Essence (concept)

Le concept d'essence (du latin essentia, du verbe esse, être, parent du grec ousia) désigne en métaphysique une distinction de l'être. Il désigne « ce que la chose est », par opposition au concept d'existence qui lui définit « l'acte d'exister ». Accident au contraire, se dit de ce qui appartient à un être et peut en être affirmé avec vérité, mais n’est pourtant ni nécessaire ni constant[1].

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La distinction entre essence et existence est souvent confondue avec celle entre substance et accidents. Cette distinction intervient pour traiter du problème du changement : la substance est ce qui est constitutif d'un être, ce qui persiste dans l'être au cours d'un changement. Les accidents sont les propriétés susceptibles d'être modifiées. Par exemple, la cire de la chandelle de Descartes est solide tandis que la cire fondue qui coule le long de son chandelier est liquide : il y a eu changement d'un accident (solide/liquide) mais non de substance (la cire reste de la cire).

Pour résumer, l'essence est ce qui répond à la question du « qu’est-ce que » pour un être, tandis que la substance permet d'en dégager la nature « essentielle » et invariante.

La distinction entre essence et existence prend un nouveau relief dans la philosophie de Jean-Paul Sartre qui applique cette distinction à l'Homme. Il affirme, dans L'existentialisme est un humanisme, que « l’existence précède l'essence ». L'homme existe avant d'être défini, et ce sont ses actions qui définiront son essence, donc ce qu'il est. Ceci va à rebours de la métaphysique classique qui à la suite de Platon pense que l'existence est une réalisation d'une essence prédéfinie.

L'accident chez Aristote

Selon Aristote, les accidents sont la forme, la couleur, le poids, l'hauteur, la température, la grandeur, l'état et toute autre changement non permanente qui s'applique à la substance, qui elle, ne change pas. L'accident s'applique à la substance.

L'accident est un concept philosophique d'origine aristotélicienne. Il désigne tout « ce qui appartient à une chose et qu'on peut dire vrai d'elle mais non de façon nécessaire ni de façon générale » : accidentelle est par exemple la découverte d'un trésor par celui qui creuse pour planter un arbre ; en effet cela ne se produit ni toujours (ou nécessairement) ni généralement (Métaphysique 30-, 1025 a 14 et suivant E, 2, 1026 b et suivant). Aristote fait la différence entre propriétés accidentelles (occasionnelles) et propriétés essentielles (persistantes ou éternelles) d'un être : l'accident est ce qui appartient à chaque chose pour soi mais qui n'entre pas dans son essence.

Le statut ontologique

Platon voyait l’essence comme idée[2]. Les individus de cette espèce, sont les choses sensibles; ils sont des copies ou des imitations imparfaites des idées. Les idées sont des modèles. Les idées sont pures et éternelles, sont séparées du monde des sens, et sont la réalité authentique.

Les philosophes réalistes croyaient que l’essence était séparée des choses, qu’elle les déterminait. Par exemple, l’idée de la beauté, en ce qui concerne les belles choses. Platon est un réaliste[3] (ou un idéaliste objectif) : ce réalisme métaphysique consiste à soutenir la thèse de l'existence de formes ou d’archétypes extérieurs et indépendants de nous, archétypes qui servent de modèles aux choses du monde sensible, au devenir. Ce sont ces archétypes qui constituent la réalité de toutes choses, leur essence par quoi nous pouvons les penser, permettant ainsi à la science et la philosophie, d'avoir une assise immuable. La réalité des choses sensibles, est inférieure. Les choses du monde sensible, en perpétuel devenir, participent à ces archétypes ou formes, dont elles reçoivent le nom[4]. L'image est un peu celle d’un moule et des beignets qu’il fabriquerait et dont la similitude suggérerait l’existence[5].

Edmund Husserl propose une fausse idealität de l’essence : l’essence fait l'objet intentionnel : ce qui est vis-à-vis à la conscience[6]. L'essence fait ainsi pour lui l'objet de ce qu'il appelle l'eidétique. Comme réalité en soi, existant indépendamment de la subjectivité intentionnelle constituante, l'essence est encore objet de l'ousiologie.

Théorie de la connaissance

Dans le domaine de la connaissance, cette distinction signifie que l'essence est la condition de possibilité de la définition et du concept, car ce qu'est une chose est pour elle nécessaire et identique à soi. Ainsi, la nécessité est l'objet du discours scientifique. Un cercle dessiné sur un tableau existe en tant que dessin, mais son identité, elle, revient à définir le cercle.

Pour autant, toutes les essences ne se valent pas quand on vient à les connaître en tant que telles, c'est-à-dire en tant que réalité : Platon distingue ainsi réalité sensible et réalité intelligible ou idéelle, la première ne tenant son essence que de la seconde ; mais les secondes échappent à la connaissance commune des hommes, qui manquent donc une part de réalité.

