Inactivation du chromosome X
L'inactivation du chromosome X, aussi appelée lyonisation, est un processus à partir duquel un des deux chromosomes X de la femelle mammifère est inactivé. Au terme de ce processus, la majorité des gènes du chromosome X inactif cessent d'être exprimés. L'inactivation du chromosome X est un mécanisme de compensation de dose. En effet la femelle mammifère possède deux chromosomes X, et le mâle un seul. Or ce chromosome, contrairement au chromosome Y, possède de nombreux gènes impliqués dans le fonctionnement des cellules. Sans l'inactivation, la femelle produirait donc deux fois plus de certaines protéines que le mâle.
L'inactivation est réalisée par l'hétérochromatinisation du chromosome X. Le choix du chromosome X se fait au hasard durant la segmentation, étape de division cellulaire des blastomères qui précède l'implantation. L'inactivation est réalisée au hasard chez la plupart des mammifères. Dans le cas particulier des marsupiaux[alpha 1],[1], elle est appliquée uniquement au X paternel.
Historique
En 1959, Susumu Ohno[2] a démontré que les deux chromosomes X des souris femelles étaient différents : l'un ressemble aux autosomes et l'autre est condensé et hétérochromosome, formant une structure compacte au sein du noyau appelée corpuscule de Barr. Cette découverte suggère que l'un des chromosomes X subit un processus d'inactivation. En 1961, Mary F. Lyon proposa que l'inactivation d'un des chromosomes X de la femelle s'effectuait au cours du développement et était ensuite propagée de façon clonale, ce qui expliquait le phénotype tacheté des souris femelles hétérozygotes pour les gènes de la couleur de la fourrure[3]. L'hypothèse de Lyon explique également que l'une des copies du chromosome X dans les cellules femelles soit extrêmement condensée, et que les souris avec seulement une copie du chromosome X se développent en femelles fertiles. Indépendamment, Ernest Beutler, étudiant des femmes hétérozygotes déficientes dans le gène codant l'enzyme glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD), situé sur le chromosome X, observa que coexistent deux populations de cellules érythrocytes chez ces personnes : des cellules complètement déficientes et des cellules normales[4]. Il en déduisit que seul un des chromosomes X est actif dans les précurseurs des érythrocytes et que l'inactivation affecte l'un ou l'autre des chromosomes selon les cellules. Chez ces femmes, les cellules déficientes en G6PD ont inactivé le chromosome X portant le gène G6PD sain. Dans ces cellules, les deux copies du gène G6PD sont dans la configuration suivante : la copie sur le chromosome X inactif est saine mais non exprimée (donc non fonctionnelle) ; la copie sur le chromosome X actif est mutée et exprimée (non fonctionnelle également).
Mécanisme
Minutage
Chez la souris, une première inactivation précoce du chromosome X paternel a lieu chez l'embryon aux stades deux ou quatre cellules.
Au stade blastocyste, le chromosome inactif est réactivé dans les cellules de la masse cellulaire interne (à l'origine de l'embryon). En revanche, les cellules du trophoblaste (à l'origine des tissus extraembryonnaires qui donneront le placenta et les autres tissus de soutien de l'embryon), conservent l'inactivation du chromosome X paternel.
Par la suite, chacune de ces cellules de l'épiblaste (descendantes des cellules de la masse cellulaire interne du blastocyste) inactivent au hasard et indépendamment une copie d'un chromosome X. Le processus d'inactivation est irréversible pendant toute la durée de vie de la cellule. Par conséquent, les descendants de ces cellules auront le même X inactivé que celui de la cellule-mère. Cela conduit à une mosaïque si une femelle est hétérozygote pour un gène lié au chromosome X, ce qui peut être observé chez les chats au pelage de plusieurs couleurs, comme la robe écaille de tortue.
Le chromosome X inactif est réactivé dans les cellules de la lignée germinale[5].
Comptage des chromosomes X et sélection du chromosome actif
Les mammifères femelles possèdent deux chromosomes X, et dans toutes les cellules un des chromosomes X est actif (désigné Xa) et l'autre inactif (désigné Xi). Cependant, les études portant sur des cellules qui possèdent un ou plusieurs chromosomes X surnuméraires montrent que seul un chromosome X échappe à l'inactivation[6]. De même, contrairement à d'autres trisomies, la trisomie du chromosome X (appelée syndrome triple X), est quasiment asymptomatique et peut passer inaperçue pendant toute la vie d'une femme. Chez ces femmes, deux des trois chromosomes X sont inactivés. Ces observations suggèrent qu'il existe un mécanisme de comptage des chromosomes X au sein de la cellule qui permet de ne maintenir qu'un seul chromosome à l'état actif.
