Les Buddenbrook

Les Buddenbrook, sous-titré Le déclin d'une famille (titre original : Buddenbrooks: Verfall einer Familie) est un roman de Thomas Mann paru en 1901.

Les Buddenbrook

Les deux volumes de l'édition originale.

Auteur Thomas Mann
Pays Allemagne
Genre Roman
Version originale
Langue Allemand
Titre Buddenbrooks: Verfall einer Familie
Éditeur S. Fischer Verlag
Lieu de parution Berlin
Date de parution 1901
Version française
Traducteur Geneviève Bianquis
Éditeur Fayard
Collection Univers no 8 et no 9
Lieu de parution Paris
Date de parution 1932
Nombre de pages 641

C'est surtout grâce à ce roman que Thomas Mann reçut le Prix Nobel de littérature en 1929, alors qu'en principe cette récompense concerne l'œuvre complète d'un auteur. Mais l'Académie suédoise précise que le prix est attribué à Mann, « principalement pour son grand roman, Les Buddenbrooks, qui est de plus en plus reconnu comme l'un des classiques de la littérature contemporaine[1]. »

Inspiré par Le Monde comme Volonté et comme Représentation de Schopenhauer, le roman est fortement marqué par le naturalisme, comme on le voit d'une part dans l'extrême acuité du tableau social qu'il brosse, d'autre part dans la voile sombre qui enveloppe le destin de l'ensemble de la famille Buddenbrook. L'ouvrage produit ainsi l'effet d'un splendide navire qui s'enfonce peu à peu dans les eaux, sans recours possible. L'importance accordée au leitmotiv[Lequel ?] et à la physionomie des personnages, ainsi que les apparitions de personnages issus des classes inférieures et dépeints avec virtuosité et crédibilité, ajoutent à l'effet naturaliste. Toutefois, le cadre principal du roman est bien le milieu de la haute bourgeoisie. Par ailleurs, Thomas Mann fait s'exprimer ses personnages (et pas uniquement des petites gens) dans le parler bas saxon de sa patrie, Lübeck, ce qui, selon sa traductrice en français « donne à bien des pages [du roman] leur relief et leur couleur »[2]

Dans Les Buddenbrook, Thomas Mann fait preuve d'une virtuosité socio-historique, psychologique et dramatique qui rappelle des romanciers tels Balzac ou Zola.

Contexte

Thomas Mann entame l'écriture de ce roman en 1897, à l'âge de vingt-deux ans. Il a, écrit-il à un ami, « soudainement découvert un sujet », l'histoire de ses propres ancêtres, commerçants en céréales, dont la maison avait été fondée en 1790 à Lübeck. Il termine le livre en juillet 1900 et le titre est publié en octobre 1901[3].

Cependant, Mann a essentiellement été cherché son inspiration dans ses lectures, comme Léon Tolstoï, Paul Bourget, Theodor Fontane, mais aussi et surtout Renée Mauperin, un roman des frères Goncourt. Il s'est aussi nourri de philosophie, en particulier des œuvres de Schopenhauer et Nietzsche, chez qui il trouve l'idée de décadence — et pas chez Zola dont il ne connaissait pas encore le cycle des Rougon-Macquart[3].

Vue synthétique du roman

L'ouvrage est divisé en onze parties subdivisées à leur tour en chapitres. La narration est classique. Chaque personnage occupe l'avant-scène par intermittence.

L'action se situe à Lübeck entre octobre 1835 et l'automne 1877. Le roman raconte le déclin d'une riche famille de négociants, en remontant au fondateur de la maison de commerce, Johann Buddenbrock, homme travailleur et pieux[3]. Devenu veuf avec un enfant, Gotthold, après seulement un an de mariage, il épouse Elisabeth, une riche jeune femme de Hambourg dont il aura un second fils, Jean. Ce dernier le secondera dans l'administration du commerce avant de prendre la tête de la firme. Il aura lui-même deux garçons, Thomas, Christian, et deux filles, Antonie (Tony) et Clara.

C'est cette troisième génération qui est au cœur du roman[3]. Thomas, homme brillant et apprécié, hérite donc de la firme. Il a épousé une femme riche d'Amsterdam du nom de Gerda, et ils ont un fils, Hanno. Homme très actif, engagé dans les affaires politiques de sa ville, Thomas ressent rapidement, à la fin de la trentaine déjà, une certaine langueur et une perte d'énergie qui n'iront qu'en s'accentuant. Plus tard, il médite sur les conceptions de Schopenhauer et observe sa vie intérieure, ce qui l'amène au pessimisme.

Il espère trouver en Hanno son successeur, mais en vain: le jeune homme est lui-même doté d'une constitution peu robuste, et l'avenir social qui l'attend le rebute et l'angoisse. Son père comprend la situation. Tombé malade et ne pouvant plus assumer la direction de la maison de commerce, ni la transmettre à son fils, il décide donc que la firme Buddenbrook devra être liquidée dans l'année qui suivra sa mort. La onzième et dernière partie du livre narre la fin de Hanno, emporté en 1877, à l'âge de seize ans, par la fièvre typhoïde. Sa disparition marque la fin de la branche masculine des Buddenbrook[3].

Résumé

La maison (bâtiment blanc) des Buddenbrook à Lübeck.

