Loi instaurant la relégation des récidivistes

La loi instaurant la relégation des récidivistes, proposée par Pierre Waldeck-Rousseau, alors ministre de l’Intérieur, et votée le , est une loi pénale française.

Pour les autres lois portant le nom de Pierre Waldeck-Rousseau, voir Loi Waldeck-Rousseau.

Cette loi, qui est le premier chapitre d’un dispositif pénal mis en place par les républicains « opportunistes » à la fin du XIXe siècle, entraîne l'internement à perpétuité de condamnés récidivistes sur le sol d'une colonie ou possession française[1], comme par exemple au bagne de la Guyane.

Cette loi de déportation pénale abolit la peine de surveillance de haute police.

Contenu

Contenu initial de la loi

Cette loi comporte vingt-quatre articles[2] ;

" Article 1er : La relégation consistera dans l’internement perpétuel sur le territoire des colonies ou possessions françaises des condamnés que la présente loi a pour objet d’éloigner de France. Seront déterminés, par décret rendus en forme de règlement d’administration publique, les lieux dans lesquels pourra s’effectuer la relégation, les mesures d’ordre et de surveillance auxquelles les relégués pourront être soumis par nécessité de sécurité publique ; et les conditions dans lesquelles il sera pourvu à leur subsistance, avec obligation du travail à défaut de moyens d’existence dûment constatés.

Art. 2 : La relégation ne sera prononcée que par les cours et tribunaux ordinaires comme conséquence des condamnations encourues devant eux, à l’exclusion de toutes juridictions spéciales et exceptionnelles. Ces cours et tribunaux pourront toutefois tenir compte des condamnations prononcées par les tribunaux militaires en dehors de l’état de siège ou de guerre, pour les crimes ou délits de droit communs spécifiés dans la présente loi.

Art. 3 : Les condamnations pour crimes ou délits politiques ou pour crimes ou délits qui leur sont connexes, ne seront, en aucun cas, comptées pour la relégation.

Art. 4 : Seront relégués les récidivistes qui, dans quelque ordre que ce soit et dans un intervalle de dix ans, non compris la durée de toute peine subie, auront encouru les condamnations énumérées à l’un des paragraphes suivants : 1re Deux condamnations aux travaux forcés ou à la réclusion, sans qu’il soit dérogé aux dispositions des § 1 et 2 de l’article 6 de la loi du  ; 2e Une des condamnations énumérées au paragraphe précédent et deux condamnations soit à l’emprisonnement pour faits qualifiés crimes, soit à plus de trois mois d’emprisonnement pour : Vol ; Abus de confiance ; Outrage public à la pudeur ; Excitation habituelle de mineurs à la débauche ; Vagabondage ou mendicité par application des articles 277 et 279 du Code pénal ; 3e Quatre condamnations, soit à l’emprisonnement pour faits qualifiés crimes, soit à plus de trois mois d’emprisonnement pour les délits spécifiés au § 2 ci-dessus ; 4e Sept condamnations dont deux au moins prévues par les deux paragraphes précédents, et les autres, soit pour vagabondage, soit pour infraction à l’interdiction de résidence signifiée par l’application de l’article 19 de la présente loi, à la condition que deux de ces autres condamnations soient à plus de trois mois d’emprisonnement. Sont considérés comme gens sans aveu et seront punis des peines édictées contre le vagabondage tous les individus qui, soit qu’ils aient ou non un domicile certain, ne tirent habituellement leur subsistance que du fait de pratiquer ou faciliter sur la voie publique l’exercice de jeux illicites, ou la prostitution d’autrui sur la voie publique.

Art. 5 : Les condamnations qui auront fait l’objet de grâce, commutation ou réduction de peine seront néanmoins comptées en vue de la relégation. Ne le seront pas celles qui auront été effacées par la réhabilitation.

Art. 6 : La relégation n’est pas applicable aux individus qui seront âgés de plus de soixante ans ou de moins de vingt ans à l’expiration de leur peine. Toutefois, les condamnations encourues par le mineur de moins de vingt et un ans compteront en vue de la relégation, s’il est, après avoir atteint cet âge, de nouveau condamné dans les conditions prévues par la présente loi.

