est saccagée par les Alamans. Ainsi, en août 357, les troupes du général romain Julien défont les Alamans de Chnodomar dans la bataille d'Argentoratum. Mais en 406 les Germains envahissent à nouveau la Gaule puis en 451, la ville est complètement détruite par Attila[9].

Une population de quelques centaines d'habitants a sûrement perduré durant tout le haut Moyen Âge au sein de l'enceinte romaine désertée par les militaires vers le milieu du Ve siècle[10].

Description

Le site du camp romain de 19 ha, situé sur la Grande île, a conservé son tracé d'origine dans la topographie de la ville, enserrée sur ses quatre côtés par des bras d'eau de l'Ill et de la Bruche.

Le périmètre et les axes de l'enceinte sont encore en partie lisibles aujourd'hui dans le tracé des actuelles rues du Dôme correspondant à l'ancien cardo et la rue des Hallebardes correspondant à l'ancien decumanus.

Trois remparts successifs

Schéma d'une tour romaine par Jean-André Silbermann, en 1753, avant son dynamitage.
Enceinte en bois et terre

Durant les trois siècles de sa présence à Argentoratum, la légion VIII édifie successivement trois enceintes afin de protéger son campement. Le choix de son emplacement s'est porté sur une terrasse alluviale qui surmontait alors de basses terres marécageuses. Le site a d'abord été nivelé et remblayé sur une hauteur de dix centimètres. Une enceinte en terre avec une armature en bois a ensuite été édifiée. La largeur de ce mur était de 4,40 mètres à sa base pour une hauteur estimée de 3,50 mètres jusqu'au chemin de ronde. L'enceinte était précédée d'un fossé incurvé de 5 à 6 mètres de large pour une profondeur d'environ 1,20 à 1,50 mètre de profondeur[11].

Enceinte en pierre calcaire

Un deuxième rempart en pierre calcaire est édifié au milieu du IIe siècle de notre ère directement devant celui en terre et en bois. Les tours sont rectangulaires et font saillies à l'intérieur du camp. Le premier fossé est comblé et un deuxième est creusé un peu plus loin. Le mur repose sur des fondations en pierres volcaniques du Kaiserstuhl déposées dans une tranchée profonde et large de 1 à 1,20 mètre. Le rempart est maçonné avec de petits moellons de pierre calcaire mais est entrecoupé par des chaînages horizontaux à trois assises de briques ou de tuiles[12].

Enceinte en grès rose

Le troisième et dernier mur est édifié en grès, probablement par étapes successives, à la fin du IIIe siècle ou au début du IVe siècle de notre ère. Il s'adosse directement contre l'enceinte en pierre calcaire. Cette nouvelle enceinte est munie de nombreuses tours de plan semi-circulaire espacées de 20 à 40 mètres et de tours rondes plus larges aux angles. L'archéologie a permis de découvrir dix-sept tours semi-circulaires. Leurs diamètres sont variables ; 4,70 mètres sur le front nord-est, 7,60 mètres sur le front opposé et 6,50 mètres de moyenne sur le front nord-ouest[13]. Cette enceinte comporte des remplois pour la plupart des stèles funéraires ou des fragments sculptés ou gravés d'inscriptions. Il subsiste actuellement des vestiges intégrés dans des murs d'immeuble (secteur de la place du Temple-Neuf) ou dans des caves comme aux 47-49 de la rue des Grandes-Arcades (exhumé en 1906 et classé Monument Historique depuis le 27 décembre 1920)[14].

Fossés d'Argentoratum

Maquette du camp d’Argentoratum au musée archéologique de Strasbourg.

La présence romaine est attestée jusqu'à l'invasion des Huns de l'an 451. Dans sa phase finale du IVe siècle, le camp romain d'Argentoratum est assez bien connu depuis les fouilles archéologiques des XIXe et XXe siècles. L'enceinte a 550 mètres de long sur 335 mètres de large et enserre une superficie de 19 hectares, un chiffre dans la norme pour un camp romain (18 à 20 hectares) mais plus petit que les autres camps rhénans qui comptaient une superficie de 25 hectares[15]. Le camp de Strasbourg était délimité par des cours d'eau encore existant et par des fossés qui se laissent encore deviner dans la topographie du centre-ville. Au sud, l'enceinte longeait la rivière İll entre l'actuel pont de la place du Corbeau et l'église Saint-Étienne. Ce cours d'eau se trouvait être plus large de 90 mètres et son rivage atteignait l'actuelle rue des Veaux. À l'est, les douves de la muraille formaient la partie aval du fossé du Faux-Rempart, se poursuivait au nord par la portion du Fossé des Tanneurs (disparu) qui longeait la place Broglie et continuait à l'ouest par le fossé disparu de l'Ulmergraben (rues des Grandes-Arcades et du Vieil-Hôpital)[16].

Portes et rues romaines

Porte d'Agentoratum (vue d'artiste).