Essence et existence

L'essentialisme assure que l’existence est empirique et ne permet pas de connaître les êtres : c'est le domaine de l'accidentel et du contingent, du multiple et de l'altérité irréductible. À l'inverse, l'existentialisme place l'essence comme le fruit non contingent de l'existence du sujet. Chez Heidegger, l'essence de l’homme consiste à se comprendre en tant qu'être-là, i.e. en tant qu'existence. Dans le premier cas, dont Descartes est un représentant, l'abstraction essentielle de l'existence donne l'essence, et inversement dans le second, comme chez Sartre. L'école anglo-saxonne, autour de Bertrand Russell, estime que l’on ne peut parler d'essence que des objets conçus dans un but, et non dans le cas de produits de la nature. La notion de téléonomie à partir de 1965[7] caractérisera la différence subtile entre une conception initiale (volontariste) telle que l’imaginait le créationnisme et évolution contrainte (stochastique) telle que suggérée par le mécanisme darwinien.

Essence et apparence

L'apparence apparaît comme le contraire de la réalité (res, rei : chose), qui n'est pas dans le domaine de l'idée : en effet, on distingue aisément l'idée, de la chose dont on a une idée. Cette distinction introduit le questionnement métaphysique sur la réalité des apparences, et sur sa pluralité qui s'oppose à l'identité de l'essence.

Utilisations du concept d'essence

En éthique : l'essence comme structure normative

L'essence étant le ce que c'est d'un être, elle en est la structure normative ; en conséquence, pour l'homme, le fait d'être humain impose des règles à l'individu singulier, dont l'individuation contingente est inessentielle et ne fonde donc aucune valeur éthique. L'éthique sera alors pour un homme particulier l'effort de son existence à rejoindre son essence (son être humain).

Dans la théologie catholique médiévale

En théologie thomiste, il est admis qu'en Dieu l'essence et l'existence sont une seule et même chose ; Dieu est de par sa propre essence, son essence (sa définition, en quelque sorte) est d'exister (« Je suis celui qui est », dans le Livre de l'Exode, 3, 14). En revanche, l'essence de l'homme n'implique pas l'existence. L'homme est donc un étant qui tient son existence d'autre chose ; c'est cette relation de dépendance qui fonde le lien religieux de la créature à son créateur. L'homme ne serait pas sans Dieu.

Dans les traditions ésotériques

Dans le gnosticisme, l'essence correspond à l'âme, que possèdent psychiques et pneumatiques.

Dans les enseignements de l'ésotériste Georges Gurdjieff, « l'essence est purement émotionnelle. Elle est tout d'abord le résultat des données héréditaires qui précèdent la formation de la personnalité et, plus tard, uniquement celui de l'influence ultérieure des sensations et des sentiments au milieu desquels l'homme vit, se développe. (...) Le centre de gravité de l'essence est le centre émotionnel »[8].

Critique

La critique de cette distinction passe habituellement par la négation de l'essence, soit comme réalité, soit comme être intelligible par l'homme. C'est le cas par exemple dans le scepticisme et chez Nietzsche. Cette négation se transforme parfois en nihilisme, puisqu'il n'est plus possible de faire de la réalité un objet intelligible doué de sens et que les valeurs de l'éthique ne trouvent plus aucun fondement certain.

Un argument contre le concept d'essence est que le devenir n'admet aucune réalité stable, car l'idée d'un être immuable est contradictoire, et que ce que l'on nomme essence n'est qu'un agrégat éphémère de forces ou d'atomes. La conséquence de la négation de l'essence est l'affirmation de la seule existence. René Descartes s'est dit être une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser[9]. Jean-Paul Sartre définit l'essence : c'est tout ce que la réalité humaine saisit d'elle-même comme ayant été[10].

Notes et références

  1. Aristote, Métaphysique, Livre V
  2. « eidos »
  3. au sens qui opposera réalistes et nominalistes au Moyen Âge. Bertrand Russell fera remarquer qu’au XXe siècle on aurait plutôt permuté ces deux appellations
  4. Parménide (VI, 132-133)
  5. Le XXe siècle en offrira un écho par l’approche objet en informatique, mais aussi dans l'affirmation d'un monde platonicien « réel » par le physicien et mathématicien Roger Penrose
  6. Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique, 3 & 4
  7. Jacques Monod, Le hasard et la nécessité
  8. Gurdjieff parle à ses élèves, p.179-180, Eds. du Rocher
  9. Discours de la Méthode (4e partie)
  10. « L'essence, comme « tout ce que la réalité humaine saisit d'elle-même comme ayant été ». » (L'Être et le Néant, 1re partie, chap. 1)

Bibliographie

  • Edmund Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. Drittes Buch: Die Phänomenologie und die Fundamente der Wissenschaften.Hrsg. Marley Biemel.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

  • Statut ontologique de l'essence
  • La phénoménologie comme « point de vue »
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