Partie I (1835)

Le roman s'ouvre, en sur trois générations de la famille Buddenbrook, réunies dans un des salons de la vaste et belle demeure que Johann Buddenbrook vient d'acquérir dans la Mengstrasse . On découvre l'aïeul Johann, libre penseur aimable et son épouse Antoinette ; leur fils Jean, le Consul Buddenbrook, homme de son temps, admirateur de l'idéal pratique de la Monarchie de Juillet, personnage grave, scrupuleux et moral et son épouse, Elisabeth, née Kröger. Eux-mêmes ont, à cette époque, trois enfants, Christian, Tony (Antonie) et Thomas — un quatrième enfant, Clara, viendra une douzaine d'années plus tard. Est aussi présente la cousine Clothilde, jeune fille sans fortune ni charme qui a perdu sa mère, dont le père est intendant de la propriété « Ungnade » dans le Mecklembourg, et que les Buddenbrook ont recueillie. Tous vivent sous le même toit.

Le soir même, les Buddenbrook donnent un grand repas de fête à l'occasion de l'inauguration de leur nouvelle maison, auquel participent tous ces membres de la famille, ainsi que les amis (notables et négociants, pasteurs, etc.) que fréquentent les Buddenbrook. C'est une soirée joyeuse et animée. Cependant, une lettre arrivée (à dessein) le jour même de cette réception va jeter une ombre sur la journée de fête: elle est adressée à Johann père par son fils Gotthold, né d'un premier lit, qui lui réclame une nouvelle fois une partie de son héritage dont il s'estime lésé. Le père, auquel Jean présente la lettre après le départ des invités, juge que son fils a reçu son dû, et il refuse de donner suite à cette demande.

II (1838)

Nous sommes en avril 1838, le jour du baptême de Clara, quatrième et dernière enfant de Jean et Elisabeth. Jean inscrit l'événement dans le livre de raison de la famille, puis feuillette le carnet. On apprend ainsi[4] qu'à la fin du xvie siècle, un Buddenbrook, le premier de ce nom, avait vécu à Parchim, que son fils avait été élevé à la dignité d'échevin à Grabau, puis qu'un autre Buddenbrook, tailleur d'habits, s'était marié à Rostock, et que, plusieurs années plus tard, le grand-père de Jean s'était installé à Lübeck, où il avait fondé un commerce de grains, le 7 juillet 1768. Cette date marque donc la fondation de la raison sociale Buddenbrook. Le grand-père avait par ailleurs laissé à Johann père un conseil que lui et son fils auraient l'occasion de méditer: « Mon fils, consacre avec joye le jour aux affaires, mais non point à celles qui, la nuit, troubleront ton sommeil[4]. »

On découvre également les enfants de Jean et Elisabeth. Thomas est un adolescent sérieux et travailleur, clairement destiné au commerce et en qui Jean met tous ses espoirs. Christian apparaît comme un caractère inquiet, mais aussi bouffon. Quant à Tony, c'est une jeune fille espiègle et pleine de joie. Si Johann père met tous ses espoirs sur Thomas pour sa succession, Christian l'inquiète: il est impoli avec ses professeurs et fait la cour à une actrice. « Voilà le chemin que prend notre fils… » déclare Jean à sa femme[5]. Tony est une jeune fille gaie mais espiègle, et l'on décide de la mettre en pension chez Thérèse Weichbrodt. Elle s'y lie d'amitié avec Gerda Arnoldsen, jeune fille élégante et musicienne venue d'Amsterdam, et Armgard von Schillig qui, elle, est issue d'une famille noble (ce qui n'est pas le cas de Tony… Elle vient d'un milieu aisé mais bourgeois.). Tony se montre très attachée à la distinction de classe, et gardera sa vie durant ce goût pour le mot distingué, « [qui] était ancré dans [sa] petite tête (…)[6]. » Cependant « les années passaient et, à tout prendre, ce fut une jeunesse heureuse que celle de Tony Buddenbrook[7]. »

En 1841, l'aïeule Antoinette meurt, suivie dans la mort deux mois plus tard par son époux. Cette même année, le jeune Thomas, à seize ans, rejoint son père dans la maison de commerce. Gotthold se réconcilie plus ou moins avec son demi-frère Jean.

III (1845)

Benix Grünlich (pour Benedikt), une relation d'affaires du Consul, rend visite à la famille. Cet homme flagorneur, à l'accoutrement un peu ridicule, se présente aux membres présents de la famille comme un commerçant hambourgeois dont les affaires sont extrêmement prospères. Très vite, il remarque la jeune Tony, qui a maintenant dix-neuf ans, et entame une cour assidue. Si Grünlich produit une impression favorable sur les parents de Tony (il est fils de pasteur, a de très bonnes références), celle-ci ne le supporte pas. La famille soutient cependant la demande en mariage que Grünlich présente, mais tous se heurtent au refus net de Tony. Ses parents insistent, et Tony dépérit, si bien qu'on décide de l'envoyer en vacances à Travemünde dans la famille, simple mais accueillante et dévouée, du commandant du pilotage Schwarzkopf.

Là, Tony s'éprend du fils, Morten, étudiant en médecine, un amour partagé par le jeune homme. Les vacances se terminent et Tony retourne à Lübeck. Là, malgré cette idylle et la promesse échangées entre les deux jeunes gens de s'attendre fidèlement pour se marier, elle accepte assez vite, par conformisme familial et social, d'épouser Bendrix, bien qu'elle ne ressente rien pour lui. Pourtant, c'est elle qui, de sa main, va compléter avec orgueil le livre de raison familial, annonçant ses fiançailles avec Grünlich. Après la signature du contrat qui assure à celui-ci une dot de 80 000 marks comptant, et une fois le mariage célébré, les nouveaux époux vont s'installer à Hambourg.

