Marie Uguay

Marie Uguay, née le et morte le à Montréal, est une poétesse québécoise[1].

Pour les articles homonymes, voir Uguay.

Marie Uguay
Nom de naissance Marie Lalonde
Naissance
Montréal, Québec Canada
Décès
Montréal, Québec Canada
Activité principale
Distinctions
Médaille de la Fondation Nelligan (à titre posthume)
Auteur
Langue d’écriture français

Œuvres principales

  • Signe et rumeur (1976)
  • L'Outre-vie (1979)
  • Autoportaits (1982)
  • Journal (2005)

Biographie

Enfance

Marie Uguay (née Lalonde) a vécu toute sa vie à Montréal dans le quartier de Côte-Saint-Paul, où elle est née le . Ses parents, Denise Uguay et Jacques Lalonde, tous les deux issus d’un milieu modeste demeuraient dans cette grande ville depuis une génération.

L’enfance de Marie Uguay est centrée autour de son noyau familial maternel. Son grand-père, César Uguay, exerce l’ascendant sur toute la famille par la force de son caractère et sa détermination. Parti de rien mais passionné de musique, il réussit à changer sa condition de simple ouvrier d’usine pour celle de musicien, devenant professeur de musique dans différents collèges de Montréal. Il a une forte influence sur Marie Uguay, qui voit en lui la possibilité pour quiconque de changer sa condition à force de travail et de volonté, et de se réaliser à travers les arts. Toute son enfance est imprégnée de cet idéal qu’il incarne. Elle décide plus tard d'écrire ses propres œuvres et de les publier sous son vrai nom.

Très tôt, Marie Uguay est attirée par la lecture. Elle se met à son tour à écrire des histoires qu’elle illustre de dessins ou de collages. Celles-ci sont surtout inspirées des contes de princes et princesses. Elle les lit à ses amies ou devant sa classe, et découvre le pouvoir de séduction que son talent peut exercer sur les autres.

Marie Uguay délaisse alors peu à peu les aventures romanesques de son enfance et commence à écrire de la poésie vers l’âge de 15 ans, alors qu’elle étudie à l’école secondaire Esther-Blondin dans le quartier Saint-Henri à Montréal. Son intérêt ne se porte plus sur des histoires inventées, mais sur les mots eux-mêmes qui se mettent à vivre, à transmettre des émotions.

« L’aventure n’a plus été celle des personnages, mais l’aventure est devenue celle des mots »[2]

Le premier recueil

En , elle commence des études en lettres au collège Marguerite-Bourgeoys à Westmount. L'hiver suivant, elle écrit les premiers poèmes de Signe et rumeur. À la fin de ses études, au début de l’été 1974, elle voit la mer pour la première fois et c'est l’éblouissement : « la découverte que la beauté existe»[2].

À l’automne 1974, elle entreprend des études en communication à l'Université du Québec à Montréal. Elle abandonnera cependant avant la fin de sa deuxième année.

En , elle rencontre Stéphan Kovacs, alors étudiant dans la même faculté, qui collaborera au fil des ans à ses publications et demeurera son compagnon jusqu’à la fin. Entre-temps, en , elle reçoit une réponse favorable des Éditions du Noroît, à qui elle a envoyé le manuscrit de Signe et rumeur, l’informant qu’il sera publié l’année suivante. Marie Uguay travaille pendant presque une année à peaufiner ses textes et à créer l’espace idéal pour les accueillir. Elle choisit de calligraphier tous ses poèmes et de les illustrer de ses propres dessins, souhaitant donner à l’ensemble l’aspect d’un cahier intime, à l’image de la poésie qu’il renferme et dont le cycle des saisons forme la trame.

L'Outre-vie

Au printemps 1976, son premier recueil est complètement achevé, et Marie Uguay part pour trois mois aux Îles de la Madeleine, grâce à une bourse de création photographique obtenu par son compagnon Stéphan Kovacs. Heureuse et épanouie, elle écrit et dessine. C’est là-bas qu’elle ébauche les premiers poèmes de son deuxième recueil L’Outre-vie : des poèmes fortement influencés par le paysage maritime et les gens qui l’habitent. De retour à Montréal, son attention se porte avec un regard neuf sur la ville et sur la condition des femmes. En novembre de la même année, paraît Signe et rumeur.

