Charlotte la républicaine
Charlotte la républicaine est une chanson française créée et lancée à Paris par le goguettier Noël Mouret à l'occasion de la Révolution française de 1848.
Argument de la chanson
Cette chanson trace avec poésie le portrait d'une héroïque jeune fille engagée en février 1848 pour la République « rouge ». Elle porte la poudre, fabrique des cocardes, est armée d'un poignard, pleure sur les tombes de révolutionnaires tués. Ses mœurs sont libres : au troisième couplet elle déclare avoir choisi l'union libre au lieu du mariage. Au quatrième couplet elle annonce qu'elle a une foule d'amants : elle est désintéressée, ce sont des amants de cœur.
Paroles
- 1
- Pendant les trois grands jours[1]
- Leste comme la foudre
- Je portais la poudre
- Aux enfants des faubourgs
- Au nez des fantassins
- Mitraillant nos mansardes
- Je faisais des cocardes
- Pour les républicains.
- Refrain :
- Chacun me nomme avec orgueil
- Charlotte la plébéienne
- Je suis la rose républicaine
- Du quartier Montorgueil.
- 2
- De mon ciel toujours pur
- Protégeant mon étoile
- Mon vaisseau n'a pour voile
- Que mes grands yeux d'azur
- Dans les bosquets charmants
- Où glana mon aïeul
- En folâtrant j'effeuille
- Les fleurs de mon printemps.
- Refrain
- 3
- Sous les lois du lien
- Si un jour je me range
- Je veux que mon bon ange
- Ne sois plus mon gardien
- Riant du préjugé,
- Quand un amant s'insurge
- Sans le secours d'un juge
- Je signe son congé.
- Refrain
- 4
- Riches, vos diamants
- Ne me font point envie
- J'ai pour dorer ma vie
- Une foule d'amants.
- Dotez vos Marion
- Rivales des duchesses,
- Qui vendent leurs caresses
- A l'ombre d'un blason.
- Refrain
- 5
- J'aime la liberté,
- Je donnerai pour elle
- La dernière étincelle
- De ma folle gaité,
- Fille d'un montagnard
- Pour frapper dans l'arène
- Je porte dans sa gaine
- Un terrible poignard.
- Refrain
- 6
- Du temple de la peur
- Toi qui jamais ne bouge,
- La République rouge
- Te glace de stupeur !
- Ton trône vieux et veuf
- En vain on le restaure
- La France n'est encore
- Qu'à son quatre-vingt-neuf.
- Refrain
- 7
- Défenseurs courageux
- De l'œuvre sociale
- Immolés par la balle
- Des bourgeois furieux,
- Sur vos tombeaux sans croix
- Sans crainte pour mes charmes
- J'irai verser des larmes
- Et prier quelquefois.
- Refrain
Musique de 1880
Histoire de la chanson
Cette chanson, créée peu après la Révolution française de 1848 et les Journées de Juin 1848[2], par le goguettier Noël Mouret, est le plus grand succès de son auteur au cours de la deuxième République[3]. Elle a connu le succès dès sa création et au moins jusqu'en 1900 en France[4],[5]. Elle est considérée, en 1883, dans la Revue du monde musical et dramatique comme une des chansons les plus populaires de France[6], mais le chansonnier Eugène Baillet lui trouve plus de réputation que de mérite[7].
L'air original est actuellement inconnu mais il était assez renommé puisqu'il sert de timbre à de nombreuses chansons comme Napoléon le maudit[8], Les bals de Paris ou Le Carnaval 1849 d'Auguste Loynel[9], Le tocsin de la montagne par William Faivre en 1857[10], Les Gros bonnets du Provisoire par Jules Choux en 1871[11], La chanson des omnibus Manceaux d'Auguste Livet, en 1886[12]. Les compagnons du Tour de France reprennent son air pour leurs propres chansons[13]. Outre-Atlantique, au Québec, le Chant des patriotes de 1837 fut chanté sur son air[4].
Sous le Second Empire, cette chanson fut interdite et pourchassée. Le , la Cour d'assises de Vienne ordonna sa destruction, ce qui ne la fit pas disparaître pour autant[4]. Des actions en justices furent en 1851 contre des hommes l'ayant chantées[14].
La chanson est rééditée en 1880, avec une partition, mais sans le septième couplet. Cette absence est peut-être le résultat d'une autocensure, en cette année d'amnistie des communards de 1871, selon Robert Brécy[4].
