Indignité nationale

L'indignité nationale est un crime créé en France par l'ordonnance du 26 août 1944, durant la période d'épuration à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce crime d'une très grande gravité, commis par un militaire ou un civil durant l'occupation allemande, est sanctionné par la dégradation nationale, prononcée par des juridictions d'exception qui ont été constituées durant cette période.

Ce chef d'accusation n'est plus utilisé à la suite de la loi d'amnistie de 1951.

Philippe Pétain est le seul chef d’État français à avoir été reconnu coupable d'indignité nationale et condamné pour ce motif.

Éléments constitutifs du crime

Constitue le crime d'indignité nationale le fait d'avoir « postérieurement au 16 juin 1940, soit sciemment apporté en France ou à l'étranger une aide directe ou indirecte à l'Allemagne ou à ses alliés, soit porté atteinte à l'unité de la Nation ou à la liberté des Français, ou à l'égalité entre ceux-ci » (ordonnance du 26 décembre 1944[1]).

Au vu de l'ordonnance du , l'adhésion à certains partis ou mouvements (Milice, LVF, PPF, etc.), la participation à certains actes (expositions en faveur de l'Allemagne ou de ses doctrines) ou l'exercice de certaines fonctions (emplois supérieurs dans les services de propagande, au commissariat général aux questions juives, etc.) relèvent notamment du crime d'indignité nationale.

Procédure

Juridictions compétentes

La qualification juridique du fait d'indignité nationale peut être retenue à titre accessoire (moins souvent à titre principal) par la Haute Cour de justice ou les cours de justice compétentes pour des actes de collaboration punis par les textes de droit commun, ou à titre principal par les chambres civiques rattachées aux cours de justice, pour les actes de collaboration non punis par les textes de droit commun. Elle peut être suspendue si le condamné se réhabilite par des actions de guerre ou de résistance.

Rétroactivité

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La rétroactivité de cette infraction pénale est contraire aux principes fondamentaux du droit pénal, et notamment à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui dispose que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit ». Le concept d'indignité nationale entre en contradiction avec le principe de légalité de la peine, mais aussi avec celui d'individualisation de la peine[réf. nécessaire]. Ces violations de principe sont justifiées par des raisons politiques dans l'exposé des motifs :

« Les agissements criminels des collaborateurs de l’ennemi n’ont pas toujours revêtu l’aspect de faits individuels caractérisés susceptibles de recevoir une qualification pénale précise, aux termes d’une règle juridique soumise à une interprétation de droit strict ; ils ont souvent composé une activité antinationale répréhensible en elle-même. Par ailleurs, les sanctions disciplinaires qui écartent les fonctionnaires indignes de l’administration laissent en dehors de leur champ d’application les autres catégories sociales. Or, il est aussi nécessaire d’interdire à certains individus diverses fonctions électives économiques ou professionnelles qui donnent une influence politique à leurs titulaires que d’en éliminer d’autres des cadres administratifs.

Le concept d’indignité nationale […] répond à l’idée suivante : tout Français qui, même sans enfreindre une règle pénale existante, s’est rendu coupable d’une activité antinationale caractérisée s’est déclassé ; il est un citoyen indigne dont les droits doivent être restreints dans la mesure où il a méconnu ses devoirs. Une telle discrimination juridique entre les citoyens peut paraître grave, car la démocratie répugne à toute mesure discriminatoire. Mais le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose pas à ce que la nation fasse le partage des bons et des mauvais citoyens à l’effet d’éloigner des postes de commandement et d’influence ceux des Français qui ont méconnu l’idéal et l’intérêt de la France.

La question de la non-rétroactivité ne doit pas se poser à propos de l’indignité nationale. Il ne s’agit pas en effet de prononcer une peine afflictive ou même privative de liberté, mais d’édicter une déchéance. Le système de l’indignité nationale ne trouve pas sa place sur le terrain de l’ordre pénal proprement dit ; il s’introduit délibérément sur celui de la justice politique où le législateur retrouve son entière liberté[2]. »

Les juristes de la Résistance comme René Cassin ou Léon Julliot de La Morandière (président de la commission de réforme du Code civil en ) considèrent qu'on ne peut interpréter de manière extensive des dispositions du code pénal et justifient cette rétroactivité par un triple argument : le crime d’indignité nationale représente le remplacement rétroactif d'une peine plus lourde (peine de mort pour crime d'intelligence avec l'ennemi et de lèse-nation) par une autre plus légère (lex mitior (de), « loi plus douce ») ; il sanctionne des actes inconnus dans la tradition républicaine ; cette incrimination est temporaire, l’infraction ne pouvant être constatée que six mois après la Libération totale du territoire fixée au mais pouvant être jugée jusqu’en 1951[3].