De son côté, Thomas rend visite à Anna, une jeune fleuriste qu'il connaît et fréquent depuis un an et demi. Il va partir travailler à Amsterdam et il explique que la raison doit primer, qu'il héritera un jour de l'enseigne Buddenbrook, ce qui fera de lui un bon parti, si bien qu'il doit mettre un terme à leur relation.

IV (1846-1855)

Tony est enceinte. Christian a abandonné son idée d'aller à l'université, et on lui trouve un poste dans une société commerciale à Londres. Thomas est à Amsterdam où ses employeurs sont très satisfaits de son travail. Son père s'en félicite, mais il se dit un peu inquiet des affaires de sa maison, qui « continuent à aller bien doucement[8] », alors que ses principaux concurrents, Strunck et Hagenström sont en pleine croissance.

Le 8 octobre 1846, Tony accouche d'une fille, Erika. Bientôt la Révolution allemande de 1848 frappe aux portes de Lübeck. Le bâtiment dans lequel siège l'assemblée de la ville est assiégé. Les représentants prennent peur. Le son beau-père de Jean, Lebrecht Kröger, d'ascendance noble, qualifie à plusieurs reprises les manifestants de « racaille » et voit dans ce rassemblement une « infamie inouïe »[9]. Finalement, Jean Buddenbrook parvient à calmer les manifestants, qui se dispersent. Mais son beau-père a été bouleversé par cet épisode, et il décède au pied des marches de sa maison. « Lebrecht Kröger, le cavalier à la mode, avait rejoint ses pères[10]. »

En janvier 1850, Grünlich fait faillite, à l'immense surprise de sa femme et de Jean. Celui-ci refuse de l'aider car il s'aperçoit que son beau-fils lui a menti sur sa situation et qu'en fait la dot apportée par sa fille avait été largement utilisée pour payer des créanciers. Tony et Erika repartent avec lui pour Lübeck, où Tony demande et obtient le divorce. Elle écrit elle-même dans le livre de raison: « Cette union a été légalement dissoute en février de l'an 1850[11]. »

Cette même année, Thomas revient à la maison, après une cure à Pau pour soigner ses nerfs. L'héritage qui suit le décès de sa grand-mère maternelle (côté Kröger) permet à la famille de regarnir les caisses. À Londres, Christian ne fait rien de bon. Il annonce vouloir s'embarquer pour le Chili. Tony, dans son nouveau statut de divorcée, doit affronter le regard narquois et hautain de la haute société de la ville, en particulier de Julie, la fille des Hagenström, avec qui elle s'entendait déjà mal et qui, elle, a fait un riche mariage…

À la fin de l'été 1855, le Consul Johann (Jean) Buddenbrook meurt.

V (1856-1857)

Nouveau directeur des établissements Buddenbrook, Thomas s'associe à M. Marcus, le fondé de pouvoir de la maison. En février 1856, Christian revient à Lübeck après une absence de huit ans. La relation entre Thomas et lui est difficile, les deux frères sont de plus en plus différents. Thomas est souvent irrité par Christian et ses plaintes sur sa santé, sa passion pour le théâtre, les histoires, souvent assez grossières, qu'il raconte encore et encore… C'est ainsi qu'il déclare à Tony: « Il manque [à Christian] quelque chose, ce qu'on pourrait appeler l'équilibre, l'équilibre personnel. (…) C'est parce que Christian s'occupe beaucoup trop de sa propre personne et de tout ce qui se passe en lui[12]. » Néanmoins, Christian rejoint l'entreprise familiale, mais à nouveau ne parvient pas à prendre son travail au sérieux, si bien que ses relations avec Thomas ne cessent de se dégrader. En fait, Christian est prêt à reconnaître la supériorité de son frère. Mais c'est précisément ce qui irrite Thomas, « cette façon de reconnaître son infériorité incontestable, cette indifférence, cette nonchalance, car Christian (…) semblait, au fond, n'attacher de prix ni à la supériorité, ni à la valeur, ni à l'honorabilité, ni au sérieux[13]. »

En mai, Gotthold meurt. Thomas est investi de la charge de consul royal des Pays-Bas, auparavant détenue par son père, et il doit se rendre à Amsterdam. Il y rencontre Gerda Arnoldsen, l'ancienne condisciple de Tony, et bientôt Les deux jeunes se plaisent: à la fin juillet, les fiançailles sont annoncées, et le mariage est célébré en janvier 1857.

