Le Roi des Aulnes (roman)

Le Roi des Aulnes est un roman de Michel Tournier paru chez Gallimard en 1970 et ayant obtenu le prix Goncourt la même année.

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Le Roi des Aulnes
Auteur Michel Tournier
Pays France
Genre roman
Éditeur Gallimard
Collection Soleil
Date de parution
Nombre de pages 395
ISBN 2070106276
Chronologie

Histoire

Le roman obtient en le prix Goncourt au second tour de scrutin à l'unanimité du jury[1],[2].

Résumé

L'histoire est celle d'Abel Tiffauges[3], dont on suit le curieux destin, de son séjour au pensionnat Saint-Christophe, où il rencontre l'étrange Nestor, élève privilégié qui le prend sous son aile et qu'il adule, à la Seconde Guerre mondiale, qui permettra au héros de s'épanouir et d'aller jusqu'au bout de ses obsessions.

Abel raconte d'abord dans un journal intime son enfance et sa vie à Paris jusqu'en 1939.

Après la « drôle de guerre », Abel, colombophile passionné, est stationné comme soldat en Alsace. Puis il est fait prisonnier et emmené à travers l'Allemagne et la Pologne jusqu'en Prusse-Orientale, région allemande à l'époque et correspondant aujourd'hui à peu près à l'enclave russe de Kaliningrad (nouveau nom de Königsberg), au nord-est de la Pologne.

Emprisonné d'abord dans le camp de Moorhof (près d'Insterburg, actuellement Tcherniakhovsk, et Gumbinnen, actuellement Goussev), Abel rejoint ensuite la réserve de Rominten (sud-est de la région de Prusse-Orientale), domaine de chasse d'un certain Goering, que le héros appelle lui-même « l'ogre de Rominten ». Il se retrouve ensuite, en 1943, au sud de Rominten, en Mazurie, dans l'ancienne forteresse de Kaltenborn (aujourd'hui Zimna Woda en Pologne), transformé en Napola (école para-militaire du Troisième Reich). Là, il devient « l'ogre de Kaltenborn », s'accomplissant complètement dans le recrutement forcé d'enfants dans la région mazurienne et devenant peu à peu maître de la Napola.

Il ignore que ses quatre cents Jungmannen sont destinés à périr dans la défense désespérée de la forteresse lors de l'invasion soviétique. Il sauve Éphraïm, un garçon juif venant d'un camp de Lituanie, le prend sur son dos et disparaît avec lui en voulant traverser les marécages qui se trouvent sur leur chemin. Le roman se termine par cette phrase : « Quand [Abel] leva pour la dernière fois la tête vers Éphraïm, il ne vit qu'une étoile d'or à six branches qui tournait lentement vers le ciel noir. »

Analyse

L'ogre

Michel Tournier a bâti un roman complexe avec un personnage assez particulier qui cherche à dominer ses obsessions.

Parmi ses obsessions, celle pour les enfants a de quoi déranger. Mais Abel, personnage introspectif type, ne se livre pas à des contacts physiques directs avec les enfants, préférant tirer son plaisir des impressions du quotidien ou de ses expériences solitaires (notamment autour de l'odeur que dégagent les cheveux coupés des enfants dont il remplit son oreiller).

Il résume son ambition dans la première partie :

« Il ne me sied pas de nouer des relations individuelles avec tel ou tel enfant. Ces relations, quelles seraient-elles au demeurant ? Je pense qu'elles emprunteraient fatalement les voies faciles et toutes tracées soit de la paternité soit du sexe. Ma vocation est plus haute et plus générale. »

La notion de « phorie »

Le livre tire son titre du Roi des Aulnes, ballade de Goethe qui commence ainsi : « Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent ? C'est le père avec son enfant. Il serre le jeune garçon dans ses bras. Il le tient au chaud, il le protège. »

Fasciné par cette image de l'homme « porte-enfant », Abel la voit partout dans sa vie comme un signe prémonitoire. Ainsi saint Christophe, le saint patron de son pensionnat est représenté avec, sur le dos, un enfant qui serait, selon la légende, Jésus-Christ.

Il crée alors le concept de « phorie » et son expérience lui fait décliner ce concept : le cerf est nommé l'ange « phallophore », le cheval est l'animal « phorique » par excellence, la « superphorie » correspond au cavalier portant un enfant et l'officier SS marchant sur les enfants allongés accomplit un acte « antiphorique » par excellence.

La prémonition d'Abel trouve sa réalisation dans sa mort : il s'enfonce dans la vase d'un marécage avec l'enfant qu'il a sauvé. Cet enfant portant une étoile jaune, Abel parle d'« astrophorie ».

Inversion

Le principe d'« inversion » des valeurs traverse l'œuvre. Tournier distingue l'inversion maligne, qui tend à faire de son héros un ogre, et l'inversion bénigne, qui en fait finalement un sauveur porte-enfant. Accaparé par la lecture des signes qui éclairent son destin, grisé par son pouvoir croissant à Kaltenborn, Abel perçoit, lors de la chute de l'Allemagne de Hitler, l'idéologie nazie comme le reflet inversé des valeurs auxquelles il croit, la pureté recherchée étant l'inversion maligne de l'innocence.

Adaptation

Le roman de Tournier inspire un film du même nom, réalisé par Volker Schlöndorff en 1996 et interprété par John Malkovich et Marianne Sägebrecht.

Éditions

  • Le Roi des Aulnes, Paris, Gallimard, 1970, 395 p. [a fait l'objet de nombreuses réimpressions]

Un exemplaire de l'édition originale relié par Ronnie Daelemans a été vendu cinq cents euros en , lors d'enchères organisées à Bruxelles par la librairie Henri Godts.

