Chao Quang Lo

L’épopée de Chao Quan Lo, d'origine H'mong, se déroule dans les montagnes sauvages du nord du poste français de Bac Ha[1].

Explications

L’auteur de cet article, extrait de son livre à publier Le Fer et l'aiguille - 2200 ans de relations sino-vietnamiennes tumultueuses, s'est inspiré du récit très détaillé de cette guérilla rédigé par le lieutenant-colonel Michel David dans son ouvrage-clé sur les maquis anti-Vietminh : Guerre secrète en Indochine – Les maquis autochtones face au Vietminh (1950-1955) (Lavauzelle) et du livre de Jean Lartéguy La fabuleuse aventure du peuple de l’opium (Presses de la Cité).

Pour bien comprendre ce qui s’est déroulé, il est nécessaire de savoir que la région où se sont déroulés les évènements, qui longe la frontière chinoise, est de loin la plus sauvage de tout le pays. Entre Lao Cai/Bac Ha et Ha Giang, deux des grandes portes de la Chine, ce sont de hautes montagnes culminant à plus de 2000 mètres ; au nord de Ha Giang, c’est la région la plus isolée du pays, un immense capharnaüm de pitons calcaires et de canyons dont la capitale est Đong Van. Le tout est sillonné de pistes visibles et d’innombrables pistes secrètes, qui mènent toutes en Chine. La région est très pauvre, avec peu de rizières, l’aliment de base étant le maïs. Elle est peuplée en majorité des farouches guerriers H’mong Noirs (rappelons que c’est par là que les premiers H’mong sont passés de Chine au Vietnam) ainsi que de Nung, de Man et autres tribus, qui ont toutes de solides liens, y compris familiaux, avec leurs congénères du côté chinois, où sévissent de nombreux groupes de brigands, mais qui préfèrent ne pas trop se frotter aux minorités du côté vietnamien. Ils se contentent de brèves incursions, notamment après les récoltes, périodes où, comme l’établit le rapport du 19 août 1947 : « Un village qui ne livrait pas sa quote-part [des récoltes] était attaqué, généralement de nuit, et pillé avec la plus grande barbarie. » Tous les clans de Montagnards ont un chef coutumier, un grand guerrier qu’ils admirent et sont prêts à suivre aveuglément, d’autant plus que la guerre est pour eux, comme au Moyen-Âge en Occident, un passe-temps favori procurant butin, femmes et esclaves. À l’époque, les plus célèbres sont les Nung Ly Sea Nung et Hoang « Dzim » Chung et le plus terrible de tous, le H’mong Châu Quan Lo. Enfin, élément capital, toutes ces minorités haïssent les Viêt, qu’ils ont toujours considérés comme des envahisseurs, l’ennemi héréditaire ; heureusement pour eux, les Viêt, hommes de plaines, détestent les montagnes et y sont peu nombreux jusqu’en octobre 1950, après que les Français, qui ont subi la défaite de Cao Bang, évacuent toute la Haute Région, que les Viêt s’empressent d’occuper. Notons que, dès 1945, le Viêt Minh a lancé dans la région des propagandistes qui se sont heurtés à un véritable mur.

           Retour des Français en 1947. Le 19 août, un rapport du 2e Bureau publie l’analyse suivante : Au fur et à mesure que nous nous déplacerons vers le Nord, nous trouverons des populations plus primitives, mais sur lesquelles le Viêt Minh a cherché à établir son emprise politique sans y réussir. Que ce soit dans le domaine du renseignement, de la contre-guérilla ou de la constitution de formations supplétives, nous y recevrons l’appui très large d’une population qui désire sincèrement notre retour.

