Deborah Turbeville

Deborah Lou Turbeville, née le à Stoneham, Massachusetts, et morte le à Manhattan, est une photographe de mode américaine.

Deborah Turbeville
Naissance
Décès
(à 81 ans)
New York
Nationalité
Activité
Mouvement
Distinction
Lucie Award ()
Site web

Ses photographies caractérisées par des compositions étranges et hors du temps et par le grain de ses images, et réalisées dans le cadre de ses collaborations avec des magazines de mode, comme Vogue, et des campagnes publicitaires pour des marques telles que Valentino, ont participé du renouveau dans la photographie de mode[1].

Jusqu'à sa disparition, elle vivait entre Mexico, New York, Paris et Saint-Pétersbourg, où elle enseignait la photographie.

Biographie

Enfance

Selon Deborah Turbeville elle-même, son enfance a inspiré profondément son œuvre : « Je suis comme un enfant, je dois gérer ça vingt-quatre heures sur vingt-quatre[2] ». Cette enfance, Deborah Turbeville, née dans une famille aisée de Nouvelle Angleterre, l'a passée au sein protecteur d'une famille qui se voulait distinguée et isolée, mais souffre paradoxalement de cet isolement.

Le grand-père paternel de Deborah Turbeville avait rêvé d'être peintre à Paris. Revenu aux États-Unis il acheta une grande maison isolée dans la périphérie de Boston, dont héritèrent la mère et les tantes de Turbeville, et où vint aussi s'installer son père, venu du Texas. Cette communauté familiale, cultivant sa supériorité intellectuelle par de fréquents voyages à Boston pour aller à l'opéra et au cinéma, souffre aussi de cet exil en banlieue : « Ma mère méprisait profondément la médiocrité, et c'est ce que ce genre de petite ville représentait pour elle »[2].

Fille unique, « timide et peureuse » d'après sa mère[3], Deborah Turbeville écrira en effet en introduction à son livre Les Amoureuses du temps passé[4] : « J'ai grandi dans le petit monde de mes parents, de mes tantes, de ma grand-mère, là où tous ils me protégeaient et je faisais ce que je voulais et je ne me suis jamais conformée à ce que faisaient les autres enfants, et je ne leur ai jamais ressemblé. » Sa mère lui répétait : « Ne cherche jamais à ressembler aux autres, efforce toi d'être toi-même, sois originale. » Elle a grandi dans un monde d'adultes : « Dans tout ce que mes parents faisaient, je les accompagnais. »[2]

Un évènement peut illustrer cette aspiration de la famille Turbeville à la distinction : à l'école élémentaire on demanda à la petite Déborah Turbeville et à ses camarades de faire un dessin à la craie sur le thème de Noël ou de l'Amérique. Deborah Turbeville raconte que son professeur n'aima pas l'atmosphère de ses dessins (« apparemment ils étaient vraiment bizarres[2] ») et on la renvoya de l'école pour plusieurs semaines. Quand elle se remémore cet évènement, Turbeville dit : « Parfois, je me vois toujours aujourd'hui comme cette enfant qui faisait ces dessins, et qui continue tranquillement à faire des choses[2] ».

Elle était alors élève à la Brimmer and May School, dans la baie de Boston, et a toujours cité comme premières sources d'inspiration les étroites rues pavées, Louisburg Square, la neige et les vitres teintées. « Deborah aime le climat, le brouillard, les tempêtes de neige, le vent, et les océans déchaînés ».

En plus de la maison familiale de la périphérie de Boston, Deborah Turbeville passait alors ses étés dans la maison de vacances à Ogunquit, dans le Maine, endroit qu'elle décrira comme « très désolé, très sinistre, très beau »[3]. Il semble que ces lieux abandonnés et battus par le vent l'ont beaucoup inspirée, puisqu'on retrouve souvent ces plages vides et ces stations balnéaires oubliées dans ses photographies.

