Pacte de Najran

Le Pacte de Najran (Nadjran) est un pacte qui aurait été conclu vers 631 entre Mahomet et des chrétiens, pour régir les rapports entre la communauté musulmane de Médine et la communauté chrétienne de Najran, au Yémen. Cet épisode de la vie de Mahomet est relaté dans la sîra d'Ibn Hichâm.

Le pacte selon Ibn Hichâm

Contexte

La présence ancienne de communautés chrétiennes au Yémen est attestée par des découvertes archéologiques[1] et des sources scripturaires (Livre des Himyarites). Les sources chrétiennes ne rendent aucun compte du Pacte de Najran, dont on trouve la première trace dans la sîra d'Ibn Hichâm, datée du IXe siècle. Chiites et sunnites s'accordent pour reconnaître la réalité de l'événement. Les sources les plus proches de l'événement restent peu éloquentes sur son contenu.

La sîra d'Ibn Hichâm rapporte qu'au cours de la dixième année suivant l'Hégire (631), l'expansion du jeune état islamique ayant atteint le Yémen, une délégation de 70 chrétiens, dont 14 notables, établis dans la communauté de Najran, à quelque 600 km de Médine, la cité où vivait Mahomet, se serait rendue à Médine chez lui, soit un an avant sa mort pour négocier les conditions de leur relations avec la communauté musulmane[2]. Mahomet les aurait accueillis, et laissé prier dans la mosquée de Médine dans la direction de l'Orient[3]. Les négociations entre ces chrétiens et Mahomet aboutirent après trois jours : en échange de la protection du nouvel État musulman, les chefs chrétiens acceptèrent de fournir tous les six mois 1000 habits onciaux, plus 30 cuirasses et 30 lances en cas d'expédition musulmane au Yémen[4].

Le récit du pacte selon Ibn Hichâm

Louis Massignon découpe le récit en 6 étapes[5] :

  • Face à l'expansion musulmane, la république chrétienne de Najran envoie une mission diplomatique auprès de Mahomet
  • Prière de la mission diplomatique dans la mosquée avec Mahomet
  • Mahomet critique la croyance en la divinité de Jésus des chrétiens et propose une ordalie.
  • Les chrétiens refusent l'ordalie et cherchent à négocier
  • Texte du traité
  • Liste des signataires

Tel que rapporté dans la sîra d'Ibn Hichâm[6], le traité de Najran fut négocié à égalité entre deux puissances, l'une artisanale (Najran), l'autre militaire (Médine).

Texte du traité

Selon Louis Massignon, le texte transmis par la tradition musulmane se limite à donner le prix contre lequel les habitants de Najran pourront rester chrétiens, c'est-à-dire 2000 tissus brodés, 30 côte de maille, 30 chevaux, 30 chameaux et renoncer à l'usure[7].

Autre source à propos de ce pacte entre musulmans et chrétiens

Un second texte attestant d'un pacte entre Mahomet et les chrétiens de Najran est aujourd'hui connu. Ce texte est à l'origine d'un ensemble formé par « la plupart des textes de sauvegarde conservés par les églises d’Orient ». La chronique de Séert, écrite vers 1036, contient l'une des plus anciennes copies de ce texte[8],[9].

Historicité du texte

Pour Louis Massignon, en 878, une lettre adressée aux chrétiens de Najran et attribuée faussement à Mahomet, est rédigée par des scribes nestoriens du monastère de Dayr Qunna à la demande de convertis, les Banou Makhlad afin d'assurer la protection des chrétiens. Son apparition est présentée comme une redécouverte d'une charte ancienne, sur peau de taureau, à Barmasha. Ce texte se veut être « le libellé primitif de la fameuse convention diplomatique passée en l'an 10/631 entre le prophète et les Belharith chrétiens du Najran. »[7].

Pour Louis Massignon, il ne s'inspire pas du texte de la convention transmis par la tradition islamique. Dans ce texte, les conditions imposées aux chrétiens sont faibles et correspondent à ce que défendaient les secrétaires d'État chrétiens abbassides, en particulier la non-destruction des lieux de cultes, l'exemption de conscription militaire, l'absence de contrainte de conversion. Ce texte permettait d'appuyer les demandes des hommes d'État chrétiens de 852 à 885 et en partie obtenues entre 876 et 885. À partir de 903, le statut des chrétiens se durcit[7].

