E-carburant
Les e-carburants sont une classe de carburants de remplacement qui sont fabriqués en utilisant de l'électricité issue de sources décarbonées, ce qui revient à stocker cette énergie dans les liaisons chimiques des carburants liquides ou gazeux[1],[2]. Les principales cibles sont le butanol, le biodiesel et l'hydrogène, mais aussi d'autres alcools et gaz carbonés comme le méthane et le butane.
Les e-carburants peuvent représenter une solution neutre s'ils s'avèrent moins chers que les carburants à base de pétrole, et les matières premières chimiques produites par électrosynthèse moins chères que celles raffinées à partir du pétrole brut. Ils pourraient également permettre de pallier l'intermittence des énergies renouvelables, en stockant sous forme de combustible liquide ou gazeux leur production excédentaire.
Recherche
L'une des principales sources de financement de la recherche sur les e-carburants liquides pour les transports est Electrofuels Program of the Advanced Research Projects Agency-Energy (ARPA-E), dirigée par Eric Toone[3]. ARPA-E, créé en 2009 sous la direction de Steven Chu, secrétaire à l'énergie du président Obama, constitue la tentative faite par le ministère de l'énergie (DOE) de reproduire Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA), dont l’efficacité n’est plus à prouver. Parmi les exemples de projets financés dans le cadre de ce programme, mentionnons les travaux d'OPX Biotechnologies sur le biodiésel dirigés par Michael Lynch[4] et le travail de Derek Lovley sur l'électrosynthèse microbienne à l'Université du Massachusetts Amherst[5], qui aurait produit le premier e-carburant liquide utilisant du CO2 comme matière première. La description de tous les projets de recherche ARPA-E Electrofuels Program se trouve sur leur site web.
À partir de 2014, à la suite du boom de la fracturation hydraulique, ARPA-E a délaissé les « ressources électriques » au profit des matières premières à base de gaz naturel, et a donc négligé les e-carburants[6].
La première conférence sur les e-carburants, parrainée par l'American Institute of Chemical Engineers, s'est tenue à Providence (Rhode Island) en novembre 2011[7]. Lors de cette conférence, le directeur Eric Toone déclare que « 18 mois après le début du programme, nous savons qu'il marche. On doit savoir si on peut faire en sorte que ça ait de l'importance ». Plusieurs groupes ont dépassé le stade de la faisabilité et s'efforcent de passer à une plus grande échelle, ce de façon rentable.
À partir de 2016, Audi investit dans la création d'une usine de 6 MW en Allemagne afin de produire du méthane. Ce site de production utilise de l'électricité issue du parc éolien allemand et du CO2 sous-produit du traitement du biogaz[8]. Par la suite, Audi développe d'autres systèmes de production d'e-essence et e-diesel[9].
En Suisse, l'EMPA étudie et publie des exemples de carburants alternatifs synthétiques[10].
Porsche développe, avec Siemens, un projet dans la province de Magallanes, au Chili : l'électricité produite par des éoliennes est utilisée pour obtenir de l'hydrogène par électrolyse, puis pour combiner cet hydrogène à du CO2 prélevé dans l'atmosphère afin de produire du e-méthanol. La production prévue est de 130 000 litres d'essence de synthèse d'ici à la fin de 2022, 55 Ml (millions de litres) en 2024 et 550 Ml en 2026[11].
Potentiel et coûts
Le think-tank allemand Agora-Energiewende publie en septembre 2018 une étude sur le potentiel et les coûts prévisionnels des combustibles synthétiques produits à partir d'électricité renouvelable. Ses principales conclusions sont : 1) les e-carburants joueront un rôle important dans la décarbonation de la chimie, de l'industrie et d'une partie des transports ; leur coût plus élevé que l'usage direct de l'électricité rend leur pénétration dans d'autres secteurs incertaine ; 2) pour être compétitives, les installations de conversion d'électricité en gaz et en carburants liquides nécessitent de l'électricité à bas coût et à facteur de charge important (longue durée de fonctionnement) ; la seule utilisation des excédents des énergies renouvelables ne suffira pas pour couvrir la demande et rentabiliser l'énergie grise des installations ; il faudra construire des centrales électriques explicitement dédiées à la production d'e-carburants, par exemple des centrales éoliennes offshore en Mer du nord ou des centrales solaires en Afrique du nord ou au Moyen-Orient ; 3) le coût des e-carburants (méthane et carburants liquides) se situera initialement entre 20 et 30 c€/kWh, puis pourra baisser à 10 c€/kWh si leur capacité de production mondiale atteint 100 GW ; une telle réduction de coût requiert des investissements massifs et continus en électrolyseurs et en capteurs de CO2 ; ceci ne sera possible qu'avec une intervention politique ou des prix de carbone élevés. 4) Les e-carburants ne sont pas à eux seuls une alternative aux combustibles fossiles, mais ils peuvent complémenter les technologies dotées de moindres pertes de conversion, telles que les véhicules électriques et les pompes à chaleur[12].