Parcours

Débuts dans la presse de mode

Lors de ses études, Turbeville fit beaucoup de danse de ballet, de danse moderne et de théâtre, et elle dansait et jouait chaque année dans de petits théâtres locaux. Ce qui la passionnait, c'était avant tout la chorégraphie, les costumes, la mise en scène. Elle était aussi férue de littérature et se plongea très jeune dans Dostoïevski. En tout cela, elle partageait les goûts cultivés de sa mère. Celle-ci adorait les vêtements et d'après Turbeville, « si elle avait été une femme émancipée, elle aurait sans doute travaillé dans un magazine[2] ». Le monde de la mode était alors la chasse gardée de l'élite cultivée de New York, et à l'âge de dix-neuf ans, en 1957, Deborah Turbeville partit pour la capitale avec le projet de travailler dans ce domaine et peut-être faire du théâtre, comme elle en avait été convaincue après plusieurs étés de stage de théâtre à la Junior Playhouse d'Ogunquit.

Elle travaille d'abord trois ans comme assistante et modèle de Claire McCardell, créatrice de mode emblématique de l'American Look. Cette expérience lui permit de connaître sur le bout des doigts les tissus, les couleurs, les formes, mais aussi de rencontrer Diana Vreeland, rédactrice en chef du Harper's Bazaar puis de Vogue et enfin directrice du Costume Institute au Metropolitan Museum of Art. Vreeland lui conseilla de « s'imbiber au maximum du génie de McCardell[5] ». Vreeland l'invita aussi au Harper's Bazaar et c'est ainsi qu'en 1963, à l'âge de vingt-cinq ans, se mit à travailler pour le rédacteur de mode de Harper's Bazaar, Marvin Israel.

Elle rencontra alors les photographes de son équipe, Diane Arbus, Hiro et surtout Richard Avedon. Elle travaille aussi dans la rédaction de Mademoiselle, département des accessoires, ainsi qu'au Ladies' Home Journal[6]. On reconnut assez vite qu'en tant que rédactrice, elle avait un style très particulier, une vision originale. Et en effet elle voulut aller plus loin.

Débuts dans la photographie

Deborah Turbeville commença par s'acheter un appareil photo Pentax pourvu d'une lentille Zeiss, et prenait alors des photos lors de ses retours à la maison dans le Maine. Mais tout commença vraiment en 1966, quand elle réussit à faire accepter au gouvernement yougoslave qu'il subventionnerait un voyage à travers le pays pour réaliser un reportage photo pour un magazine. C'est à la fois comme directrice artistique et comme photographe que Turbeville se mit à prendre en photo la réaction des habitants yougoslaves à la vue du mannequin en minijupe. Mais le magazine pour lequel elle travaillait alors ferma très peu de temps après, et Deborah Turbeville rentra à New York, avec ces clichés très flous et pleins de couleur.

Elle se rendit auprès de Richard Avedon pour avoir son avis dessus. Il donnait alors avec Marvin Israel un séminaire de photographie. Quand il les vit, Richard Avedon en fit sa protégée et déclara qu'elle était « l'évènement dans le monde de la photo »[5], et décida de lui apprendre sa technique. Elle commença par publier ses photos dans des revues d'avant-garde notamment le magazine Zoom. C'est là qu'elle publie une série de mode inspiré des ballets de Diaghilev, et intitulé A Touch Of Ballet Class. En 1972 elle travaille pour le magazine Nova, ainsi que plus tard le français Depeche Mode[7] à Paris.

Mais surtout, elle fait une série pour le Vogue américain de mai 1975 : les modèles en bikinis sont photographiés dans les bains publics de New York. Ces images sont, pour Alexander Liberman, ardent défenseur du porno chic et tout puissant directeur éditorial de Condé Nast, « les plus révolutionnaires du moment »[3]. Elle-même précise que « quand nous avons fait le premier tirage, j'ai su que les photos étaient spectaculaires[8] ». Cette série de dix pages surnommée The Bathhouse la rend célèbre : les images à connotation lesbienne font scandale, certains États américains allant jusqu'à interdire la vente du magazine ; dans l'une d'elles, un mannequin semble se masturber[8].

