Denys Arcand

Biographie

Au début des années 1960, Denys Arcand étudie l'histoire à l'Université de Montréal[2]. Il a, entre autres professeurs, Maurice Séguin et Michel Brunet[3], fondateurs, avec Guy Frégault, de l'École historique de cette université et penseurs du néonationalisme québécois[4]. D'ailleurs, dans son film Le déclin de l'empire américain, on voit le personnage Mario (joué par Gabriel Arcand) remettre à Diane Léonard, chargée de cours en histoire (jouée par Louise Portal), un exemplaire d'un livre de Michel Brunet, Notre passé, le présent et nous[5].

Vie privée

Il est le fils d'Horace Arcand et de Colette Bouillé[6]. Denys Arcand est le conjoint de Denise Robert[7], productrice spécialisée dans les films grand public. Il est le frère de l'anthropologue Bernard Arcand[8], de la criminologue Suzanne Arcand et de l'acteur Gabriel Arcand[9].

La période engagée

L'œuvre de Denys Arcand est à l'image de la transformation du cinéma québécois. Dans une première période, son travail est composé d'œuvres documentaires fortes et critiques, ainsi que d'un cinéma de fiction profondément ancré dans la réalité socioculturelle du Québec.[2].

L’œuvre de Denys Arcand est très souvent imprégnée de concepts et enjeux qui sont omniprésents à l'intérieur de la sphère sociale québécoise dans laquelle le réalisateur évolue[10]. La cinématographie d’Arcand témoigne d’une réalité québécoise d’une époque qui s’étend des années 1970 jusqu’au début du XXIe siècle[10]. En y abordant les thèmes du nationalisme[11], du syndicalisme[12] et de la corruption[13], les films de ce réalisateur permettent une compréhension historique du Québec à travers soit des œuvres de fiction, soit des documentaires. Il raconte ainsi l’histoire de la province à travers son ouvrage cinématographique[14].

Le nationalisme est un thème abordé très tôt dans l'œuvre de Denys Arcand et il y devient un sujet d’une grande importance[11]. Il présente la réalité d’une société québécoise par l’entremise des films nationalistes qu’il produit. L’un de ses premiers films documentaires à saveur nationaliste, Québec : Duplessis et après… qui prit l’affiche en 1972, explore les élections de 1970, les conséquences laissées par la Révolution tranquille au Québec et l’héritage de Maurice Duplessis[15]. Arcand aborde le contexte du référendum de 1980[16] dans Le Confort et l’Indifférence, sorti en 1981[17], et les impacts politiques et sociaux de ce référendum dans Le Déclin de l’empire américain[18] de 1986[19]. Dans l’optique d’un nationalisme québécois, des moments historiques importants pour la province, qui ont tous eu des impacts identitaires sur la société du Québec, sont donc visités dans ces films.

Outre son intérêt pour le nationalisme, Arcand utilise également son art de prédilection qu’est le cinéma pour dévoiler certains enjeux du syndicalisme aux Québécois. Visant à exposer les injustices vécues par la classe moyenne, Arcand conçoit le documentaire On est au coton[20], qui fut publié en 1970. Il aborde alors les piètres conditions de travail des employés d’usines de textiles et l’instabilité d’emploi qui semble être un combat où la défaite des travailleurs est inévitable. Des pressions provenant de l’industrie du textile, occasionnant la censure du film concerné, témoignent des désirs d’une société et d’une nécessité de changement dans le monde du travail et des usines de textiles[21],[22]. D’autres enjeux du syndicalisme comme les grèves et les problèmes reliés au secteur public[23] sont plus minutieusement présentés dans La Lutte des travailleurs d’hôpitaux[24], film qui parut en 1975. Le rôle de la Confédération des syndicats nationaux y est aussi discuté. Ensuite, en 2003, il continue sa critique des syndicats et aussi du système de santé dans Les Invasions barbares[25].

Denys Arcand s’intéresse également à la corruption dès les années 1970, avec l’un de ses premiers films abordant le sujet, Réjeanne Padovani en 1973[26]. Le pouvoir de l’argent et une pratique malheureusement répandue qui consiste à soudoyer les institutions font leur apparition dans Les Invasions barbares[27]. Les politiciens malhonnêtes et la mafia, présage de l’avenir d’une démocratie corrompue[28], sont aussi des personnages de choix pour Arcand dans Réjeanne Padovani[29]. La Lutte des travailleurs d’hôpitaux exhibe une facette plus propagandiste de la corruption québécoise en démystifiant les enjeux du secteur public. Cette lutte, qui est discutée dans ce film, entoure une campagne d’information mensongère planifiée par des administrations d’hôpitaux québécoises. Un portrait très peu glorieux du Québec et de ses institutions est donc dépeint dans La Lutte des travailleurs d’hôpitaux.