Analyse de la chanson
Charlotte la républicaine est une chanson qui, comme la grande majorité des textes de l'époque, prend le parti des démocrates-socialistes. La jeune femme est ainsi fière d'être « fille de montagnard »[15]. Ce texte est l'un des rares du milieu du XIXe siècle qui prenne fait et cause pour la condition féminine[16]. Par exemple, si jamais elle se marie, Charlotte compte veiller à ce que son « ange » ne devienne son gardien[16]. Elle est également saluée pour ses actions héroïques et ses convictions républicaines[17]. Dans un article paru le 17 avril 1900, le journaliste et écrivain Gaston Deschamps, ironise sur l'avènement jamais survenu de Charlotte la républicaine, c'est-à-dire de femmes avec une conscience politique, car elles sont limitées par les « faiblesses de leur sexe frivole »[18].
L'auteur Noël Mouret termine sa chanson en rendant hommage aux nombreux combattants des Journées de Juin 1848 morts dans les affrontements[2].
Notes et références
- « les trois grands jours » : les 22 au 25 février 1848, moment où se déroule la Révolution française de 1848.
- Jean-François Brient, Poésie et révolution à Paris en 1848, mémoire sur l’effervescence populaire et la spontanéité créatrice à Paris de février à décembre 1848 à travers l’étude des chansons révolutionnaires, Paris, Les Temps bouleversés, , 239 p. (lire en ligne), p. 141
- Philippe Darriulat,, « MOURE Noël », sur maitron.fr, Maitron/Éditions de l'Atelier, (consulté le )
- Robert Brécy, La chanson de la Commune : chansons et poèmes inspirés par la Commune de 1871, Paris, Les Éditions ouvrières, , 273 p. (ISBN 978-2-7082-2855-9, lire en ligne), p. 20
- Henry Vaschalde, Chansons populaires du Vivarais, Paris, Émile Lechevalier, , 61 p. (lire en ligne), p. 38
- Armand Roux, « Nouvelles », Revue du monde musical et dramatique, vol. 6, , p. 31 (lire en ligne)
- Eugène Baillet, Chansons et petits poèmes : avec préface : fragments de l'histoire de la Goguette, Paris, L. Labbé, , 260 p. (lire en ligne), p. XVIII
- Henry Vaschalde, Chansons populaires du Vivarais, Paris, Émile Lechevalier, , 61 p. (lire en ligne), p. 40
- Auguste Loynel, Les bals de Paris ou Le Carnaval 1849, Paris, , 1 p. (lire en ligne)
- Marin Laracine, Le conflit prusso-suisse, Genève, Ramboz et Schuchardt, , 180 p. (lire en ligne), p. 173-176
- Robert Brécy, La chanson de la Commune : chansons et poèmes inspirés par la Commune de 1871, Paris, Les Éditions ouvrières, , 273 p. (ISBN 978-2-7082-2855-9, lire en ligne), p. 53
- Auguste Livet, La chanson des omnibus Manceaux, Paris, , 1 p. (lire en ligne)
- Julie Hyvert, Le chant à l'œuvre : La pratique chansonnière des compagnons du Tour de France (XIXe – XXIe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, , 389 p. (ISBN 978-2-7535-6013-0, lire en ligne), partie 57, chap. III
- Daniel Chérouvrier, « "Charlotte la Républicaine" chantée à Troyes en 1851 », sur troyes-en-champagne.blogspot.com, (consulté le )
- Philippe Darriulat, La muse du peuple : Chansons politiques et sociales en France, 1815-1871, Rennes, Presses universitaires de Rennes, , 382 p. (ISBN 978-2-7535-6770-2, lire en ligne), p. 168
- Philippe Darriulat, La muse du peuple : Chansons politiques et sociales en France, 1815-1871, Rennes, Presses universitaires de Rennes, , 382 p. (ISBN 978-2-7535-6770-2, lire en ligne), p. 168
- Jean-François Brient, Poésie et révolution à Paris en 1848, mémoire sur l’effervescence populaire et la spontanéité créatrice à Paris de février à décembre 1848 à travers l’étude des chansons révolutionnaires, Paris, Les Temps bouleversés, , 239 p. (lire en ligne), p. 76
- Gaston Deschamps, « Les femmes et le socialisme », Le Figaro, 3e série, no 107, , p. 1 (lire en ligne)
Articles connexes
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