Jeanne de Bellem
Jeanne de Bellem, née Jeanne ou Marie-Thérèse Pinaut, le à Namur et morte à Amsterdam le 12 octobre 1805, est une des protagonistes de la Révolution brabançonne. Encensée par les uns, décriée par les autres, elle fut qualifiée de Pompadour des Pays-Bas ou d'Aspasie brabançonne. Elle est connue pour avoir été la maîtresse attitrée, la confidente et la conseillère d'un des tribuns les plus illustres de la révolution, Henri van der Noot et un personnage influent lors de l'éphémère épisode des États belgiques unis.
Naissance | |
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Décès | |
Nom de naissance |
Jeanne ou Marie-Thérèse Augustine Joseph Pinaut[Notes 1] ou Pineau |
Surnom | |
Nationalité |
brabançonne, belge (avant la lettre) |
Activités |
Poétesse, pamphlétaire, courtisane, écrivaine, révolutionnaire |
Conjoint |
Éléments biographiques
Jeanne Pinaut[Notes 2] est née à Namur ou dans ses faubourgs, le [1],[2],[3],[Notes 3]. Son père, Jacques est savetier et sa mère, Marianne Latrouille décède assez précocement[Notes 4]. Jeanne vit seule avec son père. Ce dernier ayant perdu la vue, ils sont contraints de vivre de la charité publique en mendiant leur pitance dans les rues de Namur. Vers 1751, Jacques Lapineau meurt, Jeanne est désormais orpheline, elle a dix-sept ans.
C'est à cette époque qu'elle s'établit à Bruxelles où elle est tout d'abord serveuse dans un estaminet puis servante, femme de chambre[2]. Une littérature pamphlétaire, prompte à vouloir la doter d'un passé de gourgandine, la fera évoluer à cette époque dans le milieu de la prostitution[1]. Quoi qu'il en fut, Frans van Kalken, plus prudent, signale qu'elle « se lance à corps perdu dans la vie galante[2] » à cette époque.
Elle entre, en 1753, au service de Monsieur de Quenonville[4], alors âgé de soixante ans. Veuf, il vit avec son fils et sa fille, il leur présente sous le nom de Mademoiselle de Bellem, une orpheline de bonne famille vivant dans la détresse[3]. Le 30 octobre 1766, à Bruxelles (Sainte-Gudule), un enfant de Marie Thérèse Augustine Josèphe De Bellem dite Pinaut, est baptisé sous le nom de Paul Ignace Guillaume Joseph Overbecque ou Overbeque ; le père étant, d'après les déclarations faites durant l'accouchement par la mère au chirurgien Paul Ignace Germain résidant rue de la Madeleine, un certain Guillaume François Overbeque, un homme célibataire comme le précisera l'acte d'inhumation de l'enfant. En effet, l'enfant ne vivra pas et fut inhumé (paroisse Sainte-Gudule), âgé de dix jours, le 11 novembre 1766. L'historien Frans van Kalken attribue la paternité de cet enfant au vicomte de Quenonville fils, qui portait les prénoms de Guillaume-François.
C'est à cette époque que Jeanne tombe à nouveau rapidement enceinte. Le père l'installe alors dans une petite maison derrière l'église Notre-Dame du Finistère. Le , elle met au monde une fille, Marianne de Bellem. Jeanne se fera désormais appeler Madame de Bellem. Le père de Quenonville meurt et la relation de Jeanne avec le fils tourne court. En face de chez elle habite l'Amman de Bruxelles van der Noot. Henri van der Noot, le fils, ayant terminé sa formation en droit à l'Université de Louvain rentre chez son père qui meurt un peu plus tard. Une idylle se noue entre Jeanne et ce fils promis à un avenir brillant puisqu'il sera l'un des promoteurs et des « tribuns les plus fougueux[1] » de la Révolution brabançonne qui se déroulera de 1787 à 1790 et conduira à l'instauration des États belgiques unis[1]. À son contact, Jeanne « devint sage et vécut bourgeoisement entre sa fille Marianne et son « cher Henri »[2] ». Elle soutient son compagnon et devient pour ainsi dire le chef de cabinet de celui qu'elle considérait être « le sauveur, le libérateur de la Patrie[2] ».
Elle sert également d'intermédiaire à de nombreux bourgeois qui souhaitent lui communiquer des informations sans avoir pour autant à s'afficher publiquement avec van der Noot[5],[6]. À ses nombreux admirateurs, elle répondait, en s'excusant de la médiocrité de son écriture qui ressemblait, à ses dires, à des gribouillages de chat et de la pauvreté de ses idées. Elle disait volontiers qu'elle n'était qu'une femme[7].