Œuvre

Séries de mode pour Vogue (1975-1981)

Le monde de la photographie de mode est dominé par les hommes, alors que celui de la rédaction de mode l'est par les femmes. Avant Turbeville, des femmes comme Louise Dahl-Wolfe ou Toni Frissell avaient prouvé qu'elles pouvaient aussi tenir les lourds appareils de l'époque et prendre des femmes désirables en photo. Mais Deborah Turbeville, dans la deuxième moitié des années 1970, occupe dans les pages de Vogue une place égale à celle de ses collègues masculins. Et cependant, marquant sa différence dès la série de mode de 1975 The Bathhouse, ses photographies tranchent avec la tendance de la photographie de mode des années 1970, celle de la « Super Woman » de plus en plus sexualisée[réf. souhaitée]. On peut le voir dans la description suivante des séries de mode qu'elles a faites pour Vogue, sans discontinuer à partir de 1975 (alors que la présence des femmes photographes dans le magazine était jusque-là non seulement épisodique et irrégulière, mais aussi limitée en nombre de pages[réf. souhaitée]) :

Séries 1975

  • En janvier 1975, Deborah Turbeville fait son entrée avec deux séries dans un numéro : le premier, de sept doubles pages, montre des modèles marchant lentement dans un extérieur aux tons gris et verdâtres, ne prêtant pas attention à la photographe ; dans le second, de quatre doubles pages, les modèles portent la coupe à la garçonne et nous regardent avec suspicion ou indifférence. Dans l'une des images, p. 98, l'image de la photographe se reflète dans la vitre sombre et floue. Ce jeu d'ombres et de reflets sera récurrent dans son œuvre[réf. souhaitée].
  • En février, c'est une série de quatorze doubles pages que Vogue commande à Turbeville, présentant les modèles au côté des grands couturiers à l’œuvre. Le dispositif qui revient dans la majorité des images est le suivant : on entraperçoit le créateur, masculin, dans un reflet ou à l'arrière de la scène, dardant sur nous un regard plein de hauteur, quand au premier plan, se confondant avec des poupées ou plongées dans une rêverie triste, complètement ailleurs et s'ignorant les unes les autres, bougent mollement ou s'affalent les modèles[réf. souhaitée].
  • En mars 1975, Turbeville réalise une de cinq doubles pages sur les bijoux. Elle choisit de disposer ceux-ci sur un sol taché et rempli de gravas, un cadrage décentré et comme raté par un faux mouvement montre un fragment du modèle qui regarde ailleurs, par la fenêtre de cet espace démantelé[réf. souhaitée].
  • Dans le numéro d'avril 1975, on retrouve un espace désaffecté dans une série de six doubles pages dans un ton pastel ou noir et blanc. Les modèles, un air d'ennui et d'attente sur le visage, regardent sans conviction à l'extérieur d'une grande pièce dont les fenêtres voilées les séparent du dehors. Dans le fond, un ouvrier sans visage répare quelque chose[réf. souhaitée].
  • En mai 1975, sort la fameuse série de mode appelée plus tard The Bathhouse Series : en cinq doubles pages, dans décor de vestiaires sales, gris et rouillés, maculés, les modèles en maillot de bain sont avachis par terre, la tête dans les mains, ou bien se retiennent aux murs. Quand leurs yeux ne sont pas fermés dans l'évanouissement, elles regardent ailleurs, jamais aucun regard ne se croise. Pourtant serrées dans ce qui semble être une douche de prison, elles s'ignorent mutuellement et semblent même ignorer l'espace de leur confinement[réf. souhaitée]. Accusé de représenter les camps de concentration, Vogue consacre à Turbeville une longue interview revenant sur cette série. L'entretien lui permet de réhabiliter son travail en passant par l'argument suivant : « Les gens se sont mis à parler d'Auschwitz et des lesbiennes et des drogues et tout ce que j'avais fait c'était d'essayer de bien placer cinq figures dans l'espace. Parfois les meilleures choses qu'on fait, les choses les plus controversées, ont été faites dans la plus grande innocence[9] ».
  • En juin 1975, malgré ce scandale, Vogue confie à Deborah Turbeville une nouvelle série de six doubles pages : cette fois, les modèles sont dehors et courent, rient aux larmes, communiquent entre elles, même si c'est seulement en se vernissant les ongles l'une l'autre. La présence d'enfants dans ces pages, l'ambiance plus positive, est peut-être un effort de Turbeville pour revenir dans les normes. Mais toujours, on trouve ce jeu avec les reflets, avec les lumières qui tendent à faire passer les modèles pour des apparitions de souvenir. L'une des images, en intérieur, présente quand même une femme perdue dans ses pensée, regardant mollement par une fenêtre n'ouvrant que sur un immeuble gris, et dans une pose qui semble montrer qu'elle se croit seule ou nous ignore[réf. souhaitée].