L’épopée commence au lendemain du coup de force japonais du 9 mars 1945. Lô Wen Teu, adjoint de Chau Quan Lô et à l’origine du maquis, raconte :

" Au lendemain du coup de force japonais du 9 mars 1945, qui a vu le massacre des garnisons françaises, sauf celles qui ont pu se réfugier chez les H’mong, qui les ont accueillies et, pour certaines comme celle de Muong Khuong, guidées en Chine, nous avons élu des comités régionaux chargés de l’administration ; c’est ainsi que je fus nommé président du comité de Pha Long ; je pris Chau Quang Lô comme adjoint, que je nommais également chef de la Sécurité. Quand les Japonais ont arrivés à Pha Long, ils se sont conduits comme à leur habitude lorsqu’ils arrivaient dans une région: pillages, viols, portage forcé, réquisition des récoltes et du bétail., nous déclarant « puisque vous nourrissiez les Français, il n’y a pas de raison que ne fassiez pas la même chose pour nous » ; il nous fallait du temps pour réunir ce qu’ils demandaient ; les Français le savaient et attendaient patiemment alors que les Japonais voulaient tout de suite. Pour toutes ces raisons, le 8 juin 1945, je décidais de leur donner une leçon en attaquant Pha Long, qu’ils occupaient ; lorsque je dû quitter le bourg pour Hanoï, je laissai à Chau une certaine structure administrative et militaire…

Lors de l’évacuation de Lao Cai le 26 octobre 1950, j’étais adjoint du gouverneur de la province ;les Viêt Minh arrivent dans la région. Chau  ne cessait de leur affirmer qu’ils n’avait rien contre eux, mais qu’ils devaient lui laisser l’administration de ses concitoyens. Les communistes lui faisaient toutes sortes de promesses, mais, pendant que les cam bô parlementaient, un bataillon viêt encerclait Pha Long. Les Français m’ont supplié de regagner Hanoï, où vivaient déjà ma femme et mes enfants, mais je ne voulais pas abandonner mes frères. J’acceptais de partir à condition d’écrire à Chau ; la lettre lui fut parachutée… Le 30 octobre, les Français avisent Chau que les Viêt vont les attaquer. Chau rompt les négociations et, le soir même, le Viêt Minh nous attaque. Tout contact avec les Français est rompu. Fin janvier 1951, un avion français survole Pha Long ; nous sortons de nos maisons et lui faisons de grands signes. Il nous largue un poste de radio 536. En février 1951, j’entends soudain la voix de Chau qui me dit « les Viêt nous ont attaqué ; nous avons réussi à les repousser avec beaucoup de casse parmi eux ». Le Viêt Minh va harceler Pha Long pendant un an, subissant de lourdes pertes à chaque attaque… J’ai dit aux Français que nous ne pouvions pas continuer à aider Chau de cette manière, en lui parachutant quelques fusils ; il fallait une organisation structurée afin d’étendre les zones contrôlées par lsd maquis. C’est ainsi qu’est né le G.C.M.A. »  Le premier jalon des futurs maquis Montagnards est posé !

