Industrie nucléaire en Suisse
La Suisse utilise l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité depuis 1969. En 2022, le pays compte quatre réacteurs opérationnels répartis dans trois centrales. Ces réacteurs ont fourni, en 2021, 18 500 GWh d'électricité, représentant 18,8 % (32 % du mix) de l'électricité produite cette année. En 2017, 93,6 % de l'électricité d'origine nucléaire fournie a été produite en Suisse (selon les chiffres de la Confédération).
À la suite des accidents nucléaires de Fukushima, le conseil fédéral annonce le une sortie progressive de l'énergie nucléaire programmée pour 2034[1]. Cette décision a été confirmée le par le Conseil des États tout en n’interdisant pas cette technologie et en exigeant la poursuite de la recherche sur le nucléaire[2],[3], puis le par l'approbation par référendum une nouvelle loi sur l’énergie qui vise à remplacer progressivement le nucléaire par des énergies renouvelables[4].
Historique
Après la Seconde Guerre mondiale, la Suisse tente de développer son propre programme nucléaire civil. Il est cependant stoppé en 1969 par l'accident de la centrale nucléaire de Lucens[5]. Les quatre centrales nucléaires sont mises en service entre 1969 et 1984, toutes avec des technologies importées[5]. Les premiers mouvements d'opposition de la population à cette énergie se développent en 1970.
La Suisse a planifié de construire des armes nucléaires durant la guerre froide. Un mois après les bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki, le gouvernement suisse étudia cette possibilité et poursuivit son programme nucléaire durant 43 ans jusqu'en 1988[6],[7]. Depuis la Suisse a signé le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires[8].
En 1988, les projets des centrales nucléaires de Kaiseraugst et Graben sont abandonnés, bien que bénéficiant de certaines des autorisations requises. D'autres projets de centrales ont aussi vu le jour à Verbois, Inwil et Rüthi[9].
Le , le peuple rejette l'initiative populaire « pour un abandon progressif de l'énergie atomique », avec 52,9 % de non. Le même jour la votation sur l'initiative populaire « Halte à la construction de centrales nucléaires (moratoire) » est acceptée avec 54,5 % de oui[10]. Cette votation aboutit au gel des autorisations de construction de centrales nucléaires en Suisse, pour une durée de dix ans[11]. La votation populaire du a rejeté l'initiative populaire « Sortir du nucléaire - Pour un tournant dans le domaine de l'énergie et pour la désaffectation progressive des centrales nucléaires » et l'Initiative populaire « Moratoire-plus - Pour la prolongation du moratoire dans la construction de centrales nucléaires et la limitation du risque nucléaire », respectivement par 66,3 % et par 58,4 % de non[12].
Le le Conseil fédéral décide le remplacement des actuelles centrales et le développement des centrales à gaz[13].
En , le groupe Atel - maintenant renommé groupe Alpiq depuis sa fusion avec le groupe EOS - annonce avoir déposé, auprès de l'Office fédéral de l'énergie une demande de construction d'un site à proximité de celui de Gösgen, ce site aurait une puissance de 1 600 MW[14].
Le , l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) déclare « adéquats » les trois sites proposés (Mühleberg (BE), Beznau (AG) et Gösgen (SO)) pour la construction de trois nouvelles centrales nucléaires en Suisse, le type de réacteur reste à choisir[15],[16].
À la suite des accidents nucléaires ayant touché les installations de Fukushima, la cheffe du DETEC (département fédéral ayant notamment en charge l'énergie) Doris Leuthard décide le de suspendre les procédures en cours concernant les demandes d'autorisation pour la construction des trois nouvelles centrales[17]. Le , le Conseil fédéral confirme la sortie progressive de l'énergie nucléaire[1] en décidant de ne pas renouveler les centrales nucléaires en service et opte pour leur arrêt définitif une fois que celles-ci auront atteint 50 ans, c'est-à-dire entre 2019 et 2034[18]. Le , le Conseil des États a confirmé l’arrêt de la construction de nouvelles centrales nucléaires tout en exigeant la poursuite de la recherche dans le nucléaire[2].
En 2012 est lancée une initiative populaire « Pour la sortie programmée de l'énergie nucléaire ». Le vote effectué le la rejette à 54,2 %[19],[20].
Réacteurs
Centrales
Les cinq réacteurs nucléaires suisses produisent quasi essentiellement de l'électricité. Les centrales de Gösgen et de Leibstadt ont des réseaux de chaleur à distance qui alimentent des industries voisines. Cependant, l'énergie fournie sur ces réseaux de chaleur est très faible par rapport à l'énergie fournie au réseau électrique. Les caractéristiques relatives à chaque réacteur sont les suivantes[21]. La puissance brute correspond à la puissance délivrée sur le réseau augmentée de la consommation interne de la centrale. La puissance nette correspond quant à elle à la puissance délivrée sur le réseau et sert d'indicateur en termes de puissance installée.
