Coutellerie de Moulins

La coutellerie de Moulins a été, avec le travail du cuir et de la faïence, l'une des activités artisanales qui a fait la richesse de Moulins (Allier) entre le XVIe siècle et la Révolution.

Elle était tournée vers la coutellerie de luxe[1].

Histoire

La coutellerie semble être signalée pour la première fois en 1595, dans un document conservé aux archives municipales de Moulins : une demi-douzaine de couteaux de table, achetés par le maire à Jean de Tours pour être envoyés à Paris en présent pour les affaires de la ville[2].

La coutellerie de Moulins ne semble pas remonter au-delà du XVIe siècle. Nicolas de Nicolay, géographe du roi Charles IX, n’en fait pas mention dans sa description de Moulins[3].

La coutellerie de Moulins est citée plusieurs fois :

  • 1606 : dans les comptes de maître Pierre Sevyn, receveur de la ville, on trouve cette mention : « Payé à Jean Guyot, 6 livres sur la plus grande somme, dû à lui pour avoir fait une « espée » présentée à Monseigneur le Dauphin. »
  • 1637 : dans le mémoire de M. de Séraucourt (ou Séraincourt[4]), intendant de la généralité de Bourges, l'importante route de Paris à Lyon et d'Auvergne à Paris par Moulins est « une source pour les ouvriers de cette ville »[5]. Par émail, M. de Séraucourt fait référence aux petites statuettes d’émail de verre colorié.
  • Début du XVIIe siècle : un voyageur hollandais, Justus Zinzerling, signale l'excellente qualité de la coutellerie de Moulins : « dans le faubourg, et principalement dans celui des Carmes, réside un grand nombre de couteliers qui fabriquent des couteaux et des rasoirs d'excellente qualité. Aussitôt que les voyageurs étrangers sont descendus dans une auberge, ils sont assiégés par les femmes de ces couteliers qui viennent leur offrir leurs marchandises et les pressent de leur acheter quelques objets de leur fabrique »[6].
  • Vers 1660-1661 : dans le Journal d'un gentilhomme français en France et en Italie, l'auteur parle des artisans moulinois « qui travaillent merveilleusement bien en couteaux, ciseaux, et autres ouvrages qui font admirer leur industrie »[7]. Autre citation dans le même ouvrage : « A vostre arrivée, ils vous exposent leurs marchandises et pour vous inviter à les acheter, il n’est point besoin qu’ils employent leur éloquence ; mais seulement de vous les faire para|année=1885istre devant les yeux qui sont d’autant plus belles qu’ils ont l’eau pour les tremper et beaucoup d’adresse pour les perfectionner »[8].
  • 1665 : dans son mémoire sur la situation de la généralité de Moulins, M. de Pommereu, intendant de la généralité de Moulins, parle du commerce de la coutellerie : « Le menu peuple a son commerce de couteaux et de ciseaux »[9].

Selon Camille Grégoire, plusieurs autres ouvrages géographiques, commerciaux et administratifs contiennent des articles et des notes sur la qualité de la coutellerie[10]. Il est à signaler qu'André de Chesne en parle dans ses recherches sur les antiquités des villes et de châteaux en 1729.

  • 1762 : dans le Dictionnaire de l'Académie française, au mot couteau, il est mentionné dans les différents types liés à leur origine : « Couteau de Paris, de Chatellerault, de Moulins[11] », et au mot coutellerie : « Il se fait beaucoup de coutellerie à Moulins[11] ».

Principaux ateliers

Nombre

Noms des couteliers avec la date de réception comme maître et le poinçon choisi par ces derniers :