L'hypothèse est posée qu'il existe un facteur de blocage qui se lie au chromosome X et empêche son inactivation. Le facteur de blocage serait limitant : une fois la molécule de blocage liée au chromosome X, l'autre X n'est pas protégé contre l'inactivation. Cette hypothèse est renforcée par l'existence d'un seul Xa dans les cellules possédant plusieurs chromosomes X, et par l'existence de deux Xa dans les lignées cellulaires possédant deux fois plus d'autosomes que les lignées normales. Les séquences du centre d'inactivation de X (appelé XIC pour X inactivation center), situé sur le chromosome X, contrôlent l'inactivation du chromosome X. Le facteur de blocage lierait les séquence du XIC.
Composant chromosomique
Le XIC du chromosome X est nécessaire et suffisant pour causer l'inactivation du chromosome X. Les translocations chromosomiques provoquant le déplacement du XIC sur un chromosome autosome conduisent à l'inactivation de l'autosome[7], et le chromosome X ayant perdu son XIC n'est pas inactivé. Le XIC contient deux gènes transcrits en ARNs non codant : Xist et Tsix, tous deux impliqués dans l'inactivation du chromosome X. XIC contient également des sites de liaison pour des protéines de régulation, connues et inconnues.
ARN Xist et Tsix
Le gène Xist (transcrit spécifique du Xi, ou X inactive specific transcript) produit un ARN non codant de 17 kilobases. Le Xi produit l'ARN Xist alors que l'expression du gène est réprimée sur le Xa. En absence de Xist le chromosome X ne peut pas être inactivé[8]. L'expression de Xist à partir d'un chromosome autosome conduit à son inactivation[9].
Avant l'inactivation, les deux chromosomes X produisent l'ARN Xist en petite quantité. Durant le processus d'inactivation, le futur Xa stoppe la production de cet ARN alors que Xi l'augmente considérablement. Sur le futur Xi, l'ARN Xist recouvre progressivement le chromosome et induit son inactivation.
Tout comme Xist, le gène Tsix produit un ARN non traduit à partir du brin complémentaire au gène Xist : c'est un gène antisens à Xist[10]. Tsix est un inhibiteur de Xist : un chromosome X portant une mutation qui abolit l'expression de Tsix est systématiquement inactivé.
Notes
- Marsupiaux dont l'X inactivé est toujours le X paternel.
Références
- Françoise Ibarrondo, Gilles Camus, L'inactivation du chromosome X chez les femelles de Mammifères, Planet Vie, Ressources en sciences de la vie pour les enseignants, Sorbonne Universités, Faculté de Biologie, UFR 927 Sciences de la vie
- (en) Susumu Ohno (1928 - 2000)
- M. F. Lyon, « Gene action in the X-chromosome of the mouse (Mus musculus L.) », Nature, vol. 190, , p. 372–373 (ISSN 0028-0836, PMID 13764598, DOI 10.1038/190372a0, lire en ligne, consulté le )
- E. Beutler, M. Yeh et V. F. Fairbanks, « The normal human female as a mosaic of X-chromosome activity: studies using the gene for C-6-PD-deficiency as a marker », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 48, , p. 9–16 (ISSN 0027-8424, PMID 13868717, PMCID PMC285481, DOI 10.1073/pnas.48.1.9, lire en ligne, consulté le )
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- J. T. Lee et R. Jaenisch, « Long-range cis effects of ectopic X-inactivation centres on a mouse autosome », Nature, vol. 386, no 6622, , p. 275–279 (ISSN 0028-0836, PMID 9069285, DOI 10.1038/386275a0, lire en ligne, consulté le )
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- J. T. Lee, L. S. Davidow et D. Warshawsky, « Tsix, a gene antisense to Xist at the X-inactivation centre », Nature Genetics, vol. 21, no 4, , p. 400–404 (ISSN 1061-4036, PMID 10192391, DOI 10.1038/7734, lire en ligne, consulté le )
Voir aussi
Bibliographie
- (en) Neil Brockdorff et Bryan M. Turner, « Dosage Compensation in Mammals », Cold Spring Harb Perspect Biol., (PMCID PMC4355265, lire en ligne)