Entre-temps, Mme Buddenbrook mère devient de plus en plus pieuse, tout comme sa fille Clara. Elle organise des rencontres religieuses chez elle, avec lectures saintes et prières. C'est dans ces circonstances que Clara fait la connaissance de Sievert Tibertius, un pasteur de Riga qui est de passage dans la famille, et qui la demande en mariage, ce qu'elle accepte. Tony, elle, se montre de plus en plus critiques envers ces « hommes noirs » : « Mère (…), il faut tout de même que je te le dise, je suis surprise que la vie ne t'ait pas appris que tous ceux qui portent de longues redingotes et disent "Seigneur, Seigneur!" ne sont pas toujours exempts de péchés[14]. »

VI (1857-1859)

Invitée à Munich par une des amies, Tony y fait la connaissance du commerçant Permaneder — un homme simple mais bien chez lui — avec qui elle s'entend bien. Permaneder se rend à Lübeck pour rendre à visite à la famille de Tony, et il demande sa main. Tony accepte: si son futur mari n'est pas aussi distingué qu'elle le souhaiterait, ce mariage lui permet d'échapper à son état de « divorcée » qui lui pèse tant. Après le mariage, le couple part, avec Erika, s'installer à Munich. Malheureusement, la situation se dégrade rapidement: Permaneder décide de se retirer des affaires et de vivre de ses rentes, modestes mais suffisantes, trompant ainsi l'espoir de Tony de retrouver une situation sociale en accord avec le rang de sa famille…

Toutefois, au début janvier 1859, elle annonce à sa famille qu'elle attend un enfant. Hélas, l'enfant, une petite fille meurt quelques minutes après sa naissance. Et par-dessus cela, en novembre de cette même année, elle surprend son mari qui tente d'embrasser leur bonne. Le lendemain même, Tony retourne à Lübeck avec sa fille, et refuse obstinément de rentrer chez son mari, malgré l'insistance de sa mère et surtout de Thomas. Elle va finalement divorcer une nouvelle fois.

Du côté des deux frères, la relation entre Thomas et Christian continue à se dégrader. Thomas ne supporte pas que son frère décrive longuement ses maux et leurs symptômes, en lesquels il voit « les stupides résultats d'une répugnante analyse de soi-même »[15]. En outre, la vie dissolue que Christian mène avec son ancien camarade de classe Gieseke le dégoûte. Il s'ensuit bientôt une vive altercation due à une réflexion de Christian, la veille, au cercle où se réunissent les hommes d'affaires aisés de la ville: « Au fond, et vu de près, tout commerçant est un filou »[16]. Des paroles qui mettent Thomas hors de lui: « je te défends, tu m'entends bien, je te défends de compromettre la maison d'une façon quelle qu'elle soit, comme tu l'as fait hier! »[17]. Mais Thomas se dit prêt à lui verser une avance de cinquante mille marks sur l'héritage. Fin mai 1857, Christian part s'installer à Hambourg. Après quelque temps, la famille doit à nouveau venir à son aide: Christian a rencontré à Hambourg Aline Puvogel, une prostituée qui a deux enfants, et il dépense pour elle sans compter.

Ainsi, la dot versée à Tony et l'avance d'héritage n'arrangent pas les affaires de la maison Buddenbrook, et si son directeur est un homme respecté, ses affaires ne sont pas à la hauteur de ses attentes.

VII (1861 - printemps 1865)

Au printemps 1861, a lieu le baptême de Justus Johann Kaspar dit Hanno, le fils de Thomas et Gerda. C'est sa mère qui a choisi ce diminutif[18]. Ce nouvel enfant ravive les espoirs de sa tante Antonie : « Nous autres Buddenbrook n'avons pas encore dit notre dernier mot, grâce à Dieu. (...) Maintenant que le petit Johann est là (...) [i]l me semble qu'une ère nouvelle commence pour nous tous[19]. » Christian, qui a maintenant trente-trois ans (mais qui en paraît beaucoup plus, vieilli les douleurs qui le rongent), annonce à son frère que sa maîtresse a eu un troisième enfant, une fille, et qu'il en est le père. Il repart pour Londres.

Fin février 1862, Thomas est élu au Sénat de la ville, un poste pour lequel il était en concurrence avec Hermann Hagenström. Pourtant, et bien qu'il s'en cache, qu'il n'ait que trente-sept ans et que le renom de sa société croisse, on devine chez lui « un relâchement de son ressort, une accélération de l'usure[20] ». Pour masquer cette inquiétude qu'il ressent tout de même en lui, il décide, en été 1863, de construire une nouvelle maison sur la Fischergrube. C'est à cette période que Christian annonce son intention d'épouser Aline Puvogel. Quant à Hanno, il se révèle un enfant frêle et chétif, qui a des retards dans son développement, manque de vigueur et porte sur lui une expression de mélancolie.

En juillet 1864, la famille reçoit une lettre de Clara expliquant qu'elle souffre de la tuberculose et qu'elle est au plus mal. Un mois plus tard, elle décède. Auparavant, elle aura demandé à sa mère et à Thomas que sa part d'héritage soit versée à son mari. Il s'agit de cent vingt-sept mille marks, une somme qui vient encore grever les finances de la famille Buddenbrook, déjà mises à mal par la perte de la dot de Tony (80 000 marks), les avances à Christian (pour une somme identique). Thomas de conclure : « Et les affaires vont mal, désespérément mal depuis le moment précis où j'ai engagé plus de 100 000 marks dans la construction de ma maison... Oui, une famille où l'on voit des scènes pareilles est une famille qui décline. Croyez-moi, si notre père était encore de ce monde (...) il joindrait les mains et nous recommanderait tous à la miséricorde divine[21]. » L'année suivante en 1865, la faillite d'une maison de Francfort entraîne une nouvelle perte de 20 000 marks pour la firme Buddenbrook.