Donc, dès 1950, des unités de partisans anti-Viêt Minh existent dans toute la région, autour de Bac Ha, de Muong Khuong et de Hoang Su Phi entre Bac Ha et Ha Giang ; ils sont secondés par des officiers français, dont le capitaine de Bazin à Hoang Su Phi. Après le désastre de la R.C. 4, les Français évacuent toute la Haute Région, dont le Viêt Minh s’empare. Châu Quan Lo explique à ses responsables que les H’mong n’ont rien contre le communisme, mais qu’ils tiennent à ce que ce soit eux qui administrent leur territoire. Refus méprisant. Paniqué par la défaite dans les calcaires de Đong Khê, le commandement français ordonne l’évacuation de toute la Haute région en direction de Lao Cai, le Viêt Minh avançant derrière les Français, qui, toutefois, laissent armes et approvisionnement à ce qui sont déjà des maquis. Châu Quan Lo reprend les armes. De Bazin, qui se dirige vers Lao Cai, voit la piste bloquée par le Viêt Minh à une vingtaine de kilomètres au nord de Bac Ha. C’est alors qu’il demande l’aide de Châu Quan Lo. La suite est incroyable, mais la guerre d’Indochine, la dernière vraie guerre d’hommes, fourmille d’évènements difficiles à croire. Châu commence par acheter avec quelques barres d’argent le général chinois qui commande de l’autre côté de la frontière ; il sait qu’il peut compter sur l’aide des bandes chinoises, peu portées sur le communisme et donc plutôt pro-françaises. Il fait ensuite passer les Français en Chine. Les Viêt s’attendent à ce que les Chinois les éliminent, mais il n’en est rien. Au bout de quelques semaines de « villégiature » chez les H’mong chinois, les Français repassent la frontière par des pistes secrètes et s’installent à Pha Long. Ils rentrent ensuite à Hanoï par Lai Chau et réapparaissent dans la capitale à la stupéfaction de l’état-major, qui était prêt à rayer le bataillon des contrôles de l’armée. Ils expliquent l’efficacité des maquis, efficacité soulignée par un rapport du 2e Bureau du 27 décembre 1950 : « La résistance de nos partisans est efficace et active. Ils ont l’avantage du terrain et bénéficient, contre le Viêt Minh, du soutien de la population. L’adversaire n’a pas les moyens, localement, de réduire leur résistance, car il ne dispose pas en territoire chinois d’un arrière-pays favorable ; au contraire, les autochtones peuvent y trouver aide et refuge. »

Très inquiet de la situation, Giap ordonne à ses milices locales d’attaquer Pha Long, ce qui est fait le 30 octobre 1950. Elles sont repoussées avec de grandes pertes, Châu Quan Lo se révélant un extraordinaire chef de guerre bien secondé par Ly Seo Nung. Évènement capital le 19 décembre : l’arrivée à Hanoï de De Lattre ; mis au courant de l’existence des maquis, en comprend immédiatement tout l’intérêt. Le 10 février 1951, un commando de 14 hommes et de notables est parachuté dans la région de Pha Long et retrouve Châu en Chine. En désespoir de cause, Giap n’a plus d’autre solution que de demander aux Chinois de lui envoyer des troupes, un bataillon qui passe la frontière le 11 février 1951 et, malgré de lourdes pertes, oblige une partie des soldats de Châu à se cacher dans la région de Si Ma Cai à 25 kilomètres au nord de Bac Ha et d’autres à battre en retraite en Chine. Tous les contacts avec les Français sont rompus, mais Châu rappelle des troupes, fonce sur Pha Long de nuit, y annihile la garnison chinoise et disparait. Il procède ensuite à l’encerclement et au harcèlement des soldats chinois restants, qui repassent la frontière ; fin février, il n’en reste plus un dans la région.

Le 7 avril 1951, de Lattre signe la Décision N° 174 suivante : « En accord avec la direction générale du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage de la Présidence du Conseil, et par analogie avec l’organisation métropolitaine, un Service Action est créé à compter du 10 avril 1951 et intégré aux services déjà existants du S.D.E.C.E. en Indochine. » Ayant besoin d’une couverture, ce service prend le nom de Groupement de commandos mixtes aéroportés (G.C.M.A.). Il s’agit au départ non pas d’appuyer des maquis, mais de « s’implanter sur toute l’étendue du territoire contrôlé par le Viêt Minh et de créer sur ses arrières un état d’insécurité permanente ». Il faut pour cela des baroudeurs, qui ne peuvent être que des parachutistes ou des légionnaires ; de Lattre choisit les premiers et nomme comme commandant du G.M.C.A. le lieutenant-colonel Sébastien Grall, un baroudeur commandant du 5e B.C.C.P. qui passe alors sous les ordres du S.D.E.C.E. Lorsque le chef de bataillon Trinquier, adjoint de Grall et futur célèbre colonel, prend la succession de Grall, il change l’orientation du G.C.M.A., alors appelé G.M.I. (Groupement mixte d’intervention) et en fait l’outil de soutien à tous les maquis anti-Viêt Minh d’Indochine. Trinquier écrit : “Comme toute nouvelle organisation, le G.C.M.A. avait des difficultés à trouver son équilibre. Les moyens mis à sa disposition étaient insuffisants. De plus, le G.C.M.A. a été créé dans une atmosphère of suspicion que le personnel militaire a toujours eu envers les services spéciaux ; il n’en voit toujours pas l’utilité et tendent à panser qu’ils sont les els vrais soldats. La liaison est rétablie avec Châu le 6 avril 1952 et avec Hang Sao Lung le 26. Les parachutages se multiplient, notamment d’armement comme mines, mortiers et fusils-mitrailleurs, de postes radio et d’approvisionnements en riz et en sel, ce qui permet à Châu d’avoir 2000 hommes bien armés et à Hang 450. C’est le début du maquis Chocolat. Les partisans lancent une action conjointe qui entraine la quasi-élimination du Viêt Minh dans toutes les montagnes entre l’est de Lao Cai et Hoang Su Phi à l’est de Pha Lang. A l’action très efficace des partisans se greffent des interventions particulièrement meurtrières de l’aviation française, guidée par des opérateurs-radios h’mong formés à Hanoï ; le 18 mai, rien qu’à Hoang Su Phi, le Régiment 148 perd 150 tués et de nombreux blessés.

