Esther Duflo

Biographie

Enfance et études

Esther Duflo naît le à Paris dans une famille protestante[1],[2]. Son père est le mathématicien Michel Duflo[3] et sa mère est médecin pédiatre et participe régulièrement à des actions humanitaires en tant que médecin[2]. Esther Duflo a un frère et une sœur[4]. La famille grandit à Asnières (Hauts-de-Seine)[5].

Dans sa jeunesse, Esther pratique le scoutisme au sein des Éclaireuses et Éclaireurs unionistes de France. Elle est responsable du groupe local de Bois-Colombes[6],[7]. Elle travaille aussi comme bénévole dans plusieurs ONG[8].

Après avoir obtenu son baccalauréat, Esther Duflo entre en classe préparatoire « lettres et sciences sociales » (B/L) au lycée Henri-IV à Paris[5]. Elle est classée 4e au concours d'entrée de l'École normale supérieure en 1992, groupe « sciences sociales »[9], où elle commence par étudier l'histoire[5].

Elle obtient sa maîtrise d'histoire (avec un mémoire sur le premier plan quinquennal de l'URSS) et d'économie en 1994, après dix mois passés à Moscou en 1993[2]. Sur les conseils de Thomas Piketty, elle se tourne vers l'économie appliquée[10],[11]. Esther Duflo, après avoir intégré l'École normale supérieure, avait également suivi le magistère d'économie de Paris-I de 1992 à 1993, avant de faire le DEA APE de l'EHESS et une thèse au MIT. En 1996, elle obtient l'agrégation de sciences économiques et sociales[12],[11],[13].

Elle est aussi à cette époque assistante de recherche de Jeffrey Sachs et de Daniel Cohen[5],[14].

Thèse et début de carrière

En 1999, elle soutient sa thèse de doctorat au département d'économie de l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT), sous la direction de l'économiste indien Abhijit Banerjee[15]. Sa thèse, intitulée Three Essays in Empirical Development Economics (Trois essais sur l'économie empirique du développement), est consacrée à l'évaluation économique des projets de développement[16]. La même année, elle intègre le département d'économie du MIT comme assistant professor. En 2002, à l'âge de 29 ans, elle accède au poste de professeur associée[3]. Après une année en détachement à l’université de Princeton, elle est titularisée au MIT et obtient le titre de professeur en 2004, à l’âge de 32 ans[17]. Ce retour au MIT s'accompagne de la création du Poverty Action Lab[2] (voir Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab)[5].

Carrière

Esther Duflo est corédactrice des revues Review of Economics and Statistics et Journal of Development Economics ; en 2007, elle est nommée rédactrice fondatrice de la revue American Economic Journal: Applied Economics.

Fin 2012, elle est nommée au sein du President’s Global Development Council, un organisme américain chargé de conseiller le président des États-Unis Barack Obama ainsi que les hauts dirigeants de l’administration sur les questions de développement[18],[19].

En 2015, elle est codirectrice de J-Pal (Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab, laboratoire Abdul Latif Jameel d'action contre la pauvreté) au MIT[20], dans lequel elle joue un rôle majeur du point de vue scientifique comme de celui de la gestion et de la levée de fonds. Par ailleurs, Esther Duflo détient la première chaire internationale « Savoirs contre la pauvreté »[21] au Collège de France[5],[22], soutenue par l'Agence française de développement[23].

Membre de à l'Académie américaine des arts et des sciences[24], de l'Académie des technologies[16] et membre correspondant de la British Academy[25], elle siège depuis 2018 au Conseil scientifique de l'Éducation nationale[26].

Elle obtient en 2019 le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel aux côtés de son époux Abhijit Banerjee et de Michael Kremer, pour leurs travaux sur la lutte contre la pauvreté[27],[28].

En 2020, elle accepte l’invitation de l’École d'économie de Paris (PSE) et de l’université Paris sciences et lettres (PSL) à un séjour d’enseignement et de recherche durant l’année scolaire 2020-2021[29].

Vie privée

Esther Duflo possède la nationalité américaine depuis 2012[30]. Elle parle l'anglais, l'allemand et le russe[5].

Elle épouse l'économiste et universitaire Abhijit Banerjee en 2015. Ensemble ils ont deux enfants : Noémie, née en 2012, et Milan, né en 2014[31].

Issue d'une famille de gauche, elle se considère elle-même comme de « la gauche pragmatique »[5].

Travaux

Son domaine de recherche est l'économie du développement, en particulier la santé, l'éducation, l'accès au crédit, en passant par la lutte contre la corruption.

