Péché contre l'Esprit

Le péché contre l'Esprit, quelquefois appelé aussi blasphème contre le Saint-Esprit, est un concept doctrinal chrétien issu d'une citation de Jésus commune aux trois évangiles synoptiques[1] : « Mais quiconque aura parlé contre l'Esprit saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde, ni dans l'autre. » (Mt 12, 31–32), ainsi que d'autres passages du Nouveau Testament notamment Hébreux 6: 4–6[2], Hébreux 10: 25–31[3] et 1 Jean 5: 16[4].

Ce péché consiste pour l'essentiel à refuser la miséricorde de Dieu.

Les paroles du Christ

Le Christ parle de péché contre l'Esprit saint dans les trois évangiles synoptiques ; chez Marc et Matthieu, Jésus en parle en s'adressant aux scribes qui le disent possédé par Belzébuth et agissant par lui pour chasser les démons ; chez Luc, il répète ses propos à ses disciples après des échanges avec les pharisiens pour les rassurer sur comment agir quand on les persécutera. Les paroles de Jésus se recoupent totalement chez les trois évangélistes :

  • « En vérité, je vous le dis, tout sera remis aux enfants des hommes, les péchés et les blasphèmes tant qu'ils en auront proférés ; mais quiconque aura blasphémé contre l'Esprit saint n'aura jamais de rémission : il est coupable d'une faute éternelle[5]. »
  • « C'est pourquoi je vous dis : tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera point pardonné. Quiconque parlera contre le Fils de l'homme, il lui sera pardonné ; mais quiconque parlera contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir[6]. »
  • « Et quiconque parlera contre le Fils de l'homme, il lui sera pardonné; mais à celui qui blasphémera contre le Saint-Esprit il ne sera point pardonné[7]. »

Dans ces contextes, le blasphème contre l'Esprit est le péché d'attribuer à Satan ce qui est l'œuvre de l'Esprit de Dieu, comme lorsque les pharisiens accusaient auparavant Jésus de chasser les démons uniquement par le pouvoir de Belzébul, le prince des démons. L'Encyclopédie catholique cite Matthieu 12: 22–32; Marc 3:22-30 ; Luc 12:10 (cf. 11:14-23) et définit le péché impardonnable - ou le péché contre le Saint-Esprit - comme suit : « […] pécher contre le Saint-Esprit, c'est le confondre avec l'esprit du mal , c'est nier, par pure malice, le caractère divin d'œuvres manifestement divines. » L'article précise en outre que « le péché contre le Fils de l'homme » peut être pardonné parce qu'il est commis contre la personne humaine du Christ, qui voile sa divinité, avec une apparence humble, et donc un tel péché est excusable parce qu'il est commis par l'ignorance et l'incompréhension de l'homme[8].

Passages dans des épîtres

  • « Car il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don céleste, qui ont eu part au Saint Esprit, qui ont goûté la bonne parole de Dieu et les puissances du siècle à venir, et qui sont tombés, soient encore renouvelés et amenés à la repentance, puisqu'ils crucifient pour leur part le Fils de Dieu et l'exposent à l'ignominie[9]. »
  • « N'abandonnons pas notre assemblée, comme c'est la coutume de quelques-uns; mais exhortons-nous réciproquement, et cela d'autant plus que vous voyez s'approcher le jour. Car, si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne reste plus de sacrifice pour les péchés, mais une attente terrible du jugement et l'ardeur d'un feu qui dévorera les rebelles. Celui qui a violé la loi de Moïse meurt sans miséricorde, sur la déposition de deux ou de trois témoins ; de quel pire châtiment pensez-vous que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour profane le sang de l'alliance, par lequel il a été sanctifié, et qui aura outragé l'Esprit de la grâce ? Car nous connaissons celui qui a dit : A moi la vengeance, à moi la rétribution ! et encore : Le Seigneur jugera son peuple. C'est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant[10]. »
  • « Si quelqu'un voit son frère commettre un péché qui ne mène point à la mort, qu'il prie, et Dieu donnera la vie à ce frère, il la donnera à ceux qui commettent un péché qui ne mène point à la mort. Il y a un péché qui mène à la mort; ce n'est pas pour ce péché-là que je dis de prier[11]. »

Interprétation catholique

Les Pères de l'Église ont envisagé des interprétations supplémentaires, Augustin d'Hippone l'appelant l'un des passages les plus difficiles de l'Écriture[12].