Art. 7 : Les condamnés qui auront encouru la relégation resteront soumis à toutes les obligations qui pourraient leur incomber en vertu des lois sur le recrutement de l’armée. Un règlement d’administration publique déterminera dans quelles conditions ils accompliront ces obligations.

Art. 8 : Celui qui aura encouru par application de l’article 4 de la présente loi, s’il n’avait pas dépassé soixante ans, sera, après l’expiration de sa peine, soumis à perpétuité à l’interdiction de séjour édictée par l’article 19 ci-après. S’il est mineur de vingt et un ans, il sera, après l’expiration de sa peine, retenu dans une maison de correction jusqu’à sa majorité.

Art. 9 : Les condamnations encourues antérieurement à la promulgation de la présente loi seront comptées en vue de la relégation conformément aux précédentes dispositions. Néanmoins, tout individu qui aura encouru, avant cette époque, des condamnations pouvant entraîner dès maintenant la relégation, n’y sera soumis qu’en cas de condamnation nouvelle dans les conditions ci-dessus prescrites.

Art. 10 : Le jugement ou l’arrêt prononcera la relégation en même temps que la peine principale ; il visera expressément les condamnations antérieures par suite desquelles elle sera applicable.

Art. 11 : Lorsqu’une poursuite devant un tribunal correctionnel sera de nature à entraîner l’application de la relégation, il ne pourra jamais être procédé dans les formes édictées par la loi du 20 mai 1863 sur les flagrants délits. Un défenseur sera nommé d’office au prévenu, à peine de nullité.

Art. 12 : La relégation ne sera appliquée qu’à l’expiration de la dernière peine à subir par le condamné. Toutefois, faculté est laissée au Gouvernement de devancer cette époque pour opérer le transfèrement du relégué. Il pourra également lui faire subir tout ou partie de la dernière peine dans un pénitencier. Ces pénitenciers pourront servir de dépôt pour les libérés qui seront maintenus jusqu’au plus prochain départ pour le lieu de la relégation.

Art. 13 : Le relégué pourra momentanément sortir du territoire de relégation en vertu d’une autorisation spéciale de l’autorité supérieure locale. Le Ministre seul pourra donner cette autorisation pour plus de six mois ou la retirer. Il pourra seul autoriser, à titre exceptionnel et pour six mois au plus, le relégué à rentrer en France.

Art. 14 : Le relégué qui, à partir de l’expiration de sa peine, se sera rendu coupable d’évasion ou de tentative d’évasion, celui qui, sans autorisation, sera rentré en France ou aura quitté le territoire de relégation, celui qui aura outrepassé le temps fixé par l’autorisation, sera traduit devant le tribunal correctionnel du lieu de son arrestation ou devant celui du lieu de la relégation, et après connaissance de son identité, sera puni d’un emprisonnement de deux ans au plus. En cas de récidive, cette peine pourra être portée à cinq ans. Elle sera subie sur le territoire des lieux de relégation.

Art. 15 : En cas de grâce, le condamné à la relégation ne pourra en être dispensé que par une disposition spéciale des lettres de grâce. Cette dispense par voie de grâce pourra d’ailleurs intervenir après l’expiration de la peine principale.

Art. 16 : Le relégué pourra, à partir de la sixième année de sa libération, introduire devant le tribunal de sa localité une demande tendant à se faire relever de la relégation, en justifiant de sa bonne conduite, des services rendus à la colonisation et des moyens d’existence. Les formes et conditions de cette demande seront déterminées par le règlement d’administration publique prévu par l’article 18 ci-après.

Art. 17 : Le Gouvernement pourra accorder aux relégués l’exercice, sur les territoires de relégation, de tout ou partie des droits civils dont ils auraient été privés par l’effet des condamnations encourues.