Selon The Shift Project, les besoins incompressibles en combustibles liquides ou gazeux vont rester importants. Outre des efforts accrus de sobriété, plusieurs voies sont possibles pour les décarboner, entre lesquelles il faudra arbitrer : produire ou importer plus d'agrocarburants et de biogaz, produire du dihydrogène par électrolyse de l'eau, produire du méthane et des combustibles liquides par conversion d'électricité. Chacune de ces voies présente des contraintes ou des limites importantes. Ainsi, la production de dihydrogène et de carburants synthétiques nécessite de très grandes quantités d'électricité[13] décarbonée (au bénéfice de l'équilibrage entre offre et demande du système électrique, qui s'en voit quelque peu facilité)[14],[15]. Incidemment, cette importante augmentation de la demande en électricité permettrait en France de faire baisser la part relative du nucléaire dans la production électrique, en ne fermant que peu de centrales[16].
En Allemagne, le Conseil des experts environnementaux (de) préconise, en raison de leur inefficacité, de réserver les e-carburants aux seuls secteurs de l'aviation et du transport maritime, secteurs où il n'est pas possible d'utiliser l'électricité du réseau directement[17]. Selon la Fédération européenne pour le transport et l'environnement (T&E), une voiture électrique présente un rendement de 73 %, tandis que dans le cas d'une voiture à e-hydrogène, le rendement tombe à 23 %, et même 13 % pour une voiture thermique alimentée par un e-carburant[T&E 1]. Dans ces conditions, toujours compte-tenu de leur inefficacité, T&E demande que les e-carburants ne soient utilisés que dans le domaine où ils s'avèrent selon eux strictement nécessaires[18], à savoir l'aviation[T&E 2],[T&E 3]. Mis à part les camions à batterie (BEV), dont la batterie est très lourde, et les camions dotés de caténaires (OC-BEV), les e-camions utilisant les e-carburants affichent un mauvais rendement[T&E 4],[T&E 5]. La Fabrique de l'industrie souligne également l'inefficacité des e-carburants[19],[20].
Politique énergétique
Le 27 juin 2022, les ministres de l'Environnement des Vingt-Sept ont acté, après la Commission européenne et les députés européens,l'arrêt des ventes de voitures thermiques après 2035. Mais ils ont prévu, sur la demande de l'Allemagne soutenue par l'Italie, une clause de revoyure en 2026 pour reconsidérer la question des moteurs hybrides rechargeables et celle des carburants de synthèse. Cependant le coût de ces carburants est encore rédhibitoire en 2022 : près de 10 dollars le litre ; de plus, ce procédé n'élimine pas les émissions d'oxyde d'azote (NOx) et rejette plus de monoxyde de carbone et d'ammoniac que les carburants fossiles[11].
Le 28 juin 2022, le Conseil des ministres des Transports de l'Union européenne fixe un calendrier pour la progression du taux d'incorporation des carburants synthétiques dans les carburants de l'aviation : 0,4 % en 2025, à 2 % en 2030, 5 % en 2035, 13 % en 2040, 27 % en 2045 et 50 % en 2050[21].
Références
Notes
Références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Electrofuel » (voir la liste des auteurs).
De la Fédération européenne pour le transport et l'environnement :
- (en) « E-fuels too inefficient and expensive for cars and trucks, but may be part of aviation's climate solution – study » [« Les e-carburants sont trop inefficaces et trop chers pour les voitures et les camions, mais pourraient faire partie de la solution climatique pour l'aviation - étude »], sur Fédération européenne pour le transport et l'environnement, .
- (en) « FAQ: the what and how of e-kerosene » [« FAQ : le quoi et le comment de l'e-kerosène »] [PDF], sur Fédération européenne pour le transport et l'environnement, .
- (de) « Neue Analyse bestätigt: Autos mit E-Fuels sind weit weniger umweltfreundlich als Elektroautos » [« Une nouvelle analyse le confirme : les voitures utilisant des e-carburants sont bien moins écologiques que les voitures électriques »], sur Fédération européenne pour le transport et l'environnement, .
