Raqqa
Raqqa, Racca, Rakka, Raqa, Raqqah, ar-Raqqa ou ar-Raqqah selon les systèmes de translittération (en arabe : الرقة), est une ville du centre de la Syrie. C'est la capitale éponyme du gouvernorat de Raqqa. Elle a également été la « capitale » syrienne de l'organisation djihadiste État islamique de 2014 à 2017 : c'est à Raqqa qu'ont été planifiés la plupart des attentats terroristes qui ont frappé l'Europe, et notamment ceux du 13 novembre 2015 à Paris. La ville est en grande partie détruite lors de la bataille de Raqqa ; depuis octobre 2017, elle est contrôlée par les Forces démocratiques syriennes.
Raqqa (ar) الرقة | ||
Vue de la ville en 2006 | ||
Administration | ||
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Pays | Syrie | |
Gouvernorat (محافظة) | Raqqa | |
(sous occupation des Forces démocratiques syriennes) | ||
Maire | Leïla Mustapha | |
Démographie | ||
Population | 196 529 hab. (2009) | |
Géographie | ||
Coordonnées | 35° 57′ 00″ nord, 39° 01′ 00″ est | |
Altitude | 258 m |
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Localisation | ||
Géolocalisation sur la carte : Syrie
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Géographie
Situation
Située dans le Nord du pays, la ville de Raqqa est établie sur les rives de l'Euphrate en aval du lac el-Assad, à 170 km à l'est d'Alep.
Histoire
Antiquité
Selon la légende, elle aurait été fondée par Alexandre le Grand au vu de sa situation avantageuse sur l'Euphrate.
En réalité, elle doit sa fondation sous le nom de Nikephorion (en grec Νικηφόριον, latinisé en Nicephorium), au roi Séleucos Ier qui règne de 305 à 281 av. J.-C. Vers 244, Séleucos II fait agrandir la ville et la renomme d'après son surnom Kallinikos (en grec : Καλλίνικος, latinisé en Callinicum) signifiant « grand vainqueur ». Elle fait alors partie de l'Osroène.
En 388 de notre ère un événement survenu dans la ville est le prétexte de l'une des premières manifestation de la lutte d'influence entre l'évêque Ambroise de Milan et l'empereur Théodose[1]. Des moines chrétiens encouragés par l'évêque local y ont en effet brûlé la synagogue de la ville ; sollicité, Théodose prononce initialement le châtiment des incendiaires et le financement de la reconstruction par l'évêque mais Ambroise parvient à le faire céder sur ces deux décisions[1].
Par la suite, elle porte successivement le nom de Léontopolis sous le règne de l'empereur byzantin Léon Ier le Thrace puis Constantinopolis.
Période byzantine
Les Byzantins en font une forteresse défensive contre le danger perse mais perdent la ville lors de la bataille de Callinicum, le . Les armées sassanides de Kavadh Ier dirigées par Sepahbod Azarethes (en) battent les troupes de Bélisaire, général de l'empereur Justinien.
Période musulmane
La ville devenue musulmane en 639 gagne en splendeur sous les califes Hicham, qui y fait construire deux palais, et Al Mansour, qui restaure la ville en 754 avant d'en faire la capitale du califat abbasside, remplaçant Bagdad. Sa position stratégique lui permet de protéger Bagdad face à la menace byzantine. Plus belle que jamais et prospère, la ville attire le calife Hâroun ar-Rachîd qui y établit sa résidence d'été et donne à l'élue son nouveau nom d'Al Rafiqa. Un programme de construction est mis en place pour renforcer la ville et en faire un symbole de l'hégémonie abbasside. Posterieurement, l'invasion mongole de 1258 met un terme définitif à cette époque de gloire.
Sous l'Empire ottoman, Raqqa est rattachée à l'eyalet de Raqqa dont la capitale est, en fait, Urfa. En 1864, elle devient un centre de colonisation militaire pour les Bédouins sédentarisés et pour les réfugiés (muhacir (en)) tcherkesses venus du Caucase russe.
De 1922 à 1946, la région est sous Mandat français en Syrie et au Liban.
