Monsieur Bonhomme et les Incendiaires
Monsieur Bonhomme et les Incendiaires ; pièce didactique sans doctrine (Biedermann und die Brandstifter, ein Lehrstück ohne Lehre) est une pièce de théâtre écrite par l'écrivain suisse Max Frisch[1], qui fut jouée pour la première fois au Schauspielhaus de Zurich le .
Monsieur Bonhomme et les Incendiaires | |
Couverture de la première édition de la pièce. | |
Auteur | Max Frisch |
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Version originale | |
Titre original | Biedermann und die Brandstifer |
Langue originale | Allemand |
Pays d'origine | Suisse |
Date de création | 29 mars 1958 |
Lieu de création | Schauspielhaus de Zurich |
Résumé
Argument
La pièce raconte comment un bourgeois, un petit industriel, après avoir toléré par crainte l'intrusion d'un sans-domicile-fixe malgré les alertes parues dans la presse, l'accueille dans son grenier, puis subit la présence clandestine d'un deuxième suspect. Il se doute bien que ce sont des incendiaires, qui à la fin de la pièce mettront le feu à sa maison puis à la ville entière. Bien que les signes évidents se multiplient tout au long de la pièce, jusqu'au bout Théodore Bonhomme se voile la face, se figurant qu'il peut échapper aux crimes des deux hommes en tentant de devenir leur ami, allant jusqu'à les inviter à un dîner (dernière scène), à la fin duquel il leur donne une boîte d'allumettes comme signe de confiance.
Résumé par scènes
- Scène 1 : Théodore Bonhomme (Gottlieb Biedermann dans la version originale en allemand) un riche fabricant de lotion capillaire, lit dans le journal un article parlant du dernier d'une série d'incendies criminels qui frappent la ville depuis quelque temps. Il s'emporte au sujet des auteurs, qui « méritent tous la pendaison » selon lui. La tactique des incendiaires est toujours la même : déguisés en simples colporteurs, ils s'incrustent dans le grenier d'une maison qu'ils brûlent plus tard. Puis la servante Anna annonce la visite d'un marchand ambulant qui se présente sous le nom de Goulot (Josef Schmitz dans la version originale), ancien lutteur et maintenant sans-abri. Il se plaint d'être constamment rejeté car considéré comme un pyromane et fait appel à l'humanité de M. Bonhomme. Celui-ci, qui vient de licencier sans états d'âme son employé Valette (Knechtling dans la version originale), apprécie cette occasion d'endosser le rôle de philanthrope et laisse Goulot passer la nuit dans le grenier.
- Scène 2 : Le lendemain matin, l'épouse de M. Bonhomme, Babette, accuse son mari d'être trop bon. Elle veut mettre Goulot à la porte d'une manière courtoise mais ferme. Mais le lutteur parvient à éveiller la pitié de Babette en s'excusant de son manque d'éducation, conséquence de son enfance difficile. On sonne à la porte ; c'est prétendument un représentant de l'assurance incendie. Goulot reconnaît, par l'argumentation avancée pour "inspecter les lieux", l'arrivée de son comparse Durassier (Wilhelm Maria Eisenring dans la version originale), un ancien maître d'hôtel.
- Scène 3 : Après que Goulot et Durassier ont fait du bruit toute la nuit dans le grenier, M. Bonhomme entreprend à nouveau de chasser Goulot de la maison. La découverte soudaine d'un deuxième homme dans le grenier le laisse tout à coup muet, tout comme la vision brutale des nombreux tonneaux remplis d'essence, qui ont été montés durant la nuit dans son grenier. Un policier annonce à M. Bonhomme que son ancien employé Valette s'est suicidé. Quand il se renseigne sur le contenu des barils, M. Bonhomme ment et affirme qu'ils sont remplis de lotion capillaire. Interrogé par le chœur, sorte de conscience de la pièce, M. Bonhomme joue l'innocent, prétendant ne pas sentir l'odeur de l'essence, et qu'il ne faut pas « penser que tout est toujours pour le pire ».
- Scène 4 : En M. Bonhomme croît la conscience du danger et la peur. Il ne veut pas faire de ses deux invités des ennemis, et il les convie à un dîner. Durassier, seul et en pleins préparatifs au moment de cette invitation, lui parle ouvertement d'amorces, de mèches détonantes, de détonateurs et de fibre de bois comme combustible. Il sollicite même son aide pour mesurer une mèche. Le meilleur camouflage, dit Durassier, meilleur que la dérision et les dehors pitoyables, c'est la vérité pure, parce que personne ne la croit. Quand M.Bonhomme a quitté le grenier surgit de derrière les bidons un universitaire BCBG porteur de lunettes, il est traité d'idéaliste par Durassier et méprisé par lui parce que ne prenant aucun plaisir à voir les brasiers et leurs victimes, restant toujours trop sérieux et fixé sur son idéal de changement de la Société... avant de trahir, soupçonne Durassier.