Méthode

Avec Michael Kremer, Abhijit Banerjee, Jeff Carpenter, John List et Sendhil Mullainathan, elle est une pionnière du développement d'un certain type d'expériences de terrain. Sa méthode consiste en l'étude d'une question limitée et précise, avec comparaison entre un groupe témoin et un groupe d'expérience, tirés au hasard. Ces essais randomisés contrôlés sont classiques en biologie, mais plus rares en économie. Ils sont devenus - en partie sous son impulsion - bien plus courants dans la discipline. Alors qu'ils n'étaient pratiquement jamais mentionnés dans la littérature dans les années 1980, 10 % des articles publiés en 2016 mentionnent ces « Randomized Controlled Trials » (RCTs)[réf. nécessaire][32]. Parce qu'on considère souvent que ce type d'expérience a une bonne validité interne, on qualifie parfois l'émergence de ces méthodes comme participant de la controversée révolution de crédibilité, révolution dont Esther Duflo serait ainsi une des actrices majeures.

Elle décrit sa méthode de travail comme « vraiment micro. Mes projets portent toujours sur une question simple, épurée, qui a trait à la réaction des gens dans un contexte précis[14]. » Sous l’impulsion de son groupe de recherche, ce genre de méthode devient courant dans les agences d'aide au développement et à la Banque mondiale[2].

Réputation

L'hebdomadaire américain The New Yorker la qualifie « d'intellectuelle française de centre gauche qui croit en la redistribution et qui souscrit à la notion optimiste que demain sera peut-être meilleur qu'aujourd'hui[2],[33]. »

Critiques

Denis Clerc, qui reconnaît ses mérites dans l'analyse des « pièges à pauvreté » et le test de l’efficacité de tel ou tel dispositif pour sortir de la pauvreté grâce à une amélioration des conditions de vie, explique que son approche bottom up (par le bas) est efficace et innovante et permet de rompre avec le fatalisme. Mais il ne faut pas pour autant oublier le volet top down pour lutter contre trois fléaux : la mauvaise gouvernance et la corruption, les guerres civiles et l’insuffisance de moyens financiers pour les services publics de santé et d’éducation, et les infrastructures indispensables[34]. Esther Duflo, elle, considère que « le discours sur la mal-gouvernance, on l'entend souvent dans la bouche de gens de droite : il leur sert d'argument pour ne rien faire ou réduire les budgets »[5].

Gaël Giraud, ancien économiste en chef de l’Agence française de développement (AFD), affirme également que les essais aléatoires menés par le J-Pal au MIT sont extrêmement coûteux et donnent des résultats qui varient trop selon le lieu et l’époque pour en déduire une loi générale. De plus le J-PAL n'a pas de réflexion approfondie sur l'éthique de l'expérimentation sur des êtres humains[35].

Pour Arthur Jatteau et Agnès Labrousse[Qui ?], les méthodes randomisées ne sont applicables qu'à des mesures d'aide simples et le coût des études est élevé. Le groupe témoin est privé de la mesure concernée. Il serait en fait possible de dispenser cette aide à l'ensemble de la population avec le même budget si l'on ne faisait pas l'étude. Pour les deux économistes, il serait dommage de se borner à ce type d'étude qui ne donne aucune explication au niveau macroéconomique ou même sur les questions microéconomiques d'importance. De plus, la méthode n'est pas si nouvelle, ayant été utilisée dans les sciences sociales dès les années vingt, comme à Chicago, sur une étude sur la participation électorale et en économie en 1968 sous l'impulsion d'une doctorante du MIT, Heather Ross[36]

Distinctions

Décorations

Médailles et prix

Doctorats honoris causa

Esther Duflo a reçu plusieurs doctorats honoris causa :

Classements

En mai 2008, le magazine américain Foreign Policy la fait figurer sur sa liste des 100 premiers intellectuels mondiaux[50].

En 2010, Foreign Policy la classe 38e dans sa liste des 100 premiers penseurs mondiaux (Top 100 Global Thinkers)[51], 60e en 2011[52], puis 62e en 2012[53].

En 2011, le magazine américain Time la fait figurer sur sa liste des 100 personnes les plus influentes au monde[54].

