Madeleine Project
Le Madeleine Project est un web-documentaire initialement présenté sur Twitter. Publié sous forme de saison, le Madeleine Project en compte actuellement quatre, respectivement mises en ligne le , le , le et le . Décrit comme un « feuilleton 2.0[1] », ce tweet-documentaire soulève, entre autres, un débat sur les frontières de la littérature[2] de même que sur la gestion post mortem des archives personnelles.
Madeleine Project Un reportage de Clara Beaudoux | |
Auteur | Clara Beaudoux |
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Pays | France |
Genre | Tweet-documentaire |
Éditeur | Éditions du sous-sol |
Lieu de parution | Paris |
Date de parution | 26 mai 2016 |
Nombre de pages | 288 |
ISBN | 978-2-36468-209-2 |
Le , les Éditions du sous-sol ont édité une version en livre des deux premières saisons du Madeleine Project, version qui réunit tous les tweets publiés en et .
Contexte d'écriture
En 2013, Clara Beaudoux, journaliste web à France Info, s’installe dans un appartement parisien dont la cave n’a pas été vidée et pour laquelle le propriétaire ne possède plus la clé[3]. Prenant la décision de scier le cadenas, Beaudoux découvre, derrière la porte, une pièce remplie de coffres et de valises, qui renferment les archives de l’ancienne locataire, une prénommée Madeleine[3].
Des souvenirs de cette mystérieuse femme née en 1915 et morte en 2012, la journaliste ne jette rien, bien qu’elle ait obtenu l’autorisation du filleul de Madeleine d’en disposer à son gré[4]. En 2015, soit près de deux ans plus tard, Beaudoux se lance dans l’exploration du contenu des boîtes[5], expérience qu’elle choisit de partager. Tous les jours du 2 au , la journaliste publie des commentaires et des photos de ses trouvailles sur les réseaux sociaux[6]. « Je tweetais le matin ce que j’avais découvert l’après-midi précédent, [raconte Clara Beaudoux en entrevue avec le quotidien québécois La Presse]. J’écrivais à mesure dans un carnet ce que je ressentais et je le réécrivais de manière assez spontanée, sous forme de tweet, une fois à mon bureau[5]. »
Le Madeleine Project, à l'origine un simple hashtag, donne ainsi lieu à un double récit : à la fois celui de Madeleine, l’inconnue dont la journaliste trace le portrait à partir des fragments qui lui ont été légués par hasard, et celui de Clara Beaudoux elle-même, qui se découvre au fil des révélations qu’elle fait sur l’ancienne locataire de son appartement : « Madeleine m’a poussée à dire “je”, tout en me laissant de quoi me cacher, derrière elle. C’est comme si elle m’avait donnée la main pour atteindre le seuil d’un monde entre rêve et réalité, entre présence et absence, entre ce qui a été et ce qui est[7]. »
En février et en , la journaliste récidive et explore d’autres pans de la vie de Madeleine.
Madeleine, l'institutrice objet d'étude
Madeleine (son nom n'est pas rendu public) est née à Bourges le [8], d'un père enseignant dans l'enseignement technique et d'une mère mercière. Enfant, elle s'installe à Paris et devient plus tard institutrice à Aubervilliers et rue Championnet dans le 18e[9]. Elle meurt pratiquement centenaire en 2012[10]. Ses parents possédaient une maison de campagne à Montceaux-lès-Meaux. Célibataire, sans enfant, elle n'a pas de sépulture[11]. À son décès, sa cave contenait les souvenirs de ses parents, des lettres et cartes postales, des souvenirs de voyage, provenant particulièrement des Pays-Bas, des coupures de journaux, un manteau et du linge, des films et photographies. Son histoire doit être replacée dans le contexte de la période des Trente Glorieuses, de l'apparition de l'électroménager et des arts ménagers et de l'enseignement laïque.