            Les Chinois retournent à Pha Long malgré leur sanglant échec de fin octobre 1950. Le 15 avril 1952, des guetteurs H’mong signalent la présence d’un fort groupement sur un piton à une journée de marche de Pha Long ; ils sont immédiatement encerclés et 300 soldats chinois épuisés et affamés se rendent avec leur colonel et son état-major ; ils expliquent qu’ils appartiennent au 9e Régiment de la 302e Division, qu’ils viennent du nord de la Chine (apparemment, Mao n’avait aucune confiance dans les troupes basées face à la Haute Région tonkinoise) et ont « marché pendant deux mois pour venir chasser les Français, les Américains colonialistes et leurs alliés »). Pendant toute la première partie de 1952, le Viêt Minh essuie revers sur revers, plus d’un millier de bô đôi sont tués ou blessés. Giap ne peut pas faire intervenir ses « divisions de fer » 304, 308 et 312, car, épuisées par les combats de Hoa Binh et de la R.C. 6, elles sont en cours de reconstitution, et les 316 et 320 sont occupées dans le delta du fleuve Rouge. Pendant ce temps survient un évènement très curieux : Trinquier reçoit de l’état-major ordre de faire sortir des camps de Nationalistes de Phu Quôc une vingtaine d’officiers chinois que réclament les Américains on ne sait trop pourquoi, sans-doute pour créer un maquis anti-communiste en Chine. Toujours est-il que Trinquier, qui sait prendre ses décisions, les fait relâcher et atterrir discrètement à Đien Bien Phu. Après une période d’entrainement, ils sont parachutés chez Châu Quan Lo, tout heureux de récupérer des officiers chinois anti-communistes. Voilà donc toute la région frontalière entre Lao Cai et l’est de Ha Giang pratiquement vidée du Viêt Minh. Cependant, en avril 1952, il reste peu d’armes et de munitions à Chau et ses hommes. Chau nomme deux de ses seconds, les Nung Dzinh and Hoang Chung Dzim, chefs de la région et se réfugie en Chine parmi les H’mong chinois.