Sa vie est cependant brutalement bouleversée au début de , alors qu’elle apprend qu’elle est atteinte d'un cancer des os particulièrement agressif. Un combat acharné de deux mois à l’hôpital mènera finalement à l’amputation de l'une de ses jambes.

Elle sort de l’hôpital à la fin du mois de novembre, mais y retournera de façon intermittente afin de recevoir différents traitements. Lors de cette épreuve, Marie Uguay trouve néanmoins la force d’écrire, et les poèmes qui en résulteront seront les plus percutants de son recueil L’Outre-vie, auquel elle donne une toute nouvelle tonalité[3].

Après ce combat pour sa survie et son intégrité physique, Marie Uguay est en convalescence chez elle au début de l'année 1978, et entame de la rééducation pour réapprendre à marcher avec une jambe artificielle. C’est une période difficile où se mêlent rage et frustration, qu’elle réussit à traverser grâce à un rêve qu’elle chérit depuis toujours et qui pourra enfin se réaliser : un premier voyage en France et à Paris, ce territoire imaginaire de tant de lectures et d’aspirations, qui est prévu pour la fin de l’été 1978. Avant son départ, elle finalise la rédaction de L’Outre-vie, qu’elle remet à son éditeur. Pendant l’été, elle participe à une première lecture de poésie au Théâtre de l’Île d’Orléans, où sa prestation sur scène et la force de ses textes ont un écho immédiat[4].

Mais le voyage en France ne réussit pas à apaiser la meurtrissure profonde qu’elle porte en elle et qui est désormais un obstacle permanent à ses désirs. Paris est une ville qui se découvre à pieds et elle peine à suivre le rythme. Elle revient déçue d’elle-même, de ses espoirs de conquête d’un pays qu’elle avait idéalisé, n’écrivant d’ailleurs presque rien là-bas. À son retour, en , elle reçoit des traitements préventifs contre le cancer qui se poursuivront durant toute l’année suivante. L’automne 1979 sera marqué par la sortie de son deuxième recueil, L’Outre-vie, ainsi que sa participation à plusieurs lectures de poésie.

Autoportraits

Au cours de l'été 1979 prennent forme de nouveaux textes en prose qu'elle remaniera en poèmes, pour son prochain recueil Autoportraits. Au début de 1980, la récidive du cancer occasionne des traitements plus intensifs et difficiles.

Marie Uguay reste pourtant très active, allant parfois au-delà de ses limites physiques, et elle participe à de nombreuses lectures de poésie où sa voix est toujours une présence exceptionnelle. Elle se distingue notamment à la Nuit de la poésie, en mars, et sa prestation fera partie du film réalisé lors de l’événement par Jean-Claude Labrecque et Jean-Pierre Masse pour l'ONF: La Nuit de la poésie 28 mars 1980[5]. À la fin de la même année, le cinéaste Jean-Claude Labrecque, impressionné par sa détermination et sa poésie, lui propose de faire un film sur elle. Une collaboration en ce sens se poursuivra tout au long de l’année 1981, pendant laquelle elle subit de fréquents assauts de sa maladie tout en poursuivant l’écriture de son recueil Autoportraits. De nouvelles complications de son état de santé menaceront le projet de film, tandis qu'une série d’entretiens avec l’écrivain Jean Royer sont tournés en septembre. Un mois plus tard, le , Marie Uguay meurt à l’hôpital.

Reconnaissance posthume

Au printemps de l’année suivante paraît son dernier recueil, Autoportraits, qui confirme sa place dans la littérature québécoise, tout comme le film qui lui est consacré, Marie Uguay[6], réalisé par Jean-Claude Labrecque, qui contribuera grandement à faire connaître sa vie et son œuvre[7]. Lors de cette même année, la maison de la culture du Sud-ouest de Montréal, quartier où Marie Uguay a toujours vécu, est baptisée en son honneur[8], et elle reçoit pour son œuvre, à titre posthume, la médaille de la Fondation Émile-Nelligan[9],[10],[11].