- Scène 5 : Une oie est préparée pour le dîner qui doit être aussi simple que possible pour promouvoir l'amitié entre M. Bonhomme et ses invités. Le maître de maison rejette la veuve de Valette, qui le dérange pendant les préparatifs : il n'a pas de temps à perdre avec les morts, dit-il. Une couronne funéraire arrive, qui est dédicacée par erreur au nom de Bonhomme au lieu de Valette. Quand il remonte de sa cave où il s'est lui-même surpris à choisir ses meilleures bouteilles, il déclare avec lourdeur au public qu'il a depuis les premiers temps des soupçons, mais qu'aurait-il dû faire ?
- Scène 6 : Au dîner M.Bonhomme s'étouffe de rire en racontant à son épouse les préparatifs de l'incendie qu'il s'obstine à prendre pour un canular afin de ménager aux deux incendiaires une porte de sortie. Babette ne comprenant rien à cette mascarade, il boit avec Goulot et Durassier à l'amitié, et l'humeur du dîner est joyeuse. Goulot fait étalage de ses "talents" d'acteur, se fait passer pour un fantôme avec la nappe sur la tête. Ses cris « Jedermann ! » (nom du personnage de la célèbre pièce éponyme de Hugo von Hofmannsthal) se changent en « Biedermann! » (nom allemand de M. Bonhomme dans l'œuvre originale ). Goulot annonce être l'esprit du défunt Valette. Pendant un moment la consternation l'emporte dans l'assemblée. Mais quand Goulot, ivre, entonne une comptine enjouée M. Bonhomme reprend des couleurs et chante et danse avec les deux hommes. Lorsque l'on entend au loin des sirènes de pompiers M.Bonhomme prend cette alerte très au sérieux mais se dit soulagé que le feu ne brûle pas chez lui, cela jusqu'à ce que Durassier lui déclare sérieusement qu'ils attirent toujours les pompiers loin d'eux pour faire diversion avant de passer à l'acte selon les plans (vent chaud, présence de gazomètres à proximité, route encombrée pour les pompiers en raison de la diversion...). Avec un désespoir croissant, M. Bonhomme tient à la conviction que ses deux invités ne sont pas des incendiaires mais ses amis. En signe de confiance, il leur donne même des allumettes, après quoi Goulot et Durassier prennent congé. Dr. Phil apparaît et lit une déclaration dans laquelle il se dissocie des criminels qui ne veulent pas changer le monde comme lui mais agissent par pur plaisir sadique. Alors la maison de M. Bonhomme s'enflamme et plusieurs gazomètres explosent.
- Il est évident que cette tragi-comédie ne raconte pas seulement cette savoureuse histoire, mais est une parabole de l'accession des nazis au pouvoir. Durant les premières années ayant suivi la sortie de la pièce, Max Frisch donna une autre version pour ne pas se priver de l'adhésion du public allemand, mais personne n'est dupe : les incendies précédant l'arrivée de Goulot, c'est la succession d'avènements de régimes fascistes au cours des années 1920 et 1930 ; Goulot, avec son intrusion brutale préparant le terrain, c'est Röhm et sa S.A. ; Eisenring, le chef, qui a fait de la prison et expose ses plans ouvertement, c'est Hitler ; le chœur, c'est la Société des Nations ; M. Bonhomme et sa femme sont l'électorat bourgeois n'ayant rien fait pour empêcher la chute vers la guerre ; l'incendie, c'est la Seconde guerre mondiale ; l'universitaire, qui prend ses distances bien trop tard après avoir été un peu complice, c'est le mouvement dit du 20 juillet 1944, composé d'officiers ayant trop longtemps adhéré au régime et ayant trop attendu ; leur attentat contre Hitler échoua ce jour-là. Il est intéressant de noter qu'une mise en scène suisse costuma les incendiaires en terroristes islamistes, montrant par là que la pièce pouvait également dénoncer la passivité devant un danger identifié, l'abus de l'hospitalité par les assassins conquérants et la faiblesse des lois contre les comploteurs.
Mises en scène notables
- 1960 : Version française de Philippe Pilliod, mise en scène de Graeme Allwright et Jean-Marie Lancelot, Comédie de Saint-Étienne[2] ;
- 1968 : Mise en scène de Bernard Jenny, Théâtre du Vieux-Colombier ;
- 1975 : Théâtre de la Ville, avec Maurice Chevit ;
- 2005 : mise en scène de Robert Sturua, Théâtre national Roustavéli[3].
Notes et références
- Fondation suisse de la culture, Max Frisch, L'Âge d'Homme, coll. « Dossiers pro helvetia », , 706 p. (ISBN 978-5-457-07901-4, lire en ligne), p. 23.
- Monsieur Bonhomme et les incendiaires sur data.bnf.fr, représentation à la Comédie de Saint-Étienne en (Consulté le ).
- Voir sur rustavelitheatre.ge.
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