Son travail de documentariste, parfaitement en phase avec le travail qui se fait alors à l'Office national du film du Canada ONF (voir Cinéma direct), pousse toutefois ailleurs la structure du montage. Par de fins jeux d'opposition, par dialectique – Arcand démontrant par exemple tout autant les incohérences des ouvriers que les injustices qu'ils subissent – il parvient, sans jamais faire emploi de la narration, à rendre de savantes synthèses sociales et politiques. Le montage de ses films est de ce fait moins transparent et naturaliste que celui de ses collègues de l'ONF : Arcand privilégiant dans le documentaire la démonstration à la dramaturgie, il utilise abondamment le montage parallèle[30], l'image avec son libre en contrepoint[11], et construit ainsi le sens à la façon du film essai.

Dans son œuvre de fiction, qui débute avec La Maudite Galette, Arcand semble faire l'intégration graduelle de ses acquis du direct, en plus d'une esthétique classique, évoquant Jean Renoir. Ce classicisme du début n'exclut pas néanmoins un certain formalisme dans la composition et la mise en scène, que l'on peut rapprocher du travail de Gilles Groulx, pour lequel il ne cache pas son admiration.

Comme beaucoup d'intellectuels de son époque, Arcand attache beaucoup d'importance à la vie intellectuelle européenne. Il aura aussi à souffrir de censure à l' ONF, son film On est au coton auquel avait collaboré le poète Gérald Godin, étant caché pendant près de 20 ans par l'agence[21]. Arcand rejoignait par là aussi le cinéaste Gilles Groulx. Il est considéré comme un des cinéastes québécois ayant subi le plus souvent la censure politique[31].

La période américaine

Dans une deuxième période, que l'on pourrait appeler américaine, et commençant avec sa déception du résultat du référendum pour la souveraineté du Québec de 1980, Arcand choisit l'émancipation personnelle. Pendant cette période il tourne deux films en anglais[32].

Bien que fortement influencé par une certaine manière industrielle dans l'écriture des scénarios et du découpage, il travaille toujours, avec une distance cynique, les questions de conscience, fouillant celle de l'intellectuel, interrogeant les errements de l'idéalisme et de la rationalisation, tel un Machiavel se questionnant sur Le Confort et l'Indifférence.

Le succès international

Le succès international survient avec Le Déclin de l'empire américain en 1986, film qu'il écrit et réalise (nommé aux Oscars)[19]. Trois ans plus tard, son film Jésus de Montréal, Prix du Jury à Cannes[33], est en lice comme « Meilleur film étranger » à la cérémonie des Oscars 1989[34]. La consécration vient avec Les Invasions barbares, film qui gagnera l'Oscar du meilleur film en langue étrangère 2003[35]. Il est aussi récompensé au Festival de Cannes : Marie-Josée Croze reçoit le Prix de la meilleure actrice[36] alors que Denys Arcand obtient la Palme du meilleur scénariste[37]. Le film gagne par ailleurs, à Paris, les Césars du meilleur film[38], du meilleur réalisateur et du meilleur scénario ce qui constitue une première pour un film québécois[39].

Citation

« Les jeunes d'aujourd'hui voudront fonder des familles stables. Ils voudront reprendre le modèle de leurs grands-parents. »

 Documentaire Les Héritiers du mouton noir.

« Les pères, généralement, n'ont pas le beau rôle dans la littérature et la dramaturgie québécoise. Ils sont souvent les boucs émissaires de nos écrivains et surtout de nos écrivaines. Absents, velléitaires, pusillanimes, quand ils ne sont pas ivrognes ou violents, je ne reconnais jamais dans ces portraits, mon père, mon grand-père ou mes oncles, des hommes solides, calmes et respectueux. [...] Le père de Robert avait été dans la marine, le mien y est resté toute sa vie. Comme lui, c'était un taiseux. »

 Préface écrite par Denys Arcand pour le texte de la pièce de théâtre "887" de Robert Lepage)[40].