Marie Uguay est souvent perçue comme une « étoile filante » par sa brève mais fulgurante ascension dans le paysage littéraire québécois. Avec seulement deux recueils publiés de son vivant, ainsi qu’un dernier recueil posthume, il est rare qu’une œuvre ait autant de résonance et qu’elle persiste. Et pourtant, en quelques années de création, Marie Uguay a réussi à délimiter un espace spécifique dans l’histoire de la poésie du Québec. Son destin tragique y a peut-être été pour quelque chose, mais l’essentiel ne se situe pas là. L’authenticité de sa démarche artistique, son travail rigoureux sur la langue, la recherche de l’essentiel, ont su transgresser sa réalité biographique et trouver écho auprès de nombreux lecteurs. Car la poésie de Marie Uguay ne joue pas d’artifice, évitant le piège du lyrisme ou de la métaphore. Elle parle avec simplicité et précision du moment vécu, et sa pensée maintient toujours une capacité d’émerveillement, une disponibilité au quotidien et à l’autre, malgré le drame qui l’afflige.

Michel Beaulieu écrivait peu de temps après sa mort : « Marie Uguay appartient désormais à l’histoire. Avec le temps, sa voix ne fera que s’amplifier. Les circonstances tragiques de sa brève existence auront sans doute contribué à sa rapide maturation, mais il n’en reste pas moins qu’elle nous aura légué une œuvre capitale[12]».

Depuis son décès en 1981, l’œuvre de Marie Uguay n’a cessé de susciter l’intérêt et de rester vivante. En témoigne les nombreux hommages qui lui ont été rendus au fil des années et la réédition constante de ses poèmes. En 2005, la publication de son Journal[13]', témoignant des dernières années de sa vie, ainsi que de ses Poèmes, regroupant tous ses recueils auxquels ont été ajoutés Poèmes en marge et Poèmes en prose ont été possibles grâce au travail éditorial de Stéphan Kovacs, venant ainsi compléter son œuvre. La bibliothèque publique de Notre-Dame-de-L'île-Perrot, au moment de son inauguration dans les locaux du Carrefour Notre-Dame, a été nommée la bibliothèque Marie-Uguay[14]. Le même toponyme a été attribué à la bibliothèque du sud-ouest, du quartier Ville Émard et Saint-Paul, sur la rue Monk[15]. Marie Uguay a été inhumée au cimetière Sainte-Jeanne-de-Chantal, le 3 novembre 1981, à Notre-Dame-de-L'Île-Perrot[16].

Œuvres

Signe et rumeur

Signe et rumeur est le premier recueil de Marie Uguay, publié aux Éditions du Noroit en 1976. Il est composé d'une soixantaine de courts poèmes.

Thèmes

Il y a trois thèmes, ou acteurs, centraux, dans Signe et rumeur: « l'omniprésence de Ia nature, l'attention accordée au passage du temps, à travers le cycle des saisons, et la relation amoureuse avec le « tu », souvent vue au travers du « nous » »[17]. Outre la description de l'environnement et du paysage, la nature comme thème révèle également une analogie entre l'extérieur et l'intérieur. Cela s'exprime par une introspection, qui mène finalement à une identification : « l'hiver se tient immobile sur la ligne droite du silence / sa détresse mystérieuse aspire ma détresse rien ne peut me dissocier du paysage familier / en lui je reconnais mon attente et mon amour »[17]. Il y a alors une « tension entre la reconnaissance de I'altérité perçue au travers de la nature et le désir de communier aux mêmes forces de vie». Or, cette tension « se résout de façon harmonieuse dans l'écriture, grâce au climat d'intimité qui règne entre le Je et la nature »[17].

Le temps est aussi un thème dans ce recueil. Il y a plusieurs poèmes qui « évoquent le passage du temps »[17]. Il y a un aspect de temps qui s'exprime par le cycle des saisons, mais il y a également une alternance entre deux mouvements, l'arrêt et la marche: Il est « nécessaire d'être « en marche » et « disponible pour connaître l'arrêt, celui-ci devenant parfois moment de grâce, libéré de l'emprise du temps »[17].

