Pélagie d'Antioche

Pélagie d'Antioche, également appelée Pélagie la Pénitente et Pélagie la Prostituée, est une sainte chrétienne censée avoir vécu au Ve siècle. Actrice de mime et courtisane à Antioche, elle se serait repentie de sa vie dissolue et aurait pris des vêtements masculins pour vivre en ermite sur le mont des Oliviers à l'est de Jérusalem. À sa mort, les autres moines, qui l'appelaient frère Pélage, découvrent qu'elle était en réalité une femme.

Pour les articles homonymes, voir Pélagie d'Antioche (homonymie).

Pélagie d'Antioche

Icône crétoise de Pélagie d'Antioche (XVIe siècle).
Sainte
Autres noms Pélage, Marguerite
Activité Moine
Lieu d'activité Prostituée, actrice
Vénérée à Crète
Fête 8 octobre

Sa fête est célébrée le 8 octobre ; elle était confondue à l'origine avec les fêtes des saintes Pélagie la Vierge et Pélagie de Tarse.

Pélagie d'Antioche intéresse aujourd'hui les historiens comme sainte prostituée et travestie, au même titre que d'autres saintes comme Marie l'Égyptienne, Thaïs, etc.

Légende

Récit

Pélagie aurait vécu au sud de la Turquie, non loin de la frontière syrienne actuelle, à Antioche (Antakya), qui était alors un centre important de la chrétienté orientale[1].

Le premier texte consacré à Pélagie d'Antioche est attribué à Jacques le diacre, contemporain de Pélagie, qu'il dit avoir rencontrée[2] [3] ; il s'agit de La Vie de sainte Pélagie la prostituée. Jacques le diacre déclare que Pélagie était une prostituée célèbre à Antioche et la « première actrice »[4]. Sainte Pélagie apparaît ensuite dans la Légende dorée du XIIIe siècle ; selon ce récit elle était d'une grand beauté, ornée de bijoux, toujours accompagnée d'une foule de jeunes hommes fortunés[5]. Parfumée et «tête nue impudique», les contours de son corps étaient "clairement visibles" sous son tissu d'or, ses perles et ses pierres précieuses, qui couraient de ses épaules nues à ses pieds[3][4]. Selon la Légende dorée, elle était surnommée Marguerite (du latin margarita, « perle », soit à cause de sa grande beauté, d'où son surnom de la « perle d'Antioche », soit parce qu'elle était toujours couverte de perles) et s'était engagée dans une troupe de comédiennes à Antioche[6],[7],[5].

Pélagie en femme séduisante entourée de ses admirateurs ; à droite l'évêque Nonnos en position de prière.

Elle rencontre l'évêque Nonnus qui la «convertit». Elle abjure alors sa vie passée, donne ses biens aux pauvres et, sous un habit de moine, part pour Jérusalem. Elle se construit une cellule sur le mont des Oliviers, où elle demeurera jusqu'à sa mort.

Là, elle est nommée frère Pélage (Pelagius). Vêtu d'un habit d’ermite ou selon une autre version d'un manteau de poils, frère Pélage rachète par ses pénitences sa vie passée, «il accueille les pèlerins, prie»[1]. L'ascèse et la pénitence le font maigrir au point que Jacques, diacre de l'évêque Nonnus, lui rendant visite, ne reconnaît pas dans l'ermite Pélagie d'Antioche[5].

C'est après sa mort seulement, quand les moines veulent l'enterrer, que le sexe féminin du frère Pélage est révélé.

Textes anciens

La Vie de sainte Pélagie la prostituée de Jacques le diacre a été écrit en grec au Ve siècle, et traduit en latin par Eustochius[8] sous le titre de Vita S. Pelugiae Meretricis Antiochiae ; cette version latine est reproduite par Surius, dans son De Probatis Sanctorum Vitis, ad diet VIII. Octbr[9] L'auteur Jacques le diacre était probablement diacre de l'église d' Héliopolis (aujourd'hui Baalbek )[10], mais selon Pagi et Assemani il exerçait à Edesse (en Mésopotamie)[9]. Le nom latin de Jacques est Jacobus Diaconus[9].

Les récits paléochrétiens comme celui de Jacques le diacre ont été repris et transformés dans des versions en langues vernaculaires ; en français on compte quatorze vies de Pélagie d'Antioche[11] ; elles sont réunies dans un volume intitulé Pélagie la Pénitente : Métamorphoses d’une légende (1984).