Devant ces échecs répétés, Giap rappelle les Chinois. Alertés, les Français multiplient les parachutages d’armes et de mines. Par équipes de 20, les partisans apprennent le fonctionnement et la pose de 2000 mines qu’ils enfouissent ensuite sous toutes les pistes d’accès à partir de la Chine. Le 18 juin 1952, la 302e division de marche chinoise pénètre dans la région ; au nord, les régiments 3, 112 et 114 visent Pha Long et Muong Khuong ; plus à l’est, deux bataillons du 113e, rejoints par le 148e bataillon Viêt Minh étrillé autour de Hoang Su Phi, franchissent la rivière Song Chay à la hauteur de Xin Man entre Hoang Su Phi et Bac Ha, tandis que les 2e, 5e et 6e bataillons du 11e régiment de marche chinois se dirigent sur ce dernier bourg. Le tout constitue une vaste manœuvre d’encerclement des partisans du maquis Chocolat. Les 2000 guerriers de Châu Quan Lo se retrouvent en face de plusieurs milliers d’hommes, Viêt Minh et Chinois confondus. Le 22 juin, le gouvernement français est enfin informé d’une intervention directe des Chinois (qui prouve entre autres que la crainte que de Lattre en avait n’était pas l’utopie qu’on lui a prêtée !) par un message de Salan à Letourneau, ministre des États associés : « Les troupes Viêt Minh sont appuyées par cinq bataillons chinois [il y en avait en fait beaucoup plus]… Cette offensive conjuguée des forces Viêt Minh et chinoises prouve… que la collaboration chinoise ne se limite pas seulement à l’aide matérielle ou à la tutelle politique, mais peut revêtir un caractère opérationnel beaucoup plus grave lorsque la nécessité l’exige. » Nous verrons la raison pour laquelle aucune protestation française n’a été alors émise auprès de Pékin.

À la suite de la capture de soldats chinois, un compte-rendu du 24 juin 1952 établit que « Tung La [leur chef] : originaire du Shantung et lieutenant au 3e Régiment de défense de la frontière à Ho Keou… Les deux bataillons auraient 10 compagnies… Le régiment serait passé par Ho Keou pour se rendre sur Pha Long. Chaque compagnie aurait 80 hommes et disposerait de 9 fusils-mitrailleurs et 2 mortiers de 60. L’armement individuel serait d’origine japonaise » (a). La plupart des troupes Viêt Minh se retirent assez rapidement faute de ravitaillement suffisant. En effet, l’accord avec les Chinois était que ce soit le Viêt Minh qui les ravitaille ; or, Giap n’a jamais pensé que la résistance des partisans durerait aussi longtemps. Les Chinois se retrouvent donc pratiquement seuls et, lorsqu’ils ne sont pas accompagnés de Viêt Minh, se conduisent en véritables bandits comme ils l’ont toujours fait au Tonkin. Une fiche des services secrets français établit : « Depuis qu’elles [les troupes chinoises] sont seules, elles mettent à sac la région. Les troupes régulières se font suivre par une bande importante de pillards qui vident le pays de sa substance. Entre Pha Long et Muong Khuong, 500 buffles et 200 chevaux sont volés et emmenés en Chine, ainsi que tous les meubles. Les femmes et les enfants sont tués ou mis en tête des détachements réguliers pour déceler les mines et les embuscades. » Grall envoie à Salan un rapport non daté, vraisemblablement en août : « Cette intervention des troupes chinoises en territoire vietnamien ne peut plus être ignorée. La brutalité avec laquelle sont traitées les populations qui défendent courageusement leur indépendance contre l’oppression communiste peut être exploitée sur le plan international, comme l’appel aux Chinois peut l’être auprès de tous les nationalistes [vietnamiens] non communistes. La crainte de complications supplémentaires avec la Chine de Mao Tsé-tung ne doit pas empêcher de reconnaitre des faits qu’il est impossible de cacher indéfiniment. »