Voie de recours

Pourvoi en cassation pour le motif d'atteinte aux droits essentiels de la défense (le pourvoi n'est pas suspensif).

Peine encourue

L'indignité nationale est punie de la peine de la « dégradation nationale », à perpétuité ou à temps (cinq ans et plus). La dégradation nationale entraîne la mise au ban du condamné et fait partie des peines afflictives et infamantes. Il perd bon nombre de droits :

  • exclusion du droit de vote,
  • inéligibilité,
  • exclusion des fonctions publiques ou semi-publiques,
  • perte du rang dans les forces armées et du droit à porter des décorations,
  • exclusion des fonctions de direction dans les entreprises, les banques, la presse et la radio, de toutes fonctions dans des syndicats et organisations professionnelles, des professions juridiques, de l'enseignement, du journalisme, de l'Institut de France,
  • interdiction de garder ou porter des armes.

Le tribunal peut également prononcer des interdictions de séjour du condamné sur le territoire et la confiscation de tout ou partie des biens. Le versement des retraites est également suspendu.

Personnes frappées de 1944 à 1951

On compte 50 223 cas de dégradation nationale à titre principal (3 578 par les cours de justice et 46 645 par les chambres civiques), et 3 184 peines suspendues « pour faits de résistance ». En tout, près de 100 000 personnes sont condamnées à la peine de dégradation nationale à titre principal et complémentaire, ce qui en fait la sanction la plus appliquée durant cette période[4]. On note, parmi les condamnés, Philippe Pétain, Pierre Laval, Charles Maurras, Louis-Ferdinand Céline.

Ce chef d'accusation n'est plus utilisé à la suite de la loi d'amnistie de 1951[5],[6].

Maintien de l'usage après 1951

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Guerre d'Algérie

La mise en accusation pour indignité nationale a été réactivée au moment de la guerre d'Algérie[réf. nécessaire]. Certains porteurs de valise ont été condamnés pour indignité nationale bien après 1951, pour des faits ne relevant pas d'« une aide directe ou indirecte à l'Allemagne ou à ses alliés », mais pour avoir « porté atteinte à l'unité de la nation ou à la liberté des Français, ou à l'égalité entre ceux-ci ».

Attentats de 2015

Après les attentats de janvier 2015 en France, le président François Hollande étudie la possibilité de rétablir l'indignité nationale comme chef d'inculpation pour les citoyens français ayant contribué à une entreprise terroriste. L'idée portée devant l'Assemblée nationale par le député UMP Philippe Meunier en [7] a, depuis la série d'attentats, été reprise par Nathalie Kosciusko-Morizet et Anne Hidalgo[8], envisagée par Jean-Christophe Cambadélis et Claude Bartolone. Marine Le Pen s'est de son côté prononcée contre cette mesure qu'elle estime être une « mesure gadget »[5].

Auteur d'un rapport parlementaire sur la question présenté le , le député PS Jean-Jacques Urvoas se prononce pour la « dégradation républicaine », plutôt que l'indignité nationale. Il cite l'historien du droit Jean-Louis Halpérin qui suggère d'étendre au terrorisme, la perpétuité incompressible déjà prévue pour les meurtres avec viol ou torture sur mineur de quinze ans ou en bande organisée, et de l'assortir d'une peine complémentaire privant de droits civiques, familiaux, et bannissant l'accès à certaines professions[9].

Notes et références

  1. L'année politique 1944-1945, Éditions Le Grand siècle, 1946, p. 104.
  2. Texte cité par Jacques Dalloz, Histoire de la France au XXe siècle par les textes, Masson, , p. 115.
  3. Anne Simonin, « Rétablir l'indignité nationale ? Une perspective historique », Fondation Jean Jaurès, 28 janvier 2015.
  4. Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », Vingtième Siècle : Revue d'histoire, no 33, , p. 92 (DOI 10.3406/xxs.1992.2491).
  5. Blandine Le Cain, « L'«indignité nationale», une piste envisagée par l'Élysée », Le Figaro - en ligne, (lire en ligne, consulté le ).
  6. Loi n° 51-18 du 5 janvier 1951 portant amnistie, instituant un régime de libération anticipée, limitant les effets de la dégradation nationale et réprimant les activités antinationales. Consulté sur Légifrance le 21 janvier 2015.
  7. Rapport n°2403 de Philippe Meunier sur la proposition de loi visant à déchoir de la nationalité française tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police
  8. Anne Hidalgo et Jean-Pierre Mignard : « Non à la déchéance de nationalité, oui à l’indignité nationale » sur lemonde.fr du 30 décembre 2015.
  9. Donald Hébert, « L'indignité nationale, alternative à la déchéance de la nationalité ? », sur nouvelobs.com, (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

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