Lea Garofalo

Lea Garofalo, née le à Petilia Policastro et morte assassinée le à Milan est une femme italienne qui a témoigné devant la justice contre la 'Ndrangheta. Elle meurt assassinée par son compagnon après avoir été torturée, son corps est ensuite brûlé. Elle est devenue un symbole de la résistance à la culture mafieuse.

Lea Garofalo
Biographie
Naissance
Décès
(à 35 ans)
Milan
Nationalité
Vue de la sépulture.

Biographie

Le contexte familial

Lea Garofalo est née le dans un village de Calabre, Petilia Policastro. Sa famille est liée à la mafia calabraise, la 'Ndrangheta, puisque son père et son frère Floriano Garofalo en sont des chefs locaux[1].

« Elle me disait : «Mon père a été tué quand j'étais bébé. Mon grand-père et mon oncle ont été tués. J'avais cette image des femmes de la famille toujours habillées en noir. Nous étions toujours en deuil » (citée par l'avocate Vincenza Rando). La mort de son père déclenche la guerre de Pagiarelle qui fera 40 morts dans les familles rivales. Dans le village de 400 habitants, 35 meurtres ont lieu en 30 ans. Très tôt, Lea Garofalo veut échapper à cette vie[2],[3],[4].

Depuis l'adolescence, Lea Garofalo est amoureuse de Carlo Cosco, également issu d'une famille de la mafia. Comme elle, il dit vouloir rompre avec ce passé. Ce n'est que bien après la naissance de leur fille Denise, en 1991, que Lea Garofalo réalise que la réalité est toute autre. Carlo Cosco fait du trafic de drogue, elle subit la violence conjugale et la séquestration, fait plusieurs tentatives de suicide[2],[3].

Alors que Carlo Cosco est incarcéré, Lea Garofalo lui annonce qu'elle va le quitter. Il entre dans une telle rage que les policiers doivent intervenir, mais elle s'obstine et part pour Bergame avec sa fille. Elles vont y rester six ans, hébergées d'abord par des religieuses puis dans leur propre appartement une fois qu'elle a trouvé un travail[5],[4].

Cette situation est intolérable pour les hommes des familles Garofalo et Cosco qui considèrent que leur honneur est bafoué[4].

La rupture

Le 7 mai 1996, les carabiniers de Milan organisent un blitz contre la 'Ndrangheta de Petilia Policastro, qui a commencé à s'implanter dans la ville depuis quelques années. Ils arrêtent Floriano Garofalo, frère de Lea Garofalo, qui est chargé de gérer l'activité criminelle dans le centre de la Lombardie. Neuf ans après son arrestation et son acquittement, Floriano Garofalo est assassiné le 8 juin 2005 dans une embuscade dans un hameau de Petilia Policastro[1].

Entre-temps, il incendie la voiture de sa sœur alors qu'elle est en visite dans sa famille. Cette violence grandissante pousse Lea Garofalo à rompre avec sa vie marquée par les vengeances et les assassinats. Pour elle-même et pour l'avenir de sa fille Denise, elle collabore avec la police et la justice, fournissant notamment des informations importantes sur le rôle joué par son compagnon Carlo Cosco, et le frère de celui-ci, Giuseppe Cosco dans le trafic de drogue. De plus elle accuse Giuseppe Cosco du meurtre de son frère Floriano Garofalo et Carlo Cosco de complicité[1],[2].

Placée sous le statut de témoin de justice (Testimone di giustizia, un citoyen sans casier judiciaire, différent du collaborateur de justice ou repenti, collaboratore di giustizia, qui s'applique à une personne qui fait des révélations après avoir été arrêtée ou condamnée), elle bénéficie d'une protection à partir de 2002. Dans la 'Ndrangheta, famille de sang et famille mafieuse se confondent. Quitter le clan signifie quitter ses parents et toute sa famille et que la trahison vienne d'une femme supposée être obéissante et soumise, est encore plus grave. Changements d'identité, déménagements successifs (au moins une fois par an), solitude et peur deviennent son lot quotidien. Après le meurtre de son frère en 2005, Lea Garofalo vit constamment dans la peur, ne dort plus qu'avec un couteau sous l'oreiller[4],[5].

Pire encore, en 2006, Lea Garofalo est exclue du programme de protection au motif que ses révélations n'ont pas été suffisamment significatives et prouvées. Pour des raisons inexpliqués, celle qui était considérée comme un témoin clé, devient « peu fiable ». Le juge Giuseppe Gennari déclare : « C'est une défaite de la justice ! » [3].

