L'art imite la nature

L'art imite la nature (en grec ancien : η τέχνη μιμείται την φύσιν, en latin : ars imitatur naturam) est une locution grecque qui signifie que la technique (technè) humaine s'inspire de la nature et de ses productions.

Concept

Chez Platon

Si Platon n'utilise pas l'expression, il soutient que l'art (des beaux-arts) est une imitation des apparences sensibles que l'on trouve dans la nature ; or, les apparences sensibles n'étant qu'un simulacre du réel, l'art qui l'imite n'est qu'un simulacre de simulacre[1],[2].

Chez Aristote

Aristote est le premier à écrire que l'art imite la nature, dans la Physique[3]. Il utilise en grec le terme de technè pour désigner l'art, c'est-à-dire la technique productrice, et non l'art dans son sens latin ars, artis, qui désigne les beaux-arts. L'art n'est pas une simple imitation, ni une concurrence, ni une servilité[4]. L'art vise à « achever ce que la nature n'a pas pu mener à bien »[5]. Cette imitation est donc recommandable[6]. La nécessaire observation de la nature par l'utilisateur de la technique est une partie de la mimèsis[7].

Chez Sénèque

Sénèque écrit dans les Lettres à Lucilius[8] que omnis ars naturae imitatio est (« tout art est l'imitation de la nature »). Selon lui, en effet, l'art est image de la nature. L'utilisation du mot ars (l'art) est ici au sens de l'art artistique, et non de l'art-technè[9].

Chez Thomas d'Aquin

Thomas d'Aquin passe la célèbre formule au filtre de la scolastique. Il écrit dans sa Somme théologique[10] que ars imitatur naturam. Selon lui, la phrase signifie à la fois que l'art reproduit la nature, et que l'art opère comme la nature[11]. L'art est ici entendu dans son sens d'art-technè : la nature, lorsqu'elle « guérit le malade en altérant, maîtrisant et chassant la matière qui causait la maladie », agit comme un médecin, et vice versa[12].

Chez Hobbes

Thomas Hobbes ouvre le Léviathan (1651)[13], par une réflexion sur la nature. Reprenant Aristote, il écrit que « la nature [...] est si bien imitée par l'art de l'homme, en ceci comme en de nombreuses autres choses, que cet art peut fabriquer un animal artificiel »[14].

Chez Kepler

L'astronome et penseur de la nature Johannes Kepler se montre en opposition à la thèse aristotélicienne. La révolution scientifique de son époque lui fait percevoir différemment le rapport entre la nature et la technique. Il écrit que « Dieu, à la manière d'un de nos architectes, a procédé à la construction du monde par ordre et norme, ayant mesuré chaque chose de telle façon qu'il semble non que l'art imite la nature, mais que Dieu lui-même regardait par avance l'art de construire de l'homme à venir »[15].

Chez Descartes

René Descartes renverse la proposition d'Aristote en écrivant: « du moment que l'art est un imitateur de la nature et que les hommes peuvent fabriquer des automates variés dans lesquels, sans aucune pensée, se trouve le mouvement il semble conforme à la raison que la nature produise aussi ses automates, mais qui l'emportent de beaucoup sur les produits de l'art, à savoir toutes les bêtes »[16],[17]. La copie conduit à la connaissance de l'exemplaire[18].

Chez Boileau

Nicolas Boileau, dans l'Art poétique[19], appelle ses lecteurs à apprendre ce que produit la nature pour que leur art sache l'imiter[20].


Notes et références

  1. Platon. La République, Livre X. 2 (traducteur Émile Chambry), 1932, lire sur wikisource: . Consulté le .
  2. Émile Louis Burnouf, Des principes de l'art, d'après la méthode et les doctrines de Platon, J. Delalain, (lire en ligne)
  3. Aristote. Physique. Livre II, chapitre 2 , 194a, p.55, lire en ligne . Consulté le .
  4. Paul Lacroix, Revue universelle des arts, (lire en ligne)
  5. Éric Oudin et André. Comte-Sponville, L'art [de Platon à Deleuze], Eyrolles, dl 2009 (ISBN 978-2-212-54458-9 et 2-212-54458-8, OCLC 690385295, lire en ligne)
  6. France Farago, Étienne Akamatsu, Patrice Gay et Gilbert,. Guislain, La nature : Programme 2015-2016, Armand Colin, dl 2015, cop. 2015 (ISBN 978-2-200-60235-2 et 2-200-60235-9, OCLC 920854937, lire en ligne)
  7. Christoph Wulf, Mimesis : culture, art, society, University of California Press, (ISBN 0-520-08458-6, 978-0-520-08458-2 et 0-520-08459-4, OCLC 32969637, lire en ligne)
  8. Sénèque. Lettres à Lucilius. Livre VII. Lettre 65 [paragraphe.150] (traducteur Joseph Baillard, 1914), lire sur wikisource:  ; Consulté le .
  9. Frederick M. Rener, Interpretatio : language and translation from Cicero to Tytler, Rodopi, (ISBN 90-6203-779-8 et 978-90-6203-779-7, OCLC 22120233, lire en ligne)
  10. Thomas d’Aquin. Somme Théologique. Prima pars. Question 117. Article 1. Objection 4, lire sur wikisource (en):  ; Consulté le .
  11. Pierre Soulages Henri Meschonnic, Le Rythme et la Lumiere, Odile Jacob, (ISBN 978-2-7381-8659-1 et 2-7381-8659-9, OCLC 1242876733, lire en ligne)
  12. Saint Thomas (Aquinas), Somme théologique de S. Thomas D'Aquin, Louis Vivès, (lire en ligne)
  13. Thomas Hobbes. Léviathan. Introduction. 1) En français (traducteur:François Tricaud): aux Éditions Sirey, 1971, p. 5. (ISBN 9782248009823) ; 2) en anglais sur wikisource, lire : . Consulté le .
  14. Introduction aux sciences sociales., L'Harmattan, (ISBN 978-2-296-16453-6 et 2-296-16453-6, OCLC 1100852369, lire en ligne)
  15. Pierre-François Moreau, Spinoza et les mathématiques, PUPS, dl 2007 (ISBN 2-84050-375-1 et 978-2-84050-375-0, OCLC 491382721, lire en ligne)
  16. René Descartes. Œuvres et lettres : Lettre à Morus du 5 février 1649 , Bibliothèque de la Pléiade no  40, Paris, 1953, p.1319.
  17. Georges Gusdorf, Les sciences humaines et la pensée occidentale: La révolution galiléenne. 2 v, Payot, (lire en ligne)
  18. Georges Cottier, Défis éthiques, Saint-Augustin, (ISBN 978-2-940461-82-0, lire en ligne)
  19. Nicolas Boileau, L'Art poétique, Chant III, v.2, 1672, lire sur wikisource : . Consulté le .
  20. (en) Nicolas Boileau, Boileau L'art Poetique, CUP Archive (lire en ligne)
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