Le Chat et le Rat

Le Chat et le Rat est la vingt-deuxième fable du livre VIII de Jean de La Fontaine situé dans le second recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1678. La fable a été mise en musique par Heitor Villa-Lobos en 1922.

Le Chat et le Rat

Gravure de Pierre Quentin Chedel d'après Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint & Saillant, 1755-1759

Auteur Jean de La Fontaine
Pays France
Genre Fable
Éditeur Claude Barbin
Lieu de parution Paris
Date de parution 1678
Chronologie

Texte de la fable

Quatre animaux divers, le Chat Grippe-fromage[N 1],
Triste-oiseau le Hibou, Ronge-maille le Rat,
Dame Belette au long corsage,
Toutes gens d’esprit scélérat,
Hantaient le tronc pourri d’un pin vieux et sauvage.
Tant y furent qu’un soir à l’entour de ce pin
L’homme tendit ses rets[N 2]. Le Chat de grand matin
Sort pour aller chercher sa proie.
Les derniers traits de l’ombre empêchent qu’il ne voie
Le filet ; il y tombe, en danger de mourir :
Et mon Chat de crier, et le Rat d’accourir,
L’un plein de désespoir, et l’autre plein de joie.
Il voyait dans les lacs son mortel ennemi.
Le pauvre Chat dit : Cher ami,
Les marques de ta bienveillance
Sont communes en mon endroit :
Vien m’aider à sortir du piège où l’ignorance
M’a fait tomber : C’est à bon droit
Que seul entre les tiens par amour singulière
Je t’ai toujours choyé, t’aimant comme mes yeux.
Je n’en ai point regret, et j’en rends grâce aux Dieux.
J’allais leur faire ma prière ;
Comme tout dévot Chat en use les matins.
Ce réseau me retient ; ma vie est en tes mains :
Viens dissoudre[N 3] ces nœuds. Et quelle récompense
En aurai-je ? reprit le Rat.
Je jure éternelle alliance
Avec toi, repartit le Chat.
Dispose de ma griffe, et sois en assurance :
Envers et contre tous je te protégerai,
Et la Belette mangerai
Avec l’époux de la Chouette[N 4].
Ils t’en veulent tous deux. Le Rat dit : Idiot !
Moi ton libérateur ? je ne suis pas si sot.
Puis il s’en va vers sa retraite.
La Belette était prés du trou.
Le Rat grimpe plus haut ; il y voit le Hibou :
Dangers de toutes parts ; le plus pressant l’emporte.
Ronge-maille retourne au Chat, et fait en sorte
Qu’il détache un chaînon, puis un autre, et puis tant
Qu’il dégage enfin l’hypocrite.
L’homme paraît en cet instant.
Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite.
À quelque temps de là, notre Chat vit de loin
Son Rat qui se tenait à l’erte[N 5] et sur ses gardes.
Ah ! mon frère, dit-il, viens m’embrasser ; ton soin
Me fait injure. Tu regardes
Comme ennemi ton allié.
Penses-tu que j’aie oublié
Qu’après Dieu je te dois la vie ?
Et moi, reprit le Rat, penses-tu que j’oublie
Ton naturel ? aucun traité
Peut-il forcer un Chat à la reconnaissance ?
S’assure-t-on sur l’alliance
Qu’a faite la nécessité ?

 Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine, Le Chat et le Rat, texte établi par Jean-Pierre Collinet, Fables, contes et nouvelles, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 332


Notes

  1. Nom donné au chat par le père jésuite Pierre Poussines dans sa traduction latine de la version grecque (par Syméon Seth) du Livre de Kalîla et Dimna (les « Fables de Pilpay », qui inspirèrent La Fontaine), sous le titre Specimen sapientiæ Indorum veterum (Rome, 1666).
  2. filets
  3. du latin dissolvere : détruire, dénouer
  4. La Fontaine présente le hibou comme le mâle de la chouette
  5. de l'italien "all'erta", sur une hauteur d'où on surveille les alentours, par conséquent sur ses gardes

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