L'Outre-vie

L’Outre-vie est le deuxième recueil de poème de Marie Uguay, publié en 1979 aux Éditions du Noroît. Le recueil composé d’une quarantaine de poèmes, s’ouvre sur un court texte en prose qui renvoie au titre dans sa première phrase : « L’outre-vie, c’est quand on n’est pas encore dans la vie, qu’on la regarde, que l’on cherche à y entrer »[18]. Le recueil s’inscrit ainsi d’entrée de jeu dans une poétique de l’entre-deux ; il constitue aussi une rupture sur plusieurs niveaux par rapport à son premier recueil, Signe et rumeur. Plusieurs thèmes du premier recueil sont en effet repris dans L’Outre-vie, mais sont investis différemment : par exemple, la nature « demeur[e] plus que jamais un reflet des émotions que vit le sujet », mais a « perdu son rôle apaisant »[17]. Le rapport du sujet au monde qui l’entoure a changé, « au point que le monde tel que le présentait Signe et rumeur renvoie presque à un paradis perdu »[17]. Cette rupture dans son œuvre peut être mise en parallèle avec la vie réelle de Marie Uguay, telle qu’on la découvre notamment dans son Journal : c’est en 1977 qu’elle reçoit son diagnostic de cancer des os et qu’elle subit, quelques moins plus tard, l’amputation d’une jambe. Rédigé à partir de l'été 1976 jusqu'au printemps 1978, une partie de son second recueil est donc aussi celle de l’adaptation à cette nouvelle réalité.

Thèmes

Comme dans le premier recueil (et dans le troisième qui paraîtra quelques années plus tard), le thème de la nature traverse l’œuvre du début à la fin, en s'incarnant notamment dans les motifs du cycle des saisons, du règne végétal, des plans d’eau et de la lumière. Toutefois, le sujet n’est plus dans une posture uniquement contemplative devant la nature : dans un mouvement d’affirmation de son identité (visible aussi dans d’autres thèmes), le sujet ramène vers lui les descriptions de la nature qui l’entoure ce qui accorde une plus grande place à son intériorité, « contrairement au précédent recueil où il s'effaçait davantage afin de laisser place à l'enseignement de la nature »[17].

Un autre thème important est celui de la société, surtout telle qu’elle se manifeste par la présence de la ville, « qui devient presque un personnage »[17] tant elle prend de l’importance à travers le recueil, à la différence de Signe et rumeur où la nature domine. L’espace urbain revient en effet dans de nombreux poèmes de L’Outre-vie et fait coexister la culture et la nature qui « loin d’être en opposition, s'unissent continuellement et créent une tension poétique »[19], tension qu’on peut voir par exemple dans des vers tels que « artificielle et vibrante forêt de la ville » ou « toutes les briques ont des ruisseaux dans leurs failles ».

Le thème du temps est aussi fort présent à travers le texte, et les poèmes nomment même explicitement des mois ou des saisons plus d’une dizaine de fois, comme dans le poème suivant : « Je voudrais écailler mes jambes de tous les vents / ceux écaillés de l’été / […] ceux de l’automne pleins de transparence et de veines vives / […] ceux de l’hiver pareils à des pointes de métal / […] et ceux du printemps qui ont si peu d’espace ». Or, le temps subit un traitement similaire à celui de la nature : alors que la posture adoptée face au passage du temps dans Signe et rumeur était plutôt contemplative, elle devient plus individuelle et tournée vers soi dans L’Outre-vie, où le sujet « divise le temps pour essayer d'avoir prise sur lui »[19].

Le voyage est aussi un thème exploité par l’œuvre, mais il s’agit toutefois d’un voyage immobile, porté par l’imagination et par le leitmotiv de la fenêtre, souvent nommée ou suggérée par des dérivés tels que « les rideaux » ou « les persiennes ». « Tout se passe comme si l'œuvre était le compte rendu d'un voyage assis que les pouvoirs filtreurs et déformants de la vitre autorisaient »[19] et le recueil ne manque pas de vers qui renvoient à cette idée, par exemple : « La fenêtre comme l’écran / où des existences passent » ou « sur les vitres le front soyeux des mers »[18].

Autoportraits

Autoportraits est le troisième et dernier recueil de Marie Uguay, publié de manière posthume en 1982. La rédaction du recueil se fait à partir de l'été 1979 jusqu'à quelques semaines avant sa mort en octobre 1981.

La critique littéraire se met d’accord pour dire qu’il s’agit de son recueil le plus abouti. À cet effet, André Brochu écrit dans la revue Voix et images que les « poèmes d’Autoportraits comportent un pas de plus vers la maturité, qui se traduit par une aisance et une netteté de propos plus grandes que dans L’Outre-vie, et une poignante sérénité qui provient d’un regard en partie dégagé du train des choses »[20].

Thèmes

Les thèmes récurrents dans les recueils précédents se retrouvent dans Autoportraits. On retrouve également le motif de l’immobilité, « tu bouges à peine » ; « le regard fixe » ; « le vent […] sans effusion » ; « aucun souffle ne secoue ta chevelure » qui semble revenir sur la décrépitude, voire l’échec, d’un amour dans lequel l’immobilité a triomphé sur le désir de le sauver.