Les hommes de Châu Quan Lo se battent comme des lions (les Chinois finissent par le baptiser « Le Dragon de la montagne »). La première offensive chinoise est bloquée, les soldats étant affamés, assoiffés et harcelés par toute la population. Un élément parvient jusqu’aux alentours de Muong Khuong, mais y est encerclé et anéanti. L’offensive sino-vietnamienne de juin est un échec total et les Chinois se retirent en Chine. Ils reprennent l’offensive le 27 juin, installent une puissante D.C.A. pour empêcher les bombardements français et concentrent tous leurs efforts sur Pha Long. Les H’mong sont submergés et, début juillet, n’ont plus d’autre choix que de se disperser en petits groupes armés. Châu Quan Lo se réfugie dans les montagnes, au Vietnam et en Chine où l’aident les tribus locales, et continue la lutte. Les Chinois avaient appris qu’il avait trouvé au marché de Pha Long un petit Chinois de 6 ans, abandonné et couvert de gale, et l’avait adopté (les informations sur ce fils adoptif varient : dans son livre Commandos et maquis - Service Action en Indochine – GCMA Tonkin 1951-1954, le commandant Raymond Muelle, ancien du 1er Choc et du  2e R.E.P., écrit que l’enfant a été recueilli par la mère de Châu Quang Lo, non par le chef lui-même, et serait donc son frère adoptif). Ce fils adoptif ou demi-frère, Tach Pao, a plus de 20 ans quand, en octobre 1952, les Chinois le persuadent de trahir Châu sous la promesse d’une récompense ; il leur donne la cachette du chef h’mong, qui succombe après s’être battu comme un tigre et avoir failli rompre l’encerclement. Il s’ensuit de la part des Chinois une politique de répression et de pillage généralisé. Il est dit que toute la famille de Châu Quan Lo s’est suicidée en buvant un mélange d’opium et de vinaigre, un poison mortel lorsqu’il est préparé à un dosage très précis.

Pour une raison diplomatique, la crainte qu’une reconnaissance officielle de la pénétration chinoise au Tonkin oblige les différentes puissances, France comprise, à prendre officiellement position contre la Chine, le gouvernement français n’a jamais protesté contre cette intervention des Chinois au Vietnam. Au colonel Trinquier, qui s’étonnait plus tard de ce silence, on lui répondra : « Si on avait appris qu’une division chinoise était entrée au Tonkin… ç’aurait été l’affolement à Paris. Il valait mieux que la France l’ignore. »

L’épopée de Châu Quang Lo a eu une grande conséquence sur la guerre d’Indochine. Le bilan de cinq mois de lutte (1er mars-1er août 1952) est édifiant : pour un officier français et 94 partisans tués, et un Français et 119 partisans blessés, les pertes sino-vietnamiennes sont de 1092 tués et 550 blessés. Ce sont ces résultats probants qui donnent l’idée à quelques officiers français, dont Trinquier d’en monter dans tout le Vietnam ainsi qu’au Laos. Les maquis se multiplient donc : Aiglon dans la région de Than Uyên au sud-ouest de Lao Cai, Cardamone entre Lao Cai et Phong Tho, Aréquier entre Đien Bien Phu et le Laos, Colibri entre Đien Bien Phu et Son La, Hans Kanh entre Son La et Yen Bay, quatre maquis chez les Nung du sud de Mong Cai et enfin Servan, Sangsue et Malo dans le nord du Laos.