Mode et publicité

Deborah Turbeville est aussi sollicitée par la publicité. En 1985 elle fait la campagne publicitaire des magasins Parco, puis enchaîne les campagnes avec notamment Emanuel Ungaro, Valentino et Romeo Gigli, ainsi que Mitsubishi, avant de clore la décennie 1980 par les collections de Vogue Paris en 1989. Dans les années 1990 c'est Nike et Ralph Lauren qui lui demandent ses services. Mais elle travaille de moins en moins pour ce secteur, et dans les années 2000 sa seule campagne de pub est pour Max Azria (BCBG) en 2009.

En 2012, la photographe alors âgée de 80 ans signe sa derrière campagne publicitaire pour Valentino - "La campagne a été shootée au Palais Valguarnera-Gangi de Palerme, où avait été tourné le film Le Guépard de Luchino Visconti, en 1963[10].

Ses photographies auront été publiées dans les éditions américaine, anglaise, italienne et russe de Vogue, dans le Harper's Bazaar, dans Vogue Décoration, Casa Vogue, W, Condé Nast Traveller, Vogue Bambino, Vogue Spoza, Zoom, The New York Times, et Art in America.

Ouvrages

En 1978 elle publie son premier livre de photographie, Wallflower.

En 1980 Jacqueline Kennedy-Onassis la choisit pour un reportage sur Versailles, avec la consigne d'« évoquer le sentiment qu'il y a des fantômes et des souvenirs »[3]. Deborah Turbeville se met alors à chercher « les maîtresses abandonnées » du palais, et s'intéresse aux greniers, aux placards. Cela donne le livre Unseen Versailles. Les images sont très floues, comme embrumées; sur l'une d'elles, un corps de femme dans une grande robe pâle gît au milieu de feuilles mortes, dans un couloir de marbre abandonné. Elle obtient pour cet ouvrage "American Book Award" (1982)[1].

En 1985 elle publie Les Amoureuses du temps passé, et est exposée l'année suivante au Centre Pompidou.

Les livres de photographie qu'elle publie témoignent de son goût pour les voyages, dans l'espace comme dans le temps, à travers la photographie : en 1994 Newport Remembered, a Photographic Portrait of a Gilded Past, dont les photographies, d'aspect ancien, mettent en scène des modèles habillés parfois comme au XIXe siècle. Turbeville photographie aussi l'Amérique du Sud, avec The Voyage of The Virgen Maria Candelaria qui relate son voyage au Mexique et au Guatemala en 1996, et le vieux Saint-Petersburg, avec Studio St. Petersburg en 1997. Elle se met à publier des articles dans des revues de photographie et de mode.

Style

Technique

Les photographies de Deborah Turbeville sont reconnaissables par leur grain, leurs couleurs pastel, sépia, ou noir et blanc, par le flou de l'image. Deborah Turbeville retravaille parfois ses clichés en les grattant, en les scotchant, avec l'aide de son assistante et collaboratrice Sharon Schuster. Selon Pete Silverton[3], ces photographies sont « des biens consciemment dégradés ». Et il rapporte ces propos de Deborah Turbeville : « Je détruis l'image après l'avoir faite.(…) L'effacer un peu de manière à ne l'avoir jamais complètement là. » Ou encore : « L'idée de désintégration est vraiment au cœur de mon travail ».