Maître coutelier Date de réception comme maître Marque
P. Aloncle fils 1767 J. couronné
Jean Augrand 1721 Une larme (marque de son oncle L. Colas)
Denis Bataille 1748 La grenade
J. Bernard fils 1722 La masse d'armes (la massue)
Jean Bernard 1753 Le lion couronné
Rémy Bernard fils 1722 Jésus
A. Binville fils 1722 Le casque couronné
Étienne Boiron 1770 Les lettres E et B surmontées d’une étoile
A. Borderieux 1777 Le soleil
J.-B. Borderieux 1777 Le bâton turc
Pierre Borderieux 1777 B. couronné
Brunat 1777 Le dauphin
Pierre Cagnon fils 1722 La coupe couronnée
L. Collas 1721 La clef
Marin Debanne 1777 Le chiffre 2 couronné (deux couronnes)
Gilbert Decamp 1755 Le verre couronné
A. Desmier fils 1722 Le canif
P. Desmier fils 1722 Le marteau d'or
J. Drapt fils 1722 Le pistolet
Pierre Gagnon 1722 La loupe couronnée
Imbert Gallier 1766 La corne d'abondance
A. Gilbert fils 1722 L’arc
Gilles Gilbert 1744 G. couronné
Gilles Gilbert fils 1722 La raquette (La baguette)
P. Gilbert fils 1722 O. couronné
N. Girier fils 1722 La croix d'évêque
Étienne Got 1777 D. couronné
F.-B. Grand 1787 Le croissant couronné
J.-P. Grand 1744 T. couronné
Jacques Grand 1748 J. G.
Hugues Hastier 1750 J. L. couronné
P. Hastier fils 1722 La pointe
Hattier 1777 L'aiguille
Jacques Hattier 1764 A. couronné
Ant. Ivelin (peut-être Guelin) fils 1733 C. Y.
Rémy Ivelin (peut-être Guelin) fils 1733 Le cygne
Gilles Gilbert Jules 1751 La crosse simple
Lamiral 1777 La grenade couronnée
A. M. Landois 1787 La fleur de lis couronnée
P. Lecrosnier 1767 Le dauphin couronné (marque de Brunat, son beau-père)
Claude Lesbfre 1777 L. couronné
J. Morand fils 1788 Une crosse
François Moretti aîné 1777 Le raisin
François Moretti fils 1777 Le trèfle simple couronné
Pierre Pelletier fils 1722 L'écharpe
J. Provost fils 1733 Le chiffre 2
Jacques Raillard 1765 P. couronné
P. Tenailler fils 1730 La burette
J.-B. Viallin 1766 S. couronné
L. Vigier (juré) 1724
Claude Vizier 1721 Une clef

Comme dans tous les centres de fabrication, la coutellerie moulinoise impose l’insculpation[12] d’une marque sur les lames. Pour reconnaître la provenance des couteaux et des étuis, le maître doit avoir choisi sa marque, le jour de sa réception en tant que maître. Il doit la mettre sur tous les objets qu'il fabrique. Mais les registres de perception montrent une grande tolérance : beaucoup de maîtres ne prennent pas de marque[13].  

Le commerce occupe 48 ouvriers dans la ville en 1696[14]. On en compte 52 en 1703, 58 en 1758, pour atteindre 59 en 1763, et ce chiffre revient à 58 en 1764[15].

Il y a 17 réceptions de maître-couteliers en 1722. Il y en a 12 en 1730. Puis ce nombre diminue pendant plusieurs années pour atteindre 9 réceptions en 1766. Mais ce chiffre revient à 18 en 1777[16].

1851 : M. Tabourdeau envoie ses produits à l’Exposition Universelle de Londres[17].

Les matériaux utilisés

Dans le Dictionnaire du commerce de Savary, on peut lire : « Vous reconnaîtrez l’article de Moulins à la largeur des plaques d’argent soudées à l’étain sur des garnitures de fer et cannelés presque au hasard, à des manches formés de plusieurs morceaux par économie, à sa légèreté d’ouvrage et à son ajustement bâclé »[18]

Notoriété

Cadeaux

Tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècles, quelques grands de ce monde se sont vus offrir des couteaux et des ciseaux, à l’occasion d’une halte à Moulins. Pour le destinataire, ces couteaux devait être le signe d’un échantillon du commerce le plus remarquable de la cité.