Elle fait appel de la décision devant le Tribunal administratif régional (it)puis devant le Conseil d'État italien et obtient d'être réadmise au programme en décembre 2007 (en tant que collaboratore di giustizia, repenti et pas en tant que témoin), mais en avril 2009 - quelques mois avant sa mort - elle décide subitement , sans doute à bout de forces, de renoncer volontairement à toute protection. Au même moment, elle écrit une lettre au Président de la République italienne dans laquelle elle se plaint d'avoir été qualifiée seulement de collaboratrice de justice (et non de témoin), d'avoir bénéficié d'une assistance judiciaire défaillante à divers égards, d'avoir été obligée de déménager dans différentes villes avec sa petite fille dans le cadre du programme de protection, d'avoir perdu son emploi, ses contacts sociaux et d'avoir dû vendre son domicile pour payer les frais d'avocats. On ne sait pas si cette lettre a été envoyée[6].

Elle reprend contact avec Carlo Cosco, qui, pendant plusieurs mois, semble conciliant mais, en fait, tente à plusieurs reprises de la faire enlever et tuer[2],[4].

La tentative d'enlèvement

Alors que Lea Garofalo vit à Campobasso avec Denise, dans un logement loué par Carlo Cosco, le 5 mai 2009, Massimo Sabatino se présente à son domicile et essaie de la kidnapper. Elle parvient à s'échapper grâce à l'intervention de sa fille Denise qui n'est exceptionnellement pas à l'école ce jour-là et prévient les carabiniers en leur faisant part de ses soupçons au sujet de Carlo Cosco qu'elle pense être le commanditaire de l'agression. L'enquête piétine quelque peu jusqu'à ce que Lea Garofalo disparaisse à Milan le 24 novembre 2009[6].

L'embuscade et le meurtre

Le 20 novembre 2009, Carlo Cosco attire Lea Garofalo à Milan sous prétexte de parler de l'avenir de leur fille Denise. Le soir du 24 novembre, profitant d'un moment où Lea se retrouve seule sans Denise, Carlo Cosco l'emmène dans un appartement qu'il a emprunté précisément à cet effet. Vito Cosco les attend à la maison. C'est là qu'elle est assassinée. Carmine Venturino, Rosario Curcio et Massimo Sabatino emportent le corps de Lea Garofalo à San Fruttuoso, un quartier de Monza, où il est ensuite brûlé pendant trois jours jusqu'à ce qu'il soit complètement détruit[7],[8].

L'enquête et le procès

L'enquête est coordonnée par la Direction anti-mafia du district de Milan avec la brigade des homicides de l'unité d'enquête des carabiniers de Milan. Carlo Cosco est immédiatement soupçonné d'avoir voulu à la fois se venger de ce que Lea Garofalo avait déjà dit et l'empêcher d'en révéler davantage sur la lutte entre les familles Garofalo et Mirabelli de Petilia Policastro. En octobre 2010, le juge signe les mandats d'arrêt de Carlo Cosco, Massimo Sabatino, Giuseppe Cosco, Vito Cosco, Carmine Venturino et Rosario Curcio. Le 24 février 2010, deux autres personnes originaires de Cormano sont arrêtées pour avoir mis à disposition le terrain de San Fruttuoso où le corps de Lea Garofalo a été emporté[8],[9],[10].

Au procès, Denise Cosco-Garofalo témoigne contre son père[11].

Les avocats des accusés parviennent à faire annuler tout le processus pour vice de procédure, y compris les déclarations des témoins[12].

Le 23 mars 2012, alors que la défense prétend toujours que Lea Garofalo s'est enfuie en Australie, les six inculpés sont condamnés pour séquestration, homicide et destruction de corps mais le fait d'appartenir à la mafia n'est pas reconnu comme facteur aggravant. Carlo Cosco et son frère Vito sont condamnés à réclusion à perpétuité, dont deux ans à l'isolement. Giuseppe Cosco, Rosario Curcio, Massimo Sabatino et Carmine Venturino (ancien fiancé de Denise Garofalo) sont condamnés à la prison à vie avec un an d'isolement[13].

Après sa condamnation, Carmine Venturino fait des déclarations qui permettent de retrouver les restes de Lea Garofalo sur un terrain de San Fruttuoso (environ 2 000 fragments d'os retrouvés à la suite d'une véritable fouille archéologique réalisée par les enquêteurs en collaboration avec l'Institut de médecine légale de Milan). Le 28 mai 2013, la Cour d'assises d'appel de Milan confirme les condamnations à perpétuité de Carlo et Vito Cosco, Rosario Curcio et Massimo Sabatino prononcées en première instance, réduit la peine de Carmine Venturino à 25 ans d'emprisonnement et acquitte Giuseppe Cosco. Le tribunal ordonne en outre l'indemnisation des parties civiles : la fille, la mère et la sœur de Lea Garofalo et la municipalité de Milan.