Art. 18 : Des règlements d’administration publique détermineront : Les conditions dans lesquelles accompliront les obligations militaires auxquelles ils pourraient être soumis par les lois sur le recrutement de l’armée ; L’organisation des pénitenciers mentionnés à l’article 12 ; Les conditions dans lesquelles le condamné pourrait être dispensé provisoirement ou définitivement de la relégation pour cause d’infirmité ou de maladie, les mesures d’aide et d’assistance en faveur des relégués ou de leur famille, les conditions auxquelles des concessions de terrains provisoires ou définitives pourront leur être accordées, les avances à faire, s’il y a lieu, pour premier établissement, le mode de remboursement de ces avances, l’étendue des droits concédés et les facultés qui pourraient être données à la famille des relégués pour les rejoindre ; Les conditions des engagements de travail à exiger des relégués ; Le régime et la discipline des établissements ou chantiers ou ceux qui n’auraient ni les moyens d’existence ni engagement, seront astreints au travail ; Et, en général, toutes les mesures nécessaires à assurer l’exécution de la présente loi. Le premier règlement destiné à organiser l’application de la présente loi sera promulgué dans un délai de six mois au plus à dater de sa promulgation.

Art. 19 : Est abrogé la loi du 9 juillet 1852, concernant l’interdiction par voie administrative, du séjour du département de la Seine et des communes formant l’agglomération lyonnaise. La peine de surveillance de la haute de la haute police est supprimée. Elle est remplacée par la défense faite au condamné de paraître dans les lieux dont l’interdiction lui sera signifiée par le Gouvernement avant sa libération. Toutes les autres obligations et formalités imposées par l’article 15 du Code pénal sont supprimées à partir de la promulgation de la présente loi, sans qu’il soit toutefois dérogé aux dispositions de l’article 635 du Code d’instruction criminelle. Restent, en conséquence, applicables pour cette interdiction les dispositions antérieures qui réglaient l’application ou la durée, ainsi que la remise ou la suppression de la surveillance de la haute police et les peines encourues par les contrevenants, conformément à l’article 45 du Code pénal. Dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi, le Gouvernement signifiera aux condamnés actuellement soumis à la surveillance de la haute police les lieux dans lesquels il leur sera interdit de paraître pendant le temps qui restait à courir cette peine.

Art. 20 : La présente loi est applicable à l’Algérie et aux colonies. En Algérie, par dérogation à l’article 2, les conseils de guerre prononceront la relégation contre les indigènes des territoires de commandement qui auront encouru, pour crimes ou délits de droit commun, les condamnations prévues par l’article 4 ci-dessus.

Art. 21 : La présente loi sera applicable à partir de la promulgation du règlement d’administration publique mentionné au paragraphe de l’article 18.

Art. 22 : Un rapport sur l’exécution de la présente loi sera présenté chaque année, par le Ministre compétent, à M. le Président de la République.

Art. 23 : Toutes les dispositions antérieures sont abrogées en ce qu’elles ont de contraire à la présente loi."

Modifications et ajouts

La loi du subit de nombreuses modifications au cours du temps;

  1. . Loi modifiant les art. 334 et 335 du code pénal, 4 de la loi du et 5 et 7 du code d'instruction criminelle
  2. . Loi modifiant l'art. 20 de la loi du , relative aux récidivistes
  3. . Loi modifiant la loi du sur les récidivistes
  4. . Loi portant sur la modification de l'art. 14 de la loi du sur les récidivistes
  5. . Loi modifiant la loi du sur les récidivistes
  6. . Loi modifiant la loi du sur les récidivistes
  7. . Loi No 54-706 modifiant l'article 4 de la loi sur les récidivistes[3]

Raisons de cette mesure

Climat et enjeux

Elle est votée pour faire face à la multiplication de la récidive. En effet, les chiffres ne cessent de croître depuis près d'un siècle. Cette constatation est rendue possible par un meilleur procédé d'enregistrement des statistiques, et offre un constat, celui de l'échec des prisons dans la réinsertion[4]. On sait alors qu'en 1879, un prisonnier sur deux récidive[5]. De plus, depuis l'étatisation de l'appareil répressif, l'amélioration du maillage policier et judiciaire du territoire, les chiffres de la répression judiciaire augmentent. S'ajoute à cela, la création du casier judiciaire qui permet de différencier les repris de justice[6]. Enfin, selon les pénalistes et les criminologues, cette situation est due à la multiplication des courtes peines de prison. Ainsi, en 1878, sur 15 163 prévenus en état de récidive légale, 10 270 ont été condamnés à moins d’un an de prison. En dernier lieu, rien ne semble pouvoir enrayer l’ascension continue de la récidive. Les récidivistes de crime, notamment ceux condamnés au bagne, mais aussi les récidivistes de délits sont, selon un barème, jugés incapables de s’amender, et relégués dans les colonies où ils sont assignés à résidence. On espère, outre débarrasser le sol français de ces indésirables, qu’ils contribueront au peuplement des colonies, sur le modèle des convicts d’Australie[7].