Les actions d’éclat des maquis de la Haute Région contre le Viêt Minh et les Chinois ne s’arrêtent pas avec la mort de Châu Quan Lo. Début janvier 1953, le G.C.M.A. décide de faire sauter le pont international sur la rivière qui délimite la frontière à Lao Cai, afin de ralentir les livraisons chinoises. L’aviation ne peut pas le bombarder, car la ville est dans une cuvette et la D.C.A. Viêt Minh nombreuse. Le plan est donc d‘envoyer un commando, mais il est abandonné, car Chinois et Viêt Minh y ont installé un important dispositif de protection. On se tourne alors vers le pont ferroviaire de Lao Pan Chai, qui se trouve en Chine. Pour ce faire, comme il est impensable que des Français pénètrent en Chine (le gouverneur général Letourneau avait dit à de Lattre en 1951 : « il faut éviter toute occasion de conflit sur la frontière pour ménager l’avenir »), on fait appel à un maquis nationaliste chinois (ce qui prouve que Mao ne contrôlait pas encore tout le pays), maquis en relation avec les maquisards de Muong Khuong. On promet aux Chinois 150 000 piastres, dont 25 000 en acompte, ainsi qu’un parachutage d’explosifs dont les caisses ont été marquées en caractères chinois, le tout appuyé par des agents autochtones pour lesquels la frontière ne signifie rien. 100 kilos de plastic sont parachutés le 21 mars. Seul le tablier du pont est détruit deux jours plus tard, et rapidement réparé. Autres opérations parmi tant d’autres : le maquis Cardamone, créé en mai 1953 entre Lao Cai et Phung Thau, s’empare de ce bourg le 26 juin, puis étend considérablement son territoire vers le sud, arrivant jusqu’aux alentours de Nghia Lô, si bien que, fin juin, la quasi-totalité de la rive droite du fleuve Rouge jusqu’à ce gros bourg est aux mains des maquis. Le 3 octobre de la même année, c’est le coup de main des partisans, organisé par le célèbre baroudeur Faulques et destiné à reprendre au Viêt Minh Coc Leu, un quartier Est de Lao Cai, et sa piste d’atterrissage, qu’on utiliserait alors pour une opération plus importante, la prise de Lao Cai. La piste est prise, mais pas le quartier, trop solidement défendu. Un grand nombre d’autres opérations se dérouleront jusqu’à Đien Bien Phu. À la signature des accords de Genève, les Français sont obligés d’abandonner tout le monde. Ils rapatrient des maquisards dans le Sud et en envoient se réfugier en France L’auteur de cet aricle, extrait de son livre à publierr Le Fer et l'aiguille - 2200 ans de relations sino-vietnamiennes tumultueuses, se souvient que le gouvernement en avait installé dans un village abandonné au-dessus de St-Véran dans le massif de la Meije. Remarquons que les H’mong qui réussissent si bien en Guyane française ne sont pas originaires du Vietnam, mais du Laos. D’autres se réfugient chez leurs congénères en Chine ; d’autres enfin continuent la lutte pendant des années, tous finalement vaincus faute d’aide extérieure.

Pour financer tout cela, vu que l’état-major est avare d’armes et autres équipements, le G.C.M.A., qui se procurait déjà de l’opium pour le soustraire aux Chinois et au Viêt Minh, se lance à fond dans le trafic, achetant l’opium aux H’mong, le transportant en Dakota sur Hanoï et Saïgon et le revendant à des intermédiaires de confiance tels que Bay Viên. À l’époque de la récolte, c’est donc la course de vitesse et de niveau de prix payés entre le G.C.M.A., les Chinois et le Viêt Minh.

Malgré un bilan éloquent, les maquisards n’ont jamais eu toute l’aide qu’ils méritaient ; par exemple, le maquis Cardamone comptait 500 Partisans armés, alors que 1000 autres hommes attendaient en vain un armement. De Lattre, Salan, très féru de contacts et opérations secrets (il était connu comme « Le Chinois » à cause de son penchant pour les coups tordus) et Navarre, qui, avant d’arriver en Indochine, a fait toute sa carrièredans les services secrets, avaient bien compris l’intérêt des maquis et encouragé leur développement. Mais de grandes jalousies régnaient entre les différents services de renseignements français et beaucoup d’officiers supérieurs étaient contre les maquis ; les officiers qui supervisaient les maquisards devaient donc se battre sans arrêt pour obtenir des postes de radio, des armes - souvent livrées en tas disparates, d’où un gros problème d’approvisionnement en munitions - d’avions pour les parachutages, etc. Erreur gravissime, car Giap a reconnu plus tard que les maquis l’avaient considérablement gêné, au point qu’avant la bataille de Đien Bien Phu, il a dû lancer une offensive générale contre eux, qui les a contraints à se dissoudre. Tous les experts s’accordent sur le fait que des maquis très actifs entre la frontière chinoise et Đien Bien Phu auraient empêché Giap de ravitailler la bataille dès ses préparatifs.

Notes et références

  1. Jean Lartéguy et Yang Dao, La fabuleuse aventure du peuple de l'opium, Paris, Presses de la Cité, , 254 p. (ISBN 2-258-00545-0), Chapitre X
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