Conception d'interface écologique

La conception d’interface écologique (EID) est une méthode de conception d’interface qui est apparue spécifiquement pour les systèmes sociotechniques complexes, temps-réel, et dynamique. Elle a été appliquée dans divers domaines dont le contrôle de processus (centrales nucléaires, usines pétrochimiques), aviation, et la médecine.

EID diffère des autres méthodologies de conception telles que la conception centrée sur l’utilisateur (en). EID est basée sur deux concepts clés issus de la recherche en génie cognitif : la hiérarchie d’abstraction (AH) et le modèle-cadre SRK (pour Skills, Rules, Knowledge, c’est-à-dire Habiletés, Règles, Connaissances).

Le but de EID est de rendre perceptivement (visible, audible) évidente à l’utilisateur les contraintes et les relations complexes de l’environnement de travail. En retour, cela permet d’allouer plus de ressources cognitives à des processus cognitifs de haut niveau tels que la résolution de problème et la prise de décision. Ainsi, EID contribue à améliorer la performance de l’utilisateur et la fiabilité globale du système face aux événements anticipés et non anticipés d’un système complexe.

Aperçu général

Origine et histoire de EID

La conception d’interface écologique a été proposée comme modèle-cadre de conception d’interface par Kim Vicente et Jens Rasmussen à la fin des années 80 et au début des années 90 à la suite de recherches intensives dans le domaine de la faillibilité du système humain dans le Laboratoire national Risø au Danemark (Rasmussen & Vicente, 1989; Vicente, 2001). Le terme écologique tire son origine d’un courant de psychologie développé par James J. Gibson connu sous le nom de Psychologie écologique. Ce champ de recherche en psychologie s’intéresse aux relations humain-environnement, en particulier en relation à la perception humaine dans les environnements naturels plutôt que dans les environnements de laboratoire. EID emprunte à la psychologie écologique dans le fait que les contraintes et les relations de l'environnement de travail dans un système complexe se reflètent perceptivement (à travers l'interface) ; et ainsi, agissent sur le comportement humain. Pour mettre en œuvre de tels design écologique, les outils analytiques suivants furent adoptés : la hiérarchie d'abstraction (AH) et le modèle-cadre SRK développé auparavant par des chercheurs au Laboratoire national de Risø. L'approche EID a été appliquée pour la première fois et évaluée sur des systèmes de centrale nucléaire (Vicente & Rasmussen, 1990, 1992). À ce jour, EID a été appliqué dans divers systèmes complexes dont la gestion de réseau informatique, anesthésiologie, le système de contrôle-commande militaire, et les avions (Vicente, 2002; Burns & Hajdukiewicz, 2004).

Motivation

Les avancées rapides des technologies accompagnées des exigences économiques ont abouti à une augmentation remarquable de la complexité de l'ingénierie des systèmes (Vicente, 1999a). En conséquence, il est devenu de plus en plus difficile pour les concepteurs d'anticiper les événements qui pourraient survenir dans de tels systèmes. Les événements non anticipés ne peuvent par définition pas être devinés à l'avance et donc être évités au moyen de formation, procédures, ou automatisation. Un système sociotechnique fondé uniquement sur des scénarios connus perd fréquemment la flexibilité à faire face aux événements imprévus. La sécurité du système est souvent compromise par l'inhabileté de l'opérateur à s'adapter à des situations nouvelles et non familières (Vicente & Rasmussen, 1992). La conception d'interface écologique tente de fournir à l'opérateur les outils et l'information nécessaires pour devenir un agent résolvant activement les problèmes plutôt qu'un agent de surveillance passif, particulièrement au cours du déroulement d'événements imprévus. Les interfaces conçues d'après la méthode EID visent à diminuer la charge mentale de travail pendant la prise en charge des événements non familiers et non anticipés, qui sont connus pour augmenter la pression psychologique (Vicente, 1999b). De cette manière, les ressources cognitives peuvent être libérées pour aider à résoudre les problèmes de manière efficiente.

En plus de fournir aux opérateurs les moyens de gérer avec succès les événements non anticipés, EID est aussi proposé pour les systèmes qui nécessitent aux utilisateurs de devenir experts (Burns & Hajdukiewicz, 2004). À travers l'utilisation de la hiérarchie d'abstraction (AH) et le modèle-cadre SRK (Skills, Rules, Knowledge), EID permet aux utilisateurs novices d'acquérir plus facilement des modèles mentaux qui généralement prennent plusieurs années d'expérience et de formation pour se développer. De même, EID fournit une base pour un apprentissage continu et pour le travail collaboratif distribué (Vicente, 1999b). Lorsqu'ils sont confrontés à un système sociotechnique complexe, il n'est pas toujours possible pour les concepteurs de demander aux opérateurs quelles types d'information ils aimeraient voir puisque chaque personne comprend le système à un niveau différent (mais rarement entièrement) et donne des réponses très différentes. Le modèle-cadre EID permet aux concepteurs de déterminer quels types d'information sont requises lorsqu'il n'est pas possible ou faisable de questionner les utilisateurs (Burns & Hajdukiewicz, 2004). Il n'est pas dans l'intention de l'EID de remplacer les méthodologies de conception existantes telles que UCD et l'analyse de la tâche, mais de les compléter.

