Occupation de la Ruhr

L'occupation de la Ruhr est une opération politico-militaire menée par les gouvernements français et belge en Allemagne entre et .

Territoires occupés de la Ruhr : en vert, la Sarre occupée par la France sous mandat de la Société des Nations. Sont également occupés par les alliés : l'Eifel et le Rhin moyen par la France (bleu), la Rhénanie inférieure occidentale par la Belgique (jaune) et la région de Cologne par le Royaume-Uni (brun). France et Belgique occupent la vallée de la Ruhr elle-même.
Soldats français dans la région de la Ruhr en 1923.
Retrait des forces françaises de Dortmund en 1924.

Après la Première Guerre mondiale, qui a débouché sur l’occupation de la Rhénanie par les forces alliées, l'occupation de la Ruhr et de ses sites de production industrielle par des troupes françaises et belges de à juillet- témoigne de la fragilité des accords de Versailles. Cette occupation militaire entend s'opposer par la force au défaut de paiement des indemnités de guerre calculées à l'origine lors du traité de Versailles, lesquelles restaient largement inopérantes sous la république de Weimar de Wilhelm Cuno. Le bilan économique et politique de l'opération fut largement contesté[1].

Contexte

Le territoire de l'Allemagne a été moins ravagé que celui de la France par les combats de la Grande Guerre. Les soldats allemands démobilisés sont en partie frustrés car leur pays leur laisse une image biaisée du rapport de force ayant mené à leur défaite militaire totale (→ Dolchstoßlegende, « légende du coup de poignard [dans le dos] »). Ils forment des corps francs pour contourner la démilitarisation.

La France est d'une part embarrassée par la position conciliante envers l'Allemagne du gouvernement américain[2] ; elle demande des garanties crédibles de sa sécurité par rapport aux vaincus et désire les affaiblir. D'autre part, l'obligation de remboursement des énormes crédits accordés par le Trésor public américain aux Alliés entre 1915 et 1917 pousse aussi concrètement Clemenceau à exiger des dédommagements très élevés. Cette position est soutenue par la Belgique (déclarée prioritaire à ce sujet par le traité de Versailles), et la diplomatie française s'efforce de convaincre les États-Unis du bien fondé de ses vues, comme, entre autres, via son consul général à New York, Gaston Ernest Liébert, vis à vis des banques[3].

Initialement, les gouvernements britanniques qui se succèdent[4] soutiennent des demandes astronomiques (en) de dédommagement, le Royaume-Uni se trouvant davantage endetté que la France. Cependant, John Maynard Keynes[5], Lloyd George et Balfour plaideront ensuite pour une annulation « multilatérale » de toutes les dettes publiques liées au conflit et à la reconstruction. Ceux-ci espéraient que le Royaume-Uni, comme la plupart des autres pays européens, puisse sortir de cette annulation comme profiteur net, pour autant que le Trésor public américain renonce à ses propres créances. La politique et la presse britannique maintiendront le cap sur cet objectif populaire jusqu'à la conférence de Genève de 1929. En 1923, les Britanniques accepteront de rembourser partiellement leur dette s'élevant à 4,6 milliards de dollars aux États-Unis, laissant ainsi la voie libre à de nouvelles levées de capitaux privés à Wall Street[6].

La France et la Belgique tenteront encore de faire respecter par la force les obligations financières qui étaient imparties aux vaincus par le traité de Versailles, avant de commencer leurs propres remboursements. Finalement, les deux pays accepteront eux aussi de renégocier leur dette de guerre avec leurs créditeurs américains en 1926.

Historique

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Déclenchée par l'arrêt des livraisons de bois allemand, décidée par le président du Conseil français Raymond Poincaré, en accord avec le roi des Belges (Albert Ier) et soutenue par les majorités parlementaires de France et de Belgique, l’invasion débute le [7]. Elle a pour objectif d’occuper les centres de production de charbon, de fer et d’acier de la vallée de la Ruhr pour obtenir les montants dus par l’Allemagne.

Cette opération suscite une vague de résistance passive, des mouvements de grève, des incidents et affrontements et des actes de sabotage, repris ensuite par la propagande nazie. Face au désastre économique, le gouvernement du chancelier Gustav Stresemann appelle cependant, en , à l’arrêt des actions de résistance passive et met fin à l'hyperinflation. Il s'engage à respecter les obligations imposées par le traité de Versailles et proclame l’état d’urgence : l’agitation publique se transforme en certains endroits du pays, en émeutes voire en tentative de coup d’État contre la république de Weimar, lors du putsch de la Brasserie de Hitler et Ludendorf. Des attentats ont également lieu contre les troupes belges.