Le documentaire
Clara Beaudoux a présenté son documentaire - une série de tweets de 140 caractères ou moins - en plusieurs saisons :
- Saison 1 en : présentation des objets conservés dans la cave[12]
- Saison 2 en : entretiens avec les voisins et le filleul de Madeleine[12]
- Saison 3 en : dévoilement de la correspondance amoureuse de Madeleine avec Loulou[13]
- Saison 4 en : l'enquête continue aux Archives
- Saison 5 en : En Hollande
La saison 1 est écrite dans un « faux direct »[12], la journaliste laissant croire à ses abonnés qu'elle partage ses découvertes à mesure alors qu'elle rapporte en réalité ses trouvailles et ses impressions de la veille[14]. Pour les saisons suivantes, Clara Beaudoux se voit toutefois dans l'obligation de changer d'approche. En effet, puisqu'elle décide d'élargir l'objet de son enquête et de partir à la recherche des proches de Madeleine pour les interviewer, le temps nécessaire à la production du contenu devient beaucoup plus long, ce qui oblige la journaliste à mettre de côté la narration en direct[12].
D'abord publié sur Twitter, le tweet-documentaire de Clara Beaudoux a ensuite été décliné sur différents support web : Twitter en anglais, Storify, Facebook, Tumblr, Wordpress[15]. L'écriture est sur le ton de l'intimité, du tutoiement et joue sur l'émotion et l'effet de surprise. Clara Beaudoux joue sur l'effet Madeleine de Proust. Pour son enquête, elle a interrogé les voisins et le filleul de Madeleine. Ce récit est à la fois biographique et autobiographique, Clara Beaudoux se révélant au fur et à mesure en créant des parallèles avec sa vie[16].
En , Clara Beaudoux twitte le départ de la collection et annonce la mise en place d'une exposition en , au Musée d'Histoire de la vie quotidienne à Saint-Martin-en-Campagne (Petit-Caux).
Livres
- Madeleine Project, édition du sous-sol, 2016
- Madeleine Project, livre de poche, 2017
Réception critique et controverse
À la suite de la mise en ligne, en , de la première saison du Madeleine Project, plusieurs médias français évoquent le projet avec enthousiasme : France Inter[17], Rue89[18], La Voix du Nord[19], Femme actuelle[20], Sud Ouest, Le Berry républicain[21], France Bleu[22]. À l'été 2016, la mise en ligne de la troisième saison et la publication de la version en livre du tweet-documentaire suscitent un regain d'intérêt de la presse, dont l'accueil est globalement favorable.
Cette exposition post mortem des archives intimes de la défunte par une personne étrangère à la famille soulève toutefois des débats dans la sphère médiatique comme chez les lecteurs du Madeleine Project. Bien que le seul héritier connu de Madeleine ait autorisé la journaliste à disposer des archives de son ancêtre, le public continue de s’interroger sur la dimension éthique de l’entreprise de Beaudoux[23].
Pour certains, le Madeleine Project est une intrusion dans la vie privée d’une femme qui n’a pas demandé à entrer dans le domaine public et qui n’est plus même en mesure de défendre son droit à l’intimité[23]. Pour d’autres, le récit de Madeleine relève de l’histoire collective et demande à être diffusé, puisqu’il permet de brosser le tableau d’une époque à partir, non pas des événements tournants du siècle, mais bien du récit des individus ordinaires qui l’ont traversé[23].
Clara Beaudoux n'est elle-même pas étrangère à ces questions, qui l'ont préoccupée à plusieurs étapes du projet et plus particulièrement lors de la découverte de la correspondance amoureuse de la défunte, dont la journaliste n'a publié qu'une partie des lettres[24]. Bien qu'elle soit d'avis que le récit de Madeleine relève de la mémoire collective et « dépasse [de ce fait] le cadre de la vie privée »[25], Beaudoux rappelle avoir pris certaines précautions pour assurer l'intégrité de la défunte : l'anonymat de Madeleine, de même que celui de tous les proches cités dans le reportage, sont préservés[26]. La journaliste affirme également avoir été confortée dans sa démarche par les proches et les connaissances de Madeleine, qui ont trouvé très beau le portrait qu'elle dressait de la défunte[25].
Ce documentaire rappelle la disparition des témoignages des femmes, car elles écrivent peu et détruisent leur correspondance, problématique évoquée par Michelle Perrot, dans Les femmes ou les silences de l'histoire (Paris, Flammarion, 1998). Le Madeleine Project interroge aussi sur les traces que nous laissons sur les réseaux sociaux, l'exploitation des données, le droit à l'image, le droit à l'oubli et la conservation de la mémoire collective.