La Hiérarchie d'Abstraction (HA)

La hiérarchie d'abstraction est une décomposition fonctionnelle à 5 niveaux utilisée pour modéliser l'environnement de travail des systèmes sociotechniques complexes, ou connue plus communément comme le domaine de travail. Dans la méthode EID, la hiérarchie d'abstraction est utilisée pour déterminer quels types d'information devraient être affichés sur l'interface du système et comment l'information devrait être disposée. La HA décrit un système à différents niveaux d'abstraction en utilisant des relations fin-moyen. Se déplacer vers le bas dans les niveaux du modèle répond à la question comment certains éléments du système sont mis en œuvre, alors que se déplacer vers le haut révèle pourquoi certains éléments existent. Les éléments du niveau le plus élevé du modèle définissent les objectifs et les buts du système. Les éléments des niveaux les plus bas du modèle indiquent et décrivent les composants physiques (i.e. l'équipement) du système. Les relations Pourquoi-Comment sont représentées sur la HA par des liaisons Moyens-Fins. Une HA est généralement développée en suivant une approche systématique dénommée Analyse du Domaine de Travail (Vicente, 1999a). Il n'est pas rare pour une analyse du domaine de travail d'aboutir à de multiples modèles de HA ; chacun examinant le système à un niveau de détail physique différent (échelle) qui est défini en utilisant un autre modèle appelé la hiérarchie Partie-Tout (Burns & Hajdukiewicz, 2004). Chaque niveau dans la HA est une description complète mais unique du domaine de travail.

Functional Purpose (Objectif, But Fonctionnel, finalité du système)

Le niveau du but fonctionnel (FP en anglais) décrit les buts et les objectifs généraux du système. Une HA inclut typiquement plus qu'un but du système de sorte que les buts s'opposent ou se complètent les uns les autres (Burns & Hajdukiewicz, 2004). Les relations entre les buts indiquent les compromis potentiels et les contraintes à l'intérieur du domaine du travail du système. Par exemple, les buts d'un réfrigérateur pourraient être de refroidir la nourriture à une certaine température en utilisant une quantité minimum d'électricité.

Fonction abstraite

Le niveau de fonction abstraite (AF en anglais) décrit les lois sous- jacentes et les principes qui gouvernent les buts du système. Cela peut être des lois empiriques dans un système physique, des lois judiciaires dans un système social, voire les principes économiques dans un système commercial. En général, les lois et les principes portent sur des choses qui ont besoin d'être conservé ou qui s'écoule à travers le système tel que les masses (Burns & Hajdukiewicz, 2004). Le principe d'un réfrigérateur (en tant que pompe à chaleur) est gouverné par la seconde loi de la thermodynamique.

Fonctions générales

Le niveau de la fonction généralisée explique les processus impliqués dans les lois et les principes trouvés au niveau AF, i.e. comment chaque fonction abstraite est atteinte. Des relations causales existent entre les éléments trouvés au niveau GF. Le cycle de réfrigération dans un réfrigérateur consiste à pomper de la chaleur à partir d'un endroit de température basse (source) vers un endroit de plus haute température (cuve).

Fonction physique

Le niveau de la fonction physique révèle les composants physiques ou équipement associé aux processus identifiés au niveau GF. Les capacités et limitations des composants tels que la capacité maximale sont généralement noté dans la HA (Burns & Hajdukiewicz, 2004). Un réfrigérateur se constitue de tuyaux d'échange de chaleur et d'un compresseur de gaz qui peut exercer une certaine pression maximale sur un organe de refroidissement.

Forme physique

Le niveau de la forme physique (PFo en anglais) décrit l'état, la localisation, et l'apparence physique des composants exposés au niveau PFn. Dans l'exemple du réfrigérateur, les tuyaux de l'échangeur de chaleur et le compresseur de gaz sont disposés de manière spécifique, essentiellement en illustrant la localisation des composants. Les caractéristiques physiques peuvent comprendre des choses comme la couleur, les dimensions, et la forme.

Le modèle-cadre SRK (Skills, Rules, Knowledge)

Le modèle-cadre SRK ou taxonomie SRK définit trois types de comportement ou de processus psychologique présent dans le traitement de l'information de l'opérateur (Vicente, 1999a). Le modèle-cadre SRK a été développé par Rasmussen (1983) pour aider les concepteurs à organiser les exigences en information d'un système et les aspects de la cognition humaine. Dans EID, le cadre SRK est utilisé pour déterminer comment l'information pourrait être affichée pour tirer parti de la perception humaine et des habiletés psychomotrices (Vicente, 1999b). En facilitant (aidant) les comportements basés sur les habiletés et sur les règles dans les tâches familières, des ressources cognitives supplémentaires peuvent être consacrées aux comportements basés sur les connaissances, qui sont importants pour gérer les événements non anticipés. Les trois catégories décrivent essentiellement les différentes manières dont l'information, par exemple, est extraite et comprise à partir d'une interface homme-machine :