Période contemporaine
Raqqa et sa région restent relativement calmes au début de la guerre civile syrienne ; le président Bachar el-Assad se rend même dans la ville en novembre 2011 pour célébrer l'Aïd-el-Kébir[2]. Le régime syrien tente alors d'acheter les principaux chefs de tribus pour obtenir leur soutien, mais de nombreux jeunes de la région finissent par prendre les armes[2]. En décembre 2012, plusieurs groupes rebelles, dont certains affiliés à l'Armée syrienne libre, forment une alliance appelée le Front de libération de Raqqa[3].
Dans le contexte de la guerre civile syrienne, la ville tombe le aux mains des rebelles d'Ahrar al-Cham, du Front de libération de Raqqa et du Front al-Nosra, ce qui en fait la première capitale provinciale à passer sous le contrôle de l'opposition depuis le début du conflit en 2011[4]. Les rebelles mettent alors en place une administration, avec un Comité municipal et un Comité judiciaire[4]. En mai de la même année, l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) fait son apparition dans la ville[5]. Après l'annonce de sa formation en avril, la plupart des combattants du Front al-Nosra à Raqqa lui prête allégeance, tandis que les autres se retirent sur Tabqa[4]. Le 13 mai, des hommes du groupe djihadiste exécutent publiquement trois habitants alaouites sur la place de l'Horloge[5]. Le 28 juillet, le père jésuite Paolo Dall'Oglio, venu à Raqqa effectuer une médiation avec l'EIIL, est enlevé par les djihadistes[5],[6]. Rapidement, des combats ponctuels éclatent et l'EIIL s'impose grâce au manque de coordination des autres groupes rebelles[4]. L'EIIL s'oppose d'abord au Front al-Nosra, puis aux groupes de l'Armée syrienne libre, comme la Brigade al-Farouq et la Brigade Ahfad al-Rassoul qui sont chassés de la ville, sans qu'Ahrar al-Cham n'intervienne[4]. À l'automne 2013, l'EIIL tient les sorties de Raqqa, tandis qu'Ahrar al-Cham demeure la faction la plus puissante dans le centre de la ville[4].
En janvier 2014, un conflit général éclate entre les rebelles et l'EIIL : le 6 janvier, Ahrar al-Cham, l'Armée syrienne libre, et le Front al-Nosra assiègent le quartier-général de l'EIIL et parviennent à prendre le contrôle de la ville le 8 janvier[4],[7]. Mais les djihadistes contre-attaquent ensuite et reprennent la ville quelques jours plus tard[4]. Raqqa devient alors la principale base, puis la capitale officieuse de l'EIIL en Syrie[4],[8],[9].
Appelée le « Point 11 », la partie souterraine du stade de football est utilisé comme siège des services secrets de l'État islamique, là où sont retenus ses otages et ses prisonniers les plus importants[10],[11].
Le , huit frappes aériennes de l'aviation syrienne tuent 53 personnes, en majorité des civils[12]. Le 25 novembre suivant, de nouveaux bombardements particulièrement massifs de l'aviation syrienne font au moins 95 morts dont 52 civils au moins[13].
En décembre 2014, une centaine de djihadistes étrangers auraient été exécutés à Raqqa par l'État islamique pour tentative de désertion[14],[15].
C'est à Raqqa, que sont également planifiés les attentats du 13 novembre 2015 en France[16]. En représailles à ces attaques, dix chasseurs de l'armée de l'air française larguent vingt bombes sur Raqqa dans la soirée du 15 novembre[17],[18]. Ce premier raid fait douze morts parmi les djihadistes et aucune victime civile[19]. Le 17 novembre 2015, la France bombarde Raqqa avec la Russie[20].
Le , les Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par les forces aériennes de la coalition internationale lancent une offensive baptisée Colère de l'Euphrate avec pour objectif de prendre la ville à l'État islamique[21]. Après sept mois d'offensive, les FDS entrent dans la ville de Raqqa le [22], et s'en emparent entièrement le 17 octobre[23]. En quatre mois, les combats ont fait plus de 3 000 morts, dont un tiers de civils, et la ville est détruite à 80 %[24], du aux bombardements intensifs de la coalition. En juin 2018, la coalition internationale annonce un plan de reconstruction de la ville ainsi que de déminage[réf. nécessaire].