Centrale nucléaire | Nom du réacteur | Statut | Rg | Type | Modèle | Puissance [MW] | Exploitant | Construct. | Début constr. | Raccord. au réseau | Mise en service comm. | Mise à l'arrêt définitif | ||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
therm. (MWt) | brute (MWe) | nette (MWe) | ||||||||||||
Beznau | BEZNAU-1[22] | Opérationnel | 1 | REP | WH 2 loops | 1 130 | 380 | 365 | Axpo | Westinghouse Electric Company | sept. 1965 | juil. 1969 | sept. 1969 | |
BEZNAU-2[23] | Opérationnel | 3 | REP | WH 2 loops | 1 130 | 380 | 365 | Axpo | Westinghouse Electric Company | janv. 1968 | oct. 1971 | déc. 1971 | ||
Gösgen | GOESGEN[24] | Opérationnel | 4 | REP | PWR 3 Loop | 3 002 | 1 035 | 970 | KKG | KWU | déc. 1973 | fév. 1979 | nov. 1979 | |
Leibstadt | Leibstadt[25] | Opérationnel | 5 | REB | BWR 6 | 3 600 | 1 220 | 1 165 | KKL | General Electric | janv. 1974 | déc. 1984 | ||
Mühleberg | Mühleberg[26] | A l'arrêt | 2 | REB | BWR 4 | 1 097 | 390 | 373 | BKW | General Electric | juil. 1971 | nov. 1972 | déc. 2019 |
Réacteurs expérimentaux
- Centrale nucléaire expérimentale de Lucens (CNEL), dont le réacteur était modéré à l'eau lourde et refroidi au dioxyde de carbone, d'une puissance électrique de 6 MW, démarrée en 1968 (arrêté en 1969 à la suite d'un accident avec fusion partielle du combustible).
Réacteurs de recherche
- Réacteur SAPHIR de type piscine de l'Institut fédéral de recherche en matière de réacteurs (IFR) (maintenant Institut Paul Scherrer), démarré en 1957 après avoir été acquis auprès des Américains qui l'avaient exposé à la conférence « Atoms for Peace » à Genève en 1955. Il fut exploité jusqu'en 1994.
- Réacteur AGN-201-P de l'Université de Genève de puissance nulle (20 W) modéré à l'eau légère et à réflecteur en graphite et combustible uranium enrichi à 20%, démarré en 1958 et exploité jusqu'en 1989 comme réacteur d'enseignement et de recherche.
- Réacteur AGN-211-P de l'Université de Bâle de 2 kW modéré à l'eau légère et à combustible uranium hautement enrichi, démarré en 1959 après avoir été exposé à l'Exposition universelle de 1958 à Bruxelles et exploité jusqu'en 2013 comme réacteur d'enseignement et de recherche.
- Réacteur DIORIT de l'Institut Paul Scherrer à Würenlingen, modéré et refroidi à l'eau lourde et d'une puissance de 30 MW. Il fut démarré en 1960 et exploité jusqu'en 1977. C'est le premier réacteur de conception et construction suisse.
- Réacteur PROTEUS de l'Institut Paul Scherrer, de puissance nulle et à configuration variable, exploité de 1968 à 2011. Sa particularité est d'avoir une cavité centrale dans laquelle divers types de combustibles pouvaient être utilisés pour varier la configuration du cœur.
- Réacteur CROCUS, de l'Institut de génie atomique de l'École polytechnique fédérale de Lausanne[27]
Production électrique
Déchets nucléaires
Depuis la mise en service de la première centrale jusqu'à début 2007 l'industrie du nucléaire a produit 7 500 m3 de déchets faiblement, moyennement et hautement radioactifs. Ces déchets sont en partie entreposés dans le dépôt intermédiaire central pour déchets radioactifs de Würenlingen. Avec la mise hors service des centrales actuelles et leurs démantèlement, il faudra compter 95 000 m3 de déchets radioactifs supplémentaires[29].
En 1998, à la suite du rejet d’un projet de stockage géologique des déchets de faible et de moyenne activité dans le canton de Nidwald, une première étude recommande de combiner stockage géologique profond et entreposage de longue durée en surface. Des études plus poussées concluent ensuite que le stockage géologique est préférable[30] et c’est dans cette perspective que des recherches sur le type de roche à privilégier sont menées au laboratoire souterrain du Mont Terri et au laboratoire du Grimsel. Les recherches pour déposition définitive enfin sont menés par la Cedra dans les régions du Jura alémanique et au nord du Canton de Zurich.