Quatre portes permettaient d'accéder au camp d'Argentoratum, la porta prætoria (ouest) à l'angle de la rue des Hallebardes et de la rue du Fossé-des-Tailleurs, la porta decumana (est) au milieu du quai Lezay-Marnésia, la porta principalis dextra (nord) à l'entrée de la rue du Dôme et la porta principalis sinistra (sud) de la rue du Bain-aux-Roses. Les portes nord et sud sont assez peu renseignées. Des fouilles menées durant l'hiver 1971-1972 ont permis de livrer le plan complet de la porte orientale constituée d'un corps rectangulaire placé à cheval sur la courtine et flanqué de deux tours bastionnées également rectangulaires. Le passage était primitivement large de 5,50 mètres mais fut réduit à 3,20 mètres au cours de l'Antiquité tardive. La porte monumentale et principale était la porta prætoria. Elle faisait fonction de porte officielle et donnait directement vers le prétoire c'est-à-dire le quartier général du camp où résidaient les officiers[17].

Les deux principales artères du castrum étaient la via principalis (axe nord-sud) constituée par l'actuelle rue du Dôme et son prolongement la rue du Bain-aux-Roses (entrecoupées par les bâtiments du Grand Séminaire et du lycée Fustel-de-Coulanges), et la via prætoria (axe ouest-est), les actuelles rues des Hallebardes et des Juifs[15].

Vestiges archéologiques

De nombreux objets romains ont également été retrouvés le long de l'actuelle route des Romains dans le quartier de Koenigshoffen, à l'ouest du centre-ville.

Parmi les découvertes les plus remarquables de Koenigshoffen étaient les fragments d'un grand mithræum qui avait été brisé par les premiers chrétiens durant le IVe siècle.

Toponymie

Dans la ville de Rome on trouve le Largo di Torre Argentina, une vaste place rectangulaire sur le corso Vittorio Emanuele, dans le quartier historique du Champ de Mars, presque entièrement occupée par un complexe archéologique comprenant quatre temples romains de l'époque républicaine. Le nom de la place se réfère à la tour dite Torre Argentina, aujourd'hui englobée dans le Palazzetto del Burcardo (it) actuellement Biblioteca e Museo teatrale del Burcardo (it), ainsi nommée par Johann Burchard (1445-1506), dont le nom fut italianisé en Burcardo et qui, à partir de 1483, fut maître des cérémonies des cinq papes Sixte IV, Innocent VIII, Alexandre VI, Pie III et Jules II. Ce haut prélat était originaire de Strasbourg (en latin Argentoratum, nom donné à la ville en référence à ses mines d'argent) aimait signer ses écrits du surnom d'Argentinus.

Notes et références

  1. « Strasbourg », sur www.larousse.fr (consulté le )
  2. Lambert 1994
  3. Michel Bertrand, Histoire secrète de Strasbourg, Édition Albin Michel, p. 11 et p. 12.
  4. http://www.argentoratum.com/histoire1.htm.
  5. Guy Trendel, op. cit., p. 10 et p. 17.
  6. Le Bohec 2009, p. 175–201.
  7. INRAP 2010, p. 23-24.
  8. Benoît Jordan, Histoire de Strasbourg, Édition Gisserot, p. 12 et p. 13.
  9. Michel Bertrand, op. cit., p. 18.
  10. Livet et Rapp 1987, p. 71.
  11. INRAP 2010, p. 47-50.
  12. INRAP 2010, p. 51-52.
  13. INRAP 2010, p. 52.
  14. Dictionnaire des Monuments 1995, p. 522-523.
  15. Klein, Durand de Bousingen et Schultz 1996, p. 19.
  16. Descombes 1995, p. 34.
  17. Livet et Rapp 1987, p. 54.

Annexes

Bibliographie

  • René Descombes, L'eau dans la ville : Des métiers et des hommes, Strasbourg, Les Éditions Ronald Hirlé, , 351 p. (ISBN 978-2-910048-12-9)
  • Benoît, ... Impr. Pollina), Histoire de Strasbourg, J.-P. Gisserot, (ISBN 978-2-87747-870-0 et 2-87747-870-X, OCLC 470596623, lire en ligne)
  • Jean-Pierre Klein, Denis Durand de Bousingen, Simone Schultz et al., Strasbourg : Urbanisme et architecture des origines à nos jours, Strasbourg, Oberlin/Gérard Klopp/Difal, , 297 p. (ISBN 978-2-85369-164-2)
  • Pierre-Yves Lambert, La langue gauloise : description linguistique, commentaire d'inscriptions choisies, Éditions Errance, (ISBN 2-87772-089-6 et 978-2-87772-089-2)
  • Yann Le Bohec, « Histoire militaire des Germanies d’Auguste à Commode », Pallas, no 80, , p. 175–201 (ISSN 0031-0387 et 2272-7639, DOI 10.4000/pallas.1796, lire en ligne, consulté le )
  • Georges Livet et Francis Rapp, Histoire de Strasbourg, Toulouse, Privat, , 528 p. (ISBN 2-7089-4726-5 et 978-2-7089-4726-9)
  • Musées de la ville de Strasbourg et INRAP, Strasbourg-Argentorate : Un camp légionnaire sur le Rhin (Ier au IVe siècle après J.-C.), t. 8, Strasbourg, Musées de la Ville de Strasbourg, coll. « Fouilles récentes en Alsace », , 152 p. (ISBN 978-2-35125-086-0, BNF 42308926)
  • Dominique Toursel-Harster, Jean-Pierre Beck et Guy Bronner, Dictionnaire des monuments historiques d'Alsace, Strasbourg, La Nuée Bleue, , 676 p. (ISBN 978-2-7165-0250-4, BNF 35778746)

Articles connexes

Liens externes

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