D'autres récits
Le Madeleine Project n'est pas le premier récit sur le rapport au temps qui passe, aux objets, aux souvenirs, aux données sur Internet :
- Lydia Flem, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, 2004
- Karen Liebreich (Auteur), Laure Joanin (Traduction), La lettre dans la bouteille, 2009
- Raphaël Meltz, Un Buzz numérique Marc L[27],[28], 2009
- L'appartement oublié de Marthe de Florian
- Belinda Cannone, La chair du temps, stock, 2012
- Le documentaire À la recherche de Vivian Maier, 2013[29]
- Hélène Gestern, Eux sur la photo (2011) et Portrait d'après blessure, 2014
- Héla Lamine, La vie non secrète de Samantha C
- Vincent Glad, sur son blog, Comment ma photo m'a totalement échappé sur Internet[30]
- Isabelle Monnin, Les gens dans l'enveloppe, JC Lattès, 2015[31]
Documentaires ou séries
- lonelygirl15, web série sur YouTube, 2006
- Une histoire pour les Modlin, Sergio Oksman, 2012
- Un documentaire fictif du Musée de Meaux sur facebook : Léon Vivien, 2013
- Sylvia Guillet, Une femme effacée, documentaire France 3, 2016 [32]
- Si je reviens un jour", sur les traces de Louise Pikovsky, France 24, 2017
Il existe aussi des films documentaires sur les instituteurs tels Être et avoir de Nicolas Philibert (2002) ou Mon maître d'école d'Émilie Théron (2015).
Liens externes
- Page Twitter de Clara Beaudoux
- Le site du Madeleine Project
- [vidéo] 29 CONTEMPORAINES : CLARA BEAUDOUX (22/29) sur YouTube, chaine Tanneurs Quarante-Cinq.
Notes et références
- « Madeleine project - Editions du sous-sol », Editions du sous-sol, (lire en ligne, consulté le )
- « Twitter a 10 ans : une nouvelle poétique ? Avec Bernard Pivot. », France Inter, (lire en ligne, consulté le )
- « Lectures d'été: six livres pour voyager dans le temps », LExpress.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Clara Brunel, « Le #Madeleineproject ou le trésor de la cave numéro 16 », Le Point, (lire en ligne, consulté le )
- « Sur la piste de Madeleine - La Presse+ », La Presse+, (lire en ligne, consulté le )
- Bruno Corty, « Une vie en images et en tweets », Le Figaro littéraire,
- Stéphane Bou, « La cave se rebiffe », Le Canard enchaîné,
- Le Berry Madeleineproject #2
- sur twitter Madeleine Project
- sur twitter Madeleine Project
- sur twitter Madeleine Project
- Violaine Morin, « La saison 3 du #MadeleineProject, ou comment des objets découverts forment le récit d’une vie », Le Monde.fr, (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
- Le monde Big Browser
- « Sur la piste de Madeleine - La Presse+ », La Presse+, (lire en ligne, consulté le )
- Le site Internet Madeleine Project
- France Culture Le numérique et nous
- France Inter
- Rue 89
- la voix du Nord
- Femme actuelle Qui est cette femme...
- Le Berry
- France bleu
- Camille Causse, « Camicaos - La délicate utilisation des archives intimes - Libération.fr », sur caos.blogs.liberation.fr (consulté le )
- Violaine Morin, « La saison 3 du #MadeleineProject, ou comment des objets découverts forment le récit d’une vie », Le Monde.fr, (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
- « “Grâce au Madeleine Project, je me suis mise à dire 'je'” », Bibliobs, (lire en ligne, consulté le )
- « “Grâce au Madeleine Project, je me suis mise à dire 'je'” », Bibliobs, (lire en ligne, consulté le )
- sur Le Tigre
- Sur le Figaro
- Cité par Amélie dans un commentaire du blog Sois belle et parle
- Vincent Glad, « Comment ma photo m'a totalement échappé sur Internet » sur Libération, 13 novembre 2015
- L'œuvre hybride d'Isabelle Monnin
- Sur France 3 : Sylvia Guillet fait réapparaître “Une femme effacée”
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