VIII (1866 - 1868)

En 1866, Erika Grünlich fait la connaissance du nouveau directeur de l'Office municipal d'assurance contre l'incendie, Hugo Weinschenk, qui demande sa main en janvier 1867. L'homme vient d'un milieu petit-bourgeois, ses manières manquent de finesse, mais vu la situation familiale, il constitue tout de même un bon et honorable parti. Et pour Tony, il lui permet en quelque sorte de quitter son état de femme divorcée, d'autant qu'elle ira habiter chez ses enfants. Les noces eurent lieu en avril, et « ainsi commença le troisième mariage de Tony Buddenbrook[22]. » En janvier 1868, Erika donne naissance à une petite Elisabeth.

De retour à Lübeck depuis un certain temps, Christian peine toujours à s'intégrer dans la vie active. Une place lui est offerte par Weinschenk, mais cela ravive ses douleurs et le contraint à démissionner. Mais son goût pour la musique le rapproche de sa belle-sœur Gerda, avec qui il s'entend bien.

Tony, elle, propose à Thomas un marché pas vraiment net: il s'agit de racheter à moitié prix toute la récolte annuelle de céréales, encore « sur pied », du propriétaire du domaine de Pöppenrade, dans le Mecklembourg, qui est en proie à des difficultés financières. Thomas manque de force et d'énergie. « À quarante-deux ans, [il] était un homme fini. (...) Rien ne subsistait plus de l'esprit neuf et entreprenant dont le jeune Thomas Buddenbrook avait un jour animé la maison [de commerce][23]. » Après plusieurs jours de tergiversation, il espère que la proposition de sa sœur réveillera cette énergie qui lui fait de plus en plus défaut et donnera un nouvel essor à son entreprise. Et il accepte donc l'achat. Le contrat est signé le 30 mai. De son côté, son fils Hanno, reste un enfant souffreteux et craintif, qui peine à se concentrer et se fatigue vite.

Le 7 juillet 1868 est un grand jour: il marque le centième anniversaire de la fondation de la maison Buddenbrook. Une grande réception est donnée dans la maison de Thomas, et toute la bonne société de la ville vient le féliciter. Deux ombres viennent ternir l'éclat de cette journée: Hanno est incapable de lui réciter la poésie apprise pour l'occasion. Et l'absence de sollicitude de son père, ses paroles dures et dédaigneuses ont raison de ses efforts: il éclate en sanglots. Mais ce même jour arrive un télégramme qui lui annonce que la grêle a détruit la récolte de céréales qu'il a achetée « sur pied ».

Pour Hanno, la musique est un rayon de soleil dans la grisaille de son existence. Il prend des cours de piano avec l'organiste Pfühl, un ami de sa mère, et là il se montre un élève doué et réceptif, contrairement à l'école. Il est aussi porté par sa grande sensibilité. Et le 15 avril 1869, jour de son anniversaire, il joue avec sa mère devant la famille réunie, une fantaisie qu'il a lui-même composée. Il est parfaitement à l'aise, habité par la musique, se donnant totalement à l'exécution de son œuvre. Le contraste avec sa pauvre performance poétique est saisissant. Toutefois, son père reste peu sensible à l'art, et il ne voit pas ce parcours de son fils d'un bon œil, craignant de plus en plus que la musique le sépare de lui.

Enfant solitiaire, Hanno se prend tout de même d'une vive amitié pour un de ses condisciples, un enfant au caractère très particulier et qui répond au nom et au titre de Caïus, comte de Mölln. Cela éloigne encore plus de son père le jeune Hanno qui, sans comprendre pourquoi, prend le livre de raison et parcourt la longue liste de noms qui y sont inscrit. Arrivé à la dernière page, où figurent son nom et sa date de naissance, sans savoir pourquoi, il tire un double trait. Un peu plus tard, son père entre dans une vive colère en découvrant cela et demande en criant à Hanno « qu'est-ce qui [l]'a poussé à cette stupidité », à quoi son fils répond: « Je croyais, je croyais... qu'il ne viendrait plus rien[24]. »

Weinschenk, le gendre de Tony, a accusé de plusieurs escroqueries à l'assurance envers d'autres compagnies. En apprenant cela, Tony est horrifiée, d'autant que c'est le procureur Moritz Hagenström, le frère de Hermann Hagenström, qui mène l'instruction. Elle redoute qu'il ne se montre particulièrement sévère, et même si elle n'a plus guère d'estime pour son gendre, elle déclare à Thomas: « Il est tout de même des nôtres... Bonté du Ciel! un de nous en prison! ce n'est pas possible[25]! » En janvier 1872, Weinschenk est condamné à trois ans et demi de prison.

IX (1871 - 1872)

Après le décès de la vieille Mme Buddenbrook mère d'une congestion pulmonaire, ses fils Christian et Thomas s'affrontent. Le premier décide qu'il faut vendre la maison. Lorsque Thomas fait visiter la maison à un acquéreur, on constate la détérioration de cette grande demeure bourgeoise qui s'est délabrée faute d'entretien. Cette description contraste avec celle du début du livre qui mettait en valeur l'opulence des lieux. Hangenström, le rival des Buddenbrook rachète la maison, abat l'un des bâtiments et modifie profondément l'intérieur. Tony pleure sur la perte de leur maison d'enfance.

X (1872 - 1875)

Hanno à Travemünde - Mort de Thomas

XI (1875 - automne 1876)

Christian épouse Aline Puvoger - Une journée de Hanno à l'école - Sa mort - Gerda quitte Lübeck

Personnages

Johann père

Arbre généalogique de la famille Buddenbrook.

