Grande révolte arabe de 1936-1939 en Palestine mandataire
La grande révolte arabe de 1936-1939 en Palestine mandataire[11] (ou révolte arabe de Palestine[12]) est une rébellion des Arabes des territoires sous mandat britannique, qui revendiquent la fin de celui-ci, la création d'un État arabe indépendant et la fin de l'immigration juive sioniste.
Pour les articles homonymes, voir Révolte arabe.
Date | octobre 1936 – mars 1939 |
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Lieu | Palestine mandataire |
Issue |
Révolte réprimée Interdiction de l'immigration juive en Palestine |
Nationalistes Arabes palestiniens Haut Comité arabe (jusqu'en octobre 1937) Comité central du Djihad national en Palestine (à partir d'octobre 1937) Divers factions rebelles (Fasa'il) Volontaires du monde Arabe Soutenus par: Royaume d'Italie (Financement)[1] | Royaume-Uni Armée de terre britannique Force de police palestinienne Police coloniale juive Police surnuméraire juive Special Night Squads Arabes palestiniens "Peace Bands" |
Abd al-Rahim al-Hajj Muhammad (en) Hassan Salameh Amin al-Husseini Jamal al-Husseini Raghib al-Nashashibi et autres | Arthur Wauchope Harold MacMichael Bernard Montgomery Archibald Wavell Orde Charles Wingate |
Entre 1 000 et 3 000 en 1936-1937 et entre 2 500 et 7 500 en 1938 ainsi que de 6 000 à 15 000 Anciens combattants[2] | Entre 25 000[3] et 50 000[4] soldats britanniques 20 000 policiers Juifs[5] 15 000 militants de la Haganah[6] 2 883 policiers de la force de police palestinienne de tout grade (1936)[7] 2 000 militants de l'Irgun[8] |
5 000 tués dont au moins 1 000 lors d'affrontements inter-arabes[3] 15 000 blessés[3] 108 exécutés[9] 12 622 détenus[9] 5 exilés[9] | Britanniques : 262 tués 550 blessés[9] Juifs : 300 tués[10] 4 exécutés[9] |
Cette révolte est un point culminant dans le combat des nationalistes palestiniens à l'époque du mandat britannique et ses conséquences sont importantes dans le déroulement du conflit israélo-palestinien et la fondation de l'État d'Israël.
Son échec militaire aboutit au démantèlement des forces paramilitaires arabes et à l'arrestation ou à l'exil de ses dirigeants. Elle provoque le renforcement des forces paramilitaires sionistes, notamment avec le soutien des Britanniques. Sur le plan politique, elle pousse les dirigeants arabes envoyés en exil, parmi lesquels Mohammed Amin al-Husseini, à choisir le camp de l'Allemagne nazie à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Bien que vaincus militairement, les Arabes palestiniens obtiennent des concessions politiques. Le Livre blanc britannique de 1939 impose ainsi une limitation de l'immigration juive et du transfert de terres arabes à des Juifs, et promet la création d'un État unitaire dans les dix ans, dans lequel Juifs et Arabes partageront un gouvernement qui permettrait de préserver les intérêts de chaque communauté[13]. Cette proposition est rejetée par la communauté juive palestinienne et ses forces paramilitaires, qui se lancent à leur tour dans une révolte générale (en) qui est cependant interrompue par la Seconde Guerre mondiale.
Les origines
Dès la fin du XIXe siècle, un courant important au sein des communautés juives mondiales, le sionisme, revendique l'auto-détermination et la fondation d'un État juif en Palestine. En 1917, les Britanniques, par la Déclaration Balfour, annoncent leur soutien officiel au projet sioniste. Ils sont suivis en 1923 par la Société des Nations qui donne aux Britanniques un mandat en Palestine pour y favoriser l'immigration juive et la mise en place d'un « foyer national juif ».
