Malin génie
Le Malin génie est une hypothèse sceptique formulée par Descartes dans ses Méditations métaphysiques.
Les Méditations métaphysiques
Dans ce texte, Descartes utilise la méthode du doute hyperbolique en vue de trouver une certitude première. Introduite dans la première méditation, l'hypothèse du malin génie constitue l'une des dernières étapes de l'extension du doute. Après avoir douté des informations transmises par les sens, puis avoir suggéré que tout ce que nous croyons être la réalité pourrait n'être qu'un rêve,
Descartes écrit :
« Je supposerai donc qu'il y a, non pas que Dieu, qui est très bon et qui est la souveraine source de vérité, mais qu'un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant, a employé toute son industrie à me tromper. Je penserai que le ciel, l'air, la terre, les couleurs, les figures, les sons et toutes les choses extérieures que nous voyons, ne sont que des illusions et tromperies, dont il se sert pour surprendre ma crédulité. Je me considérerai moi-même comme n'ayant point de mains, point d'yeux, point de chair, point de sang, comme n'ayant aucun sens, mais croyant faussement avoir toutes ces choses. Je demeurerai obstinément attaché à cette pensée ; et si, par ce moyen, il n'est pas en mon pouvoir de parvenir à la connaissance d'aucune vérité, à tout le moins il est en ma puissance de suspendre mon jugement. (Descartes, Première méditation) »
Malgré sa puissance, le malin génie postulé par Descartes n'a pas le pouvoir de lui faire douter de son existence. L'évidence du cogito est si forte que cette hypothèse ne peut pas la remettre en question. Au-delà de la certitude intuitive du cogito, l'argument de Descartes consiste à dire que si un malin génie le trompe, il faut que lui-même soit pour être trompé.
« Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe ; et qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. (Descartes, Méditation seconde) »
Le statut du malin génie ne fait pas l'unanimité : on peut considérer qu'il s'agit là d'une pure hypothèse méthodologique destinée à maintenir le doute au plus haut niveau ou considérer que le doute cartésien est renforcé par cette hypothèse.
Remarquons que bien que d'un pouvoir égal à celui de Dieu, le malin génie n'est pas le Dieu trompeur dont parle aussi Descartes dans les Méditations. La notion de « Dieu trompeur » est contradictoire en elle-même et n'est pas utilisée comme synonyme de « malin génie ».
L'argument sceptique
Dans la suite des Méditations, Descartes justifie l'existence réelle des objets extérieurs en s'appuyant sur la véracité de Dieu. Dieu, la première réalité certaine atteinte après le cogito, ne peut être trompeur. Dieu étant vérace il n'a pas fait l'homme tel que le monde qui lui semble exister n'existe pas réellement.
La perspective cartésienne mise à part, l'hypothèse du Malin génie constitue une hypothèse sceptique très puissante. Elle peut servir à former le raisonnement suivant :
- Je ne sais pas s'il n'y a pas un malin génie qui me trompe sur l'existence du monde extérieur.
- Si je ne sais pas s'il n'y a pas de malin génie qui me trompe, alors je ne sais pas si le monde extérieur existe ou non.
- Je ne sais pas si le monde extérieur existe ou non.
Cerveau dans une cuve
L'hypothèse du malin génie a été reformulée dans la philosophie contemporaine sous la forme du Cerveau dans une cuve (Brain in a vat). Le sujet croyant en l'existence du monde extérieur pourrait en effet n'être qu'un cerveau baignant dans une cuve de liquide et stimulé artificiellement par un groupe de scientifiques.
Bibliographie
- Jean-Pierre Cavaillé, Dieu trompeur, doctrine des équivoques et athéisme: entre Grégoire de Valence et Descartes, dans G. Canziani, M. Granada e Y.-C. Zarka (éds.), "Potentia Dei. L’onnipotenza divina nel pensiero dei secoli XVI e XVII", Milano, Franco Angeli, 2000, pp. 317-334.
- Henri Gouhier, Le malin génie et le bon Dieu, dans "Essais sur Descartes", Paris, Vrin, 1937, pp. 143-196.
- Tullio Gregory, La tromperie divine, dans Z. Kaluza et P. Vignaux (éds.), "Preuves et raisons à l’Université de Paris. Logique, ontologie et théologie au XIVe siècle", Paris, Vrin, 1984, pp. 187-195 (repris dans T. Gregory, Mundana sapientia. Forme di conoscenza nella cultura medievale, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 1992, pp. 389-399).
- Tullio Gregory, Genèse de la raison classique de Charron à Descartes, Paris, PUF, 2000 (Chapitre X. Dieu trompeur et malin génie, pp. 291-347).