Récompenses et distinctions

Récompenses

César du cinéma
Festival de Cannes
Oscars
Prix Aurore
  • 2015 - Meilleur film - Le Règne de la beauté
Prix David di Donatello
  • 2004 - Meilleur film étranger - Les Invasions barbares
Prix Génie
  • 1987 - Meilleur film – Le Déclin de l'empire américain
  • 1987 - Meilleur réalisateur – Le Déclin de l'empire américain
  • 1987 - Meilleur scénario original – Le Déclin de l'empire américain
  • 1987 - Bobine d'or – Le Déclin de l'empire américain
  • 1990 - Meilleur film – Jésus de Montréal
  • 1990 - Meilleur réalisateur – Jésus de Montréal
  • 1990 - Meilleur scénario original – Jésus de Montréal
  • 1990 - Bobine d'or – Jésus de Montréal
  • 2004 - Meilleur film – Les Invasions barbares
  • 2004 - Meilleur réalisateur – Les Invasions barbares
  • 2004 - Meilleur scénario original – Les Invasions barbares
Prix Jutra
  • 2004 - Meilleur film – Les Invasions barbares
  • 2004 - Meilleur réalisateur – Les Invasions barbares
  • 2004 - Meilleur scénario – Les Invasions Barbares
  • 2004 - Film s'étant le plus illustré à l'extérieur du Québec – Les Invasions barbares
  • 2005 - Film s'étant le plus illustré à l'extérieur du Québec – Les Invasions barbares
Autres

Sélections

Honneurs

Filmographie

Réalisateur

Producteur

  • 2005 : Lost & Profound

Scénariste

Acteur

Télévision

Acteurs récurrents

Denys Arcand a travaillé à plusieurs reprises avec certains acteurs dans ses longs-métrages.

ActeurLa Maudite Galette (1972)Réjeanne Padovani (1973)Gina (1975)Le Crime d'Ovide Plouffe (1984)Le Déclin de l'empire américain (1986)Jésus de Montréal (1989)De l'amour et des restes humains (1993)Joyeux Calvaire (1996)Stardom (2000)Les Invasions barbares (2003)L'Âge des ténèbres (2007)Le Règne de la beauté (2014) La Chute de l'empire américain (2018)
Gabriel Arcand
Marcel Sabourin
René Caron
Dorothée Berryman
Dominique Michel
Rémy Girard
Pierre Curzi
Yves Jacques
Gilles Pelletier
Johanne Marie Tremblay
Gaston Lepage
Ellen David
Benoît Brière
Macha Grenon
Marie-Josée Croze