La population arabe du pays ainsi que celle des pays voisins s'opposent néanmoins au projet. Des manifestations sont régulièrement organisées dans toute la Palestine dès 1919. En , des émeutes font une dizaine de morts et près de 250 blessés à Jérusalem à la veille de la conférence de San Remo qui doit avaliser la mise en place du mandat. Après l'échec du roi Fayçal dans la prise de contrôle de la Syrie, dans laquelle la Palestine aurait constitué une province, le nationalisme palestinien prend de l'ampleur. De nouvelles émeutes éclatent en 1921. En 1929, soixante-sept Juifs, dont un tiers d’étudiants à l’académie talmudique de Hébron, sont massacrés et les maisons ainsi que les synagogues sont pillées tandis que les Arabes palestiniens revendiquent leur indépendance et réclament la fin de l'immigration juive dans le pays.
Les contacts avec l'Allemagne nazie commencèrent dès quand le général Wolff faisait part aux autorités nazies du soutien du mufti à leur politique “juive”[14].
Ni les autorités mandataires, ni les commissions d'enquête envoyées par Londres, ni les conférences et les négociations bilatérales ne parviennent à trouver une solution qui satisfasse les Juifs et les Arabes[15][source insuffisante].
La révolte
Un mois après le commencement d'une grève, les Arabes annoncent qu'ils ne paieront plus les impôts. Dans le même temps, une insurrection armée sporadique se fait jour ; elle deviendra nettement plus organisée par la suite.
La cible préférée des rebelles est un pipeline passant de Kirkouk à Haïfa, construit quelques années plus tôt. Ils attaquent aussi des lignes de chemin de fer, des trains, et s'en prennent à des Juifs[16]. Tel Aviv est marquée par de violents incidents entre Arabes et Juifs[17].
Le 15 avril 1936, le mouvement créé par Izz al-Din al-Qassam commet un attentat contre un convoi de taxis[3] sur la route Tulkarem-Naplouse où deux Juifs sont tués, ce qui sera considéré comme l'événement déclencheur de la Grande révolte arabe[18]. Dans la métropole de Tel Aviv-Jaffa, marquée par de violents incidents entre Arabes et Juifs[17], la révolte débute le 19 avril 1936 lors d'une émeute arabe à Jaffa où neuf Juifs sont assassinés et 12 000 sont contraints de se réfugier à Tel Aviv[19]. Simultanément, deux ouvriers arabes sont aussi tués dans des représailles et il s'ensuit une grève générale et une révolte arabes.
Le 25 avril 1936, les chefs des partis arabes annoncent la formation du Haut Comité arabe, présidé par le mufti de Jérusalem Mohammed Amin al-Husseini. Ce comité appelle à poursuivre la grève générale jusqu’à ce que les autorités britanniques acceptent les demandes du mouvement national arabe, à savoir l’arrêt complet de l’immigration juive, l’interdiction de l’appropriation des terres par les Juifs et la formation d’un gouvernement national responsable devant un Parlement[20].
Les autorités britanniques établissent l’état d’urgence pour écraser la révolte et mobilisent des unités militaires alors basées à l'étranger. Elles instaurent des punitions collectives contre les habitants de villes et villages palestiniens gagnés à la cause rebelle, en démolissant les maisons et en imposant des amendes. Le 16 juin 1936, les Britanniques font sauter 220 à 240 bâtiments de Jaffa, privant de domiciles et souvent de tous leurs biens six mille Arabes environ[3]. Ainsi, la vieille ville de Jaffa est détruite, et des milliers de militants arabes sont arrêtés. Des dizaines d’entre eux sont condamnés à mort[20]. D'autres villages seront rasés comme Mi'ar en octobre 1938[3].
