Heuristique de Fiat-Shamir
L’heuristique de Fiat-Shamir (ou transformation de Fiat-Shamir) est, en cryptographie, une technique permettant de transformer génériquement une preuve à divulgation nulle de connaissance en preuve non-interactive à divulgation nulle de connaissance. Cette preuve peut directement être utilisée pour construire un schéma de signature numérique. Cette méthode a été découverte par Amos Fiat et Adi Shamir en 1986[1].
Cette heuristique est dénommée ainsi puisque sa première version a été présentée sans preuve de sécurité. David Pointcheval et Jacques Stern ont montré la sécurité de l'heuristique de Fiat-Shamir contre les attaques séquentielles à texte-clair choisi[2] dans le modèle de l'oracle aléatoire. Par la suite Shafi Goldwasser et Yael Tauman ont montré que sans l'hypothèse sur l'oracle aléatoire, l'heuristique de Fiat-Shamir ne pouvait pas être prouvée sûre sous les hypothèses de sécurité usuelles sur les fonctions de hachage cryptographiques[3].
En 2019, les travaux de Canetti et d'autres[4] complétés par ceux de Peikert et Shiehian[5] ont permis de montrer que l’heuristique de Fiat-Shamir pouvait être instanciée dans le modèle standard à partir d'une famille de fonctions de hachage qui vérifient une propriété supplémentaire : l’impossibilité face aux correlations (correlation intractable en anglais). Ces fonctions de hachage peuvent être obtenues à partir d'un chiffrement complètement homomorphe, et nécessitent donc, à l’heure actuelle, de reposer sur des hypothèses de sécurité sur les réseaux euclidiens.
Transformation de Fiat-Shamir
Pour des raisons de simplicité, la transformation de Fiat-Shamir va être présentée pour le cas des protocoles Σ[6]. Il s'agit d'un protocole de preuve interactif en trois étapes : l'engagement, le défi et la réponse.
Protocole Σ initial
Un protocole Σ se déroule abstraitement de la manière suivante, pour prouver la connaissance d'un élément dans un langage public . Il sera noté comme étant l'espace d'engagement, l'espace des challenges, et l'espace des réponses.
Version non-interactive
À partir du protocole Σ ci-dessus, une preuve non interactive est construite de la manière suivante : le prouveur simule la présence du vérifieur par une fonction de hachage cryptographique modélisée comme un oracle aléatoire : .
- Le prouveur commence par générer un élément comme dans le protocole interactif. Ensuite au moment du défi, le prouveur hache et calcule une réponse adéquate pour le défi . Enfin le prouveur envoie comme preuve.
- Pour vérifier cette preuve, le vérifieur commence par hacher pour obtenir et vérifier que est bien une réponse correcte pour le couple engagement-défi [9][10].
Intuition
Intuitivement, cette transformation fonctionne puisque l'utilisation d'une fonction de hachage garantit dans un premier temps que le prouveur n'a pas pu tricher en modifiant calculant l'engagement a posteriori puisque modifier l'engagement revient à changer le défi (avec grande probabilités). Et comme la fonction de hachage est modélisée comme un oracle aléatoire, alors le défi est distribué uniformément, comme dans la version interactive[1].
Il existe des variantes de la construction où la preuve consiste en une transcription complète de l'échange du protocole Sigma[11], c'est-à-dire , mais cela est un peu redondant, puisque le challenge peut-être retrouvé en hachant le message et l'engagement. De la même manière, étant donné le challenge, et si le langage est à témoin unique (autrement dit qu'il existe au plus un témoin pour chaque mot de )[12]. Si on envoie , comme l'équation de vérification d'inconnue possède une unique solution , il ne reste alors plus qu'à vérifier que pour être sûr que tout s'est bien passé. C'est le cas par exemple de la signature de Schnorr[13], pour éviter des problèmes de représentation d'éléments de groupes, puisque l'engagement est un élément de groupe, là où le challenge et la réponse sont des éléments de , où est l'ordre du sous-groupe dans lequel on travaille[14].
Exemple
Protocole de Guillou-Quisquater
Un exemple de cette transformation est la signature Fiat-Shamir dérivée du protocole de Guillou-Quisquater[15]. Cette transformation sera décrite dans cette section.
