Bibliothèque bleue
La Bibliothèque bleue est une forme primitive de littérature de colportage apparue en France au début du XVIIe siècle.
Pour les articles homonymes, voir Bibliothèque bleue (homonymie).
Principes
La Bibliothèque bleue est, avant tout, une formule éditoriale nouvelle inventée et imprimée à Troyes dès 1602 par les frères Oudot, notamment Nicolas Oudot dont l'enseigne est Le Chapon d'or couronné[1]. L'impression en était de mauvaise qualité et de petit format ; les cahiers (assimilables à une brochure d'aujourd'hui) recouverts d'une couverture de papier couleur bleu gris (comme la couverture bon marché qui enveloppait les pains de sucre), d'où l’appellation qui, à l'époque, fut d'abord celle de « Livres bleus[2] ».
Cette littérature, au départ urbaine et locale, fut ensuite popularisée par les colporteurs et donc étendue à d'autres zones urbaines (Rouen, Angers) et imitée. Tout en restant prudent, Roger Chartier considère qu'elle constituait l'une des sources principales de culture des masses populaires en France[3] ; d'autres, à l'instar de Carlo Ginzburg, insistent sur notre ignorance des modes de réception de ces textes ; cependant les historiens s'accordent sur l'importance — difficilement mesurable — de la culture orale : les illettrés se contentaient d'en apprécier les gravures, quand il y en avait, mais la plupart du temps, ils pouvaient avoir accès au texte lors de séances de lecture collective. Toutefois, une clientèle mélangée s’approprie ces livres, et ce, pendant près de deux siècles.
Hors de France, se développent à la même époque le Volksbuch (Allemagne) et le chapbook (Angleterre).
Historique
Les plus anciennes productions de ce genre remontent aux premières années du XVIIe siècle. Ce fut la famille de Jean Oudot, installée à Troyes, qui inventa et développa cette forme d'édition, en association avec la famille de Claude Garnier (v. 1535-1589), imprimeur du Roi, reprenant le fonds de catalogue des imprimeurs lyonnais et parisiens[4]. L'un des plus anciens volumes porte la marque de Nicolas Oudot, le frère de Jean : « Ogier le Danois[5] ». Les premiers tirages ne sont pas tous couverts avec du papier bleu, cependant, on commence à les appeler les « livres bleus ». Nicolas transmet le flambeau à ses deux fils : Jean II et Jacques I, puis Nicolas II, issu d'un second mariage. Bientôt c'est toute une dynastie de Oudot qui fait commerce de livres bleus, peu à peu concurrencée par une autre dynastie, les Garnier.
En , Nicolas III ayant épousé la fille d'un libraire de Paris vint s'établir rue de la Harpe, à l'enseigne L'Image Notre-Dame et, à cette époque principalement, une quantité importante d'ouvrages de toute nature (roman de chevalerie, théâtre, contes[6], romans picaresques, livres religieux[7], manuels de civilité, livres de cuisine, astrologie, faits divers, etc.) intègre le catalogue du libraire et acquiert une notoriété dans tout le royaume. La veuve Oudot continua longtemps l'entreprise de Nicolas III, et eut différents successeurs : par exemple, Baudot, libraire à Troyes. Cette ville garda le monopole de ce marché jusqu’au début du XIXe siècle et c'est là que s'imprimèrent, toujours dans le même style et dans le même format (les uns in-4° et in-8°, les autres in-12 et in-16), ces livres qui devinrent populaires, puisqu'à Paris, au milieu du XVIIIe siècle, on les trouvait en grande quantité jusque sur les quais. Vers 1775, un certain Castillon fit une refonte de certains titres issus de ce que l'on appelait désormais la « Bibliothèque bleue » en y ajoutant des situations et des épisodes nouveaux, tant les récits s'étaient dénaturés au fil du temps[8]. La simplicité du récit, la naïveté, « enfin tout ce qui rappeloit l'ancienneté de ces contes et en faisoit la valeur », avaient disparu dans ce qui fut qualifié sur le plan critique de « contrefaçon » par Antoine Le Roux de Lincy, lequel fit une nouvelle édition de contes en revenant aux sources originales[9].
Les ennuis commencent en 1701, quand une interdiction émane de la direction de la Librairie, afin de limiter les réimpressions de livres sans autorisation : ce rappel au principe des privilèges est ensuite suivi par toute une série d’arrêts, qui visent principalement la littérature de colportage.
En dépit de la présence des contes de Charles Perrault au catalogue (un seul conte était vendu par fascicule, à grand succès), Oudot abandonna le métier vers 1760, du fait de la limitation des privilèges d'impression. Les Garnier, eux, fermeront leurs portes en 1830, largement dépassés par les nouvelles formes d'édition et d'impression nées à Épinal ou Montbéliard.
Analyse du contenu
Les catalogues sont éclectiques : almanachs, prédictions astrologiques, conseils pratiques en tous genres, poésies, romans, faits divers. Les livrets, dont les auteurs ne sont le plus souvent pas mentionnés, sont des rééditions de textes de la littérature savante, largement remaniés. Ce sont les imprimeurs eux-mêmes qui apportent des modifications aux textes, afin d'en simplifier le contenu et de le rendre moins subversif. À l'opposé de la littérature licencieuse et des romans galants, étrangère aux romans et essais réformistes, et souvent teintée de naïveté, on disait d'elle :
« Jamais elle ne renferme aucune impureté ni rien de contraire aux lois sacrées de la morale et de la religion : toujours le crime est puni, la vertu récompensée[11]. »
Dans l'introduction de sa réédition de 1857 de quatre légendes, Paul Boiteau a sacrifié au mouvement moralisateur de son siècle pour « faire suivre chaque légende d'une sorte de moralité, à la manière de Perrault, c'est là un caprice qui n'a rien de sacrilège[12]. »
La Bibliothèque bleue fut la seule à diffuser, en plus du roman de chevalerie, une douzaine de romans en vers au XVIIe siècle, comme une compilation du Roman de Renart, de Jourdain de Blayes[13], appelée Histoire des deux vaillants chevaliers Amis et Amiles, ou encore, au XVIIIe siècle, plusieurs éditions de l'Histoire nouvelle et divertissante du Bonhomme Misère, et aussi des chansons de geste comme Les Quatre Fils Aymon, Fierabras, Galion le Maure, Huon de Bordeaux, l'histoire de Valentin et Orson , etc.