Thomas d'Aquin résume les traitements des Pères de l'Église et propose trois explications possibles :

  • Une insulte dirigée contre l'une des trois personnes divines puisse être considérée comme un péché contre le Saint-Esprit ;
  • Persévérer dans le péché jusqu'à la mort, avec une impénitence finale, comme l'a proposé Augustin, frustre l'œuvre du Saint-Esprit, à qui est appropriée la rémission des péchés ;
  • Les péchés contre la qualité de la Troisième Personne Divine, étant la charité et la bonté, sont conduits dans la méchanceté, en ce qu'ils résistent aux inspirations du Saint-Esprit pour se détourner ou être délivrés du mal. De tels péchés peuvent être considérés comme plus graves que ceux commis contre le Père par fragilité (la qualité du Père étant la puissance) et ceux commis contre le Fils par ignorance (la qualité du Fils étant la sagesse)[8].

Enfin il énumère six péchés qui vont à l'encontre du Saint-Esprit[13],[14] :

  • Le désespoir, qui consiste à penser que sa propre méchanceté est supérieure à la bonté divine, comme l'enseigne le Maître des Sentences[15],
  • L'impénitence, c'est-à-dire le but spécifique de ne pas se repentir d'un péché,
  • L'endurcissement du cœur, par laquelle un homme, s'accrochant à son péché, devient immunisé à la pensée que le bien recherché en lui est bien petit.

Il résume enfin que le péché impardonnable contre le Saint-Esprit signifie qu'il supprime l'accès à ces moyens de salut ; cependant, cela ne peut empêcher Dieu d'enlever cet obstacle au moyen d'un miracle.

Le Catéchisme de l'Église catholique affirme [16] : « Il n’y a pas de limites à la miséricorde de Dieu, mais qui refuse délibérément d’accueillir la miséricorde de Dieu par le repentir rejette le pardon de ses péchés et le salut offert par l’Esprit Saint. Un tel endurcissement peut conduire à l’impénitence finale et à la perte éternelle. »

Le pape Jean-Paul II Dans son encyclique Dominum et Vivificantem sur l'Esprit saint, a abordé cette question. Le « blasphème » ne consiste pas exactement à offenser en paroles l'Esprit saint ; il consiste à refuser de recevoir le salut que Dieu offre à l'homme par l'Esprit saint agissant en vertu du sacrifice de la Croix. Si l'homme refuse la « manifestation du péché », qui vient de l'Esprit saint et qui a un caractère salvifique, il refuse en même temps la « venue » du Paraclet, en union avec la puissance rédemptrice du Sang du Christ, le Sang qui « purifie la conscience des œuvres mortes ». Le fruit d'une telle purification est la rémission des péchés. En conséquence, celui qui refuse l'Esprit et le Sang demeure dans les « œuvres mortes », dans le péché. Le blasphème contre l'Esprit saint est le péché commis par celui qui revendique le « droit » de persévérer dans le mal — dans le péché quel qu'il soit — et refuse par là même la Rédemption. L'homme reste enfermé dans le péché, rendant donc impossible, pour sa part, sa conversion et aussi, par conséquent, la rémission des péchés, qu'il ne juge pas essentielle ni importante pour sa vie. Le péché contre le Saint Esprit est lié à la perte du sens du péché, évoqué dans l'Exhortation apostolique Reconciliatio et paenitentia[17]. C'est le refus de la « mise en évidence du péché » par l'Esprit saint qui est constitutif du péché contre l'Esprit.

