Assemblée constituante de Géorgie

L'Assemblée constituante de Géorgie (en géorgien : საქართველოს დამფუძნებელი კრება, sak'art'velos dam'oudznebeli kreba) est une législature de la République démocratique de Géorgie, élue en février 1919 afin de permettre la ratification de l'Acte de l'indépendance de la Géorgie et d'élaborer une Constitution. Elle reste active jusqu'au , date de la fin de l'invasion par l'Armée rouge du territoire géorgien, après avoir pris soin de se rebaptiser en Parlement[1].

Élection

Après la révolution russe de 1917, la Géorgie a fait d'abord partie du Haut-Commissariat de la Transcaucasie créé le par le gouvernement provisoire russe, puis s'est intègrée à la République démocratique fédérative de Transcaucasie le , avant de restaurer son indépendance le . À cette date, le Conseil national géorgien adopte à l'unanimité l'Acte de l'indépendance de la Géorgie et se déclare assemblée parlementaire géorgienne. Ses membres sont les députés élus sur le territoire géorgien lors des élections constituantes russes de novembre 1917; ils désignent pour président Nicolas Tcheidze, ancien président de l'assemblée parlementaire transcaucasienne, à l'origine de la République démocratique fédérative de Transcaucasie. Un premier gouvernement, présidé par Noé Ramichvili est nommé, les préparatifs aux élections d'une assemblée constituante sont lancés[2].

Elles se déroulent du 14 au 17 février 1919. Quinze partis se présentent : le Parti social-démocrate (Mencheviks) obtient 109 sièges, le Parti national-démocrate 8 sièges, le Parti social-fédéraliste 8 sièges et le Parti social-révolutionnaire 5 sièges. Le , le doyen d'âge, Silibistro Djibladzé[3] (1859-1922), ouvre la première session par un discours émouvant affirmant que c'est le plus beau jour de sa longue vie[4] et fait élire à la présidence de l'assemblée Nicolas Tcheidze, social-démocrate, aux vice-présidences Ekvtimé Takhaïchvili, national-démocrate, et Samson Pirtskhalava[5], social-fédéraliste. L'Assemblée constituante réélit ensuite à la présidence du gouvernement Noé Jordania qui conduit un cabinet homogène social-démocrate[6]. Lors des élections partielles tenues au printemps, quatre sièges sont attribués au Parti national géorgien et au Parti Dachnak[7]. Le début de législature est marqué par l'absence de Nicolas Tcheidze, en mission à Paris, à la tête de la délégation géorgienne à la Conférence de la paix[Note 1] : il n'apparait ainsi sur aucune des photographies de l'époque. Les différents vice-présidents dirigent les débats parlementaires.

Législature

Outre la commission constitutionnelle, différentes commissions parlementaires sont créées, agriculture, armée, arts, éducation, régions, santé, transport et travail. Durant son histoire de deux ans, l'assemblée adopte 126 lois, notamment sur la citoyenneté, les élections locales, la défense du pays, l'agriculture, le système législatif, les arrangements administratifs et politiques pour les minorités ethniques, un système national d'éducation et d'autres lois et régulations de la politique monétaire et fiscale, des chemins de fer géorgiens, du commerce et de la production domestique[8]. Quelques années plus tard, en exil en France et en réponse à une personnalité française communiste qui critiquait le manque de démocratie de la République démocratique de Géorgie, un député social-démocrate de l'Assemblée constituante, David Charachidze, écrit afin de démontrer le contraire, dans un livre préfacé par Karl Kautsky: Désormais le président du Conseil des ministres  président du gouvernement utilisé habituellement  sera réélu chaque année. Le gouvernement n'est qu'une sorte de commission exécutive du pouvoir législatif.[9]. Préoccupé par les difficultés intérieures (troubles dans les régions de Tskhinvali et de Soukhoumi) et extérieures (incursion des Armées blanches russes et des armées ottomanes sur le territoire géorgien, appel à l'armée allemande en juillet 1918, présence provisoire de l'armée britannique), le gouvernement met difficilement en place le programme progressiste envisagé.

Devant l'avancée de l'Armée rouge, parvenue aux portes de Tiflis, l'Assemblée constituante évacue le la capitale géorgienne pour rejoindre d'abord Koutaïssi puis Batoumi, où elle organise sa dernière session le , ordonnant au gouvernement Jordania de quitter le pays et de poursuivre le combat contre l'envahisseur à l'extérieur du pays. Le , le Comité révolutionnaire de Géorgie, une administration provisoire établie après la victoire de l'Armée rouge, à dominante bolchévique, déclare l'Assemblée constituante dissoute.