L’absence de l’être aimé parsème l’entièreté du recueil et l’instance poétique s’adresse constamment au « tu », alors que dans Signe et rumeur et L’Outre-vie cette adresse se faisait par intermittences. L’absence de cette présence est analogue à une temporalité qui ressemble à « une pulsation de l’amour incertain, de l’arrivée et du départ »[21].

De plus, la nature semble être une grande inspiration pour Marie Uguay : « Des images admirables de simplicité et d’inattendu témoignent de cette maîtrise : “et surgissent du miroir de vigoureuses étoiles/calmes et filantes” ; “la nuit est une encre avec le tracé des feuillages/et les vents pareils à des linges mouillés”. Ici encore la vive sensibilité, ensemble sentiment et sensation, amour et désir, se mire dans une nature amie qui lui prête ses mots, ses images, ses élans, conférant au poème fraîcheur et intégrité »[22].

L’univers de Marie Uguay accorde également une place particulière aux lieux habités. Or, dans Autoportraits, ces lieux « ne sont pas des lieux habitables à plein temps » : « chambres d’écoute, chambres d’attente, terrasses de cafés, autoroutes »[21]. Toutefois, il est possible de dénoter une opposition entre l’intérieur et l’extérieur qui l’appelle sans cesse, « nous ne parlons plus / attirés par la fraîcheur de l’herbe et des nuages / dehors nous savons que tout se prépare / lentement à paraître ». Pareillement, le lieu de ses poèmes en est un rassurant « un lieu d’intimité où elle essaie de s’ancrer »[21].

Les éléments formels, dans Autoportraits, sont en globalité plus uniformes que dans les recueils précédents. En effet, la forme est plus dépouillée et plus régulière. Cette uniformisation est notamment caractérisée par une « présentation typographique très homogène des poèmes, sans majuscules, sans ponctuation, sans pagination »[21] et des poèmes sensiblement de la même longueur. Toutefois, dans certains poèmes, Marie Uguay fait l’utilisation des parenthèses dans une visée qui serait « en lien avec le registre de la confidence »[23]. Également, il y a considérablement moins de blancs typographiques, ce qui était flagrant au sein des autres recueils.

Poèmes en marge et Poèmes en prose

Ces deux assemblages de poèmes n'ont jamais été publiés en recueil, mais ajoutés à son œuvre poétique au même moment que la publication du Journal en 2005. Tous ont été écrits dans la même période que le recueil Autoportraits, et leur sélection a été effectuée par Stéphan Kovacs qui les a assemblés dans l'ordre chronologique de leur rédaction[3]. Ceux-ci ne forment pas un tout structuré comme les recueils précédents, mais il y a quand même une cohérence unifiante. Aucun poème n’est titré. L’expression de la poète est plus directe dans ces poèmes, plus explicative. Le désir est ce qui motive principalement cette écriture, comme la poète le dit « [...] de l'autre côté du désir il n'y a pas la sérénité, il n'y a rien. Rien »[24]. Le désir est, en l'occurrence, le moteur de cette production poétique.

Les Poèmes en marge sont tous écrits en vers libres et ne dépassent jamais une page, toute ponctuation est absente. Seule la première lettre de chaque poème est en majuscule, ce qui donne à la lecture un continuum sans fin. L'usage de la parataxe est très fréquent, il donne à la lecture une densité, un rythme saccadé, où quelque chose reste à dire, voire est indicible. Ce sont des « poèmes complémentaires par leur manière mais en marge d'Autoportraits, car non intégrés à l'assemblage initial créé par Marie Uguay »[3].

Les Poèmes en prose, comme leur titre l'indique, sont tous écrits en prose. Ils sont une « forme de transition entre les recueils L'Outre-vie et Autoportraits ; poèmes plus intimement reliés à sa réalité immédiate [de Marie Uguay] et dont la majorité a été écrite d'un seul jet »[3].

Postures d'auteur

Les entretiens avec Jean Royer, dans le film Marie Uguay[6] de Jean-Claude Labrecque, et le Journal[3], rendu public plusieurs années après sa mort par son compagnon Stéphan Kovacs, contribuent ensemble à dresser un portrait de Marie Uguay en tant qu’auteure et à comprendre son évolution, et se complètent l’un l’autre.