Comportement basé sur les habiletés

Un comportement basé sur les habiletés représente un type de comportement qui requiert très peu ou aucun contrôle conscient pour exécuter une action une fois qu'une intention est formée ; connu également sous la dénomination de comportement sensorimoteur. La performance est lisse, automatisée, et consiste en patterns (schèmes) de comportement hautement intégrés dans la plupart des contrôles basés sur les habiletés (Rasmussen, 1990). Par exemple, rouler à vélo est considéré comme un comportement basé sur les habiletés dans lequel peu d'attention est requise pour le contrôle une fois que l'habileté est acquise. Cet automatisme permet aux opérateurs de libérer des ressources cognitives, qui peuvent être utilisées pour des fonctions cognitives de haut niveau comme la résolution de problèmes (Wickens & Holland, 2000).

Niveau basé sur les règles

Un comportement basé sur les règles est caractérisé par l'utilisation des règles et de procédures pour sélectionner une séquence d'action dans une situation de travail familière (Rasmussen, 1990). Les règles peuvent être un ensemble d'instructions acquises par un opérateur par expérience ou données par les superviseurs et les opérateurs formateurs.

Les opérateurs ne sont pas obligés de savoir les principes sous-tendant un système pour exercer un contrôle basé sur les règles. Par exemple, les hôpitaux ont des réglementations hautement procéduralisées pour les alertes au feu. C'est pourquoi, lorsque quelqu'un voit un feu il peut suivre les étapes nécessaires pour assurer la sécurité sans aucune connaissance de la conduite à adopter en cas de feu.

Niveau basé sur les connaissances

Un comportement basé sur les connaissances représente un niveau plus avancé de raisonnement (Wirstad, 1988). Ce type de contrôle doit être employé lorsque la situation est nouvelle et inattendue. Les opérateurs doivent savoir les principes fondamentaux et les lois qui gouvernent le système. Puisque les opérateurs ont besoin d'établir des objectifs explicites (décisions) à partir de leur analyse du système, la charge mentale est typiquement plus élevée que lorsqu'ils activent des comportements basés sur les habiletés ou sur les règles.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Burns, C. M. & Hajdukiewicz, J. R. (2004). Ecological Interface Design. Boca Raton, FL: CRC Press. (ISBN 0-415-28374-4)
  • Rasmussen, J. (1983). Skills, rules, knowledge; signals, signs, and symbols, and other distinctions in human performance models. IEEE Transactions on Systems, Man and Cybernetics, 13, 257-266.
  • Rasmussen, J. (1985). The role of hierarchical knowledge representation in decision making and system management. IEEE Transactions on Systems, Man and Cybernetics, 15, 234-243.
  • Rasmussen, J. (1990). Mental models and the control of action in complex environments. In D. Ackermann, D. & M.J. Tauber (Eds.). Mental Models and Human-Computer Interaction 1 (pp.41-46). North-Holland: Elsevier Science Publishers. (ISBN 0-444-88453-X)
  • Rasmussen, J. & Vicente, K. J. (1989). Coping with human errors through system design: Implications for ecological interface design. International Journal of Man-Machine Studies, 31, 517-534.
  • Vicente, K. J. (1999a). Cognitive Work Analysis: Toward Safe, Productive, and Healthy Computer-Based Work. Mahwah, NJ: Erlbaum and Associates. (ISBN 0-8058-2397-2)
  • Vicente, K. J. (1999b). Ecological Interface Design: Supporting operator adaptation, continuous learning, distributed, collaborative work. Proceedings of the Human Centered Processes Conference, 93-97.
  • Vicente, K. J. (2001). Cognitive engineering research at Risø from 1962-1979. In E. Salas (Ed.), Advances in Human Performance and Cognitive Engineering Research, Volume 1 (pp.1-57), New York: Elsevier. (ISBN 0-7623-0748-X)
  • Vicente, K. J. (2002). Ecological Interface Design: Progress and challenges. Human Factors, 44, 62-78.
  • Vicente, K. J. & Rasmussen, J. (1990). The ecology of human-machine systems II: Mediating "direct perception" in complex work domains. Ecological Psychology, 2, 207-249.
  • Vicente, K. J. & Rasmussen, J. (1992). Ecological Interface Design: Theoretical foundations. IEEE Transactions on Systems, Man and Cybernetics, 22, 589-606.
  • Wickens, C. D. & Hollands, J. G. (2000). Engineering Psychology and Human Performance (3rd ed.). Upper Saddle River, NJ: Prentice Hall. (ISBN 0-321-04711-7)
  • Wirstad, J. (1988). On knowledge structures for process operators. In L.P. Goodstein, H.B. Andersen, & S.E. Olsen (Eds.), Tasks, Errors, and Mental Models (pp.50-69). London: Taylor and Francis. (ISBN 0-85066-401-2)

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