Doomscrolling

Le doomscrolling (ou « défilement morbide[1] ») désigne le fait de passer une quantité excessive de temps d'écran consacré à l'absorption de nouvelles à prédominance négative, majoritairement de nature dystopique[2]. Une telle consommation pouvant à terme entraîner des réponses psychophysiologiques néfastes chez certains individus.[3]

Histoire

Origines

Le terme doomscrolling est originellement un mot valise, composé des mots anglais "doom" (fin, chute), connotant le mal et les ténèbres ainsi que "scrolling" (Faire défiler son écran).

Selon la journaliste financière Karen Ho, le terme serait apparu en premier lieu en sur le réseau social Twitter[4],[5]. Cependant, le mot pourrait avoir des origines encore plus anciennes et le phénomène lui-même est antérieur à l'invention du terme[6].

La pratique du doomscrolling pourrait être comparée à un phénomène antérieur datant des années 1970 appelé le syndrome du grand méchant monde : "La croyance que le monde est un endroit plus dangereux à vivre qu'il ne l'est en réalité, en raison d'une exposition au long terme à la violence au niveau de la télévision"[7].

D'autre part, des études montrent que prendre connaissance de nouvelles bouleversantes amène les gens à rechercher davantage d'informations sur le sujet[8], pouvant alimenter un cycle qui se perpétue.

Popularité

Le mot "doomscrolling" a gagné en popularité dans les médias[2],[9] pendant la pandémie de Covid-19, les manifestations consécutives à la mort de George Floyd, l'élection présidentielle américaine de 2020 et l'assaut du Capitole des États-Unis. Il est aussi régulièrement employé dans la perspective des conséquences globales du changement climatique.

L'ensemble de ces événements et les incertitudes (de nature sociale, politique, scientifique... etc...) en résultant ayant pu encourager davantage de personnes à s'adonner à ces pratiques [5],[10],[11]. Les réseaux sociaux amplifiant drastiquement le phénomène[12],[13].

Bien qu'actuellement non reconnu dans la majorité des dictionnaires, Merriam-Webster, entreprise américaine qui publie des dictionnaires, a indiqué « surveiller » le terme (pour désigner des mots de plus en plus utilisés dans la société qui ne répondent pas encore aux critères d'inclusion)[10] et Dictionary.com , dictionnaire anglophone en ligne, l'a choisi comme mot du mois en [14].

Explications

Biais de négativité

Le Doomscrolling peut être attribué au biais naturel de négativité que les personnes ont lorsqu'ils consomment des informations.[9] Le biais de négativité est l'idée que les événements négatifs possèdent un impact bien plus important sur le bien-être mental et les événements du quotidien que les événements positifs.[15] Jeffrey Hall, professeur d'études en communication à l'Université du Kansas à Lawrence, note qu'en raison de l'état de contentement régulier d'un individu, les menaces potentielles provoquent l'attention[16]. Un psychiatre du centre médical Wexner de l'Université d'État de l'Ohio a noté que l'ensemble des humains étaient "programmés pour être attirés par le négatif car cela peut directement leur nuire physiquement"[17]. Il cite l'évolution comme la raison pour laquelle les humains recherchent de telles informations négatives : si nos ancêtres, par exemple, découvraient comment une créature préhistorique pouvait les blesser, ils pouvaient agir afin d'éviter ce destin[6].

Contrairement aux humains primitifs, la plupart des personnes d’aujourd’hui peuvent ne pas se rendre compte qu'ils recherchent par eux-mêmes des informations négatives. Les algorithmes de médias sociaux tiennent compte du contenu dans lequel les utilisateurs s'engagent et affichent des publications de nature similaire, ce qui encourage la pratique du Doomscrolling[16]. Selon le directeur de la clinique de l'école de médecine de Perelman: « Les gens ont une question, ils veulent une réponse et supposent que l'obtenir les aidera à se sentir mieux... vous faites défiler perpétuellement votre écran. Beaucoup pensent que cela sera utile, mais ils finissent par se sentir encore plus mal par la suite. »[6]

Effets sur la santé

Effets psychologiques

Les professionnels de la santé ont indiqué qu'un doomscrolling excessif pouvait avoir un impact négatif sur les problèmes de santé mentale[18],[19],[20],[21]. Bien que l'impact global du doomscrolling sur les gens puisse varier[22], des études suggèrent un lien entre la consommation de mauvaises nouvelles et des niveaux plus élevés d'anxiété, de dépression, de stress, de crainte et d'isolation, allant même à des symptômes similaires au trouble de stress post-traumatique (TSPT) [23]

Des professeurs de psychologie de l' Université du Sussex menèrent une étude dans laquelle les participants ont visionné des informations télévisées composées « d'informations positives, neutres et négatives »[24]. L'étude a révélé que les participants qui regardaient les émissions avec des nouvelles négatives montraient une augmentation de l'anxiété, de la tristesse et des regrets personnels.

