La Raison dans l'histoire

La Raison dans l'histoire (en allemand : Vernunft in der Geschichte) est une œuvre philosophique de Georg Wilhelm Friedrich Hegel, qui est à l'origine une introduction aux Leçons sur la philosophie de l'histoire. Publiée de manière posthume en 1837, la Raison dans l'histoire permet à Hegel d'exposer la thèse principale des Leçons, selon laquelle la raison gouverne l'histoire.

Historique

La raison dans l'histoire est le nom donné à la longue introduction à l’œuvre des Leçons sur la philosophie de l'histoire. Le texte est parfois édité conjointement avec les Leçons[1].

Plan

Introduction de 1822 et 1828 : types d'historiographie

Il s'agit d'une introduction réalisée par Hegel à son cours sur la place de la raison dans l'histoire. Il annonce son projet, qui est non pas d'écrire une simple histoire avec des exemples extraits des évènements, mais de présenter le contenu même de l'histoire universelle[2].

Il distingue trois manières d'écrire l'histoire : l'histoire originale ; l'histoire réfléchie ; l'histoire philosophique. La première, celle d'Hérodote, fait connaître les évènements et les situations. La méthode de cet historien est de « compose[r] en un tout ce qui appartient au passé, ce qui s’est éparpillé dans le souvenir subjectif et contingent ». Hegel ne considère pas « les mythes, les traditions, les chants populaires et les poèmes en général », car ce sont, selon lui, « des modes confus de commémoration »[3]. Le philosophe revient sur l'importance de l'écriture. Une civilisation aurait beau être trois fois millénaire, comme par exemple l'Inde, elle est « incapable d'évolution culturelle » et ne peut « écrire sa propre histoire » si elle ne dispose de l'écriture[4]. La lecture de ces historiens permet de connaître l'esprit de la civilisation à laquelle ils appartiennent[2].

L'histoire réfléchie, elle, est la plus courante. Il s'agit, selon Hegel, « d'une forme d'histoire qui transcende l'actualité dans laquelle vit l'historien et qui traite le passé le plus reculé comme actuel en esprit ». Elle ne se propose que d'étudier la totalité de l'histoire (d'un pays, du monde entier). Il s'agit de faire entrer le lecteur dans chaque période[5]. L'histoire pragmatique fait partie de l'histoire réfléchie : elle vise à « donner une image développée du passé et de sa vie »[2]. Hegel se montre très critique envers la forme d'histoire qui consiste en une « petite psychologie qui s'attarde sur les mobiles des personnages historiques et croit les trouver non dans le Concept mais dans leurs penchants et leurs passions particulières », ainsi que « la compilation moralisante » qui « assaisonne ses racontars de réflexions tirées de l'édification chrétienne »[6].

L'histoire philosophique, enfin, a un point de vue général, car elle « n'est plus plié à un domaine particulier ». Le point de vue de l'histoire philosophique « n'est pas abstraitement général, mais concret et éminemment actuel parce qu'il est l'Esprit qui demeure éternellement auprès de lui-même et ignore le passé »[5]. Le philosophe connaît « l'Esprit dans son rôle de guide ». En effet, « l'Idée est ce qui mène les peuples et le monde »[7].

Introduction de 1830 : l'histoire philosophique

Hegel introduit à nouveau son cours sur le rôle de la raison dans l'histoire, plusieurs années plus tard. Il définit d'emblée la philosophie de l'histoire comme « la considération pensante de cette dernière ». L'homme étant un être pensant, il y a une « participation universelle de la pensée » à l'histoire. L'histoire pragmatique est l'histoire qui établit et précise « l'enchaînement des faits », c'est-à-dire « les causes et les raisons des évènements »[2]. Ainsi, l'« l’unique tâche de l’histoire est la pure compréhension de ce qui a été et de ce qui est, événements et actions »[8].

L'idée de la Raison

Hegel soutient que la seule idée que la philosophe, au fond, apporte, c'est celle de la Raison. La Raison « gouverne le monde », et par conséquent, « l'histoire universelle s'est elle aussi déroulée rationnellement ». La Raison, en effet, est une « substance, la puissance infinie, la matière infinie de toute vie naturelle ou spirituelle »[9].

Le but de la philosophie, ici, est « d'éliminer le hasard » : la contingence n'est qu'une nécessité extérieure, c'est-à-dire une cause inattendue. Il faut chercher, dans l'histoire, « un but universel », but final du monde, saisissable par la raison[10]. L'histoire universelle est, selon Hegel, « la manifestation de cette Raison unique, une des formes dans lesquelles elle se révèle ; une copie du modèle originel qui s'exprime dans un élément particulier, les Peuples »[11].