  • 1601 : Le premier magistrat de Moulins emporte à Paris un lot de coutellerie pour les affaires de la ville. Ce cadeau se compose de « six estuits de cousteaux et ciseaux dorés et garnis et macques de perle ». Ils ont coûté 24 livres.
  • 1727 : pour le chevalier de Chouine représentant le comte de Charolet, au milieu de la liste des cadeaux, vin de Bourgogne, perdrix rouges et grises, un couteau d’écaille, garni d’argent, vingt livres ; une paire de ciseaux valant sept livre dix sous.
  • 1730 : pour l’arrivée de Barthélemy de Vanolles, il fut offert à Mme l’intendante, des coffrets, des confitures et soixante-trois livres de coutellerie provenant de chez la veuve Papillot et une boîte pour mettre la coutellerie.
  • 1730 : des couteaux sont offerts au prince et à la princesse de Conti, de passage dans la capitale Bourbonnaise.
  • 1741 : Pour Mme l’intendante de la Porte.
  • 1744 : au duc de Ponthièvre.
  • 1746 : A l’arrivée de Mme de Bernage.
  • 1747 : au Maréchal de Belle-Isle.
  • 1759 : la princesse Marie-Fortunée d’Este.
  • 1749 : aux infantes d’Espagne.
  • 1765 : Pierre Grand fabrique pour Mme Depont, femme de l’intendant de la généralité de Moulins, un couteau et des ciseaux d’or pour la somme de 156 livres.
  • Quand en 1770, l’archiduchesse Marie-Antoinette traverse la France pour rejoindre son époux, elle reçoit à Moulins, de Boiron, coutelier de cette ville, une fourniture de couteaux, ciseaux, tire-bouchon, , etc.
  • 1785 : La ville offre de la coutellerie aux princesses Adélaïde et Victoire, filles de Louis XV, se rendant à Vichy.

Lieux de conservation

Les couteaux de Moulins peuvent être trouvés :

  • au musée du Louvre, département Objet d’art : deux couteaux d’Étienne Boiron, quatre couteaux de Louis Molle dont une magnifique paire de couteaux jumeaux à manche émaillée de bleu, de brun et d’or ;
  • au musée Carnavalet : le couteau de Marie-Antoinette serait également l’œuvre d’Étienne Boiron
  • au musée de Langres : un couteau de Toussaint et un couteau de Grand.
  • Le Musée Anne de Beaujeu à Moulins, possède une paire de couteaux dans leur étui de Louis Molle (actif à Moulins durant la seconde moitié du XVIIIe siècle)

Une salle du musée Anne-de-Beaujeu de Moulins présente les arts décoratifs à Moulins au XVIIIe siècle, parmi lesquels la coutellerie de luxe : couteaux en or, argent et nacre, exposés dans des étuis en galuchat ou en bois recouvert de marqueterie[19].

Rue des couteliers

En 1788 fut dressé le projet de rôle de subsistance pour 1789 à des fins fiscales. Ce document permet de constater la répartition des couteliers[20].

Répartition des couteliers
Adresse Nom
Rue de Bourgogne Joseph Grand
Rue de Bourgogne Jean Joclin
Rue de Bourgogne Hugues Hatier
Rue de Bourgogne Le maître Avizard
Rue des Carmes Pierre Aloncle
Rue des Carmes Nicolas Ferruge
Rue des Carmes Claude Lefebvre
Rue des Carmes Louis Morette
Rue des Carme Nicolas Olivier
Rue des Carmes Jean Tureau
Rue des Carmes Jean Vialin
Rue du Chat[21] Mayeul Haiter
Rue du Cimetière Saint-Gilles[22] Le nomme Staller
Rue des couteliers Paul Asselinot (ou Asselineau)
Rue des couteliers Jacques Grand
Rue des couteliers Jacques Hatier
Rue des couteliers André Martin landais
Rue de la Flèche Jean-Baptiste Clair
Rue Saint-Martin François Hatier
Rue Saint-Martin François Parizot
Rue Saint-Martin Charles Place
Rue Sainte-Ursule Pierre Grand

Selon Marcel Génermont, jusqu’en 1881, année de l’unification sous son qualificatif actuel, la rue des Couteliers comprenait deux tronçons définis par l’État en 1777 : la rue des Carmes et la rue des couteliers. La rue des Carmes (du nom du couvent voisin) allait de l’église jusqu’à la rue Monin et de l’autre côté depuis la caserne de la marée chaussée jusqu’au coin de la rue des Cameaux » (rue du 4 septembre). La rue des couteliers : « au coin de la maisons des héritiers de la Breme et de celle au sieur Archambault et finit au coin de la rue des Cameaux et de la maison occupée par le nomme Verret, cordonnier »[23].  