En janvier 2019, un charnier est découvert près de Raqqa, dans la banlieue agricole d'al-Foukheikha. Il renfermerait jusqu'à 3 500 corps. Huit autres fosses avaient alors été exhumées autour de la ville et contenaient 900 corps[25].
Après sa prise par les FDS, Raqqa se reconstruit lentement[26]. Le conseil civil de la ville est administré par deux maires : Leïla Mustapha, une Kurde, et Mouchloub Al-Darwich, un Arabe[26]. En juillet 2019, 54 000 familles ont regagné Raqqa depuis la fin des combats – soit 40 % de la population initiale de la ville – et la maire Leila Mustafa affirme que 8 000 mines ont été retirées du centre-ville, que 24 stations d'eau et 220 kilomètres de canaux d'irrigation ont été réparés et que 18 hôpitaux ou centres médicaux et 319 écoles ont été réhabilités[26]. La population critique cependant la lenteur de la reconstruction, une centaine d'ONG travaille en coordination avec le conseil civil de Raqqa, mais ce dernier ne reçoit d'aides financière ni de la coalition internationale, ni de l'ONU[26]. La France fournit deux enveloppes de 50 millions d'euros à des ONG en 2018 et 2019, qui sont notamment utilisés pour la réhabilitation des hôpitaux[26].
Liste des maires
- Depuis 2017 : Leïla Mustapha et Mouchloub Al-Darwich[26],[27]
Personnalités liées à la commune
- Ruqia Hassan (1985-2015), journaliste citoyenne, exécutée pour « espionnage » sur l'ordre de l'État islamique à Raqqa.
- Mohed Altrad (1948-), homme d'affaires français, dirigeant du Groupe Altrad et président du Montpellier Hérault Rugby, né dans le désert de Syrie, ayant passé sa jeunesse à Raqqa.
- Abdul-Salam Ojeili (en) (1918-2006), romancier, médecin et homme politique appartenant à la famille Al-Aajili et ayant très fortement contribué a l'essor de la ville.
Galerie
- Tétradrachme de Séleucos Ier. Droit ; le cheval Bucéphale. Revers : éléphant avec l'inscription Basileos Seleukos (le roi Séleucos).
- Monnaie de Léon Ier, empereur byzantin
- Monnaie du calife Hâroun ar-Rachîd
- Fragment de frise architecturale provenant de Raqqa, inscription coranique en arabe anguleux (1100-1200) - Expo. Louvre-Lens, Galerie du Temps, don du comte F. Chandon de Briailles, 1955.
- Ruines du Qasr al-Banat, 2009
Annexes
Bibliographie
- Myriam Ababsa, Raqqa, territoires et pratiques sociales d'une ville syrienne, Institut français du Proche-Orient, Beyrouth, 2009, 362 p. (ISBN 978-2-35159-155-0) (texte remanié d'une thèse). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/ifpo/1021>. DOI : 10.4000/books.ifpo.1021.
- Christophe Fourvel (texte), Raqa, l'histoire n'est encore qu'un regard d'enfant, Mediapopéd., Mulhouse, 2011, 44 p. (ISBN 978-2-918932-05-5) (photographies réalisées par un enfant syrien le 17 juillet 2010)
- (en) Marilyn Jenkins-Madina, Raqqa revisited: ceramics of Ayyubid Syria, Metropolitan Museum of Art, New York ; Yale University Press, New Haven, London, 2006, 247 p. (ISBN 0-300-11143-6)
- Adam Baczko, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay, Syrie : Anatomie d'une guerre civile, Paris, CNRS Éditions, , 412 p. (ISBN 978-2-271-09166-6).
- Charles Lister, The Syrian Jihad : Al-Qaeda, the Islamic State and the Evolution of an Insurgency, Oxford University Press, , 540 p. (ISBN 978-0-19-046247-5, lire en ligne).
