Mancagnes
Les Mancagnes sont une population d'Afrique de l'Ouest vivant principalement en Guinée-Bissau, mais aussi au Sénégal et à un moindre degré en Gambie.
Cet article concerne le peuple mancagne. Pour la langue, voir mancagne (langue).
Population totale | 68 955 (2002) |
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Langues | Mancagne |
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Religions | Animisme, catholicisme |
Population
Selon le recensement de 1988 au Sénégal, les Mancagnes y étaient 23 180, sur une population totale estimée à 6 773 417 habitants, soit 0,3 %[1]. D'après des chiffres de 2002, la population totale était de 68 955 personnes, dont 40 855 en Guinée-Bissau et 26 450 au Sénégal, soit moins de 1 % de la population de ce pays où ils sont surtout concentrés en Casamance.
Intégration
Milieu
Liens de parenté avec les Manjaques et Pepels
Origines et flux migratoires
Les Mancagnes sont une ethnie que l’on retrouve principalement au Sénégal du sud, plus précisément dans les régions administratives actuelles de Ziguinchor, Sédhiou et Kolda. L’installation de cette ethnie dans cette partie du Sénégal est le fruit d’un long flux migratoire dont l’origine la plus lointaine connue, d’après nos investigations, remonterait de l’actuelle Guinée-Conakry (Nord-est), dans le Fouta Djallon.
En effet, selon les témoignages de certains traditionalistes Mancagnes recueillis par les historiens Adolphe Minkilane et Nouha Cissé, dans le cadre des Journées culturelles Mancagnes (« P Kumel ») de 1996 organisées à Ziguinchor, les Mancagnes se seraient d’abord installés en Guinée-Conakry, exactement sur le territoire dénommé « Douka » (ou Duka) ; ledit territoire qu’ils vont plus tard quitter pour l’ouest de l’actuelle Guinée-Bissau, à cause certainement des attaques répétées de leurs voisins Peuls, très tôt convertis à l’Islam (XIXe siècle : en effet, c’est au cours de ce siècle que les Peuls, venus des régions périphériques et déjà convertis à l’Islam ont, d’abord, institué l’État théocratique du Fouta Djallon, puis, cherché à convertir les populations trouvées sur place. C’est ainsi que celles qui étaient hostiles à leur projet furent contraintes de quitter le territoire : Soussous rejetés vers la Côte sud-est de leur état, et certainement les Brâmes, vers la côte nord-ouest.
Cette thèse, on la retrouve, par exemple, chez Mirjana Trifkovic (1969), qui explique l’origine du premier nom des Mancagnes, c'est-à-dire « Brâme » et écrit : « Le premier terme Brame proviendrait de l’époque où les Mancagnes auraient été asservis par les Peuls du Fouta Djallon et auraient eu pour chef Ibrahima ». Par conséquent, le terme « Brâme » serait tout simplement la déformation de « Ibrahima » (d’abord Buramos puis Brâme).
Joao Vicente Dias (2005) abonde également dans le même sens, à propos de l’origine du nom « Brâme » qui, jusqu’à ce moment bien précis, continuait de désigner Mancagnes, Manjaques et Pepels. Selon lui, l’origine de « Brâme » proviendrait de « Braima », qu’il voit comme une déformation mandingue du prénom « Ibrahima » que portait le Peul qui dirigeait les razzias contre les Brames. Donc, ce seraient les Mandingues (l’empire du Mali qui venait jusqu’à faire frontière avec l’État Peul) qui utilisaient ce nom pour désigner ceux qui ne voulaient pas se convertir à l’Islam et qui furent en train de chercher un nouveau territoire, en l’occurrence les Brâmes authentiques.
En Guinée-Bissau, les Mancagnes, après un périple est-ouest, se seraient finalement installés dans la partie orientale de la circonscription administrative de Cacheu, c'est-à-dire sur la région (en terme géographique) de Boula (un territoire de 400 m2). Et dans cette région, on les retrouve précisément dans les trois sous postes administratifs, car en dehors de Boula, où ils constituent incontestablement la population protohistorique, on les retrouve aussi à Co et à Jol. Déjà en 1950 (Trifkovic, 1969), ils se répartissaient comme suit sur ces trois territoires : Boula, 75,1 % de la population ; Co 37 % de la population et Jol 7,2 % de celle-ci.