Marié en 1799 en secondes noces à Antoinette Duchamps (1799 - 01.1842) de Hambourg. Johann père (1765 - 03.1842) n'a été uni à sa première épouse, Joséphine (morte en 1796) qu'une courte année, qui fut pourtant la période « la plus heureuse de sa vie »[26]. Celle-ci est en effet morte en couches à la naissance de leur fils Gotthold (1796 - 1856), et Johann père n'a jamais pu pardonner « le meurtre de sa mère à cet intrus sans scrupule »[26]. À quoi s'est ajouté par la suite le mariage de ce fils avec une femme de condition inférieure, chose que son père n'a également pas acceptée.

Du second mariage naît Johann, généralement appelé Jean.

Johann fils, dit Jean, et ses enfants

Johann dit Jean (1800 - automne 1855) a épousé Elisabeth (Bethsy) Kröger (v. 1803-1871) en 1825. Ensemble, ils ont quatre enfants : Thomas, Antonie, Christian et Clara.

Thomas et Hanno

Thomas (1826 - 01.1875), dit Tom, est le fils aîné. Il assiste son père à la direction de l'entreprise et, à la mort de ce dernier, lui succède à la tête de la société. En 1857, il épouse Gerda Arnoldsen (née en 1829) : de cette union naît le 15 avril 1861 un fils unique surnommé « Hanno » (Justus Johann Kaspar). C'est avec Hanno que se terminera la lignée des Buddenbrook, puisqu'il meurt prématurément d'une fièvre typhoïde en 1877, deux ans après le décès de son père.

Christian

Ses frasques, son dilettantisme et son caractère hypocondriaque font de Christian (né en 1828) un raté. Il tente à plusieurs reprises de travailler, d'abord pour l'entreprise familiale dirigée par Thomas, puis en divers autres endroits, notamment à Hambourg où il essaie de se lancer dans de petites entreprises individuelles. Mais au fond, sa vie se résume à des allers-retours entre Hambourg et Lübeck, où il passe ses journées à fréquenter un club privé, dans lequel il trouve une sorte de famille d'adoption.

Lors de la lecture du testament de leur mère, il s'en prend vertement à son frère Thomas, par qui il se sent continuellement diminué et méprisé. Il entame ensuite une liaison avec une fille d'origine douteuse, avec laquelle il aura un enfant. Cette relation et cet enfant né hors mariage lui attire les foudres de sa famille, notamment son frère Thomas. Celui-ci déclare que dans ces conditions Christian ne saurait prétendre à l'héritage familial.

Mann le dote d'un physique plutôt ingrat, avec des jambes grêles, un teint flavescent et des cheveux blond-roux épars qui annoncent une calvitie prématurée; il donne ainsi le portrait d'un homme fragile et sans ressort, qui paraît nettement plus vieux que son âge réel. Mann caricature en lui la figure du valétudinaire, du personnage maladif qui frôle l'hypocondrie et se complaît à évoquer ses maux en tous genres. Parmi eux, on mentionnera tout particulièrement son fameux « Qual », mot allemand signifiant « tourment ». Il s'agit d'une sorte de douleur permanente que le Docteur Langhals diagnostiquera comme étant l'expression de diverses névralgies.

Ce « Qual » est l'excuse et le prétexte à tout, et c'est aussi ce qui rend le personnage assez pitoyable. Peut-être un peu mythomane, racontant ad nauseam les péripéties qu'il aurait vécues à Londres ou à Valparaiso dans ses jeunes années, quand il souhaitait s'affranchir de ses origines, il rappelle certaines figures de James Joyce dans Gens de Dublin, frappées d'une paralysie psychologique profonde qui les empêche à bien quoi que ce soit. Ses récits  parfois cocasses, parfois d'un comique franc qui s'oppose à la rigidité bourgeoise de son frère Thomas, parfois invraisemblables  ont pour point commun d'être interminables ; ils divertissent davantage sa sœur Antonie et son neveu Hanno, et lui valent l'indulgence bienveillante de sa mère, hormis quand ils frôlent l'obscénité. Personnage à la fois minable et sympathique, il fait sourire, énerve, agace. Malgré sa complaisance à rappeler sa santé déplorable, il survivra tant à Thomas qu'à leur sœur Clara. Il insuffle au roman sa part de tonalité pathétique, mais notamment par la dérision.

Antonie, dite Tony

Antonie (née en 1827), dite Tony, est une enfant jolie, gâtée, et pimpante. Plus tard, elle se veut la dépositaire de l'honneur familial. C'est sur ses propos d'enfant de huit ans que s'ouvre du roman, dans une conversation chaleureuse avec son grand-père. Les trois premières parties du roman cristallisent l'importance qu'elle y aura tout au long et qui, bien que s'étiolant parfois, demeure de premier plan jusqu'au bout.

Moqueuse et espiègle, c'est une enfant puis une adolescente radieuse et pétulante, très aimée et cherchant à l'être de tous, fière et jouissant du statut de sa famille qui rejaillit sur elle dans les salutations que lui adressent les passants. Dès son enfance, elle possède une conscience de classe frappante qui la déchire dans les décisions qu'elle prendra.