Publications

  • Expérience, science et lutte contre la pauvreté : [leçon inaugurale au Collège de France prononcée le jeudi 8 janvier 2009], Paris, Fayard, , 74 p. (ISBN 978-2-213-64412-7)[55]
  • Le Développement humain. Lutter contre la pauvreté (I), Paris, Le Seuil / République des idées, , 103 p. (ISBN 978-2-02-101474-7)[56]
  • La Politique de l'autonomie. Lutter contre la pauvreté (II), Paris, Le Seuil / République des idées, , 103 p. (ISBN 978-2-02-101187-6)[56]
  • avec Abhijit V. Banerjee (trad. de l'anglais), Repenser la pauvreté, Paris, Le Seuil / Les Livres du Nouveau Monde, , 422 p. (ISBN 978-2-02-100554-7)
  • avec Abhijit V. Banerjee (trad. de l'anglais), Économie utile pour des temps difficiles, Paris, Le Seuil, , 504 p. (ISBN 978-2-02-136656-3)
  • Afia Qui saura la guérir ? (ill. Cheyenne Olivier), Paris, Le Seuil, coll. « Seuil jeunesse / La pauvreté expliquée par Esther Duflo », (ISBN 9791023516210)
  • Bibir Un coup de pouce pour la sorcière (ill. Cheyenne Olivier), Paris, Le Seuil, coll. « Seuil jeunesse / La pauvreté expliquée par Esther Duflo », (ISBN 9791023516869)
  • Neso et Najy Même pas peur de la grande ville ! (ill. Cheyenne Olivier), Paris, Le Seuil, coll. « Seuil jeunesse / La pauvreté expliquée par Esther Duflo », (ISBN 9791023516227)
  • Nilou Fini l'école buissonnière ! (ill. Cheyenne Olivier), Paris, Le Seuil, coll. « Seuil jeunesse / La pauvreté expliquée par Esther Duflo », (ISBN 9791023516203)
  • Oola En avant les élections ! (ill. Cheyenne Olivier), Paris, Le Seuil, coll. « Seuil jeunesse / La pauvreté expliquée par Esther Duflo », (ISBN 9791023516876)