Ce travail d'altération est l'un des éléments qui font de Turbeville une artiste, puisqu'elle propose une réflexion sur le médium, et le médium est en lui-même signifiant. Ses images, « grattées, tordues, effacées, artificiellement abîmées pour donner l'impression de vieux clichés, contredisent la perfection technique que même un photographe amateur peut obtenir de nos jours. Turbeville expose le mensonge de la technique avec la détermination de l'artiste qui cherche à créer un contenu imaginatif résonnant d'ambigüités ». « Oui, leur immobilité apparente cache une soubassement de violence. (…) Cette violence est redoublée par l'artiste dans son travail : elle viole ses propres images[11] ».

Refus des conventions

Dans les années 1970, la photographie de mode se dirige vers plus de provocation sexuelle et tend à devenir, selon Nancy Hall-Duncan, « une sous-division de la culture pornographique »[12]. « je suis totalement différente de photographes comme Newton ou Bourdin. Leurs […] photographies rabaissent la femme[13] » précise la photographe. Les hommes restent omniprésents, mais une nouvelle génération de photographes féminins, influente, apparait, changeant par l'intermédiaire de l'image la perception des femmes dans la société, plus proche de leur réalité[13]. Deborah Turbeville tranche d'une part par ses atmosphères vaporeuses, d'autre part par ses modèles qui ne communiquent pas, ni entre eux ni avec le spectateur. Nancy Hall-Duncan note que ces femmes semblent « enfermées dans leur solitude », impression renforcée « par des poses paresseuses, molles »[14]. Et elle ajoute : « Dans leur sens le plus large, les photos de Turbeville reflètent l'effondrement psychologique du monde moderne. La pose un peu avachie […] donne l'impression de malaise. […] Le nouvel état d'esprit, la nouvelle attitude des jeunes femmes d'aujourd'hui doivent se refléter dans la façon dont le modèle se tient. Réaliser cela fut pour Turbeville, c'est elle qui le dit, un tournant décisif dans l'évolution de son style ».

The Bathhouse illustre parfaitement cette volonté de ne pas se conformer aux conventions sexuelles de l'époque, et de résister à la domination masculine : « les cinq modèles ont brisé toutes les lois qui disent à quoi les femmes en maillot de bain doivent ressembler, à savoir : appétissantes, succulentes, allumeuses qui veulent s'amuser… Bref, des femmes qui sont là pour les hommes. […] Si le sexe vient à l'esprit de quiconque, ce serait seulement comme le souvenir d'un vide ou de futilité. Certaines femmes étaient squelettiques, non pas façonnées pour le regard d'un homme mais au bord de l'anorexie : un refus de l'état adulte de femme et un refus des hommes[15] ».

Rapport avec les mannequins

Ce refus des conventions qui font du modèle un objet du regard masculin du photographe, Deborah Turbeville le vit naturellement dans ses rapports avec les modèles. Celles-ci ne sont pas des objets malléables, mais des personnes avec qui Turbeville reconnaît son échec à communiquer parfaitement. Elle en a même peur, comme de personnes sur lesquelles elle ne peut avoir la moindre idée préconçue. « J'ai souvent peur, des gens. Ça se retrouve dans les photos que je prends : les sentiment presque d'humiliation ou d'embarras. Les jeunes femmes baissent les yeux, ou regardent ailleurs, elles ne peuvent pas regarder l'objectif en face. Et moi je ne peux pas les forcer à fixer l'objectif, ou à faire une tête du genre tout est super et c'est vraiment génial hein[15]! ». En effet dans le livre collectif Women on Women, sur les femmes photographiant des femmes, elle écrit que dans ses photographies, « il y a le sentiment tenaillant que quelque chose ne va pas. Mon travail n'est pas complet s'il ne contient pas quelque vestige de cette frustration dans les tirages finaux[16] ».

Ainsi, dans son travail de photographe de mode, elle essaie d'éviter un « idéal stéréotypé » et glamour[17] : « Ce n'était pas la fille à la beauté parfaite qui me donnait envie de prendre des photos, mais la fille qui avait un intérêt dans son visage, avec une profondeur sous la surface[17] ».