C'est que le couple van der Noot-de Bellem entend s'opposer vivement aux Pays-Bas autrichiens, lui par ses violentes diatribes à l'encontre de Joseph II[2], elle par ses pamphlets contre le régime impérial. Sous le manteau, ses vers acides circulent : « Peuple Belgique / cour tyranique / faisons comme l’Amérique »[5]. Jeanne, « femme de goût ayant une plume vive et spirituelle[8] », ne tarde pas à déranger l'ordre établi qui l'arrêtera à deux reprises pour ses positions séditieuses. Ces arrestations lui valent un important soutien populaire[9]. Henri Van der Noot est quant à lui contraint à un exil en Angleterre pour échapper aux poursuites tandis que Jeanne s'exile à Bréda avec le comité révolutionnaire (comité de Bréda)[8].
Arrestations
Sa première arrestation se déroule en à la suite d'une imprudence[Notes 5] et lui vaut plusieurs mois de détention préventive[2] à la prison de la Porte de Halle à Bruxelles mais son avocat[Notes 6] parvient à la faire libérer pour vice de procédure et en invoquant également les conditions de détention sévères de sa cliente et son état de santé[9]. Elle est relaxée le [10]. De retour aux affaires, sa verve est intacte et son soutien envers Henri, parti en exil à l'été 1788, inamovible[2]. En , elle est à nouveau arrêtée, étant suspectée d'être l'auteure d'une nouvelle satire. Elle est gardée à vue à la prison de la Porte de Laeken et est relaxée faute de preuve, le , dans une ville au bord de l'insurrection contre le gouvernement impérial [11],[9].
Des heures de gloire à l'exil
Fin , les troupes impériales sont défaites lors de la bataille de Turnhout et les Pays-Bas autrichiens[12] se séparent du Saint-Empire ; le [Notes 7], Henri van der Noot et sa compagne rentrent à Bruxelles qu'ils traversent à bord d'une calèche découverte, escortés par le comité de Bréda et les milices bourgeoises, sous les ovations de la foule. Le clergé reçoit les révolutionnaires sur le parvis de l'église Saint-Michel. En leur honneur, on joue le soir au théâtre La Mort de César[8].
Henri van der Noot s'est autoproclamé agent plénipotentiaire du peuple brabançon[11]. Par la suite, la presse commence à brocarder le Duc des Provinces Belgiques et sa Duchesse. L'influence néfaste qui est accordée à Jeanne sur la politique menée par Henri van der Noot jugée trop autoritariste font du couple la cible de pamphlets et quolibets. On les accuse de vouloir conduire le peuple au fond du gouffre[11].
Jeanne exerce à ce moment une influence considérable sur Henri van der Noot qui détient alors le pouvoir suprême avec le très influent chanoine Van Eupen[2]. Fin 1790, l'armée impériale ne tarde pas à mener la reconquête des territoires des Pays-Bas autrichiens au nom de l'empereur Léopold II du Saint-Empire dont l'autorité est totalement restaurée en 1791. Jeanne accompagnée de sa fille Marianne est alors contrainte à un second exil à Bréda « où elle vécut, dans la gêne, du talent de sa fille, musicienne accomplie[8] » ainsi qu'à Rotterdam comme en témoignent les annonces de presse qu'elle fit publier. Pour vivre, Jeanne tricote des bourses et Marianne donne des leçons de dessin aux enfants de la bourgeoisie locale[2].
Les biographes perdent ensuite sa trace en 1793 et tous ignorent le lieu et la date de son décès[8]. Une des dernières mentions la concernant remonte, en effet, au siège de Maestricht par les Français lors duquel, on la dit être au camp du général révolutionnaire français Francisco de Miranda[2],[Notes 8]. Ainsi, l'Historien Frans van Kalken conjecture qu'elle aurait suivi les troupes françaises dans leur retraite précipitée et la suppose à Paris, où elle avait encore quelques vieux amis dans le monde des lettres et des théâtres.