Une étude menée par des chercheurs en psychologie en collaboration avec le Huffington Post a révélé que les participants qui regardaient trois minutes d'informations négatives le matin étaient 27% plus susceptibles d'avoir déclaré avoir vécu une mauvaise journée entre 6 et 8 heures plus tard. Comparativement, le groupe qui a regardé des reportages portant sur les solutions positives avaient déclaré à 88 % avoir passé une bonne journée.

Effets physiques

Les experts suggérèrent également que la pratique du Doomscrolling pouvait perturber les habitudes de sommeil, réduire l'attention et provoquer une suralimentation[23]. Les cliniciens ont également découvert que les médias portant sur la culture de la peur (ou fearmongering) pouvaient également affaiblir la capacité d'une personne à supporter un traumatisme. Deborah Serani, professeur à l'Institut Gordon F. Derner d'études psychologiques avancées de l'Université Adelphi, affirme que ce type de média déclenche une opération défensive, où la première ligne de défense est l'encapsulation. Au cours de l'encapsulation, une personne « tente d'enfermer ou de sceller les représentations du traumatisme », ce qui entraîne un déni ou un désaveu. Les experts décrivent le phénomène similaire à l'acte de "se renfermer sur soi-même" ce qui peut à terme entraîner de la fatigue, un discours plat ainsi qu'un déclin cognitif.

Liens externes

Notes et références

  1. « Défilement morbide », Office québécois de la langue française, 2020 (consulté le )
  2. « Staying up late reading scary news? There's a word for that: 'doomscrolling' », Business Insider (consulté le )
  3. « Cross-national evidence of a negativity bias in psychophysiological reactions to news », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 116, no 38, , p. 18888–18892 (PMID 31481621, PMCID 6754543, DOI 10.1073/pnas.1908369116)
  4. (en) « Your 'Doomscrolling' Breeds Anxiety. Here's How To Stop The Cycle », NPR.org (consulté le )
  5. « Doomscrolling, explained », Vox, (consulté le )
  6. (en) « There's a Reason You Can't Stop Looking at Bad News—Here's How to Stop », Health.com (consulté le )
  7. (en-US) « Doomscrolling Is Slowly Eroding Your Mental Health », Wired (consulté le )
  8. (en) « Applying "Negativity Bias" to Twitter: Negative News on Twitter, Emotions, and Political Learning », Journal of Information Technology & Politics, vol. 12, no 4, , p. 342–359 (ISSN 1933-1681, DOI 10.1080/19331681.2015.1100225, lire en ligne)
  9. (en-US) « Why we're obsessed with reading bad news — and how to break the 'doomscrolling' habit », www.yahoo.com, (consulté le )
  10. (en) « On 'Doomsurfing' and 'Doomscrolling' », www.merriam-webster.com (consulté le )
  11. « The Doomscrolling Capital of the Internet », Time (consulté le )
  12. COVID-19 from the margins pandemic invisibilities, policies and resistance in the datafied society, Amsterdam, (ISBN 978-94-92302-73-1, OCLC 1245471697, lire en ligne)
  13. (en-US) « Americans who get news mostly through social media are least likely to follow coronavirus coverage », Pew Research Center's Journalism Project, (consulté le )
  14. (en-US) « The Dictionary.com Word Of The Year For 2020 Is ... », Dictionary.com, (consulté le )
  15. (en) « Bad is Stronger than Good », Review of General Psychology, vol. 5, no 4, , p. 323–370 (ISSN 1089-2680, DOI 10.1037/1089-2680.5.4.323)
  16. Megan Marples, « Doomscrolling can steal hours of your time -- here's how to take it back », CNN (consulté le )
  17. (en-US) « 'Doomscrolling' », The New York Times, (lire en ligne, consulté le )
  18. « Protecting the brain against bad news », CMAJ, vol. 193, no 12, , E428–E429 (PMID 33753370, DOI 10.1503/cmaj.1095928)
  19. (en) « This is the Way the World "Friends": Social Network Site Usage and Cultivation Effects », The Journal of Social Media in Society, vol. 9, no 1, , p. 1–21 (lire en ligne)
  20. (en) « Website reports only good news for a day, loses two thirds of its readers », The Independent, (consulté le )
  21. How do Good and Bad News Impact Mood During the Covid-19 Pandemic? The Role of Similarity, (DOI 10.31219/osf.io/sy2kd, lire en ligne)
  22. (en-US) « The Mean-World Syndrome », Thought Maybe (consulté le )
  23. (en) « 'Doomscrolling' During COVID-19: What It Does and How to Avoid It », Healthline, (consulté le )
  24. « The psychological impact of negative TV news bulletins: the catastrophizing of personal worries », British Journal of Psychology, vol. 88 ( Pt 1), no 1, , p. 85–91 (PMID 9061893, DOI 10.1111/j.2044-8295.1997.tb02622.x)
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