Constat d'échec

Dès le début, cette loi est fortement critiquée. Clemenceau la dénonce et affirme qu'elle ne résout pas le problème de récidive mais le déplace. Au niveau répressif, elle est un échec puisque le nombre de récidivistes ne diminue pas. En 1885, les condamnés en récidive par les cours d’assises étaient 1648, en 1893 ils sont 1638.

S'ajoute à cela le fait que les juges préfèrent appliquer les lois Bérenger sur la libération conditionnelle et le sursis, plutôt que celle de la relégation[5]. Ainsi pour l’année 1891, seulement 965 condamnations à la relégation sont prononcées, sur un total de 143 628 condamnations à des peines privatives de liberté.

De plus, cette loi qui se voulait également colonisatrice ne parvient pas à l'être. Les récidivistes relégués souffrent trop du climat.

En 1925, la publication d'un reportage d'Albert Londres sur le bagne de Guyane rend l'opinion publique ainsi que l'opposition plus dubitatives encore. La relégation est de moins en moins appréciée[8]. En 1936, les convois de forçats en direction de la Guyane sont suspendus par le Front populaire. En 1938, sous la pression de Gaston Monnerville, la relégation outre-mer est suspendue. Elle s’effectue alors uniquement en centrale sur le sol de la métropole. Mais cette disposition crée des difficultés dans les milieux carcéraux, et la relégation est réactivée.

Le , le ralliement de la Guyane à la France libre entraîne une nouvelle suspension des relégations au bagne de Cayenne[9].

Dénoncée à la fin des années 1960 par la Ligue des droits de l'homme[10], l'ancien ministre Eugène Claudius-Petit et un ex-relégué, René Boloux, qui entame une grève de la faim, la relégation est finalement abolie en 1970, la loi du substituant à la relégation la tutelle pénale. Celle-ci est à son tour abrogée par la Loi du 2 février 1981 dite « Loi sécurité et liberté »[11].

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, Presse Universitaire de France, coll. « Quadrige », , 8e éd., 986 p. (ISBN 978-2-13-055986-3 et 2-130-55986-7, OCLC 300161074, BNF 41024324)
  2. « Texte de la loi du 27 mai 1885l relative à a relégation des récidivistes », sur criminocorpus.org, (consulté le )
  3. « Texte de la loi n° 54-706 », sur criminocorpus.org (consulté le )
  4. Duringe A., Des conditions de la relégation des récidivistes en droit français. Thèse pour le doctorat, Imprimerie Nouvelle, Lyon, 1887, P.110 - 111
  5. Jean-Lucien Sanchez, « La relégation (loi du 27 mai 1885) », Criminocorpus « Les bagnes coloniaux », (lire en ligne, consulté le )
  6. , L’amélioration des techniques d’identification des récidivistes va surtout s’accélérer à la fin du XIXe siècle avec l’apparition de bertillonnage et de la dactyloscopie (Pierre Piazza, Histoire de la carte nationale d’identité, 2004, p. 51-61)
  7. Olivier Le Cour Grandmaison, La République impériale. Politique et racisme d'état : Politique et racisme d'Etat, Fayard, , p. 27
  8. Renneville M., La médecine du crime. Essai sur l’émergence d’un regard médical sur la criminalité en France (1785-1885). 2 tomes, thèse de doctorat, Paris, 1996.
  9. Jean-Lucien Sanchez, « L'abolition de la relégation en Guyane française (1938-1953) », sur crimino corpus, Savoirs, politiques et pratiques de l'exécution des peines en France au XXe siècle, Communications, (consulté le )
  10. « Denis Langlois, archives de la Ligue des droits de l'homme (1967-1971) »
  11. Marc Ancel, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, Éditions Sirey, , p. 323
  12. Anne Sogno, « Ne ratez pas : "Femmes au bagne, les oubliées de l'Histoire" », sur teleobs.nouvelobs.com, (consulté le )
  13. Michel Cartier, « La Relégation : « un scandale de la République ». Je confirme... », sur https://relegation.monsite-orange.fr/index.html (consulté le )
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