Entretiens

Elle adopte lors de ces entretiens une posture d’humilité, en opposition à l'identité d'elle-même plus jeune. Elle qualifie le style de cette identité plus jeune comme étant plutôt juvénile, adolescent, exalté, un univers personnel intense à transmettre, qu'elle identifie au temps des recueils Signe et rumeur et L'Outre-vie. Cette vision de soi l’a quittée pour faire place à des intentions de plus en plus sévères, exigeantes et rigoureuses mais sans prétention. Elle dit écrire de moins en moins au fur et à mesure de sa maturation poétique[25].

La maladie a imposé une urgence de vivre, mais ce n’est pas ce qui la fait écrire, il s'agit plutôt d'un handicap à l’écriture. La mort est perçue en tant qu’échec poétique, car elle empiète sur son aspiration à la maturité poétique. Depuis son diagnostic, Marie Uguay a senti le temps s’accélérer, elle essaie davantage de vivre le temps présent, ce qui, contre-intuitivement, lui fait rendre compte que le temps lui échappe. Cela la tourmente beaucoup et la pousse à rechercher une certaine immobilité dans le poème pour saisir l’instant présent et surmonter l’angoisse qui l'accable. Sa condition médicale affecte sa capacité de déplacement, ce qui touche les thèmes abordés dans sa poésie. C’est à partir de la lecture de Rousseau, Proust et Colette qu’elle dit être amoureuse avec la langue française. Plus spécifiquement, sa lecture de Rousseau lui a permis d'exacerber l’attention qu’elle porte au monde qui l’entoure et sa façon de le ressentir, ce qui se manifeste très distinctement dans son écriture.

Ce qui l’intéresse avant tout dans son projet poétique, c’est la capacité de transmettre les sensations par les mots. L’écriture est pour l'auteure un lieu d’émancipation, où tout peut être dit avec la même intensité que le ressentis, ce que l’entourage immédiat ne peut pas offrir. L’écriture a le pouvoir de transformer le monde, et constitue un besoin essentiel. Elle décrit son parcours poétique comme un passage de la naïveté à la désillusion. L’exploration du réel par l’entremise du rêve occupe une dimension importante[26]. Le poème doit avoir comme but de voir la vie autrement, presque comme un rêve. Le désir amoureux est central, car il aide à se distancier des convenances et des conventions. Marie Uguay se montre excessivement idéaliste. Elle refuse la conformité, elle veut devenir qui elle a envie d'être, non pas ce que les autres veulent qu'elle soit, et prononce un rejet de la certitude, car pour elle l’incertitude est plus douloureux, mais ouvre des possibilités[27].

Journal

Bien que le Journal n'était pas destiné à être publié, il accompagne l'œuvre et met au jour des éléments important de la poétique de l'auteure qui ne sont pas présents dans les poèmes. Ces éléments permettent de renouveler la lecture qu'on peut faire du travail de Marie Uguay, car ils ont une incidence sur la manière de le percevoir. Il débute en novembre 1977, alors qu'elle vient de quitter l'hôpital après l'amputation de sa jambe droite.

Établi, annoté et présenté par Stéphan Kovacs, « sa configuration est toutefois particulière, en ce sens qu’il n’est pas un objet isolé mais intégré à son travail poétique, s’inscrivant dans un processus global d’écriture : celui de la rédaction des derniers poèmes de L’Outre-vie, mais plus particulièrement de toute la gestation puis de la création des poèmes d’Autoportraits, qui, par définition, rejoignent l’essence même du journal. Couvrant les quatre dernières années de sa vie, le document original se composait d’une douzaine de cahiers de formats variés où s’élaborait tout son travail d’écrivain : sa poésie principalement, entremêlée d’écrits autobiographiques sur l’écriture, sur ses désirs, ses réflexions – un lieu unique où s’écrit son œuvre, sa vie »[3].

Le Journal est empreint d’une réflexion autour de l’écriture et constitue un tout cohérent, marqué par une logique reliée au reste de l’œuvre poétique. Marie Uguay est forcée dans une position d’attente liée à sa perte d’autonomie[28]. Elle confesse son amour secret pour Paul, son médecin. Amour impossible, puisque Paul est marié et plus âgé. Il incarne la possibilité de guérison. Le désir de Paul suscite une forte inspiration pour l’écriture du journal intime[29]. La représentation de la ville de Montréal y occupe également une place importante.