Grève et révolte s'apaisent en octobre 1936, quand les efforts diplomatiques britanniques, aidées par les diplomaties de l'Arabie saoudite, de la Transjordanie et du Yémen, amènent à un cessez-le-feu et à la création de la Commission Peel dont la mission est de déterminer les causes de la révolte[21]. et l'avenir de la Palestine[3]. Cette commission va préconiser la création de deux États, un État arabe et un État juif. La proposition est alors acceptée par les Juifs : Chaim Weizmann et David Ben Gourion pensent obtenir des gains territoriaux. Les Arabes, eux, refusent ; Awni Abd al-Hadi déclare : « Nous lutterons. Nous nous battrons contre le partage du pays et contre l'immigration juive. Nous n'accepterons aucun compromis. »[21]. Après ce rejet, la révolte reprend en 1937, marquée par l'assassinat du commissaire Andrews à Nazareth. Selon Matthew Hughes, les Britanniques établissent une politique officielle et systématique de destruction, de représailles et de brutalités qui appauvrit la population arabe[3].
Les pays arabes et des régions musulmanes encore colonisées confortent la lutte, avec les résolutions adoptées au cours de la conférence de Bloudan en Syrie, en septembre 1937, qui ont rejeté à la fois le projet de partition de la Palestine et l'établissement d'un État juif sur ce territoire. En outre, ils affirment que la Palestine fait partie intégrante du monde arabe. Un certain nombre de comités ont été créés pour rechercher des moyens de résister à la partition[22]. L'importance de la conférence de Bloudan est la démonstration du soutien panarabe au mouvement antisioniste en Palestine[23].
L'insurrection continue en 1938. Cette année là, les Britanniques perdent le contrôle des grandes villes arabes palestiniennes dont la Vieille ville de Jérusalem pendant cinq jours[3]. Les Arabes attaquent les établissements juifs en Palestine et les troupes et la police britanniques, ainsi que les fonctionnaires britanniques ou palestiniens travaillant pour l'administration. Pour réduire la révolte, les Britanniques une opération de maintien de l'ordre avec deux divisions totalisant 25 000 hommes[3].
Le 2 octobre 1938, un autre massacre se produit dans la ville de Tibériade : 20 Juifs, dont 11 enfants, sont tués. Il est suivi d'une opération de représailles au village de Hattin par les Special Night Squads de Wingate qui fait une dizaine de morts palestiniens. Les rivalités entre les clans des grandes familles arabes, particulièrement celles des Nashashibi et des al-Husseini font aussi plus d'un millier de victimes[3].
La révolte prend fin en 1939. Les Britanniques décident de limiter l'immigration des Juifs en Palestine et de restreindre l'acquisition des terres par ces derniers[24].
Le Haut Comité arabe demande à toute la population arabe de porter le keffieh, faisant passer le nationalisme du tarbouche (signe des élites urbaines loyales à l'empire ottoman) au nationalisme du keffieh, valorisant le rôle de la paysannerie arabe dans la création de l'identité nationale arabe[25].
Réponse
Avec la révolte, les Britanniques ont considérablement augmenté leur effectif militaire en Palestine. Pour mater la révolte, ils décrètent notamment une politique de « détention administrative » (détention sans fait ni preuve) contre les élites politiques ou les personnes soupçonnées de soutien aux insurgés. La torture est utilisée dans les centres d'investigation des Arabes. Les Britanniques utilisaient aussi le couvre-feu et la destruction des maisons. Plus de 120 Arabes ont été condamnés à mort pendant la révolte et 40 ont été pendus. Selon Henry Laurens, de 1937 à 1939, il y a 108 exécutions capitales d'Arabes, qu'il compare aux 4 exécutions capitales de Juifs plus deux suicides pendant la révolte juive de 1945 à 1947[26]. Beaucoup de chefs politiques panarabes ont dû quitter la Palestine pour fuir la répression ; ce fut par exemple le cas du Grand Mufti de Jérusalem Mohammed Amin al-Husseini.
Les Britanniques ont par ailleurs ponctuellement soutenu la Haganah afin de lutter contre certaines factions arabes insurgées, hostiles autant aux Juifs qu'aux Britanniques. Au même moment, l'Irgoun décide de répondre à chaque attaque arabe.