Il ne faut pas confondre la Pélagie d'Antioche de Jacques le diacre et celle mentionnée par saint Ambroise[12],[13] et dans deux sermons de Jean Chrysostome, qui était une vierge d'Antioche martyrisée à cause de son refus d'offrir un sacrifice païen pendant la persécution de Dioclétien. Jean Chrysostome vers 390, sermon 390 mentionne une actrice et prostituée anonyme (mais apparemment célèbre) «d'une ville méchante de Phénicie» (peut-être Héliopolis) qui a séduit "le frère de l'impératrice" mais s'est convertie "de nos jours"[14].

Analyses

Une sainte prostituée

La sainte prostituée est une figure populaire selon plusieurs spécialistes. «Jusqu'au Moyen-Âge, explique l'historienne Juliette Vuille, il était possible dans une même vie d’être vierge, pécheresse, sage et prédicatrice, voire un peu animale (comme Marie d’Égypte après 47 ans seule dans le désert), ou même de franchir les frontières du genre, telle Pélagie d’Antioche travestie en homme»[15] C’est plutôt la Réforme au XVIe siècle qui a assombri la perspective des femmes », affirme Juliette Vuille[15].

Le travestissement

Des récits médiévaux évoquant Pélagie d'Antioche « passent d’un coup du pronom « elle » au « il » », souligne Juliette Vuille[15]. Le fait d'attribuer un sexe différent à une personne dans un même texte ne gênait pas le public du IXe siècle[15]. Au Moyen Âge, les vies des saintes travesties, fort nombreuses, constituaient un genre familier[15].

Pélagie est présentée comme un moine et un eunuque aux pouvoirs thaumaturges[5]. Arnaud d'Andilly parle de Pélagie comme d'un «Solitaire Eunuque»[5]. Dans certaines versions de la légende, c'est elle qui s'est fait appelée Pélage ; dans d'autres ce sont les habitants qui lui donnent ce nom, la prenant pour un homme. Selon Frédérique Villemure, « il suffisait qu’elle bénisse comme un homme pour être ainsi identifiée »[5].

Les auteurs de récits hagiographiques qui racontent la vie de Pélagie d'Antioche ne marquent aucune réprobation concernant le travestissement masculin du personnage[11]. Pourtant, rappelle l'historienne Joanna Augustyn, « le travestissement est interdit par la Bible dans le texte du Deutéronome (22:5). De plus, rejeter le statut donné par Dieu était une transgression illégitime »[11]. Cette absence de jugement moral s'explique selon J. Augustyn par le fait que le but poursuivi par Pélagie d'Antioche était considéré comme « louable »[11]. Ainsi l'habit de moine que prend Pélagie d'Antioche selon F.Villemur « concrétise la virilité d’une vertu toute chrétienne »[5].

Parmi les autres saintes travesties on compte notamment Théodora d'Alexandrie, Marin-Marine, Eugène-Eugénie, Marguerite-Pelagius (homonyme de Pélagie d'Antioche, surnommée Marguerite), Euphrosyne d'Alexandrie-Esmarade et Dieudonnée (mère d'un personnage légendaire, Jean Bouche d'Or, figurant dans un récit des XIIe et XIIIe siècles[16],[17]) qui se déguisent en moines et ermites afin de préserver leur chasteté[11]. Marin-Marine, l'équivalent latin de Pélagie d'Antioche, a endossé enfant des habits de garçon qu'il a gardé ensuite sa vie durant, pour vivre dans un couvent avec son père qui souhaitait s'y retirer après la mort de son épouse[5],[18]. Certains aspects de leurs histoires étaient apparemment combinés avec des récits apocryphes concernant Marie-Madeleine[19], des récits bibliques sur le roi Salomon, la reine de Saba, Jésus et diverses femmes dans le Nouveau Testament[20]

Dans la peinture

Philippe de Champaigne représente Pélagie méditant vêtue d'un habit de moine dans Paysage avec Sainte Pélagie se retirant dans la solitude (1656, Landesmuseum, Cologne) ; il s'est inspiré d'une version contemporaine de la légende, celle de l'ouvrage de 1647 de Robert Arnauld d'Andilly intitulé Vies des Sains Pères des déserts[5].

L'église de Sainte Pélagie Apano Vianos en Crète du XIVe siècle comprend trois tableaux représentant trois saintes Pélagie distinctes, dont Pélagie d'Antioche la Pénitente[21]. Le peintre choisit d'évoquer le moment de la visite du diacre Jacques au frère Pélage.