Bien que son œuvre se trouve en marge de la littérature engagée, elle n’est pas pour autant exempte de prises de positions politiques. On les retrouve surtout en sous-jacence, comme sa dimension éminemment féministe que l’on peut observer par l’alternance entre le tu et le vous de l’énonciation qui désigne l’être aimé, qui passe même parfois au nous, ce qui suggère l’union ou la consumation du désir. Cette dimension est davantage révélée par la publication du Journal, où Marie Uguay prononce son amour pour Paul, son médecin, alors qu’elle a déjà un compagnon à l’époque, Stéphan Kovacs. Elle s'oppose ainsi subrepticement aux normes établies par la société de son époque concernant les relations amoureuses qui prescrivent la monogamie, ce qui est manifeste dans sa poésie également[30].

L'écriture du journal est marquée par le refus de laisser la maladie déterminer comment la diariste doit mener son existence[28]. La voix lyrique suggère un souci d’authenticité. La thématique du désir amoureux est centrale au Journal[28]. Le style comporte moins de métaphores que dans les poèmes[29]. Le réel est associé à la mort, et l’imagination à la vie[29]. Elle tente de trouver des moyens de faire en sorte que son immobilisme ne l’empêche pas à créer[28]. Le for intérieur est le sanctuaire de la poète, où le possible se multiplie et fait jaillir l'espoir, en opposition au désespoir que lui impose sa condition médicale[28]. Le journal est le lieu textuel qui permet à Marie Uguay d'explorer les profondeurs de sa subjectivité, et de recomposer son identité éclatée par les bouleversements causés par la maladie[29].

Marie Uguay écrira dans son journal jusqu'au jour de sa mort.

Liste des œuvres

Recueils en édition originale
  • Signe et rumeur, calligraphie et dessins de l’auteur, Saint-Lambert, Éditions du Noroît, 1976, 75 p. (ISBN 0885240162)
  • L’Outre-vie, avec six photographies de Stéphan Kovacs, Saint-Lambert, Éditions du Noroît, 1979, 86 p. (ISBN 2890180344)
  • Autoportraits, avec des photographies de Stéphan Kovacs, Saint-Lambert, Éditions du Noroît, 1982, 78 p. (posthume) (ISBN 289018062X)
Recueils regroupés
Journal
Entretiens
  • Marie Uguay, la vie la poésie, entretiens avec Jean Royer, éd. limitée à 120 exemplaires, texte tiré de l'entrevue de Jean Royer avec Marie Uguay dans le film de Jean-Claude Labrecque, Montréal, Éditions du Silence, 1982, 36 feuillets, (ISBN 2920180045)
  • Écrivains contemporains. Entretiens 2: 1977-1980, par Jean Royer, Montréal, Éditions de l'Hexagone, 1983, (ISBN 978-2-89006-220-7)
  • Écrivains contemporains. Entretiens 4: 1981-1986, par Jean Royer, Montréal, Éditions de l'Hexagone, 1987, (ISBN 978-2890062559)
Traduction anglaise
  • Marie Uguay, Selected Poems, choix de poèmes traduits par Daniel Sloate, Montréal, Éditions Guernica, 1990
Filmographie

Sources biographiques

  • Stéphan Kovacs, extraits des textes accompagnant l'exposition «Marie Uguay - À la vie à la poésie», conçue par Stéphan Kovacs et présentée à la Maison de la culture Marie-Uguay lors de son 25e anniversaire, Montréal, .