Plus tard en 1999, Jean Paul exprime à nouveau le péché contre l'Esprit qui consiste vraiment le refus de la grâce de Dieu. « Les images de l'enfer que la Sainte Écriture nous présente doivent être correctement interprétées. L'enfer indique l'état de ceux qui se séparent librement et définitivement de Dieu. "Mourir dans le péché sans se repentir" signifie : être séparé de lui pour toujours par notre libre choix. Cet état d'auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et les bienheureux est appelé enfer. […] La damnation éternelle, donc, n'est pas attribuée à l'initiative de Dieu parce que dans son amour miséricordieux, il ne peut que désirer le salut des êtres qu'il a créés. En réalité, c'est la créature qui se ferme à son amour. La damnation consiste précisément dans la séparation définitive d'avec Dieu, librement choisie par la personne humaine et confirmée par la mort qui scelle à jamais son choix. La sentence de Dieu ratifie cet état[18]. »

Interprétation protestante

Jean Calvin, le fondateur de la tradition réformée du christianisme a écrit :

« Je dis donc qu'il pèche contre le Saint-Esprit qui, tout en étant tellement contraint par la puissance de la vérité divine qu'il ne peut plaider l'ignorance, résiste délibérément, et cela simplement pour le plaisir de résister[19]. »

Jacobus Arminius a défini le péché impardonnable comme le rejet et le refus de Jésus-Christ par une méchanceté et une haine déterminées contre le Christ. Cependant, Arminius différait de Calvin en croyant que le péché pouvait être commis par des croyants, une conclusion à laquelle il est parvenu grâce à son interprétation d'Hébreux 6: 4-6[20].

John Wesley, le père de la tradition méthodiste (Arminianisme), a parlé du péché impardonnable dans un sermon intitulé « Appel aux rétrogrades », dans lequel il a écrit que ce blasphème est absolument impardonnable ; et que, par conséquent, pour ceux qui ont coupable de cela, Dieu ne sera plus imploré[21].

Cette interprétation du péché impardonnable inclut l'étiquetage délibéré du bien comme du mal, comme rejetant la conviction du Saint-Esprit, d'attribuer publiquement l'œuvre du Saint-Esprit et celle de Jésus à Belzébuth. L'Église méthodiste unie, enseigne ainsi :

« Que la peine de séparation éternelle d'avec Dieu sans espoir de retour ne s'applique dans les Écritures que dans deux cas - soit, comme dans Hébreux 6 et 10, aux personnes qui rejettent volontairement, publiquement et explicitement Jésus comme Sauveur après l'avoir confessé, soit, comme dans Hébreux 6 et 10, dans les évangiles, à ceux qui blasphèment contre le Saint-Esprit en déclarant que les oeuvres de Jésus étaient les oeuvres du Malin[22]. »

Notes et références

  1. Mc 3. 28-29, Mt 12. 30-32, Lc 12. 8-10.
  2. Hb 6. 4-6
  3. Hb 10. 25-31
  4. 1Jn 5. 16
  5. Mc 3. 28-29.
  6. Mt 12. 30-32.
  7. Lc 12. 8-10.
  8. « Holy Ghost » (consulté le ).
  9. Hb 6. 4-6.
  10. Hb 10. 25-31.
  11. 1 Jn 5. 16.
  12. Augustine, St. (1844). Sermons On Selected Lessons Of The New Testament. Vol. 1. Translated by Macmullen, Richard. Rivington, London: John Henry Parker. pp. 166–196.
  13. « Quels sont les péchés qui crient vengeance au ciel et les péchés contre le Saint-Esprit ? » (consulté le ).
  14. Summa Theologiae. II/II 14 II
  15. Pierre Lombard, Sent. ii. D43/2
  16. http://www.vatican.va/archive/FRA0013/_P66.HTM CEC 1864.
  17. JEAN-PAUL II, Exhort. apost. post-synodale Reconciliatio et paenitentia (2 décembre 1984), n. 18: AAS 77 (1985), PP. 224228.
  18. « JOHN PAUL II GENERAL AUDIENCE Wednesday 28 July 1999 » (consulté le ).
  19. « CHAPTER 22. THIS DOCTRINE CONFIRMED BY PROOFS FROM SCRIPTURE. » (consulté le ).
  20. « Le péché contre le Saint-Esprit » (consulté le ).
  21. « Les Sermons de John Wesley - Sermon 86 » (consulté le ).
  22. « Est-ce que les méthodistes unis croient « une fois sauvés, toujours sauvés » ou pouvons-nous « perdre notre salut » ? » (consulté le ).

Voir aussi

  • Portail du christianisme
  • Portail de la théologie
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