Cependant, l'on sait depuis lors qu'elle est morte à Amsterdam, alors en République batave, le 12 octobre 1805 et une fiche d'état civil amstellodamois atteste de son décès à cette date[13]. Des annonces notariales parues notamment les 21 et 23 janvier 1806 dans le journal Rotterdamse courant, le 19 mai 1807 dans le journal Amsterdamse courant, et le 19 mai 1807 dans le journal Oprechte Haarlemse Courant[14] ont permis de retrouver sa trace avec certitude en la nommant de Bellem. En effet, dans ces annonces, elle est nommée Dame ou mademoiselle Therese ou Theresia Pinaut, veuve de Bellem, et sa succession fut réglée par le bureau du notaire Ts. Janssen[15], dont l'étude était située à l'Heerengragt à l’angle du Warmoesgracht, à Amsterdam, à qui les héritiers devaient s’adresser avant la fin du mois d’août 1807. Il faut aussi en conclure que sa succession n'était pas complètement déficitaire malgré la gêne dans laquelle elle aurait vécu ses dernières années et même si elle fut inhumée pro deo avec les onvermoogende lijken (les défunts insolvables)[16]. Elle fut inhumée au Sint Anthonis Kerkhof d'Amsterdam (cimetière Saint-Antoine)[17], un cimetière qui fut désaffecté au XIXe siècle et qui est aujourd'hui bâti en grande partie. L'acte d'inhumation précise qu'elle habitait au Keyzersgracht over de Westermarkt (ce dernier mot Westermarkt étant abrégé dans l'acte).
Elle avait donc survécu à sa fille Marianne, morte à Amsterdam en 1798, près de sept ans...
Quoi qu'il en fut, « Cette femme célèbre a été exaltée par les uns, traînée dans la fange par les autres. On ne saurait toutefois nier qu'elle n'ait joué un rôle des plus courageux lors des événements de la révolution brabançonne[18] ».
Les pamphlets de 1790 et 1791
Si l'on sait peu de choses sur la prime-jeunesse de Jeanne Pinaut, la littérature pamphlétaire fourmille de biographies semi-fictives parsemées de détails plus ou moins scandaleux à son encontre[2]. On lira par exemple en commentaire de caricatures assassines que la déconvenue essuyée est le fruit « d'une femelle sans pudeur, d'un chanoine sans foi et d'un avocat sans loi »[2]. Alexandre-Louis-Bertrand Robineau, dit de Beaunoir qui par flagornerie et opportunisme entendait flatter tant les Vonck que les van der Noot aura la plume la plus acérée à l'encontre de ce dernier et de sa compagne, Jeanne de Bellem, lorsqu'il sera éconduit par le patriote brabançon. Aujourd'hui encore, certains éléments véhiculés par cette littérature de caniveau sont parvenus à percoler jusque dans leurs biographies. Certains pamphlets, comme Étrennes Aux Amis De La Lappineau paru en 1791 sont particulièrement salaces et graveleux. Il propose ainsi une biographie de Salopine Lappineau. Une multitude de caricatures circulent également à cette époque.
Les caricatures
- Les quatre grands coquins du Pays Belgique.
- Grand festin donné chez Madame Pineau.
- van der Noot et de Bellem en fuite.
- Femelle sans pudeur...
- L'horrible Pineau fait office de sacristain.
- (S) La fille Pineau.
Archives
Notes et références
Notes
- D'après le mémoire introduit par son avocat J. J. J. Moris (Galesloot 2015, p. 367 et 371).
- On trouve également Pineau, Lapineau, La pineau et également le prénom de Marie-Thérèse.
- Dans les archives impériales de Vienne, parmi les dépêches de Ruelle à Montmorin, interceptées par le Cabinet noir, une » annexe à la dépêche no 747 », on peut lire, Elle est née, le dernier jour de l'an 1732, de Blaise Lappineau, maître savetier à Namur, et de Javotte La Trouille (France 1920, p. 422)
- Elle aurait été surprise en train de voler des mouchoirs à l'armée casernée à Namur, larcin pour lequel elle sera fouettée. Ses plaies se seraient gangrenées ensuite provoquant son décès.
- Elle avait été dénoncée pour avoir distribué des libelles pamphlétaires à trois personnes (Galesloot 2015, p. 354 et sq).
- Qui n'est autre que son compagnon, Henri van der Noot. Ce dernier lui rend même visite en prison en qualité de conseil. Les autorités impériales renoncent à arrêter l'étatiste de peur de prêter le flanc à la critique au travers d'une arrestation qui aurait pu paraître inique au regard des droits de la défense.
- ou le 18.
- Selon Raymond vander Burght le général de Miranda avait établi son état-major à l'Abbaye de Hocht (in Joseph François, peintre belge, émule de David, 1759-1851: Les manuscrits de ses deux voyages en Italie. Les lettres du prince Louis et de la princesse Pauline d'Arenberg, A. Goemaere, 1948, p. 204)
Références
- Tierenteyn 1903, p. 518.
- van Kalken 1923.