Notes et références

  1. « Marie Uguay », sur L'île (consulté le )
  2. Marie Uguay, dans Marie Uguay, film de Jean-Claude Labrecque, ONF, Montréal, 1982 (http://www.onf.ca/film/marie_uguay/)
  3. Stéphan Kovacs, Journal de Marie Uguay, Introduction, Éditions du Boréal, Montréal, 2005 (http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/journal-1343.html)
  4. Ginette Stanton, « Les sorcières aux lundis de la lune à l’île d’Orléans », Le Devoir, Montréal, 12 juillet 1978
  5. Luc Perreault, « La nuit de la poésie 1980 », La Presse, Montréal, 29 novembre 1980
  6. Marie Uguay, film de Jean-Claude Labrecque, Office national du film du Canada, Montréal 1982 (http://www.nfb.ca/film/marie_uguay)
  7. Richard Guay, « Le poète meurt, la poésie reste » et Jean Royer, « Marie Uguay par elle-même », Le Devoir, Montréal, 3 avril 1982
  8. Maison de la culture Marie-Uguay, Montréal, Québec (http://www.ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=7757,84693629&_dad=portal&_schema=PORTAL)
  9. Fondation Émile-Nelligan, Montréal, Québec (http://www.fondation-nelligan.org)
  10. Audrey Harvey, « Marie Uguay », sur thecanadianencyclopedia.ca, (consulté le )
  11. ?, « Marie Uguay », sur memoireduquebec.com, ? (consulté le )
  12. Michel Beaulieu, « Marie Uguay : les derniers mots du poète » Livre d’ici, Montréal, 25 août 1982
  13. Judy Quinn, « "Marie Uguay : La mort aura tes yeux" », sur erudit.org, (consulté le )
  14. ?, « Bibliothèque Notre-Dame-de-l'île-Perrot Marie-Uguay », sur ndip.org, ? (consulté le )
  15. ?, « Bibliothèque Marie-Uguay », sur montreal.ca, ? (consulté le )
  16. (en) ?, « Qui est Marie Uguay ? », sur ndip.org, ? (consulté le )
  17. Isabelle Duval (dir. Roger Chamberland, Ce qui nous prolonge, suivi de «Un lyrisme altéré : caractéristique du Je lyrique en position d'altérité dans l'œuvre de Marie Uguay», Québec, Université Laval (mémoire de maîtrise au département des littératures), 2001, 123 p. URL: http://www.collectionscanada.gc.ca/obj/s4/f2/dsk3/ftp04/MQ60629.pdf
  18. Marie Uguay, « L’Outre-vie », Poèmes, Montréal, Boréal compact, 2005 (ISBN 9782764604212).
  19. Lucie Michaud (dir. Paul Chanel Malenfant) L’ailleurs lu par l’ici, Lecture de l’Outre Vie, Rimouski, Université du Québec à Rimouski (mémoire de maîtrise en études littéraires), 1989, 143 p. URL: http://depot-e.uqtr.ca/5554/1/000574364.pdf
  20. André Brochu, « Poèmes d’ombre et de lumière », Voix et Images, vol. 31, no 1, , p.149 (ISSN 1705-933X).
  21. (en) Eulalia G. Lombeida, « Autoportraits by Marie Uguay », The French Review, no 1, , p.145 (lire en ligne, consulté le ).
  22. André Brochu, « Poèmes d’ombre et de lumière », Voix et Images, vol. 31, no 1, , p.150 (ISSN 1705-933X).
  23. Alice Bergeron et Louis Hébert (dir.), La sensorialité dans Autoportraits de Marie Uguay (mémoire de maîtrise au département de lettres et humanités), Université du Québec à Rimouski, , 140 p. (lire en ligne).
  24. Marie Uguay, « Poèmes », Montréal, Boréal compact, 2005, p. 173.
  25. Marie Uguay, film de Jean-Claude Labrecque, Office national du film du Canada, Montréal 1982 (http://www.nfb.ca/film/marie_uguay), 26:45.
  26. Marie Uguay, film de Jean-Claude Labrecque, Office national du film du Canada, Montréal 1982 (http://www.nfb.ca/film/marie_uguay), 27:55-29:15.
  27. Marie Uguay, film de Jean-Claude Labrecque, Office national du film du Canada, Montréal 1982 (http://www.nfb.ca/film/marie_uguay), 37:00.
  28. Chloé Savoie-Bernard, « Traverser l’immobile : le déplacement dans le Journal de Marie Uguay », Université de Montréal, 2014, p. 10, 12, 14, 15, 28, 106.
  29. Ariane Bessette, « L’interaction du corps et de l’espace dans le Journal de Marie Uguay », Université Concordia, 2010, p. 26, 30, 33, 35-36.
  30. Si (Nom de l'usager auteur de l'article), « Le désir cannibale de Marie Uguay », sur https://jesuisfeministe.com/, (consulté le )
  31. Caroline Loranger, « Vivre de la poésie », sur lecrachoirdeflaubert, (consulté le )

Liens externes

  • Portail de Montréal
  • Portail de la poésie
  • Portail du Québec
  • Portail de la littérature francophone
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.