Protocole d'identification interactif
Le protocole de Guillou-Quisquater peut-être vu comme suit. Le prouveur, sous les paramètres publics , vu comme une clef publique RSA, c'est-à-dire que avec p et q deux grands nombres premiers tirés indépendamment et uniformément parmi les nombres premiers d'une certaine longueur, et est un entier premier avec . Le prouveur qui possède un certificat public veut prouver la connaissance du secret sous-jacent.
Pour cela, lors de l'engagement, le prouveur tire un entier uniformément dans , et envoie au vérifieur . Le vérifieur génère alors un challenge comme un entier tiré uniformément dans . Auquel le prouveur répond en envoyant . Le vérifieur peut alors tester si , et accepter la preuve si et seulement si l'égalité est vérifiée[16].
Signature dérivée par l'heuristique de Fiat-Shamir
L'application de l'heuristique de Fiat-Shamir sur ce protocole donne donc le schéma de signature de Guillou-Quisquater[17]:
- GenClefs(λ): On génère comme dans le chiffrement RSA, et un couple certificat/secret tel que . La clef publique est alors et la clef secrète .
- Signe(sk, m): Pour signer un message , le signataire commence par tirer uniformément dans . Il génère ensuite le challenge et calcule une réponse . La signature est alors .
- Verifie(pk, m, σ): Pour vérifier la signature , le vérifieur va utiliser Y et m pour calculer et accepte si et seulement si .
Notes et références
- Fiat et Shamir 1986.
- Pointcheval et Stern 1996.
- Goldwasser et Tauman 2003.
- Canetti et al. 2019.
- Peikert et Shiehian 2019.
- Damgård 2010.
- Damgård 2010, Sec. 2.
- Kiltz, Masny et Pan 2016, Figure 2.
- Kiltz et Masny Pan, Sec. 2.4.
- Miller 2016, Sec. 7.3.
- Pointcheval et Stern 1996, Sec. 4.1.
- Baldimtsi et Lysyanskaya 2013, Sec 2.1.
- Schnorr 1991.
- Schnorr 1991, Sec. 2. § Protocol for Signature Verification.
- Guillou et Quisquater 1988.
- Kiltz, Masny et Pan 2016, Sec. 5.3.2.
- Kiltz, Masny et Pan 2016, Sec. 5.3.3.
Annexes
Bibliographie
- [Baldimtsi et Lysyanskaya 2013] (en) Foteini Baldimtsi et Anna Lysyanskaya, « On the Security of One-Witness Blind Signature Schemes », Asiacrypt, Springer, (lire en ligne)
- [Canetti et al. 2019] (en) Ran Canetti, Yilei Chen, Justin Holmgreen, Alex Lombardi, Guy Rothblum, Ron Rothblum et Daniel Wichs, « Fiat Shamir: from practice to theory », STOC,
- [Fiat et Shamir 1986] (en) Amos Fiat et Adi Shamir, « How To Prove Yourself: Practical Solutions to Identification and Signature Problems », Crypto 1986, (lire en ligne [PDF])
- [Guillou et Quisquater 1988] (en) Louis C. Guillou et Jean-Jacques Quisquater, « A Practical Zero-Knowledge Protocol Fitted to Security Microprocessor Minimizing Both Transmission and Memory », Eurocrypt, (DOI 10.1007/3-540-45961-8_11)
- [Goldwasser et Tauman 2003] (en) Shafi Goldwasser et Yael Tauman, « On the (In)security of the Fiat-Shamir Paradigm », Foundations on Computer Science (FOCS), (lire en ligne)
- [Kitz, Masny et Pan 2016] (en) Eike Kiltz, Daniel Masny et Jiaxin Pan, « Optimal Security Proofs for Signatures from Identification Schemes », Crypto, (lire en ligne)
- [Peikert et Shiehian 2019] (en) Chris Peikert et Sina Shiehian, « Noninteractive Zero Knowledge for NP from (Plain) Learning With Errors », Crypto, (lire en ligne, consulté le )
- [Pointcheval et Stern 1996] (en) David Pointcheval et Jacques Stern, « Security Proofs for Signature Schemes », Eurocrypt, (lire en ligne [PDF])
- [Schnorr 1991] (en) Claus Peter Schnorr, « Efficient signature generation by smart cards », Journal of Cryptology, (DOI 10.1007/BF00196725)
Articles connexes
Liens externes
- [Damgård 2010] (en) Ivan Damgård, « On Σ-Protocols », Notes de cours [PDF],
- [Miller 2016] (en) Andrew Miller, « Zero Knowledge Proofs », Notes de cours [PDF],
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