Ensuite, de cette région admise aujourd’hui comme leur « territoire historique », les Mancagnes se seraient dispersés dans la Guinée-Bissau et le Sénégal actuels. Ainsi, en Guinée Bissau leurs cibles seraient :
- les Iles de Bissau et de Bolama, à l’ouest,
- Farim, au Nord et Sao- Domingos au nord-ouest ;
- Foulacounda au sud-ouest.
Au Sénégal, ils se seraient dirigés vers la Casamance, principalement vers les départements de Ziguinchor et Sédhiou, où ils sont aujourd’hui incontestablement plus présents. En 1965-1966, on dénombrait déjà respectivement à Ziguinchor et à Sédhiou, 3 145 (sur une population totale de 34 749, soit un peu plus de 9 %) et 1 951 (sur une population totale de 120 581 soit 1,6 %) mancagnes.
Cette première vague de migration intérieure serait en grande partie due à la culture de l’arachide, introduite par les occidentaux en Guinée-Bissau et au Sénégal (première moitié du XIXe siècle) et qui aurait attisé les convoitises des mancagnes.
Aujourd’hui, les Mancagnes disposent d’un ancrage territorial notable sur les deux pays cités. Si nous nous intéressons uniquement à leur présence sur le territoire sénégalais (départements de Ziguinchor et actuelle région de Sédhiou), nous pouvons citer quelques localités fortement imprégnées de leur présence.
À Sédhiou, on les retrouve surtout dans l’arrondissement de Diattacounda, mais également à Tanaff et à Djendé et dans les communes de Sédhiou et de Marssassoum. Dans le département de Ziguinchor, qui semble être leur bastion, on les retrouve surtout dans la commune de Ziguinchor (Tilène, Kansahoudy, Néma 1 et 2, Kenya, Kandialang, Halwar, Djibock..) et dans l’arrondissement de Niaguis, dans les villages et hameaux tels que Boutoute, Sône, Niaguis arrondissement ou Kayiiw, Adéane, Tambacoumba, Koundioundou, Mandina Mancagne, Kitor, St-louis Mancagne, Kantiène (orthographié aujourd'hui Kantène), Dakar-Banco, Petit Camp, Maroc, etc.
En 2002 (dernier recensement national), les Mancagnes représentaient 1 % de la population de la région de Ziguinchor et 1 % de l'ancienne région de Kolda. Après l’étape de la Guinée-Bissau et de la Casamance au sud du Sénégal, les Mancagnes ont continué leur flux migratoire, mais cette fois-ci vers les centres urbains du Nord, dont les principaux sont : Banjul et Serekunda (en Gambie) ; Nioro, Kaolack, Thiès, Sébikhotane-Pout, Mbour, Dakar, St Louis (au Nord Sénégal).
Les Mancagnes constituent ainsi une ethnie que l’on retrouve aujourd’hui essentiellement dans trois pays de l’Afrique de l’ouest que sont la Guinée-Bissau (3,3 % de la population sur les 1 500 000 habitants), le Sénégal (0,68 % sur les 9 956 202 habitants presque 10 millions) et la Gambie (nous ne disposons de leur part dans ce pays).
Composition
Jusqu’à leur périple bissau-guinéen, les Mancagnes auraient constitué un même groupe et par conséquent parlaient la même langue (ou le même dialecte) ; mais avec leurs différents déplacements et leurs différents contacts avec d’autres ethnies, ils ont fini par se scinder en trois groupes, suivant qu’ils habitent les trois terroirs qui, aujourd’hui, forment leur territoire protohistorique : Bula, Co et Jol. Ainsi ceux qui habitent Bula sont appelés Ba Houlas (Déformation de Ba Boula), ceux qui habitent Co, Ba ouh (déformation de Ba Co) et ceux qui habitent Jol, Ba Jol.