Résultat
Environ 20 000 soldats britanniques sont venus en renfort des 14 500 déjà sur place pour rétablir l'ordre. Plus de 5 000 Arabes, 300 Juifs et 262 Britanniques ont trouvé la mort. La plupart des leaders nationalistes ayant participé à la révolte se réfugient dans les pays arabes voisins. Hajj Amin al-Husseini fuit au Liban, participe en 1941 au soulèvement anti-britannique irakien et finit par se réfugier en Italie et en Allemagne nazie dans l'espoir d'obtenir auprès d'elles l'indépendance des États arabes.
Pendant la révolte, les autorités britanniques proposent une partition du pays qui est rejetée par les Arabes, puis réunissent les représentants arabes et juifs à Londres en vue de négociations mais aucun compromis ne sera établi.
Devant l'impossibilité de trouver une solution et par crainte d'un soulèvement arabe généralisé, les Britanniques promulguent un troisième Livre blanc revenant sur la Déclaration Balfour de 1917 en limitant drastiquement l'immigration juive et en interdisant la vente de terre aux juifs. Ils promettent également l'indépendance de la Palestine aux Arabes dans les dix ans[27]. L’application du Livre blanc par les Britanniques s’intensifiera à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
Annexes
Bibliographie
Notes et références
- 'Italian Involvement in the Arab Revolt inPalestine 1936 1939
- (en) Benny Morris, Righteous Victims : A History of the Zionist-Arab Conflict, 1881–1999, John Murray, , 751 p. (ISBN 978-0-7195-6222-8), p.145.
- Hughes, M. (2009) The Banality of Brutality: British Armed Forces and the Repression of the Arab Revolt in Palestine, 1936–39, English Historical Review Vol. CXXIV No. 507, 314–354, ,lire en ligne
- Black, 2006, p. 128.
- Swedenberg, 2003, p. 220.
- Kimmerling & Migdal, 2003, p. 103.
- Millman, 1998, p. 22.
- Bowyer Bell, 1996, p. 44.
- Levenberg, 1993, pp. 74–76.
- Morris 1999, p. 159-160.
- Bruno Guigue, 'Aux origines du conflit israélo-arabe : l'invisible remords de l'occident, L'Harmattan, 2002, p.165.
- Nadine Picaudou, Territoires de Palestine de mémoire, Karthala, 2006, p.260.
- http://www.yale.edu/lawweb/avalon/mideast/brwh1939.htm. « The independent State should be one in which Arabs and Jews share government in such a way as to ensure that the essential interests of each community are safeguarded.»
- Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah, p. 221: "Le Mufti informa Wolff que les musulmans en Palestine et ailleurs étaient enthousiastes au sujet du nouveau régime en Allemagne et espéraient que le fascisme allait se répandre dans toute la région. Wolff transmit également le soutien du Mufti aux buts de la politique juive nazie, … son engagement à faire de semblables efforts contre les Juifs dans l’ensemble du monde islamique."
- Michel Abitbol, L'histoire d’Israël, Pérrin (ISBN 978-2-262-03087-2 et 2-262-03087-1)
- Encyclopedia Britannica
- Benny Morris, Victimes : histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, coll. « Complexe », , p.147.
- (en) Alexander Bligh, The Israeli Palestinians : An Arab Minority in the Jewish State, Routledge, (lire en ligne)
- Arnon Golan, « Marginal Populations and Urban Identity in Time of Emergency: The Case of the 1936 Refugees in Tel Aviv », Journal of Modern Jewish Studies, vol. 9, no 2, (lire en ligne)
- Maher Charif, « Palestine. Une histoire rythmée par les intifadas », sur Orient XXI,
- Morris 2003, p. 157.
- Mattar 2005, p. 104.
- Commins 2004, p. 72.
- Voir Livre blanc (Palestine)
- Henry Laurens, La Question de Palestine : Tome 2 - Une mission sacrée de civilisation (1922-1947), t. 2, Fayard, , 704 p. (ISBN 978-2-213-61251-5)
- Henry Laurens, La question de Palestine, tome 2, Fayard, 2002, p. 572
- Dominique Perrin, Palestine : une terre, deux peuples, Presse Universitaire Septentrion, (lire en ligne), page 173
Articles connexes
Liens externes
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