Partir de la Raison permet de saisir la cohérence de l'histoire. Ainsi, « ll ne faut pas voir avec les yeux naturels ni penser avec l’entendement fini : il faut regarder aavec l’œil du Concept, de la Raison, qui pénètre la superficie des choses et transperce l’apparence bariolée des événements »[12]. L'intellect permet d'identifier les causes et les effets ; aussi, de distinguer l'essentiel et de l'inessentiel, et d'éliminer ce dernier. L'entendement permet de saisir les buts secondaires et les différencier du but principal[2].

Les catégories de la conscience historique

Le spectacle de l'histoire apparaît généralement à la pensée sous un certain nombre de catégories. La première est celle du changement, qui résulte des évolutions perpétuelles que subissent les acteurs du monde. Ce spectacle a un côté négatif, car « il est déprimant de voir que tant de splendeur, tant de belle vitalité a dû périr, et que nous marchons au milieu des ruines ». On peut alors ressentir « le deuil désintéressé de la ruine d'une vie humaine brillante »[13].

Toutefois, la catégorie du changement est rattachée à un aspect immédiat du changement qui est le renouveau. Hegel considère que les philosophies orientales en ont fait le maître aspect de leur métaphysique : la métempsychose proclame le retour continu de ce qui a été. La philosophie occidentale nous offre la deuxième catégorie, celle du rajeunissement, qui « n'est pas un simple retour à la forme antérieure », mais est « une purification et une transformation de lui-même » qui permet à l'Esprit de se renforce et de se répandre dans l'histoire[14]. La troisième catégorie est la Raison elle-même : « elle existe dans la conscience comme foi en la toute-puissance de la Raison sur le monde »[2].

L'idée antique de la Raison

Hegel revient sur la théorie d'Anaxagore, qu'il considère comme un pionnier dans le cadre de sa conception du noûs. Le noûs est « l'Intelligence en général, ou encore la Raison, telle qu'elle gouverne le monde ». La Raison n'est pas une intelligence en tant que conscience de soi : la rotation des planètes obéit à une loi de la raison, mais les planètes ne sont pas conscientes d'elles-mêmes[9].

Le philosophe rappelle que Socrate, par la plume de Platon, avait critiqué chez Anaxagore non pas tant sa prétention à expliquer le réel par la Raison, mais le fait qu'Anaxagore ne soit pas allé jusqu'au bout de son raisonnement concernant le déploiement de la Raison dans l'histoire. En fait, « la nature n’était pas [encore] comprise comme le développement de la Raison, comme un ordre produit par la Raison en tant que cause première »[15].

L'idée chrétienne de la Providence

L'idée que la Raison gouverne le monde n'est pas inconnue du grand public, selon Hegel, du fait des religions : c'est là « la forme de la vérité religieuse, d'après laquelle le monde n'est pas livré au hasard ou à des causes extérieures et accidentelles, mais est régi par une Providence »[16]. La foi, toutefois, ne convient pas pour comprendre l'histoire universelle : elle « s’oppose à la connaissance du Plan providentiel et à toute application de l’idée de Providence dans les grandes affaires du monde », car « si nous plaçons Dieu au-delà de notre conscience rationnelle, nous nous trouvons du même coup affranchis du souci de connaître sa nature et de reconnaître la présence de la Raison dans l’histoire »[2], [17].

Hegel contre-argumente contre ceux qui soutiennent qu'il serait « présomptueux de vouloir connaître le plan de la Providence ». Le philosophe soutient au contraire que « la véritable humilité consiste à vouloir connaître et honorer Dieu en toutes choses, et en premier lieu dans l'histoire »[18]. Hegel déploie sa pensée au sujet de Dieu[2].

La théodicée

Hegel affirme que sa méditation sera une théodicée, c'est-à-dire une explication du mal et du bien dans l'univers. Selon lui, « le mal moral doit être compris et l'esprit pensant doit se réconcilier avec le négatif ». Cela est d'autant plus impératif que, partout où l'on pose les yeux dans l'histoire, le mal semble présent[19].

Annexe

L'annexe de la Raison dans l'histoire est un ensemble de pensées d'Hegel, présentées sous la forme de paragraphes. Il soutient que l'Esprit universel est trouvable dans plusieurs domaines de la vie, telle que l'art (où l'esprit est intuition et image), dans la religion (où il est sentiment représentation), et en philosophie, où il est pensée pure et libre. L'Esprit universel est dans l'histoire universelle, où elle agit comme un tribunal[20].

Le philosophe réaffirme que « l’histoire est [...] d’après le seul concept de sa liberté, le développement nécessaire des moments de la Raison de sa conscience de soi et de sa liberté : elle est explicitation et la réalisation de l’Esprit universel »[21]. Tous les « États, peuples et individus », grâce à l'Esprit du monde, « affirment leur principe particulier déterminé »[2]. L'histoire peut donc être définie comme « l’acte par lequel l’Esprit se façonne dans la forme de l’événement »[22].