Filmographie
- 9 jours à Raqqa (documentaire) de Xavier de Lauzanne (2020)
Articles connexes
Liens externes
- Fanny Arlandis, « Rakka occupe une place considérable dans l’histoire arabe », Le Monde, 7 octobre 2017.
- Myriam Ababsa, Raqqa, territoires et pratiques sociales d'une ville syrienne, Presses de l'IFPO, Damas, 2009
Notes et références
- Catherine Virlouvet (dir.) et Claire Sotinel, Rome, la fin d'un empire : De Caracalla à Théodoric 212 apr. J.-C - fin du Ve siècle, Paris, Éditions Belin, coll. « Mondes anciens », , 687 p. (ISBN 978-2-7011-6497-7, présentation en ligne), chap. 9 (« L'illusion théodosienne (382-410) »), p. 429-430.
- « Rakka occupe une place considérable dans l’histoire arabe », Le Monde, 6 octobre 2017.
- Lister 2016, p. 112.
- Baczko, Dorronsoro et Quesnay 2016, p. 240-241.
- Benjamin Barthe, Madjid Zerrouky et Allan Kaval, Rakka libérée des djihadistes de l’EI, récit de quatre années de terreur, Le Monde, 18 octobre 2017.
- Anne-Bénédicte Hoffner, Le Père Paolo Dall’Oglio était enlevé il y a quatre ans à Rakka, La Croix avec La Repubblica, 28 juillet 2017.
- En Syrie, les islamistes assiégés par les rebelles à Rakka, Le Monde avec AFP, 6 janvier 2014.
- « Ses succès irakiens dopent EIIL en Syrie », Libération, 24 juin 2014.
- (en) « ISIS' Southern Division praises foreign suicide bombers », The Long War Journal, 9 avril 2014.
- Hedi Aouidj et Ahmed Deeb, Abou Sakr : "Nous étions à Raqqa pour construire le Califat", Paris Match, 23 octobre 2017.
- Wladimir van Gildenburg, Secrets of the Black Stadium: In Raqqa, Inside ISIS’ House of Horror, The Daily Beast, 24 octobre 2017.
- « Lourd bilan humain après les bombardements de l'armée syrienne sur Rakka », Le Monde avec AFP, 26 novembre 2014.
- « Syrie : le bilan des frappes du régime sur Raqqa monte à 95 morts », Le Figaro, 26 novembre 2014.
- « L'État islamique tue 100 « déserteurs », Le Figaro, 20 décembre 2014.
- « Le groupe État islamique exécute 100 djihadistes voulant fuir les combats », L'Express avec AFP, 20 décembre 2014.
- Syrie : la chute de Raqqa est "une excellente nouvelle", selon Paris, Europe 1 avec AFP, 18 octobre 2017.
- « 10 chasseurs français ont lâché 20 bombes sur Raqqa le fief de l'État islamique en Syrie », sur YouTube (consulté le ).
- « DERNIÈRE HEURE : L'armée française réplique à l'État Islamique », sur Ayoye (consulté le ).
- Benjamin Barthe, A Rakka, l’État islamique « se sert des civils comme boucliers humains », Le Monde, 24 novembre 2015.
- « Paris et Moscou se rapprochent et bombardent Daech en Syrie », sur L'Express
- Après Mossoul, l'offensive est lancée contre l'EI à Raqa, AFP, 6 novembre 2016.
- Syrie : la bataille pour la prise de Raqqa a débuté, Le Point avec AFP, 6 juin 2017.
- Syrie : à Raqqa, l'État islamique chassé de sa dernière position, Le Point avec AFP, 17 octobre 2017.
- Paul Khalifeh, Syrie: quel avenir pour Raqqa, ville libérée de l'EI mais détruite à 80%, RFI, 18 octobre 2017.
- Syrie: près de Raqa, un charnier de l'EI n'a pas encore livré tous ses secrets, AFP, 21 février 2019.
- Hélène Sallon, Syrie : Rakka, meurtrie, peine à se reconstruire, Le Monde, 5 juillet 2019.
- « Syrie : Raqqa, une vie après Daesh », arte.tv, 28 avril, 2018.
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