Accident nucléaire
Le seul accident nucléaire connu est celui de la centrale nucléaire de Lucens : le , lors d'un démarrage, un problème de refroidissement entraîna une fusion de l'élement combustible central du coeur et une contamination radioactive de la caverne où était situé le réacteur. L'accident est classé au niveau 4 sur les 7 que compte l'échelle Ines. La caverne a été décontaminée le et le réacteur démantelé au cours des années suivantes. La caverne a été partiellement comblée par du béton en 1992 et les derniers déchets ont été acheminés au centre d'entreposage temporaire de déchets nucléaires de Würenlingen en .
Réglementation
L'autorité de surveillance suisse pour la sécurité et la sûreté des installations nucléaires dans le pays est l'Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN). Son siège est à Brugg dans le canton d'Argovie. Elle emploie environ 170 personnes.
Selon les dispositions de la loi sur l’énergie nucléaire, l’exploitant est responsable de la sécurité de ses installations[31]. L’IFSN vérifie si l’exploitant satisfait à ses obligations et responsabilités et en tire une base d’appréciation propre à partir de ses propres analyses, inspections et entretiens de surveillance.
L’activité de surveillance de l’IFSN se subdivise en deux missions principales qui sont l’expertise des installations et la surveillance de leur exploitation.
Notes et références
- La Suisse sortira du nucléaire en 2034, la Tribune de Genève, consulté le 25 mai 2011.
- La Suisse vote la sortie progressive du nucléaire, Le Nouvel Obs, 28 septembre 2011.
- Les parlementaires suisses ont approuvé la sortie progressive du nucléaire - Orange actu - AFP 28/09/2011.
- Le Monde avec AFP et Reuters, « Les Suisses approuvent l’abandon progressif du nucléaire », Le Monde, (lire en ligne).
- « Energie nucléaire », sur hls-dhs-dss.ch (consulté le )
- (en) Gunnar Westberg, « Swiss Nuclear Bomb », International Physicians for the Prevention of Nuclear War, (consulté le ).
- (en) B. Edwards, « Swiss Planned a Nuclear Bomb », New Scientist, (consulté le ).
- (en) « Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons », United Nations Office for Disarmament Affairs (consulté le ).
- « Énergie nucléaire » (version du 3 octobre 2008 sur l'Internet Archive), sur Office fédéral de l'énergie.
- Votation populaire du 23 septembre 1990, sur le site admin.ch, consulté le 2 octobre 2008.
- « Initiative populaire fédérale 'Halte à la construction de centrales nucléaires (moratoire)' », sur admin.ch (consulté le ).
- Votations populaires du 18 mai 2003, sur le site admin.ch, consulté le 2 octobre 2008.
- « Chronologie de la politique nucléaire en Suisse », sur Radio télévision suisse, .
- « Atel veut construire une nouvelle centrale nucléaire en Suisse d'ici à 2026 » (version du 4 août 2008 sur l'Internet Archive), sur Le Monde, .
- « Nouvelles centrales nucléaires : selon l'IFSN les trois sites proposés seraient adéquats », sur admin.ch, .
- « La guerre du nucléaire est relancée », Le Temps, .
- « Berne adopte un moratoire nucléaire », Le Nouvelliste (consulté le ).
- « La Suisse pourrait sortir du nucléaire d’ici 2034 », sur Swissinfo, .
- « Les Suisses refusent une sortie accélérée du nucléaire », La Croix, .
- « Initiative « Pour la sortie de l'énergie nucléaire » », sur Office fédéral de la statistique, .
- (en) « Power reactor information system – section Suisse », sur www.iaea.org/ (consulté le ).
- (en) « Nuclear Power Reactor Details - BEZNAU-1 », sur www.iaea.org (consulté le ).
- (en) « Nuclear Power Reactor Details - BEZNAU-2 », sur www.iaea.org (consulté le ).
- (en) « Nuclear Power Reactor Details - GOESGEN », sur www.iaea.org (consulté le ).
- (en) « Nuclear Power Reactor Details - Leibstadt », sur www.iaea.org (consulté le ).
- (en) « Nuclear Power Reactor Details - Mühleberg », sur www.iaea.org (consulté le ).
- Le réacteur Crocus sur le site de l'EPFL.
- Centrales nucléaires en Suisse, OFEN (présentation en ligne, lire en ligne [xls]).
- Revue energeia, OFEN, février 2007, page 7.
- Panorama international des recherches sur les alternatives au stockage géologique des déchets HA-VL et MA-VL, IRSN, 2019, p. 8-10.
- « Obligations générales du détenteur de l’autorisation d’exploiter », sur le site admin.ch.
Voir aussi
Sources
Liens externes
- « Énergie nucléaire » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne.
- Vidéos : Nucléaire en Suisse, 50 ans de débat, un dossier des archives de la Télévision Suisse Romande
- Portail de l’énergie
- Portail du nucléaire
- Portail de la Suisse