L'histoire du monde fait qu'un peuple reçoit, par succession, la mission de la prise de conscience de soi de l'Esprit du monde. Pour Hegel, « ce peuple est dominant dans l'histoire du monde pour telle époque donnée - et il ne peut faire époque qu'une seule fois »[2].

Hegel précise sa théorie de l’État. Il ne s'agit pas d'une forme d'organisation primitive. Toutefois, chaque étape qui mène à l’État (le passage de la famille à la horde, à la tribu, à la foule, etc.), « constitue la réalisation formelle de l'Idée ». Sans État, le peuple est privé d'existence objective et n'est pas reconnu[23].

L'auteur réaffirme son découpage en mondes historiques, qui va du monde oriental au monde grec, avant d'arriver au monde romain puis au monde germanique[2].

Notes et références

  1. Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Introduction à la philosophie de l'histoire, Libr. Générale Française, (ISBN 978-2-253-08874-5, lire en ligne)
  2. Georg Willhelm Friedrich Hegel, La raison dans l'histoire introduction à la philosophie de l'histoire, Pocket, impr. 2012 (ISBN 978-2-266-22894-7 et 2-266-22894-3, OCLC 835286713, lire en ligne)
  3. Jean Céard et Jean Dupèbe, Esculape et Dionysos : mélanges en l'honneur de Jean Céard, Droz, (ISBN 978-2-600-01181-5 et 2-600-01181-1, OCLC 227153203, lire en ligne)
  4. France Farago, Étienne Akamatsu et Gilbert Guislain, ECS-ECE-ECT 2e année - La mémoire - Culture générale Prépas commerciales - Programme 2018-2019, Dunod, (ISBN 978-2-10-078489-9, lire en ligne)
  5. France Farago et Gilles Vannier, Penser l'Histoire: Prépas scientifiques / Programme 2007-2008, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-35611-8, lire en ligne)
  6. Revue germanique internationale, Presses universitaires de France, (ISBN 978-2-13-049066-1, lire en ligne)
  7. Roger Verneaux, Histoire de la philosophie moderne, Editions Beauchesne, (lire en ligne)
  8. Arslane Klioua, Le monde défait la révolution-XXe siècle : l'oeuvre des ennemis de la révolution, (ISBN 978-2-7539-0338-8 et 2-7539-0338-7, OCLC 1003528297, lire en ligne)
  9. Jacques d' Hondt, Hegel et le siècle des lumières, Presses universitaires de France, (lire en ligne)
  10. François Cavallier et Frédéric Laupies, Premières leçons sur la raison dans l'histoire de Hegel, (Presses universitaires de France) réédition numérique FeniXX, (ISBN 978-2-7059-2625-0, lire en ligne)
  11. Hélène Védrine, Les ruses de la raison: Pouvoir et pouvoirs, (Payot & Rivages), (ISBN 978-2-35702-052-8, lire en ligne)
  12. Charles Taylor, Hegel et la société moderne, Presses Université Laval, (ISBN 978-2-7637-7410-7, lire en ligne)
  13. Sabine Forero-Mendoza, Le temps des ruines : l'éveil de la conscience historique à la renaissance, Champ Vallon, (ISBN 2-87673-356-0 et 978-2-87673-356-5, OCLC 51221478, lire en ligne)
  14. Albert Heinekamp, Centre national de la recherche scientifique (France), Centre d'études supérieures de la Renaissance et Gottfried-Wilhelm-Leibniz-Gesellschaft, Leibniz et la Renaissance: colloque du Centre national de la recherche scientifique (Paris), du Centre d'études supérieures de la Renaissance (Tours) et de la G.W. Leibniz-Gesellschaft (Hannover) : Domaine de Seillac (France) du 17 au 21 juin 1981, F. Steiner, (ISBN 978-3-515-03751-8, lire en ligne)
  15. (de) Andreas Arndt, Geist?, Akad.-Verlag, (ISBN 978-3-05-005051-5, lire en ligne)
  16. Emilio Brito, Dieu et l'être d'après Thomas d'Aquin et Hegel, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-043239-5, lire en ligne)
  17. Maurice Lagueux, Actualité de la philosophie de l'histoire [l'histoire aux mains des philosophes], Presses de l'Université Laval, impression 2001 (ISBN 978-2-7637-1447-9 et 2-7637-1447-1, OCLC 1033464634, lire en ligne)
  18. Daniel PARROCHIA, La forme des crises: Logique de épistémologie, Champ Vallon, (ISBN 978-2-87673-689-4, lire en ligne)
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  22. Benjamin Constant: études et recherches de P. Cordey, P. Deguise, F.P. Bowman [et al.]., Droz, (lire en ligne)
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