Le 18 décembre 2014, les condamnations sont toutes confirmées par la Cour suprême, ce qui les rend définitives[14] .

Le 19 octobre 2013, les funérailles civiles de Lea Garofalo ont lieu à Milan, sur la Piazza Beccaria. 3 000 personnes y assistent, dont des représentants de l'association anti-mafia Libera, Don Luigi Ciotti le prêtre fondateur de Libera et engagé dans la lutte contre la mafia et le maire de Milan Giuliano Pisapia. L'avocate de Lea Garofalo lit un extrait de la lettre qu'elle avait écrite à l'intention du président de la République : « Avec cette lettre, je voudrais avoir la prétention de changer ma triste histoire. J'ai besoin d'aide. Que quelqu'un m'aide. Une jeune mère désespérée ». Sa fille Denise assiste à la cérémonie, cachée par mesure de sécurité, elle prononce des mots émouvants pour remercier sa mère du combat qu'elle a mené pour elle, « Merci de m'avoir donné une meilleure vie. Tout ce qui est arrivé, tout ce que tu as fait, je sais que tu l'as fait pour moi et je ne cesserai jamais de te remercier pour ça. »[3],[5].

Suites

Denise Garofalo-Cosco vit désormais sous une nouvelle identité dans un lieu secret sous le régime de protection des témoins, régime qui a subi des améliorations depuis l'affaire de Lea Garofalo. Son avocate, Vincenza Rando, estime que « Les témoins de justice ont une dignité qui leur est propre et méritent une loi spécifique » au lieu de la confusion qui existe alors entre témoins et collaborateurs[15]. Le député Davide Mattiello (it) du Parti démocrate, membre de la commission anti-mafia, soutient cette demande et propose une modification de l'article 416-ter du code pénal, concernant, entre autres, le système de protection des témoins de justice. « Si la mafia tue un magistrat, les rôles sont clairs et la loi fonctionne pour les membres de la famille, mais si la mafia met en pièces ceux qui se rebellent au sein de leur propre cercle, la loi se désagrège [...] Une personne qui veut rompre avec ces liens familiaux, même si elle n'a pas d'informations précieuses pour la justice, doit trouver l'État. »[15].

Dans le village de Petilia Policastro, la loi du silence règne toujours, personne ne semble se souvenir de Lea Garofalo. Seules sa sœur Marisa Garofalo et une de ses amies, Catarina acceptent de parler d'elle. Marisa Garofalo dit avoir reçu des menaces[16].

Hommages

Milano, l'albero di Lea alla biblioteca del Parco Sempione

Lea Garofalo est devenue un symbole de la résistance à la mafia et plus particulièrement de la résistance des femmes. Elle est commémorée chaque année le 21 mars lors de la Journée de la mémoire et de l'engagement de Libera, le réseau d'associations contre la mafia, qui lit à cette date la liste des noms des victimes de la mafia et des actes mafieux.

  • Plusieurs livres, films et reportages lui sont consacrés.
  • Des spectacles culturels lui sont consacrés :
    • La ballata di Lea de Francesca Prestia (2012), qui ouvre l'Assemblée nationale des femmes de la CGIL la même année au Teatro Capranica à Rome
    • La chanson Maria Coraggio du groupe Litfiba sur l'album Eutòpia (2016)
    • Lea Garofalo, spectacle de marionnettes siciliennes d'Angelo Sicilia, avec la contribution musicale de Francesca Prestia (2020)
  • Des plaques sont apposées à sa mémoire au cimetière de San Fruttuoso, à quelques pas du lieu où elle a été torturée et tuée[20],[21] et à Monza ; à Crotone par le Cercle des jeunes démocrates, en présence de sa sœur Marisa Garofalo[22]
  • un magnolia d'hiver est planté dans la pelouse de la bibliothèque Parco Sempione à Milan, auquel sont accrochés des textes à la mémoire de Lea Garofalo ;

Décorations

  • Médaille d'or du mérite civil, 2009[23]

Bibliographie

  • (it) Paolo De Chiara, Il coraggio di dire no - Lea Garofalo, la donna che sfidò la 'ndrangheta, Falco Editore, , 218 p. (ISBN 978-88-96895-93-1)
  • (it) Marika Demaria (Introduzione di Nando Dalla Chiesa), La scelta di Lea - Lea Garofalo, la ribellione di una donna alla 'ndrangheta, Melampo, (ISBN 978-88-98231-04-1, OCLC 898706689)
  • (en) Alex Perry, The Good Mothers: The True Story of the Women Who Took on the World's Most Powerful Mafia, William Morrow Paperbacks, 2019, 352 p. (ISBN 978-0062655615)
  • (it) Ilaria Ferramosca, Chiara Abastanotti, Lea Garofalo - Una madre contro la 'ndrangheta, album, BeccoGiallo Editore, 2016, 109 p. (ISBN 978-88-99016-32-6)
  • Milka Kahn, Anne Véron, Des femmes dans la mafia: Madones ou marraines ?, Nouveau Monde, 2015, 224 p. Lire en ligne