Constitution

Processus d'élaboration

L'élaboration d'une constitution a traversé l'esprit des progressistes de l'Empire russe avant la révolution russe de 1905. Parmi les différentes écoles géorgiennes qui s'affrontent deux dominent, les tenants d'une expérience parlementaire (parfois longue d'une décennie à Petrograd) ou d'une expérience exécutive (parfois courte à Tiflis au Haut Commissariat à la Transcaucasie ou à la République démocratique fédérative de Transcaucasie) et les tenants d'une idéologie souvent renforcée par l'exil.

Une première Commission constituante se met en place du au dans le cadre de l'assemblée parlementaire provisoire géorgienne; une seconde commission de 15 membres est élue par l'Assemblée constituante le [10]. Elle est présidée par Rajden Arsénidzé[11], formé au droit à Iourev en Estonie, cadre du Parti social-démocrate géorgien et en proximité personnelle avec d'autres cadres dotés d'une expérience de pouvoir ; il a publié des textes à Tiflis, en 1917 dans lesquels il critique le bicamérisme et l'existence d'une présidence de la République[Note 2]. Ses compétences juridiques, sa proximité personnelle avec le président de l'Assemblée constituante et son ouverture d'esprit le prédestinent à cette responsabilité. Il est entouré de 7 autres sociaux-démocrates (dont le juriste Pavlé Sakvarélidzé[12] qui prendra sa succession ), deux nationaux-démocrates (Spiridon Kedia[13] et Georges Gvazava[14]), deux sociaux-fédéralistes (Ioseb Baratachvili[15] et Guiorgui Laskhichvili[16]), un social-révolutionnaire (Ivane Gobetchia), un représentant du Parti national géorgien et un autre du Parti Dachnak.

Les membres de la commission s'inspirent des constitutions républicaines européennes existantes, et selon le professeur Beka Kantaria, de l'Université d'État de Tbilissi, plus particulièrement de l'acte constitutionnel de la République française du , amendé en 1884, et accentuant le régime parlementaire[17]. Rajden Arsénidzé a pleinement conscience qu'il doit préparer un constitution pour la République de Géorgie et non seulement une constitution sociale-démocrate destinée à recevoir le satisfecit de la 2e Internationale socialiste ; même si les aspects sociaux de la constitution sont longuement et largement débattus au sein de la commission, il veille à ce que les aspects souverainistes (relevant de la nation géorgienne) et particulièrement analysés par les deux représentants nationaux-démocrates, soient proposés en bonne place ; à l'opposé il adopte le principe du referendum d'initiative populaire plus proche des concepts sociaux-révolutionnaires que des concepts sociaux-démocrates, acceptant ainsi un pas vers la démocratie directe. [18].

Un premier projet est publié en juillet 1920: la presse politique, riche en titres mais pauvre en tirages, s'en empare et les esprits s'enflamment. Il est amendé et présenté à l'Assemblée constituante en novembre 1920[19] : la ratification définitive a lieu le . La Constitution est imprimée pour la première fois à Batoumi dans l'atelier de Nestor Khvingia[20].

Principes

Elle affirme, dans le cadre d'un état de droit, la souveraineté de la nation, les droits de l'homme et du citoyen, la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et justice) et certains éléments de démocratie directe ; elle comporte 17 chapitres et 149 articles[21],[22].

En 2009, Malkhaz Matsaberidze écrit L'institution du président de la République était considérée comme inappropriée pour le développement de la démocratie. Afin de prévenir des crises parlementaires et de garantir une gestion stable de l'état entre les sessions parlementaires, il était convenu d'élire le chef de gouvernement pour un délai d'un an[23]. En 2011, lors du colloque organisé à Batoumi à l'occasion du 90e anniversaire du vote de la Constitution, Nugzar Futkaradze  professeur en sciences humaines à l'Université d'État Chota Roustavéli de Batoumi  souligne la dominante majeure des textes La constitution de 1921 a pris en compte des orientations progressistes particulièrement importantes, notamment la définition de la couverture des droits de l'homme et l'établissement de limites pour y porter atteinte : les obligations constitutionnelles prévues pour l’État pourraient être exagérées, mais il est impossible de le certifier par manque de pratique[24], et Avtandil Demetrashvili  professeur de droit constitutionnel à l'Université d'État de Tbilissi  critique une séparation des pouvoirs fictive, dans la mesure où la Constitution est construite autour d'une suprématie du Parlement dans les trois domaines, législatif, exécutif et judiciaire[25].

Aspects souverainistes

Ils apparaissent dans les 6 premiers articles[26]. La notion de nation est rémanente dans de nombreux articles, en particulier dans ceux qui traitent de la nationalité géorgienne (articles 12 à 14).

Aspects législatifs

La constitution instaure un régime parlementaire, sans présidence de la République : l’organe représentatif de la République géorgienne est le Parlement de Géorgie, composé des députés élus au suffrage universel, égal, direct, secret et proportionnel[27].