- Ba Houlas
Ils sont les plus nombreux et constituent probablement le « noyau original » du groupe, en ce sens que Bula est présentée comme la terre protohistorique des Mancagnes. D’ailleurs, Bula peut être considérée comme la capitale politique et culturelle des Mancagnes : lieu où se trouve le trône du roi, lieu où se tiennent l’une des plus grandes activités de la culture mancagne, le Katasa, etc. C’est à cause de cette importance numérique et de cette forte influence politico-culturelle que « Ba Houlas » ont tendance à confondre « Mancagne » et « Na houla » (le singulier) puisque la quasi-totalité des Mancagnes se définissent aujourd’hui seulement comme « Ba houlas » (les Ba Ouh, compris), ce qui semble exclure les autres du groupe.
- Ba Ouh
Ils sont légèrement différents des « Ba Houlas » par le parler. Et selon Mirjana Trifkovic (1969), cette différence résulterait de leur cohabitation avec le groupe Manjaque, à qui ils ont beaucoup emprunté lexicalement. Toutefois, ils sont plus tolérés dans le grand groupe « Ba houlas » (au cas où il renverrait par extension de sens à l’ensemble des Mancagnes).
- Ba Jol
Ils seraient issus de la triple cohabitation Mancagne, Manjaque et Balante sur le terroir de Jol où, du fait de leur nombre assez bas, ils ont été fortement influencés linguistiquement. En effet, les « Ba Jol » parlent un dialecte appelé « Brâme ou Mancagne de Jol ». Ce dialecte est par ailleurs plus proche du U houla (le parler des Ba Houha) que des deux autres ethnies (Manjaques et Balantes). Aujourd’hui encore en Guinée-Bissau, les Jol sont considérés comme des Mancagnes à part entière, comme l’attestent les documents officiels traitant les statistiques démographiques consultés (Mancanhas de Jol y sont appelés : voir rapport Joao Vicente Dias, 2005).
Mancagnes, Manjaques et Pepels
Jusqu’à leur périple dans le Fouta Djallon (XVIe siècle), Mancagnes, Manjaques et Pepels constituaient un seul et même groupe ethnique, à un moment donné appelé « Brâme » (on ignore encore leur nom avant l’arrivée des Peuls). Et aujourd’hui, ce fait historique semble être plus que démontré.
Mirjana Trifkovic dans son ouvrage cité plus haut écrit : « Il paraît y avoir une ressemblance entre ces trois populations Mancagnes, Manjaques et Papels. Cette ressemblance ne paraît pas être une vue de l’esprit. Elle se reflète dans le parler, les coutumes, les institutions traditionnelles et religieuses et la vie matérielle (mode d’alimentation, d’habitation, procédés de culture). Tous les auteurs portugais et autres, dont nous avons pu consulter, sont formels sur ce point. Toutefois, nous ignorons les causes de l’éclatement de ce groupe autrefois homogène, ainsi que les circonstances dans lesquelles il se serait produit. Plusieurs hypothèses ont été émises sur ce point. L’une d’entre-elles mérite d’être mentionnée ici, notamment celle des luttes intestines, conséquences des rivalités entre les familles puissantes, qui aurait abouti à la dislocation définitive des Buramos ».
Cette même hypothèse est retrouvée chez Joao Vicente Dias (2005) quand il explique l’origine du nom Brâme. Enfin sur le plan strictement linguistique, il semble que les affinités entre le Mancagne, le Manjaque et le Pepel transparaissent principalement dans « le fonctionnement des classificateurs nominaux, l’automatisme des systèmes d’accord respectifs et surtout dans le lexique. Les différences essentielles se situeraient au niveau du système verbal et de la construction génétive ». (Trifkovic, 1969). Ces différences résulteraient des contacts avec les autres groupes trouvés sur place.