Notes et références
- Anne-Marie Christin, Écrire, voir, conter, Revue de l'UFR, , p. 86.
- Lise Andries, La Bibliothèque bleue au dix-huitième siècle. Une tradition éditoriale, Taylor Institution, , p. 9.
- Roger Chartier, Dictionnaire encyclopédique du livre, Cercle de la Librairie, 2003, t. 1, p. 294-295 (ISBN 9782765408413).
- Thierry Delcourt, La Bibliothèque bleue et les littératures de colportage, Librairie Droz, , p. 110.
- Titre et marque complets : Le Roman du vaillant chevalier Ogier le Danois gui fui un des douze pairs de France, lequel avec le secours du roy Charlemagne chassa les Païens hors de Rome et remit le Pape en son trône, À Troyes, Chez Nicolas Oudot Imprimeur, demeurant la rue nostre Dame, au Chapon d'or couronné [in-8°, 1602 ?].
- Notamment les contes de fées.
- Cantiques, vies de saints, Bibles de Noël, exercices de dévotions, etc.
- La Bibliothèque bleue, entièrement refondue, & considérablement augmentée.
- Le Roux de Lincy, Légendes populaires de la France, 1831.
- Robert Favre, 1984.
- Source : La Revue de Paris, Bruxelles, tome 6, juin 1842.
- Paul Boiteau 1857, p. 4-11.
- Jourdain de Blayes, BNF, fr. 860 (folios 111 à 133).
Voir aussi
Bibliographie
- Alfred Morin, Catalogue descriptif de la Bibliothèque Bleue de Troyes…, Genève, Droz, 1974
- Louis Morin, Bibliothèque Bleue, in Mémoires de la Société académique d'agriculture...de l'Aube, Tome XXVII, troisième série, Troyes, 1900, p. 109 à 115
Essais
- Lise Andries, La Bibliothèque bleue au XVIIIe siècle. Une tradition éditoriale, Oxford, The Voltaire Foundation, 1989.
- Alexandre Assier, La Bibliothèque bleue depuis Jean Oudot Ier jusqu'à M. Baudot (1600-1863), Paris, Champion, 1874.
- Geneviève Bollème, La Bibliothèque bleue. Littérature populaire en France du XVIIe au XIXe siècle, éditions Julliard, coll. « Archives », 1971 ; rééd. Robert Laffont, 2003.
- René Helot, La Bibliothèque bleue en Normandie, Rouen, Lainé, 1928, orné de 40 planches de gravures.
- La Bibliothèque bleue et les littératures de colportage, Actes du colloque de Troyes, éd. Thierry Delcourt et Elisabeth Parinet, École des Chartes, 2000.
- Marie-Dominique Leclerc et Alain Robert, Des éditions au succès populaire, les livrets de la Bibliothèque bleue, XVIIe – XIXe siècles. Présentation, anthologie, catalogue, Troyes, CDDP, 1986 (ISBN 2-903776-02-4).
- Robert Mandrou, De la culture populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles. La Bibliothèque bleue, Paris, Imago, 1985.
- Alfred Morin, Catalogue descriptif de la Bibliothèque bleue de Troyes (almanachs exclus), Genève, Droz ; Paris, Minard ; Champion, 1974
- Charles Nisard, Histoire des livres populaires, ou de la littérature de Colportage, depuis le XVe siècle, jusqu'à l'établissement de la Commission d'examen des livres du Colportage, 1852.
Articles et livres en ligne
- « La Bibliothèque bleue telle qu'en elle-même », Bulletin d'informations de l'ABF, no 146-1990 [lire en ligne].
- Corinne Beutler, De la culture populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles. La Bibliothèque bleue de Troyes [lire en ligne].
- Thierry Delcourt, La Bibliothèque bleue et les littératures de colportage [lire en ligne].
- F. Le Blanc-Hardel, Étude sur la Bibliothèque bleue, 1884 [lire en ligne].
- Le Roux de Lincy, Légendes populaires de la France [lire en ligne].
- Isabelle Masse, Bibliothèque bleue et littératures de colportage, [lire en ligne].
- La Bibliothèque bleue, Daniel Roche (dir.) [lire en ligne].
Colloque
- La Bibliothèque bleue et les littératures de colportage, actes du colloque organisé par la bibliothèque municipale à vocation régionale de Troyes en collaboration avec l'École nationale des chartes, Troyes, 12-
Liens externes
Lire sur Gallica
- Bibliothèque bleue : romans de chevalerie du XIIe au XIVe siècle [lire en ligne].
- Nouvelle bibliothèque bleue ou Légendes populaires de la France précédées d'une introduction par M. Charles Nodier, accompagnées de notices littéraires et historiques par M. Leroux de Lincy et Colomb de Batines [lire en ligne].
- Introduction aux Légendes pour les enfants arrangées par Paul Boiteau et illustrées par Bertall, 1857 [lire en ligne]
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