Espaces du souvenir

Comme ses contemporains européens Helmut Newton et Guy Bourdin dans les années 1970, quand bien même son style se distingue fortement des leurs, Deborah Turbeville a marqué un changement dans la photographie de mode en y introduisant une narration et un mystère [réf. souhaitée]. Le livre Past Imperfect est ainsi constitué de quinze séries formant chacune une histoire, mais ces histoires n'ont ni début ni fin : les modèles, y jouent avec des statues, des mannequins de couture, des automates.

Les espaces sont souvent fermés et impossible à situer, comme dans The Bathhouse, série accusée de faire référence aux camps de concentration ou aux centres de désintoxication, ce dont la photographe s'est toujours défendue[18], déclarant que les espaces représentés sont son univers intérieur : « Je vais dans l'univers privé d'une femme, où vous n'allez jamais.(…) C'est un moment figé dans le temps. J'aime entendre le tic-tac d'une horloge dans mes photos[3]. ».

Dans le contexte de la fin de la guerre froide, Deborah Turbeville est aussi fascinée par l'Europe de l'Est, et notamment la Russie où elle voyage très souvent. Elle a connu ce pays par Dostoïevski, Ossip Mandelstam, Serge de Diaghilev, et perçoit désormais Saint-Pétersburg à travers ce passé. Georgy Golenki décrit ainsi les images de Turbeville : « Turbeville est parvenue à exprimer ce véritable Saint-Pétersburg délicat, intangible, cette tristesse cachée pesant sur la vie des gens et sur les choses, la tristesse qui part du passé et s'étend dans le futur. »

Importance du voyage

Le voyage est au cœur de sa vie comme de son œuvre. Il était au cœur de la vie de son grand-père, qui avait vécu à Paris dans le rêve d'être un nouveau Gauguin[réf. souhaitée]. Il devient une nécessité pour Turbeville : dès les années 1960, grâce à son travail de rédactrice, elle voyage beaucoup, traverse l'Europe de l'Est en pleine Guerre Froide. Comme elle, l'univers de ses photographies n'a pas de patrie, et ses personnages ont un regard d'exilés qui attendent sans espoir. À partir de 1972 surtout, elle ne cesse de voyager entre New York et Paris : « Elle aime être nomade, n'appartenir à « aucun endroit ni aucun groupe », selon ses propres mots, et on pourrait dire la même chose de ma vie privée. Et c'est aussi vrai du temps aussi. Je ne veux pas appartenir entièrement au présent. Il y a des choses que j'adore avec le passé. Son atmosphère. J'ai besoin de cette atmosphère exactement comme d'autres personnes ont besoin de nourriture ou de sexe. Quand je suis en Europe, j'aime aller simplement dehors et humer les villes. Même si c'est une atmosphère oppressante, trop grise, trop sale, trop brumeuse. Quand on est divisé entre plusieurs lieux, tout devient théâtre. On garde une vivacité par rapport à son propre parcours. On ne perd pas la conscience. Toutes ces villes deviennent un peu des scènes de théâtre[19] ».

Enseignement

Elle enseigne la photographie aux États-Unis et en Russie : en 2002 elle est devenue professeur à la Baltic Photography School, en Russie, puis à l'Institut Smolney de Saint-Pétersbourg en 2005, où elle dirige un séminaire intitulé Elements of style [réf. souhaitée].

Expositions

Deborah Turbeville, comme elle le dit dans divers interviews, se voit avant tout comme une « artiste, authentique et originale ». Elle participe dès la fin des années 1970 à de nombreuses expositions à travers le monde, dépassant le champ de la mode[réf. souhaitée].