En France, le Parti communiste s'oppose à l'occupation et diffuse une propagande pacifiste et antimilitariste. Plusieurs de ses dirigeants (Marcel Cachin, Gabriel Péri, Georges Marrane, Gaston Monmousseau, etc) sont inculpés pour « attentat contre la sureté extérieure et intérieure de l’État » et emprisonnés plusieurs mois[8].

Une éphémère République rhénane est proclamée à Aix-la-Chapelle en , ce qui pourrait favoriser la politique franco-belge d'affaiblissement de l'Allemagne. Cette initiative de groupes rhénans opposés à l'héritage prussien de l'Allemagne n'aura aucune suite. L'opinion publique allemande la considère aller dans le sens des intérêts étrangers[citation nécessaire].

Sur le plan international, cette occupation provoque un sentiment de sympathie à l’égard de l’Allemagne mais aucune action concertée, aucun pays ne voulant prendre la responsabilité d'une remise en cause du traité de Versailles. Confrontées à leurs propres difficultés économiques car elles ne tirent pas suffisamment de ressources de cette imposition, la France et la Belgique finissent par accepter les propositions du plan Dawes et retirent leurs troupes en juillet et . Elles évacuent Düsseldorf, Duisbourg et l’important port fluvial de Ruhrort.

Le , l’occupation de la Ruhr est terminée. Celle de la Rhénanie se poursuit encore jusqu'en 1930, avec le soutien des Britanniques.

Des points de vue français et belge, l’opération ressemble à un échec : elle démontrait que la communauté internationale ne veut rien faire au sujet des différends persistants entre la France et l'Allemagne. Cela est à mettre en rapport avec la passivité des signataires de Versailles lors de la récupération de la Rhénanie par Hitler en 1936, au mépris du traité de Versailles.

Notes et références

  1. (en) Sally Marks, « The Myths of Reparations », Central European History, no Vol. 11, No. 3, , pp. 231-255 (lire en ligne).
  2. 4 mars 1913-4 mars 1921 : Woodrow Wilson ; août 1923 : Warren G. Harding.
  3. https://ia600909.us.archive.org/22/items/problemscausedby00lieb/problemscausedby00lieb.pdf.
  4. 1916 - 19 octobre 1922 : David Lloyd George ; jusqu'au 20 mai 1923 : Andrew Bonar Law ; jusqu'au 23 janvier 1924 : Stanley Baldwin ; jusqu'au 23 janvier 1925 : Ramsay MacDonald, premier gouvernement travailliste.
  5. Étienne Mantoux, La paix calomniée : ou, Les conséquences économiques de M. Keynes, Éditions Gallimard, 1946.
  6. Garet Garrett, Une bulle qui ruina le monde, Institut Coppet, .
  7. Becker, Jean Jacques., Victoire et frustrations : 1914-1929, Seuil, (ISBN 978-2-02-012069-2, OCLC 26931353, lire en ligne), p. 215.
  8. Bruno Fuligni, La France rouge. Un siècle d’histoire dans les archives du PCF, Les Arènes, .

Annexes

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Stanislas Jeannesson, « Pourquoi la France a-t-elle occupé la Ruhr ? », Vingtième Siècle : Revue d'histoire, Paris, Presses de Science Po, no 51, , p. 56-67 (lire en ligne).
  • Stanislas Jeannesson, Poincaré, la France et la Ruhr, 1922-1924 : histoire d'une occupation, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, coll. « Les mondes germaniques », , 432 p. (ISBN 2-86820-689-1).
  • (en) Sally Marks, « The Myths of Reparations », Central European History, vol. 11, no 3, , p. 231-255 (lire en ligne).
  • (en) Sally Marks, « Poincaré-la-peur : France and the Ruhr Crisis of 1923 », dans Kenneth Mouré et Martin S. Alexander (dir.), Crisis and Renewal in France, 1918-1962, New York, Berghahn books, , VII-312 p. (ISBN 1-57181-146-X, présentation en ligne), p. 28-45.
  • (en) Marc Trachtenberg, « Poincaré's Deaf Ear : The Otto Wolff Affair and French Ruhr Policy, August-September 1923 », The Historical Journal, vol. 24, no 3, , p. 699-707 (ISSN 0018-246X, JSTOR 2638890).

Articles connexes

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