Voir également

Les références

  1. Hélène SOUMET, Les Travesties de l'Histoire, edi8, (ISBN 978-2-7540-6777-5, lire en ligne)
  2. Coon (1997), p. 78.
  3. James the Deacon.
  4. "Venerable Pelagia the Penitent", Orthodox Church in America
  5. Frédérique Villemur, “Saintes et travesties du Moyen Âge”, Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [Online], 10 | 1999, Online since 22 May 2006, connection on 21 December 2021. lire en ligne
  6. Jacques de Voragine, La Légende Dorée, E. Rouveyre, , p. 169
  7. « PÉLAGIE », sur www.bibliotheque-monastique.ch (consulté le )
  8. Luc Fritz, « La vie au désert de prostituées converties », sur Patristique.org (consulté le )
  9. « A Dictionary of Greek and Roman biography and mythology, Iacchus, Iacchus, Jaco'bus DIACONUS », sur www.perseus.tufts.edu (consulté le )
  10. Bunson & al. (2003).
  11. « Condamnées à être un corps ? Les saintes travesties dans l’hagiographie médiévale française », sur annalesdejanua.edel.univ-poitiers.fr (consulté le )
  12. Ambrose, De Virg., III, 7, 33.
  13. Ambrose, Ep. xxxvii. ad Simplic.
  14. Cameron (2016), p. 86–87.
  15. « La figure de la sainte prostituée dépoussière le Moyen Âge – L'uniscope » (consulté le )
  16. La Vie de saint Jean Bouche d’or et la Vie de sainte Dieudonnée, sa mère, éd. Hermine Dirickx van der Straeten, Liège, Vaillant-Carmanne, 1931, cité dans Joanna Augustyn, « Condamnées à être un corps ? Les saintes travesties dans l’hagiographie médiévale française », Annales de Janua [En ligne], n°6, Les Annales, Moyen Âge, mis à jour le : 18/09/2019, lire en ligne
  17. Agata Sobczyk, « Le livre et le ventre. Jean Bouche d’or, Anthure, Dieudonnée et les aléas de la (ré)écriture », Atalaya [En ligne], 18 | 2018, mis en ligne le 27 février 2019, consulté le 22 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/atalaya/3445 ; DOI : https://doi.org/10.4000/atalaya.3445
  18. Frédérique Villemur, « Saintes et travesties du Moyen Âge », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 10, (ISSN 1252-7017, DOI 10.4000/clio.253, lire en ligne, consulté le )
  19. Coon (1997), p. 77–78.
  20. Coon (1997), p. 80–82.
  21. Svetlana Tomekovic, Les saints ermites et moines dans la peinture murale byzantine, Éditions de la Sorbonne, (ISBN 978-2-85944-842-4, lire en ligne)

Bibliographie

  • Pélagie la Pénitente : Métamorphoses d’une légende, vol. 2, éd. Pierre Petitmengin, Paris, Études augustiniennes, 1984.
  • Benedicta Ward, La vie au désert de prostituées converties, Éditions des Béatitudes, Burtin 2004 ; titre original : Harlots of the Desert (Cistercian Publications, Kalamazoo, Michigan), 1987
  • Joanna Augustyn, «Condamnées à être un corps ? Les saintes travesties dans l’hagiographie médiévale française», Annales de Janua [En ligne], n°6, Les Annales, Moyen Âge, mis à jour le : 18/09/2019, lire en ligne.
  • Frédérique Villemur, “Saintes et travesties du Moyen Âge”, Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [Online], 10 | 1999, Online since 22 May 2006, connection on 21 December 2021. lire en ligne, DOI https://doi.org/10.4000/clio.253
  • (en) Alexander Kazhdan et Nancy Ševčenko Patterson, « Pelagia the Harlot », dans The Oxford Dictionary of Byzantium, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-504652-6, DOI 10.1093/acref/9780195046526.001.0001/acref-9780195046526-e-4191, lire en ligne)
  • Juliette Vuille, Holy Harlots in Medieval English Religious Literature : Authority, Exemplarity, and Femininity, Gender in the Middle Ages Series, Cambridge, D.S. Brewer (2021)
  • Andrew M. Beresford, The Legends of the Holy Harlots: Thais and Pelagia in Medieval Spanish Literature, 2007
  • Alan Camaron, «The Poet, the Bishop, and the Harlot», Wandering Poets and Other Essays on Late Greek Literature and Philosophy, lire en ligne, Oxford University Press, 2016, p.81–90, (ISBN 978-0-19-026894-7).
  • Lynda L.Coon, «Pelagia: God's Holy Harlot», Sacred Fictions: Holy Women and Hagiography in Late Antiquity, p.77–84, 1997, University of Pennsylvania Press;
  • Jacobus Diaconus, The Life of Saint Pelagia the Harlot, English translations from the Latin available online:
  • Translation by Sr. Benedicta Ward, S.L.G., "Pelagia, Beauty Riding By" in Harlots of the desert: a study of repentance in early monastic sources. (Cistercian Publications, Inc., series: Cistercian Studies (Book 106), Kalamazoo, 1986. (ISBN 9780879076061).): Latin Text in PL 73, 663–672)
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