Notes et références

  1. Henriette Dussourd, Histoire de Moulins d'après la chronique de ses habitants, Clermont-Ferrand, Volcans, 1975, p. 166 : « La coutellerie à Moulins atteignit un développement étonnant. »
  2. Archives municipales de Moulins, registre 316. Cité par Camille Grégoire, « La coutellerie moulinoise », Revue du Bourbonnais, 1885, no 1, p. 4. Mais dans « L’art de la coutellerie à Moulins du XVIe au XVIIIe siècle », La vie de la coutellerie, p. 17, le rédacteur donne la date de 1569.
  3. « MS 29 - Description générale du pays et duché de Bourbonnois, par Nicolas de Nicolaï - Nicolaï, Nicolas de », sur mediatheques.agglo-moulins.fr, (consulté le )
  4. « L'art de la coutellerie à Moulins du XVIe au XVIIIe siècle », La vie de la coutellerie, p. 17
  5. Cité in: La coutellerie à Moulins du XVIe au XVIIIe siècle. On peut lire également : « Ce qui fait valoir le commerce de la coutellerie de laquelle les ouvriers de Moulins excellent, et de l'émail dont il y a de bons ouvriers à Bourbon, Moulins, Nevers ; car chaque étranger a coutume d'emporter de ces sortes d'ouvrages pour en faire présent à sa famille ou à ses amis »
  6. Camille Grégoire, « La coutellerie moulinoise », Revue du Bourbonnais, , n°1, p. 4
  7. Camille Grégoire, « La coutellerie moulinoise », Revue du Bourbonnais, , n° 1, p. 2
  8. Camille Grégoire, « La coutellerie moulinoise », Revue du Bourbonnais, , n°1, p.2
  9. Camille Grégoire, « La coutellerie moulinoise », Revue du Bourbonnais, , n°1, p. 3
  10. Camille Grégoire, « La coutellerie moulinoise », Revue du Bourbonnais, , n°1, p.3
  11. Académie française, Dictionnaire de l'Académie françoise : A = K, t. 1, 1762, 4, paris (lire en ligne), p. 431.
  12. Définition du mot Insculpation
  13. Camille Grégoire, « La coutellerie moulinoise », Revue du Bourbonnais, (n°1, p. 8)
  14. Henriette Dussourt, Histoire de Moulins, Clermont-Ferrand, Editions Volcans, 1975, p. 166
  15. Le chiffre de 57 est donné par Camille Grégoire, in: Camille Grégoire, op. cit. , p. 9
  16. Camille Grégoire, « La coutellerie moulinoise », Revue de Bourbonnais, , n°1, p. 9
  17. Camille Page, La coutellerie depuis l'origine jusqu'à nos jours, Châtellerault, Imprimerie H. Rivière, , Tome 1, p. 258
  18. Camille Page, La coutellerie depuis l'origine jusqu'à nos jours, Châtellarault, Imprimerie H. Rivière, , p. 178
  19. Collections du musée Anne-de-Beaujeu.
  20. Henriette Dussourd, Histoire de Moulins, Clermont-Ferrand, Editions Volcans, 1975, p. 170
  21. Cette rue est aujourd'hui disparue. Elle correspondait sensiblement à l'alignement du trottoir Est de la Place de la Liberté (en prolongement de la rue de la batterie). Voir Marcel Génémont, 'Veilles rue, plaques neuves, les rues de Moulins, Avermes et Yzeure à travers les âges, Moulins, éd. des cahiers bourbonnais, 2e édition, 1972.
  22. La rue du Cimetière Saint-Gilles était le nom porté jusqu'en 1881 par la voie correspondant à peu près à l'actuelle rue des Halles. Voir Marcel Génermont, op. cit.
  23. Marcel Génermont, Vieilles rues, plaques neuves, les rues de Moulins à travers les âges., Moulins, Editions Crépin-Leblond,

Liens externes

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