Selon W.A. Wilson dans Uma volta linguistico na Guine (1959), l’intervention automatique du système d’accord dans la construction génétique propre aux langues Bantoues, serait très rares dans les langues semi-bantoues parlées en Guinée portugaise. Or, Wilson précise que dans le groupe Mancagne, Manjaque et Pepel, c'est-à-dire autrefois appelé Brâme, le Mancagne semble être le seul à l’utiliser.
Donc, si l'on part du principe que les Brâmes (Mancagnes, Manjaques et Pepels) ont jusqu’à leur arrivée en Guinée-Bissau constitué un seul et même groupe et que, de surcroît, ils ont connu un long périple à partir du Fouta Djallon et que dans ce groupe les origines pourraient bien être Bantoues et que le Mancagne est considéré par les linguistes comme le sous-groupe qui semble le mieux dégager ces origines lointaines bantoues, on est tenté de conclure que celui-ci est le noyau central, et ce, malgré leur nombre aujourd'hui assez faible par rapport aux Manjaques et Papels (orthographe davantage utilisé en Guinée Bissau) ou Pepels ?
Les brames authentiques en Guinée-Bissau (24,3 % de la population : source rapport de Joao Vicente Dias publié en 2005) se répartissent comme suit :
- Mancagne : 3,3 % (Mancanhas de Bula, Mancahnas de Co et Mancanhas de Jol) ;
- Manjaque (tous confondus) : 11 % ;
- Pepel ou Papel : 10 %.
Les Brâmes authentiques au Sénégal (source : Recensement Général de la Population et de l'Habitat de 2002):
- Mancagnes : environ 1 % (exactement 0,68 %) ;
- Manjacques : environ 3 % (2,8 % précisément) ;
- Pepels ou Papels : un pourcentage insignifiant et non déterminé dans les statistiques.
Si cette hypothèse se vérifie, il n’est donc pas surprenant, le fait que ce sont les Mancagnes, qui aujourd’hui dans ce groupe, essaient de reconquérir ce dernier nom qui les qualifier tous, en l’occurrence « Brâme ». Pour preuve, les Mancagnes se font de plus en plus appeler « Brames », que ce soit en Guinée Bissau (Joao Vicente Dias les appelle aussi ainsi dans son rapport), comme au Sénégal (Association Pkumel utilise ce nom).
Patronymes
Voir aussi
Notes et références
- Chiffres de la Division de la Statistique de Dakar cités dans Peuples du Sénégal, Éditions Sépia, 1996, p. 182
Articles connexes
Bibliographie
- Bampoky Gabriel, Les Mankagnes, Brame de Bula et Co : origines, migrations et mutations sociales, économiques, politiques et culturelles (1879-1959), Dakar, Université Chiekh Anta Diop, 1996, 71 p. (Mémoire de Maîtrise)
- Bampoky Gabriel, Les Mancagnes brâmes de bula et co : Origines migrations et mutations sociales, économiques, politiques et culturelles (1879 1959)
- Domingos Da Fonseca, L'humanité de Christ : essai d'étude christologique pour une évangélisation du peuple mancagne, Pontificia universitas urbaniana, 1993
- Ndecky, Albert de Tempu, culture et civilisation Mancagne : rites et traditions
- Ndecky Albinou, Pratiques et représentations des parlers mancagne de Goudomp (Sénégal). Amiens, Université de Picardie Jules Verne (Thèse de doctorat), 2011.
- Ndecky Albinou, Borrowings from creole-based portuguese: a phonological, morphological and semantical analysis. St-Louis, UGB (mémoire de DEA de Linguistique), 2006.
- Ndecky, Nelson de Saqui, La religion égyptienne de la période pharaonique et la religion Mancagne : étude comparée
- Trifkovic Mirjana (1969), Le Mancagne: étude phonologique et morphologique, Dakar-IFAN, 55 pages
- Trinquaz Jacqueline, Colonisations et religions en Afrique noire : L’exemple de Ziguinchor
Liens externes
- (en) Fiche Ethnologue.com
- « Le marquage des identités ethniques dans le choix des prénoms en Casamance (Sénégal) » (article de Marie-Louise Moreau dans Études africaines, , 16 p.)
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