- Galesloot 2015, p. 355.
- Frans Van Kalken, Madame de Bellem, 1923, page 12, note 1 : Il s'agit ici d'Alexandre Bertout de Carillo, seigneur de Cauwenburgh-Quenonville, héritier de la seigneurie d'Ottignies en 1740 et créé vicomte le 6 mars 1737. (...) Robineau dit que M. de Quenonville était membre du Conseil de Brabant. Il n'en est rien.(...).
- Fauré 1997, p. 190.
- Willem 2015, p. 68.
- Fauré 1997, p. 191.
- Tierenteyn 1903, p. 519.
- Willem 2015, p. 69.
- France 1920, p. 422 et sq.
- Gubin 2006, p. 455.
- Le mot "autrichien" fait référence à la Maison d'Autriche, héritiers directs de la Maison de Bourgogne, suzerains légitimes des Pays-Bas.
- Film de l'Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (les Mormons), Film # 008424124, image n° 4358.
- Voyez
- Il s'agit du notaire Teunis Jansen, notaire à Amsterdam de 1805 à 1827, Stadsarchief Amsterdam, Nummer Toegang : 5075, Inventaris van het Archief van de Notarissen ter Standplaats Amsterdam, 499 TEUNIS JANSEN.
- Film de l'Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (les Mormons), Film # 005859122, image n° 649 : acte mentionnant Therese Pinant (sic) veuve De Bellem, 67 ans (sic).
- Film de l'Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (les Mormons), Film # 008862841, image n° 333.
- Tierenteyn 1903, p. 520.
Bibliographie
- Christine Fauré (dir.), Encyclopédie politique et historique des femmes, Paris, PUF, , 885 p. (lire en ligne), p. 189-192
- France, Ministère des affaires étrangères, Correspondance des ministres de France accrédités à Bruxelles de 1780 à 1790, dépêches inédites publiées par Eugène Hubert, vol. 1, Bruxelles, Hayez, (lire en ligne), p. 422 et sq.
- Alexandre Henne et Alphonse Wauters, Histoire de la ville de Bruxelles, vol. 2, Périchon, , 651 p. (lire en ligne).
- A. Galesloot, Procès politiques intentés pendant la révolution brabançonne. : Procès de Jeanne Pinaut, dite Madame de Bellem, vol. 60, t. XV, 4, Revue trimestrielle, (lire en ligne), p. 354-373
- Félix-Victor Goethals, in Trésor national : recueil historique, littéraire, scientifique, artistique, commercial et industriel, vol. 3, Wouters, (lire en ligne), p. 46-49 et 158-167(reprend plusieurs courriers de Madame de Bellem et parle des talents artistiques de Marianne).
- Éliane Gubin, Dictionnaire des femmes belges : XIXe et XXe siècles, Lannoo Uitgeverij, , 637 p. (ISBN 978-2-87386-434-7, lire en ligne), p. 453 et sq.
- (en) Neil Jeffares, « Dictionnary of pastellists before 1800 - Marianne de Bellem », Online edition, (lire en ligne, consulté le )
- (en) Janet Polasky, « Women in Revolutionary Belgium: From Stone Throwers to Hearth Tenders." », History Workshop, no 21, , p. 87-104 (lire en ligne, consulté le )
- Louis Tierenteyn, « Jeanne Pinaut », Biographie nationale, vol. 17, , p. 518-530 (lire en ligne, consulté le )
- Frans van Kalken, Madame de Bellem : la « Pompadour des Pays-Bas », Bruxelles, Office de publicité, , 93 p.
- Frans van Kalken, « Les origines du sentiment antirévolutionnaire dans les Pays-Bas autrichiens en 1789 et ses effets sur la révolution brabançonne », Revue d'histoire moderne, vol. 2, no 9, , p. 161-176 (lire en ligne, consulté le )
- (nl) Vincent Willem, De Raad van Brabant en de Brabantse Omwenteling, Gand, Université de Gand, , 89 p. (lire en ligne), p. 67-69
Pamphlets
- de Baunoir, Mémoires pour servir à l'histoire secrete de Jeanne de Bellem ditte la Pineau, maitresse en titre de S. E. Henri Van der Noot agent plénipotentiaire des Provinces Belgiques, chez les FF. de Vryheid et de Waarheid, (lire en ligne).
- anonyme, Étrennes Aux Amis De La Lappineau, Ou Panégirique De La Dépositaire Des Secrets D'Henry Vander Noot, , 3 p. (lire en ligne).
- C.-M. Spanoghe, Het verlost Nederland, p. 152-161.
Liens externes
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