Aspects exécutifs

Le gouvernement est responsable devant le Parlement : le président de gouvernement est élu pour une durée d’un an et le même président de gouvernement ne peut être réélu plus d’une fois de suite[28].

Aspects judiciaires

La Cour suprême de justice (dite Sénat) est élue par le Parlement : elle joue le rôle de Cour de cassation [29], et de Conseil constitutionnel dans une certaine mesure, Le Sénat supervisera le respect et la défense des lois et assurera l'adhésion stricte à celles-ci par tous les organes de gouvernement; il sera un tribunal d'appel, mais aussi un pouvoir de révocation des décisions gouvernementales et des tribunaux contraires à la loi[30].

Éléments de démocratie directe

Le référendum d’initiative populaire est possible à partir de la demande de 30 000 électeurs[31].

Héritage

En novembre 1990, le régime présidentiel mis en place par Zviad Gamsakhourdia ne s'appuie pas sur la constitution de la République démocratique de Géorgie. Le , le Conseil militaire, qui prend le pouvoir à sa suite, rétablit officiellement la constitution du , bien que certaines dispositions ne puissent être maintenues en l'état. Le , Edouard Chevardnadze, chef d'État transitoire, lance une importante réforme constitutionnelle qui est votée le . L'accentuation vers un régime présidentiel entamée en 2004 sous l'impulsion de Mikheil Saakachvili, le retour vers un régime parlementaire  avec maintien d'une présidence de la république  effectué à partir de 2012 sous l'impulsion de Bidzina Ivanichvili, et les expertises internationales (en particulier celle de la Commission de Venise) ont conduit à un renouvellement complet de la Constitution de la République de Géorgie.

Notes et références

Notes

  1. Les collaborateurs de Georges Clemenceau et de David Lloyd George avaient récusé de la délégation géorgienne à la Conférence de la paix de Paris les personnes ayant trop ouvertement appuyé l'alliance de la Géorgie avec l'Empire allemand de Guillaume II. Nicolas Tchéidzé et Irakli Tsereteli s'étaient opposés à Petrograd fin 1917 à la paix séparée entre la Russie et l'Empire allemand prônée par Lénine, et à Tiflis en juillet 1918 à l'alliance avec ce même Empire allemand  alliance contractée afin de contenir l'armée ottomane qui commençait à envahir le territoire géorgien et qui vaudra à la République démocratique de Géorgie l'occupation d'une partie de son territoire par l'armée britannique après l'armistice du 11 novembre 1918 .
  2. "La République démocratique" par Rajden Arsénidzé, publié à Tiflis en 1917 et republié à Tbilissi en 2014 : le bicamérisme et l'existence d'une présidence de la République à l'occidentale y sont critiqués. Une assemblée parlementaire unique et une présidence de gouvernement à durée limitée et non renouvelable y sont proposés.