Autres médias

Articles connexes

Références

  1. Elena Favilli, « Chi era Lea Garofalo » [archive du 9 aprile 2015], Il Post, 18 ottobre 2010
  2. (en) Padraig Moran, « Lea Garofalo was killed by her Mafia family. Now she's the face of anti-mob protests », sur https://www.cbc.ca,
  3. Sylvie Veran, « Spécial Investigation : "Mafia, la trahison des femmes" », sur TéléObs, (consulté le )
  4. (ar) Milka Kahn et Anne Véron, Des femmes dans la mafia: Madones ou marraines ?, Nouveau Monde Editions, (ISBN 978-2-36942-144-3, lire en ligne)
  5. « Lea Garofalo, une mère contre la mafia calabraise », sur www.franceinter.fr (consulté le )
  6. Anna Lisa Tota, « Storia di Lea Garofalo e di sua figlia Denise. Generazioni di donne contro le mafie », Cross, vol. 3, (DOI 10.13130/cross-9279)
  7. « Sei arresti per la donna che denunciò la ’ndrangheta. Uccisa e sciolta nell'acido » [archive du 4 aprile 2014], Corriere della Sera, 6 luglio 2011
  8. Marika Demaria, « Processo Lea Garofalo, la figlia Denise Cosco in aula » [archive du 29 marzo 2012], Narcomafie, 21 settembre 2011
  9. « Milano: processo morte Lea Garofalo padroni anche dell’ex ospedale » [archive du 16 ottobre 2011], Il Quotidiano della Calabria, 26 settembre 2011
  10. Anna Giorgi, « Un saluto alla figlia e i killer la portano via » [archive du 2 agosto 2015], Il Giorno, 19 ottobre 2010
  11. (en) Tom Kingtom, « Italian mobster condemned by daughter's evidence », sur the Guardian, (consulté le )
  12. Marika Demaria, « Processo Lea Garofalo: tutto da rifare » [archive du 28 aprile 2012], Narcomafie,
  13. (it) « Testimone uccisa e sciolta nell'acidosei ergastoli, c'è anche l'ex compagno », sur la Repubblica, (consulté le )
  14. Cesare Giuzzi, « Lea Garofalo, ergastoli confermati ai killer » [archive du 1º agosto 2015], Corriere della Sera, 19 dicembre 2014
  15. (en) Laura Clarke, « The courage of Lea Garofalo », sur www.italianinsider.it, (consulté le )
  16. Barbara Conforti, Mafia, la trahison des femmes [voir en ligne].
  17. « Lamezia Terme: intitolato un ponte a Lea GarofaloPer approfondire http://www.strettoweb.com/2013/10/intitolato-lamezia-terme-ponte-lea-garofalo/100570/#ooBA20jK1TTXPTEi.99 »
  18. (it) Roberta Rampini, « Rho: intitolato un parco a Lea Garofalo, uccisa dalla ’ndrangheta », sur Il Giorno, (consulté le )
  19. « Savignano sul Panaro (MO): Piantumazione "Albero di Lea" » [archive du 1º agosto 2015], Libera. Associazioni, nomi e numeri contro le mafie., 4 marzo 2015
  20. « Monza, quel luogo senza un ricordo » [archive du 7 marzo 2012], DAW-BLOG, 5 marzo 2012
  21. « Quel luogo non è più senza memoria: il Comune di Monza ricorda Lea Garofalo » [archive du 3 aprile 2012], DAW-BLOG, 1º aprile 2012
  22. « I Gd scoprono una targa dedicata a Lea Garofalo – il Crotonese », sur www.ilcrotonese.it
  23. « Le onorificenze della Repubblica Italiana », sur www.quirinale.it (consulté le )
  24. Rosa D'Ettore, « Lea: il 18 novembre su Rai Uno il Film Tv di Marco Tullio Giordana su Lea Garofalo » [archive du 24 maggio 2016], International Business Times - IT Edition,
  25. Corinne Renou-Nativel, « « Lea », la cavale des innocentes », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  26. Marco Tullio Giordana, Lea, BiBi Film, Rai Fiction, Apulia Film Commission, (lire en ligne)

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