Notes et références

  1. « Les Prix du Québec - le récipiendaire Denys Arcand », sur www.prixduquebec.gouv.qc.ca (consulté le )
  2. « Arcand, Denys », sur l'Encyclopédie Canadienne (consulté le ).
  3. « Denys Arcand, un portrait pour la radio [BIOGRAPHIE] », sur ici.radio-canada.ca (consulté le )
  4. François-Olivier Dorais, « Marcel Trudel et Fernand Ouellet : deux historiens face à la « crise du séparatisme » », Bulletin d'histoire politique, vol. 25, no 3, , p. 124–144 (ISSN 1201-0421 et 1929-7653, DOI https://doi.org/10.7202/1039748ar, lire en ligne, consulté le )
  5. « Retournement et duplicité | La Cinémathèque québécoise » (consulté le )
  6. « Denys Arcand, un portrait pour la radio [BIOGRAPHIE] », sur ici.radio-canada.ca (consulté le ).
  7. « Denise Robert, productrice - Châtelaine », sur fr.chatelaine.com (consulté le ).
  8. « Bernard Arcand, 1945-2009 - L'anthropologue a été emporté par un cancer », sur Le Devoir (consulté le ).
  9. Nathalie Petrowski, « Gabriel Arcand: sculpter dans la neige », La Presse, (lire en ligne, consulté le ).
  10. « Le «besoin profond» de dire des choses importantes », sur Le Devoir (consulté le )
  11. « Denys Arcand : la tentation du lyrisme | La Cinémathèque québécoise » (consulté le )
  12. « Pourquoi Denys Arcand m'énerve », sur Le Devoir (consulté le )
  13. « Le Robin des Bois lettré du film d’Arcand », sur Le Devoir (consulté le )
  14. Jean, Marcel, 1963- et Coulombe, Michel, 1957-, Le dictionnaire du cinéma québécois, Montréal (Québec), Boréal, (ISBN 2-7646-0427-0 et 9782764604274, OCLC 1006893527, lire en ligne)
  15. « Québec : au-delà de la Révolution tranquille », Revue d’histoire de l’Amérique française, (lire en ligne)
  16. Gouvernement de René Lévesque (période pré-référendaire, du 25 novembre 1976 au 20 mai 1980) (lire en ligne), p. 50 à 56
  17. Office national du film du Canada, « Le confort et l'indifférence » (consulté le )
  18. « Le cinéma de Denys Arcand comme analyseur de la marche tranquille du Québec vers l’érotique sociale des nations », Sociologie et sociétés, (lire en ligne)
  19. « Le déclin de l'empire américain », sur l'Encyclopédie Canadienne (consulté le ).
  20. « Entretien avec Denys Arcand », Séquences, (lire en ligne)
  21. Jean, Marcel, 1963-, Dictionnaire des films québécois (ISBN 978-2-924283-67-7 et 2-924283-67-1, OCLC 900394181, lire en ligne)
  22. Ernest B. Akyeampong, « Le mouvement syndical en transition », L'emploie et le revenue en perspective, (lire en ligne)
  23. « Les relations du travail au Québec : bilan des années 1970 », Relations industrielles, (lire en ligne)
  24. « La Lutte des travailleurs d'hôpitaux | Canadian Educational, Sponsored & Industrial Film Archive », sur www.screenculture.org (consulté le )
  25. « Les Invasions barbares », sur l'Encyclopédie Canadienne (consulté le ).
  26. « Le cas Réjeanne Padovani », sur Le Devoir (consulté le )
  27. André Roy, « La barbarie à visage creux / Les invasions barbares, de Denys Arcand, Film réalisé par Denys Arcand. Photographie : Guy Dufaux; montage : Isabelle Dedieu; musique : Pierre Aviat; scénario : Denys Arcand. Québec-France 2003, 102 minutes », Spirale : Arts • Lettres • Sciences humaines, no 196, , p. 4–4 (ISSN 0225-9044 et 1923-3213, lire en ligne, consulté le )
  28. Mathieu Lapointe, Corruptions et réformes au fil du 20e siècle québécois : regard historique sur les commissions d’enquête ayant porté sur des thèmes reliés au mandat de la Commission Charbonneau, (lire en ligne)
  29. « «Réjeanne Padovani» à La Cinémathèque », sur Le Devoir (consulté le )
  30. « № 34-35, Denys Arcand : entretien, points de vue et filmographie | La Cinémathèque québécoise » (consulté le )
  31. Réal La Rochelle, Landry, Kenneth, 1945- et Lever, Yves, 1942-, Dictionnaire de la censure au Québec : littérature et cinéma, Fides, (ISBN 2-7621-2636-3 et 978-2-7621-2636-5, OCLC 63468049, lire en ligne), p. 45-50
  32. « Denys Arcand », sur Ordre de Montréal, (consulté le )
  33. « Première du film «Jésus de Montréal» », sur bilan.usherbrooke.ca (consulté le )
  34. « Oscar du meilleur film étranger: Gabrielle représentera le Canada », sur Le Soleil, (consulté le )
  35. « Les Invasions barbares, meilleur film en langue étrangère - Un Oscar pour nos «barbares» », sur Le Devoir (consulté le )
  36. Manon Dumais, « Marie-Josée Croze : La vie parisienne », sur Voir.ca (consulté le )
  37. « Blogue | Ecole Cinema Montréal | L'Institut Trebas », sur blog.trebas.com (consulté le )
  38. « Denys Arcand », sur La Presse+, (consulté le )
  39. « Les lauriers de César aux Québécois », sur Le Devoir (consulté le )
  40. Robert lepage, 887, Montréal, L'instant Même et Ex Machina, , 108 p. (ISBN 978-2-89502-386-9)

Voir aussi

Bibliographie

  • Arcand, Denys. « L'historien silencieux », dans Maurice Séguin, historien du pays québécois, sous la direction de Robert Comeau, Montréal, VLB Éditeur, 1987, p.  255-257.
  • Arcand, Denys. Hors champ : Écrits divers, 1961-2005, Montréal: Boréal, 2005.
  • Bergeron, Carl. Un cynique chez les lyriques. Denys Arcand et le Québec, Montréal: Boréal, 2012.
  • Coulombe, Michel. Denys Arcand. La vraie nature du cinéaste (entretiens), Montréal : Boréal, 1993.
  • La Rochelle, Réal Denys Arcand. L'ange exterminateur, Montréal : Leméac, 2004.
  • Loiselle, André et Brian McIllroy (éd.), Auteur/Provocateur. The Films of Denys Arcand, Westport : Praeger, 1995.

Articles connexes

Liens externes

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