Références

  1. (en) George Papuashvili, « The 1921 Constitution of the Democratic Republic of Georgia: Looking Back after Ninety Years » [PDF], sur Georgica TSU, .
  2. (en) Dieter Nohlen, Florian Grotz et Christof Hartmann, Elections in Asia and the Pacific : A Data Handbook, Oxford University Press, , 770 p. (ISBN 978-0-19-924958-9), p. 372-374.
  3. (en) « Silibistro Jibladze », sur First Republic.
  4. (ka) « სილვა ჯიბლაძე: “საჭიროა მეფის თვითმპყრობელობის ნანგრევებზე ხალხის თვითმპყრობელობის გამაგრება” », sur Fabian Socialists, .
  5. (en) « Samson Pirtskhalava », sur First Republic.
  6. (ka) Composition de l'Assemblée constituante sur le site du Parlement de Géorgie.
  7. (en) Dieter Nohlen, Florian Grotz et Christof Hartmann, Elections in Asia and the Pacific : A Data Handbook, Oxford University Press, , 770 p. (ISBN 978-0-19-924958-9), p. 395.
  8. (en) David Losaberidze, « The Problem of Nationalism in Georgia », sur The Caucasian Institute, Tbilissi, , p. 5-6.
  9. David Charachidzé, H. Barbusse. Les Soviets et la Géorgie, Paris, Éditions Pascal, , 77 p.
    « Désormais le président du Conseil des ministres sera réélu chaque année. Le gouvernement n'est qu'une sorte de commission exécutive du pouvoir législatif. Il n'existe pas de poste de président de la République ».
  10. (en) Malkhaz Matsaberidze, « qarTuli konstitucionalizmis saTaveebTan _ saqarTvelos 1921 wlis konstituciis 90 wlisTavi. Elaboration and Endorsment of the Constitution of 1921 of Georgia », , p. 39.
  11. (en) « Razhden Arsenidze », sur First Republic.
  12. (en) « Pavle Sakvarelidze », sur First Republic.
  13. (en) « Spiridon Kedia », sur First Republic.
  14. (en) « Giorgi Gvazava », sur First Republic.
  15. (en) « Iese Baratashvili », sur First Republic.
  16. (en) « Giorgi Laskhishvili », sur First Republic.
  17. (en) Beka Kantara, « qarTuli konstitucionalizmis saTaveebTan _ saqarTvelos 1921 wlis konstituciis 90 wlisTavi. The invariable issue of governing forms in the first constitution of Georgia », , p. 72.
  18. (en) Malkhaz Matsaberidze, « qarTuli konstitucionalizmis saTaveebTan _ saqarTvelos 1921 wlis konstituciis 90 wlisTavi. Elaboration and Endorsment of the Constitution of 1921 of Georgia », , p. 40.
  19. Georges Papouachvili, La Constitution de 1921 de la République démocratique de Géorgie. Petite histoire de la conception et de l'adoption de la Constitution, Batoumi, Cour Constitutionnelle de Géorgie,
    « Le processus d'élaboration de la nouvelle constitution demanda beaucoup de temps à la Commissionnouvellement créée, étant donné qu'elle tentait d'étudier autant d'expériences internationales que possible et qu'elle cherchait, parallèlement, le consensus politique sur les questions fondamentales. En juillet 1920, le projet de constitution fut publié pour être examiné. Et en novembre 1920 l'assemblée constituante démarra la procédure d'examen et d'adoption ».
  20. (en) Malkhaz Sioridze, « qarTuli konstitucionalizmis saTaveebTan _ saqarTvelos 1921 wlis konstituciis 90 wlisTavi. The Place, Time and Other Circumstances of Publication of the First Constitution of Georgia », , p. 50.
  21. Jean-Pierre Maury (Université de Perpignan), « Géorgie. Constitution du 22 février 1921 », sur Digithéque des matériaux juridiques et politiques, .
  22. (en) « Constitution Of Georgia, 1921 », sur Matiane Word Express.
  23. « La Ire République de Géorgie (1918-1921) », sur Colisée, .
  24. (en) Nugzar Futkaradze, « qarTuli konstitucionalizmis saTaveebTan _ saqarTvelos 1921 wlis konstituciis 90 wlisTavi. Basic human rights regarded by constitution of 21st February 1921 », , p. 62.
  25. (en) Avandil Demetrashvili, « qarTuli konstitucionalizmis saTaveebTan _ saqarTvelos 1921 wlis konstituciis 90 wlisTavi. The Constitution of Georgia of February 21,1921 from the view of 2011 », , p. 17.
  26. Georges Papouachvili, La Constitution de 1921 de la République démocratique de Géorgie, article 1, Batoumi, Cour Constitutionnelle de Géorgie,
    « La Géorgie est un Etat libre, indépendant et undivisible. La forme permanente et immuable de sa constitution politique est la République démocratique ».
  27. Georges Papouachvili, La Constitution de 1921 de la République démocratique de Géorgie, article 46, Batoumi, Cour Constitutionnelle de Géorgie,
    « L’organe représentatif de la République géorgienne est le Parlement de Géorgie, composé des députés élus au suffrage universel, égal, direct, secret et proportionnel. Tout citoyen, sans distinction de sexe, jouissant de tous ses droits et ayant 20 ans révolus, a le droit de participer aux élections ».
  28. Georges Papouachvili, La Constitution de 1921 de la République démocratique de Géorgie, article 66, Batoumi, Cour Constitutionnelle de Géorgie,
    « Le président de gouvernement est élu pour une durée d’un an. Le même président de gouvernement ne peut être réélu plus d’une fois de suite ».
  29. Georges Papouachvili, La Constitution de 1921 de la République démocratique de Géorgie, article 76, Batoumi, Cour Constitutionnelle de Géorgie,
    « La Cour suprême de la Géorgie est le Sénat, élu par le Parlement. Il appartient au Sénat de veiller à la stricte application de la loi, d’orienter la justice en qualité de Cour de cassation ».
  30. (en) Christopher Peter et Michael Waters, Counsel in the Caucasus : Professionalization and Law in Georgia, Martinus Nijhoff Publishers, , 191 p. (ISBN 978-90-04-13947-3, présentation en ligne), p. 36-37.
  31. Georges Papouachvili, La Constitution de 1921 de la République démocratique de Géorgie, article 64, Batoumi, Cour Constitutionnelle de Géorgie,
    « Le Parlement est tenu de soumettre toute loi nouvellement votée au référendum populaire si 30 000 électeurs l’exigent par écrit ».

Voir aussi

Articles connexes

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