Notes et références

  1. Le Roi des Aulnes sur le site de l'Académie Goncourt.
  2. Du côté de chez Drouant : le Goncourt de 1962 à 1978 émission de Pierre Assouline sur France Culture le 17 août 2013.
  3. Tiffauges est également le nom du domaine de Gilles de Rais, dont Michel Tournier a écrit une vie romancée (Gilles et Jeanne), et qui pourrait avoir donné naissance aux légendes d'ogres.

Annexes

Bibliographie

  • Liesbeth Korthals Altes, Le salut par la fiction ? : sens, valeurs et narrativité dans « Le roi des Aulnes » de Michel Tournier, Amsterdam, Rodopi, 1992, 232 p. (ISBN 90-5183-427-6).
  • Arlette Bouloumié, « Le Roi des Aulnes de Michel Tournier », L’École des Lettres II, no 1, 1986-1987, p. 9-23.
  • Arlette Bouloumié, « Le Roi des Aulnes de Michel Tournier », L’École des Lettres II, no 2, 1986-1987, p. 3-10.
  • Arlette Bouloumié, « Michel Tournier : Le Roi des Aulnes », L’École des Lettres II, no 14, 1990-1991, p. 145-160.
  • Arlette Bouloumié, « Le renouvellement du mythe de l'ogre et ses variantes dans l'œuvre de Michel Tournier », dans Marie-Hélène Boblet (dir.), Chances du roman, charmes du mythe : versions et subversions du mythe dans la fiction francophone depuis 1950, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, , 216 p. (ISBN 978-2-87854-605-7, lire en ligne), p. 69-79.
  • Arlette Bouloumié, « La conversion dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique, Le Roi des Aulnes et Les Rois Mages de Michel Tournier », dans Didier Boisson et Élisabeth Pinto-Mathieu (dir.), La conversion : textes et réalités, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », , 419 p. (ISBN 978-2-7535-3344-8, lire en ligne), p. 69-79.
  • Arlette Bouloumié, « Variations germaniques sur la phorie dans le Roi des Aulnes (influence de Nietzsche, Bach et du Mithracisme) », dans Michael Worton (dir.), Michel Tournier, Londres, Longman Higher Education and Reference.
  • William Cloonan, The Writing of war : French and German fiction and World War II, Gainesville, University Press of Florida, 1999, XI-188 p. (ISBN 0-8130-1685-1).
  • Bérangère Cousin, « L'ogre Nestor dans Le Roi des Aulnes de Michel Tournier », Recherches sur l'imaginaire, Angers, Université d'Angers, Centre de Recherches en Littérature et Linguistique de l'Anjou et des Bocages de l'Ouest, no XXVI « Les mythes de l'ogre et de l'androgyne », , p. 65-80 (lire en ligne).
  • Svein Eirik Fauskevåg, Allégorie et tradition : étude sur la technique allégorique et la structure mythique dans « Le Roi des Aulnes » de Michel Tournier, Oslo, Solum Forlag & Paris, Didier Érudition, 1993, 290 p. (ISBN 82-560-0898-9).
  • Manfred S. Fischer, Probleme internationaler Literaturrezeption : Michel Tourniers "Le Roi des Aulnes" im deutsch-französischen Kontext, mit Geleitwort von Michel Tournier, Bonn, Bouvier Verlag H. Grundmann, 1977, 167 p. (ISBN 3-416-01322-0).
  • Catherine Henry (dir.), Écritures autobiographiques et romanesques, Caen, Erasmus, 1992, VI-150 p.
  • Cornelia Klettke, Der Postmoderne Mythenroman Michel Tourniers : am Beispiel des « Roi des Aulnes », Bonn, Romanistischer Verl, 1991, 337 p. (ISBN 3-924888-80-9).
  • Anne Lozac'h, « De Gilles de Rais à Abel Tiffauges : des destinées placées sous le signe de l'inversion », Recherches sur l'imaginaire, Angers, Université d'Angers, Centre de Recherches en Littérature et Linguistique de l'Anjou et des Bocages de l'Ouest, no XXVI « Les mythes de l'ogre et de l'androgyne », , p. 133-151 (lire en ligne).
  • Véronique Moreau, « Les enfants dans Le Roi des Aulnes de Michel Tournier », Recherches sur l'imaginaire, Angers, Université d'Angers, Centre de Recherches en Littérature et Linguistique de l'Anjou et des Bocages de l'Ouest, no XXVI « Les mythes de l'ogre et de l'androgyne », , p. 81-97 (lire en ligne).
  • Vincent Petitjean, Vies de Gilles de Rais, Paris, Classiques Garnier, coll. « Perspectives comparatistes » (no 35), , 562 p. (ISBN 978-2-8124-4759-4, présentation en ligne).
  • Jacques Poirier, Approche de... "Le roi des Aulnes" (Michel Tournier), Dijon, Éd. de l'Aleï, 1983, 24 p. (ISBN 2-904614-02-8).
  • Anne-Cécile Poupard, « La Prusse Orientale, terre mythique dans Le Roi des Aulnes de Michel Tournier », Recherches sur l'imaginaire, Angers, Université d'Angers, Centre de Recherches en Littérature et Linguistique de l'Anjou et des Bocages de l'Ouest, no XXVI « Les mythes de l'ogre et de l'androgyne », , p. 99-116 (lire en ligne).
  • (en) Vladimir Tumanov, « John and Abel in Michel Tournier’s Le Roi des Aulnes », Romanic Review, vol. 90, no 3, , p. 417-434 (lire en ligne).
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