- (en) « How to decarbonize long-haul trucking in Germany ? » [« Comment décarboniser le transport routier sur longue distance en Allemagne ? »] [PDF], sur Fédération européenne pour le transport et l'environnement, , p. 38.
- (en) « Electrofuels? Yes, we can ... if we’re efficient » [« Les e-carburants? Oui, nous le pouvons... si nous sommes efficaces »] [PDF], sur Fédération européenne pour le transport et l'environnement, , p. 30.
Autres références
- (en) Derek Lovley, « Microbial Electrosynthesis: Feeding Microbes Electricity To Convert Carbon Dioxide and Water to Multicarbon Extracellular Organic Compounds », mBio, vol. 1, no 2, , e00103-10 (PMID 20714445, PMCID 2921159, DOI 10.1128/mBio.00103-10)
- Steven Y. Reece, Jonathan A. Hamel, Kimberly Sung, Thomas D. Jarvi, Arthur J. Esswein, Joep J. H. Pijpers et Daniel G. Nocera, « Wireless Solar Water Splitting Using Silicon-Based Semiconductors and Earth-Abundant Catalysts », Science, vol. 334, no 6056, , p. 645–648 (PMID 21960528, DOI 10.1126/science.1209816)
- « ELECTROFUELS: Microorganisms for Liquid Transportation Fuel », ARPA-E (consulté le )
- « Novel Biological Conversion of Hydrogen and Carbon Dioxide Directly into Free Fatty Acids » [archive du ], ARPA-E (consulté le )
- « Electrofuels Via Direct Electron Transfer from Electrodes to Microbes » [archive du ], ARPA-E (consulté le )
- (en) David Biello, « Fracking Hammers Clean Energy Research », Scientific American, (lire en ligne, consulté le ) :
« The cheap natural gas freed from shale by horizontal drilling and hydraulic fracturing (or fracking) has helped kill off bleeding-edge programs like Electrofuels, a bid to use microbes to turn cheap electricity into liquid fuels, and ushered in programs like REMOTE, a bid to use microbes to turn cheap natural gas into liquid fuels. »
- « SBE's Conference on Electrofuels Research », American Institute of Chemical Engineers (consulté le ).
- (en) Industrial 6.3 MW PtG plant (Audi e-gas plant), ETOGAS GmbH, consulté le 11 janvier 2016.
- E-gasoline.
- « L'avenir de la mobilité est varié », sur le site du Conseil fédéral (Suisse), (consulté le )
- Automobile : les carburants de synthèse, dernière planche de salut du moteur thermique, Les Échos, 29 juin 2022.
- (en) The Future Cost of Electricity-Based Synthetic Fuels, Agora-energiewende.de, 19 septembre 2018.
- « L’hydrogène, trop gourmand en énergie pour être écologique », sur Reporterre, .
- « Document de travail - Énergie » [PDF], sur The Shift Project, .
- « Document de travail - Énergie » [PDF], sur The Shift Project, .
- « Hydrogène nucléaire: la France a trouvé l’astuce », sur Éditions techniques de l'ingénieur, .
- (de) « Umsteuern erforderlich: Klimaschutz im Verkehrssektor » [« Un changement de cap s'impose : la protection du climat dans le secteur des transports »] [PDF], sur Conseil des experts environnementaux (de), , p. 89.
- (en) « Potential and risks of hydrogen-based e-fuels in climate change mitigation » [« Potentiel et risques des e-carburants à base d'hydrogène dans l'atténuation du changement climatique »] [PDF], sur Nature, .
- « Comment décarboner le transport routier en France ? », sur connaissancedesenergies.org, .
- (de) « Batterieelektrisch vs. Brennstoffzelle (H2) vs. Power-to-X im Straßenverkehr: Energieeffizienz, Wirkung auf das Energiesystem, Infrastruktur, Kosten und Ressourcen » [« batterie électrique vs. pile à combustible (H2) vs. Power-to-X dans le transport routier : efficacité énergétique, impact sur le système énergétique, infrastructure, coûts et ressources »], sur zukunft-mobilitaet.net, .
- Quotas CO2, carburants durables : l'Europe avance vers l'avion décarboné, Les Échos, 29 juin 2022.
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- (de) Synthetische Kraftstoffe – Energieträger der Zukunft? [« Carburants synthétiques: vecteurs énergétiques d'avenir?»], ADAC,
- (en) Electricity-based Fuels: As much as needed for the sake of the climate, as little as possible for the sake of efficiency, sur agora-verkehrswende.de
- Convertir le CO2 en kérosène : une piste pour le secteur aérien dans le « monde d’après », connaissancedesenergies.org, 11 mai 2020
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