Ainsi, elle exprime des jugements lucides et railleurs sur Bendix Grünlich (1813 - 1850, de Hambourg) qui demande sa main, mais elle finira par se plier aux désirs de ses parents qui veulent qu'elle se fiance avec lui, et ce quand bien même elle s'est éprise d'un autre garçon, Morten Schwarzkopf. C'est que Bendix (pour Benedikt) Grünlich, bien que flagorneur et dépourvu de charme, convient à ses parents car il est à la fois bien éduqué, parfait chrétien et homme d'affaires avisé. Leur mariage a lieu en 1846.

L'ironie tragique de la troisième partie du roman consiste en la juxtaposition de deux antipodes : le discours égalitaire et socialiste de Morten Schwarzkopf, qui vitupère l'excès la noblesse et les privilèges de classe, et l'extrême conformité à laquelle Antonie se résigne à épouser Grünlich. Mann insère ainsi une double critique des discours s'équilibrant difficilement dans une société impériale touchant à sa fin mais rassemblant des hiérarchies très diverses selon ses régions, ce qui sert de préambule aux rébellions de 1848 qui seront l'objet de la quatrième Partie. À la lumière de la suite du roman, ces trois premières parties avec l'enfance dorée de cette enfant espiègle suivie par l'idylle avec Morten apparaissent tels un paradis à jamais perdu. En effet, à partir du mariage de Tony avec Grünlich, s'enclenche inexorablement la Chute des Grands, qui met en branle la tragédie familiale.

Tony, par sa résignation aux obligations sociales, renonce à la possibilité de mener la vie de fraîcheur et de bonheur à laquelle la destinaient non seulement son statut social, mais surtout sa personnalité gaie et rayonnante. C'est ainsi que s'éteint le principal souffle de fraîcheur de l'œuvre.

Devenue veuve, Tony épousera en 1857 Aloïs Permaneder (1818 - 1859) dont elle aura un enfant né et mort en 1858.

Les enfants d'Antonie et de Bendix

Le couple aura une fille, Erika (née le 08.10.1846). En avril 1867, elle épouse Hugo Weinschenk (né vers 1828), directeur de l'office municipal d'assurances contre l'incendie. En janvier 1868, les Weinschenk ont une fille, Elisabeth. Mais en janvier 1872, Weinschenk est condamné à trois ans et demi de prison pour escroquerie. Libéré par anticipation en janvier 1875, il part pour Londres, assurant qu'il veut y faire venir sa famille. En réalité, il s'évapore dans la nature et on restera sans nouvelles de lui.

Clara

Le dernier enfant de Jean, Clara (14.04.1838 - 08.1864), est une femme d'une dévotion austère qui épouse le pasteur Sievert Tiburtius de Riga, ville où le couple va s'installer. Clara est emportée par la tuberculose, et elle meurt sans enfant.

Autres membres de la famille

Gotthold (1796 - 1856) est le demi-frère de Jean Buddenbrook, né du premier mariage de Johann. On a vu que sa naissance coûta la vie à sa mère. Il revient régulièrement à la charge pour obtenir de son père une part plus importante de l'héritage. Il épouse contre la volonté farouche de son père une femme de classe inférieure du nom de Rosalie Stüwing (1798-1875) , un acte que son demi-frère Jean commente ainsi: « Que n'a-t-il agi raisonnablement ! Pourquoi avoir épousé cette demoiselle Stüwing et sa... boutique ? (...) C'est une faiblesse, que cette aversion de mon père contre le magasin, mais Gotthold aurait dû respecter cette petite vanité[27]... ». Gotthold et sa femme ont trois filles, Frédérique (née en 1822), Henriette (née en 1823) et Pfiffi (pour Joséphine, née en 1824), qui ne trouvent pas de parti en raison de leur pauvreté.

Clothilde est une cousine pauvre que la famille a recueillie et qui se signale par son grand appétit et son physique disgracieux.

Justus Kröger est le frère d'Elisabeth Buddenbrook ; ses deux fils, Jakob et Jürgen ont le même âge que Thomas et Christian Buddenbrook. Lebrecht Kröger est le père de Justus et d'Elisabeth. Les Kröger sont de mœurs aristocratiques et mènent une vie élégante, en quoi ils se différencient des Buddenbrook qui cultivent des vertus plus pratiques.

Les amis et l'entourage

Dans l'entourage de la famille, on trouve Ida Jungmann, la gouvernante des enfants de Johann fils, puis de Hanno ainsi que Guillaume Marcus, le fondé de pouvoir de la maison Buddenbrook. Dans le cercle des amis, on peut mentionner Friedrich Grabow, le docteur de la famille; c'est bientôt Langhals qui lui succèdera dans cette fonction. Il y a aussi le négociant en vins Koeppen, ainsi que Jean-Jacques Hoffstede, poète et ami proche de l'aïeul Johann père. (On a souvent affirmé que Thomas Mann aurait composé ce personnage en se basant sur les traits du poète allemand Emanuel Geibel, mais ce lien est critiqué[28]).

Analyse

On a vu Les Buddenbrook comme un roman sur l'hérédité[3]. Pourtant celle-ci a peu à voir avec le livre, car la décadence mise en scène est due à la place prépondérante prise chez les protagonistes par leur vie intérieure, par les aspirations personnelles, qui l'emportent de loin sur l'activité professionnelle et l'effort qu'elle suppose. Et de fait, la première cause de dégénérescence de la famille Bruddenbrook est la sensibilité de ses membres qui va en s'accentuant. En ce sens, Hanno et son arrière-grand-père Johann sont parfaitement antithétiques : l'aïeul est habité par le sens des nécessités d'une entreprise commerciale, tandis que son descendant est pris par la passion du théâtre et de la musique, elle nourrit son désespoir; et la maladie qui l'atteint va seulement accélérer l'engrenage destructeur dans lequel il est pris[3].