Bibliographie

Publications de Deborah Turbeville

  • Casa No. Name, Rizzoli, 2009
  • Past Imperfect. Steidl, Germany 2010. (ISBN 978-3-86521-452-2).
  • Studio St. Petersburg, Bulfinch 1997
  • The Voyage of the Virgen Maria Candelaria. Parco Co., Ldt; 1996
  • Newport Remembered. Harry Abrams Inc. 1994. Introduction by Louis Auchincloss.
  • Photographers Contemporains I. Centre Georges Pompidou/M.N.A.M., 1986
  • Les Amoureuses du Temps Pass. Parco Co., Ldt., 1985.
  • Unseen Versailles. Doubleday & Co., 1981. Introduction by Louis Auchincloss
  • Wallflower, Congreve Publishing Co., Inc., 1979

Articles de Deborah Turbeville

  • Caméra Obscure, Art Photography Magazine, Moscow, septembre 1998
  • Studio St. Petersburg, 8 page article in L'Uomo Vogue, décembre 1997
  • Essence, Photography Magazine, Paris, décembre 1997

Publications sur Deborah Turbeville

  • Wedding Days, Images of Matrimony.H2O Co. Ldt./Graystone Books, Tokio, 1996
  • The Idealizing Vision. Apertura, 1990
  • Hall-Duncan, Nancy. The History of Fashion Photography[source insuffisante].
  • Alexander Liberman The World of American Vogue: Fifty Years of Fashion.
  • Women By Women. Aurum, 1978.
  • Yearbook of Photography. Time-Life, Inc. 1976.

Références

  1. Mathilde Hédou, « Décès de la photographe de mode Deborah Turbeville », L'Express Styles, (lire en ligne).
  2. interview par Amy Gross, Vogue, décembre 1981, p. 335
  3. (en) http://www.professionalphotographer.co.uk/Legends/Profiles/Deborah-Turbeville
  4. Deborah Turbeville, in Les Amoureuses du temps passé, éditions Parco Co., LTD, Tokyo, 1985
  5. Staley Wise Gallery, biographie de Deborah Turbeville
  6. in Women on Women, Aurum Press, Vérone, 1978
  7. Martin Harrison (préf. Marc Lambron), Apparences : la photographie de mode depuis 1945, Paris, Éditions du Chêne, (1re éd. 1991 Jonathan Cape, Londres), 310 p. (ISBN 978-2-85108-762-1), chap. 6, p. 256
  8. Norberto Angeletti, Alberto Oliva et al. (trad. de l'anglais par Dominique Letellier, Alice Pétillot), En Vogue : L'histoire illustrée du plus célèbre magazine de mode, Paris, White Star, , 410 p. (ISBN 978-88-6112-059-4, présentation en ligne), « Deborah Turbeville : l'érotisme à travers les yeux d'une femme », p. 237
  9. interview par Amy Gross, in Vogue US, décembre 1981, p. 335
  10. « Campagnes publicitaires automne-hiver 2012-2013 », L'Express Style, , p. 39 (diaporama) (lire en ligne) :
    « Valentino a lui fait appel à Deborah Turbeville, une photographe avec laquelle la marque avait déjà collaboré pour de nombreuses campagnes. C'est dans la pénombre d'un palazzo sicilien et dans une atmosphère rêveuse que sont présentés les robes de la nouvelle collection du fameux rouge Valentino. »
  11. Barbara Rose, in Vogue NY, décembre 1981, p. 246
  12. Nancy Hall-Duncan, in Histoire de la Photographie de Mode, Éditions du Chêne, Paris, 1978, p. 180
  13. (en) Design Museum et Paula Reed, Fifty Fashion Looks that Changed the 1970s, Londres, Conran Octopus, coll. « Fifty Fashion Looks », , 112 p. (ISBN 978-1840916058), « Deborah Turbeville : fashion photography's incurable romantic », p. 84
  14. Nancy Hall-Duncan, in Histoire de la Photographie de Mode, Éditions du Chêne, Paris, 1978, p. 215
  15. article de Amy Gross, in Vogue NY, décembre 1981, p. 335
  16. in Women on Women, Aurum Press, Verone, 1978
  17. Women on Women, Aurum Press, Verone, 1978
  18. Nancy Hall-Duncan, in Histoire de la Photographie de Mode, Éditions du Chêne, Paris, 1978
  19. interview par Barbara Rose, in Vogue NY, décembre 1981, p. 246
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