Notes et références

  1. « Les protestants de Bois-Colombes fiers de "leur" prix Nobel Esther Duflo », sur leparisien.fr,
  2. (en) Ian Parker, « The Poverty Lab », The New Yorker, (lire en ligne).
  3. Marie-Laure Delorme, « Intellectuelle de terrain », Journal du dimanche, (lire en ligne).
  4. « Esther Duflo : des neurones contre la misère », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
  5. Catherine Simon, « Esther Duflo : des neurones contre la misère », Le Monde, , p. 13 (lire en ligne).
  6. Laure Salamon, « Esther Duflo, une protestante, prix Nobel d’économie », Réforme, (lire en ligne).
  7. « Esther Duflo, prix Nobel d’économie et éclaireuse », sur Éclaireuses et Éclaireurs Unionistes de France (consulté le ).
  8. Laurent Grzybowski, « Quand La Vie rencontrait Esther Duflo, prix Nobel d'économie », La Vie, (lire en ligne).
  9. Arrêté du 17 septembre 1992 fixant la liste de classement au concours 1992 pour l'entrée à l'Ecole normale supérieure, section des lettres, premier concours (lire en ligne).
  10. « Race Matters - Esther Duflo », sur www.racematters.org (consulté le ).
  11. « Biographie d'Esther Duflo », sur Collège de France, .
  12. « Esther Duflo - agrégée de sciences sociales », sur societedesagreges.net.
  13. « Agrégations », sur lemonde.fr,
  14. Asimina Caminis, « La politique économique à l'épreuve des faits. Des expériences en situation réelle qui livrent des résultats surprenants » in FMI, Finances et développement, septembre 2003.
  15. « Esther Duflo prix Nobel d'économie: ce qu'il faut savoir pour comprendre son succès », sur huffingtonpost.fr,
  16. Anne Châteauneuf-Malclès, « Esther Duflo, première économiste du développement honorée par la Médaille Clark », sur Département SES de l'ENS Lyon, .
  17. François Bourguignon, « Savoirs contre pauvreté ! », Libération, (consulté le ).
  18. (en) President Obama Announces More Key Administration Posts
  19. (en) Voir sur wikisource.org l'ordre exécutif n° 13600 du 9 février 2012 qui crée cet établissement.
  20. « The Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab », sur www.povertyactionlab.org (consulté le ).
  21. Leçon inaugurale : « Expériences, Science et Lutte contre la pauvreté ».
  22. « Décret de nomination »
  23. « Esther Duflo, une économiste en lutte contre la pauvreté », sur lejournal.cnrs.fr,
  24. (en) « MIT economists Esther Duflo and Abhijit Banerjee win Nobel Prize », sur mit.edu,
  25. (en) « Professor Esther Duflo FBA », sur thebritishacademy.ac.uk
  26. « Le conseil scientifique de l'éducation nationale, au service de la communauté éducative », sur education.gouv.fr,
  27. « Le Nobel d’économie à Esther Duflo, Michael Kremer et Abhijit Banerjee pour leurs travaux sur la lutte contre la pauvreté », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
  28. « Esther Duflo, un choix inédit pour le Nobel d’économie 2019 », sur lemonde.fr,
  29. « Esther Duflo et Abhijit Banerjee rejoignent l’ENS-PSL et PSE », sur www.psl.fr,
  30. (en) « Renowned French economist to join Obama’s team », sur France 24, (consulté le )
  31. Laure Salamon, « Esther Duflo, portrait d’une économiste engagée », Réforme, (lire en ligne)
  32. (en) Henrik Jacobsen Kleven, «  » [archive], sur Princeton university (consulté le 29 octobre 2019)[source insuffisante]
  33. Fabrice Rousselot, « La French touch de l'économie », GQ, mars 2015, p. 120-127.
  34. « Bravo Esther Duflo ! », sur Alternatives Economiques (consulté le )
  35. Antoine d’Abbundo, « Esther Duflo, un prix Nobel pour la science de la lutte contre la pauvreté », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  36. « Les 10 limites de la méthode Duflo », sur Alternatives Economiques (consulté le )
  37. Décret du 31 décembre 2020 portant promotion dans l'ordre national de Légion d'honneur.
  38. Décret du 14 novembre 2013 portant promotion et nomination.
  39. « 2002 Elaine Bennett Research Prize Dr. Esther Duflo », sur American Economic Association, .
  40. CNRS, « Palmarès 2011 de la médaille de l'innovation du CNRS », sur cnrs.fr, (consulté le ).
  41. « The Albert O. Hirschman Prize, 2014 », sur ssrc.org/ (consulté le ).
  42. « Le prix Wish de l'EPFL remis à Esther Duflo », lematin.ch/, (lire en ligne)
  43. « Infosys Prize - Laureates 2014 », sur www.infosys-science-foundation.com (consulté le )
  44. (en) « Princess of Asturias award for Social Sciences 2015 » (consulté le ).
  45. « Esther Duflo, prix Nobel d’économie », sur uclouvain.be
  46. (en) « Honorary Awards », sur London Business School (consulté le ).
  47. (en) « Commencement marked by cheers, tears, and a surprise », sur Université Yale (consulté le ).
  48. HEC, « Esther Duflo reçoit le titre de professeur honoris causa d’HEC Paris à l’issue de sa conférence "Science contre pauvreté" » (consulté le ).
  49. (en) « Esther Duflo receives honorary doctorate in November 2019 », sur Erasmus School of Economics (consulté le ).
  50. (en) « The Top 100 Public Intellectuals: Bios », sur foreignpolicy.com, Foreign Policy, (consulté le ).
  51. (en) « The FP Top 100 Global Thinkers 2010 », sur foreignpolicy.com, Foreign Policy, (consulté le ).
  52. (en) « The FP Top 100 Global Thinkers 2011 », sur foreignpolicy.com, Foreign Policy, (consulté le ).
  53. (en) « The FP Top 100 Global Thinkers 2012 », sur foreignpolicy.com, Foreign Policy, (consulté le ).
  54. (en) The 2011 Time 100..
  55. « Esther Duflo, Expérience, science et lutte contre la pauvreté », sur journals.openedition.org
  56. « Esther Duflo, Le développement humain. Lutter contre la pauvreté (I) et La politique de l’autonomie. Lutter contre la pauvreté (II) », sur journals.openedition.org

Voir aussi

Bibliographie

  • Arthur Jatteau, Les expérimentations aléatoires en économie, Paris, La Découverte, coll. « Repères », , 128 p. (ISBN 978-2-7071-6946-4)
  • Laurence Caramel et Antoine Reverchon, « Esther Duflo ou l’ambition de faire quelque chose d’utile », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
  • André Encrevé, « Duflo, Esther Caroline », in Patrick Cabanel et André Encrevé (dir.), Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, tome 2 : D-G, Les Éditions de Paris Max Chaleil, Paris, 2020, p. 299-300 (ISBN 978-2-84621-288-5)

Articles connexes

Liens externes

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