Ce n'est pas non plus un roman historique[3]. Le contexte politique et social est un simple arrière-plan devant lequel évoluent les personnages. Pourtant, cela a amené une interprétation de l'œuvre comme une analyse de la décadence de la bourgeoisie allemande. Une interprétation que rejette Lionel Richard. Pour lui, Thomas Mann ne visait pas cela. Il s'agissait bien plutôt pour lui de montrer l'opposition entre l'artiste et le bourgeois[3]. Et Mann s'appuyait sur certains théories en vogue à la fin du xixe siècle qui voyaient un lien entre le génie artistique et la décadence, à la folie, à la dégénérescence. Toutefois, Mann ne se laisse pas enfermer pas dans cette opposition et réussit une vaste fresque de la bourgeoisie, ce qui est un réel tour de force pour le jeune écrivain qu'il était alors[3]. Mais la thèse du livre est bien là: quand les hommes s'affinent, quand ils approfondissent l'analyse de leur vie intérieure, ils perdent leur énergie vitale. Suivant les thèses de Schopenhauer, Nietzsche et Wagner, Mann voit dans la vie et l'esprit des entités inconciliables. Le développement de la culture intellectuelle entraîne le dépérissement de l'énergie vitale[29].

La Lübeck des Buddenbrook. 1. Mengstraße N° 4: maison des Buddenbrook/Mann (musée); 2. Fischergrube: nouvelle maison de Thomas; magasin de fleurs d'Anna ; 3. Hôtel de ville: Parlement et Sénat; 4. Breite Straße; 5. rue Beckergrube: Théâtre et Club; 6. rivière Trave; 7.

On a cependant pu voir dans ce roman à la fois une étude du déclin de la bourgeoisie, et une mise en scène du déclin de la famille Mann[29], faisant ainsi des Buddenbrook une sorte de roman à clef. En effet, Mann appartenait à une famille de négociants de Lübeck semblable aux Buddenbrook, dont la troisième génération dut se séparer de la société, à la mort du père de Thomas Mann en 1891. Aucun des enfants, garçons et filles, ne suivit les traces de leur père. Il emboitèrent bien plutôt le pas de Heinrich, l'aîné de la famille, qui avait renoncé au commerce pour se lancer dans une carrière de romancier et de publiciste[29].

Le Lübeck des Buddenbrook

On peut ajouter qu'en ce qui concerne Lübeck, « Thomas Mann invente peu. Les lieux, les murs, l'histoire, tout fait l'objet de lectures et d'enquêtes, dont les carnets de travail portant témoignage ; limage retenue est d'une fidélité entière[30]. » La maison des Buddenbrook (qui était la maison de la famille Mann) de Mengstrasse était un hôtel particulier du xviiie siècle a été détruite lors du bombardement de la ville en 1942, et seule la façade a été reconstruite à l'identique. La maison portait au fronton la devise Deus providebit Dieu y pourvoira »)[31].

Adaptations

Au cinéma

À la télévision

Au théâtre

Par la compagnie Puppentheater Halle (Allemagne) en 2011.

Notes et références

  1. Site officiel des prix Nobel
  2. Geneviève Bianquis, « Note de la traductrice » in Les Buddenbrock, Paris, Livre de poche, coll. « Biblio », 2003 [Fayard, 1932], p. 11.
  3. Lionel Richard, « Les Buddenbrook, Thomas Mann - Fiche de lecture », sur universalis.fr (consulté le )
  4. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 63.
  5. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 89.
  6. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 94-95.
  7. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 99.
  8. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 186.
  9. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 197.
  10. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 207.
  11. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 243.
  12. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 273-274.
  13. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 280.
  14. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 290.
  15. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 320.
  16. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 325.
  17. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 327.
  18. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 429.
  19. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 409.
  20. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 426.
  21. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 443.
  22. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 454.
  23. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 473; 475.
  24. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 530.
  25. Les Buddenbrook, LP, 2003, p. 559.
  26. Les Buddenbrock, LP, 2003, p. 62.
  27. Les Buddenbrock, LP, 2003, p. 26.
  28. (de) Manfred Eickhölter, « Geibel alias J. J. Hoffstede? » In Lübeckische Blätter, Jg. 180 (2015), Heft 10, S. 27 [lire en ligne (page consultée le 20 septembre 2021)]
  29. « Thomas Mann », sur larousse.fr/encyclopedie (consulté le )
  30. François Roche, « À Lübeck, chez les Buddenbrook... », citation, de Claude David, tirée de sa préface au tome I des Œuvres complètes, Le Livre de Poche., sur latribune.fr, (consulté le )
  31. François Roche, « À Lübeck, chez les Buddenbrook... », sur latribune.fr, (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Hugh Ridley, Thomas Mann. Buddenbrooks, Cambridge, Cambridge University Press, , 127 p. (ISBN 978-0-521-31697-2, présentation en ligne)
  • Odile Marcel, La Maladie européenne. Thomas Mann et le xxe siècle, Paris, PUF, , 368 p. (ISBN 978-2-130-45478-6)

Liens externes

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