Jean-Michel Mouton, qui reprend cette thèse, défend la thèse que « ce document, retranscrit et adapté aux lieux de culte où il devait circuler et qu’il devait protéger, arriva à une date inconnue au Sinaï où il se transforma en convention de Mahomet au monastère Sainte-Catherine, tout en reprenant à l’identique le texte » de la lettre[9]. Pour Gabriel Said Reynolds[Note 1], ces alliances ont été tardivement "forgées par des chrétiens qui voulaient prouver à leurs suzerains musulmans que le Prophète lui-même avait garanti leur bien-être et la préservation de leurs biens"[10].

À l'inverse, Ahmed El-Wakil, qui prolonge ainsi les thèses de Morrow, [Note 2] défend la thèse que le document premier aurait été le pacte du Sinaï (Ashtiname) qui aurait ensuite été diffusé. Celui-ci serait attribuable à Mahomet et la version d'Ibn Hisham serait une corruption du texte original[11].

Réception actuelle du texte.

Depuis 2013, date de la publication du livre de John Andrew Morrow sur les pactes de Mahomet[12], et de la création du site Covenants of the Prophet[13] qui a recueilli de nombreuses signatures, un intérêt renouvelé se montre à ce sujet, et les publications et prises de positions se multiplient.

Charles Upton, préfacier du livre de Morrow, déclare dans le cadre de cette polémique: "J'admets tout à fait que ceux qui pensent que les pactes du Prophète Mahomet sont des falsifications ont des arguments, mais ceux qui considèrent qu'ils sont largement authentiques ont aussi les leurs ; John Andrew Morrow, bien qu'il penche nettement vers la validité de la plupart de ces documents, présente les arguments des deux partis"[14].

Pour Reynolds, "ces documents [en tant que "contrefaçons médiévales] ne peuvent tout simplement pas constituer une base solide pour notre quête mutuelle de promotion de l'harmonie dans les relations islamo-chrétiennes"[14].

Notes et références

Notes

  1. Gabriel Said Reynolds critique le point de vue de Morrow et d'Upton, qui pour lui relève d'un parti-pris religieux. cf : First Thing, février 2014.
  2. Le premier argument de l'auteur, est la correspondance entre la date donnée dans le texte ( 7 octobre 625) et la mention que le texte a été écrit un lundi, qui, pour lui, ne peut correspondre à la connaissance d'un auteur chrétien "en raison de leur non-familiarité avec le calendrier Hijri". Le second est la proximité entre les textes quant aux tarifs des taxes. Le troisième est que ce texte se retrouve aussi bien dans le monde chrétien qu'auprès des communautés juives et samaritaine. Le quatrième est la présence de listes de témoins.

Références

  1. Christian Julien Robin, « Judaïsme et christianisme en Arabie du Sud d'après les sources épigraphiques et archéologiques », dans Proceedings of the Seminar for Arabian Studies, 10, 1980, pp. 85-96.
  2. Sir Muhammad Zafrulla Khan, Muhammad, seal of the prophets, Routledge, (ISBN 983-9541-71-4, lire en ligne)
  3. Massignon Louis. La Mubâhala. Étude sur la proposition d'ordalie faite par le prophète Muhammad aux chrétiens Balhàrith du Najràn en l'an 10/631 à Médine. In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire 1943-1944. 1942. p. 11.Persée en ligne
  4. Massignon Louis. La Mubâhala. Étude sur la proposition d'ordalie faite par le prophète Muhammad aux chrétiens Balhàrith du Najràn en l'an 10/631 à Médine. In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire 1943-1944. 1942. p. 12.Persée en ligne
  5. Louis Massignon, « La Mubâhala. Étude sur la proposition d'ordalie faite par le prophète Muhammad aux chrétiens Balhàrith du Najràn en l'an 10/631 à Médine », École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses, vol. 55, no 51, , p. 5–26 (DOI 10.3406/ephe.1942.17495, lire en ligne, consulté le )
  6. Massignon Louis, op. cit. p. 15
  7. Massignon, “La politique islamo-chrétienne des scribes nestoriens de Deir Qunna à la cour de Bagdad au IXe siècle de notre ère”, Opera Minora, Paris, 1969, I, pp. 250-257
  8. Histoire nestorienne, Chronique de Séert, Patrologia Orientalis XIII. Éd. A. Scher et R. Griveau, Louvain, 1973, 2 e éd, pp. 601-618
  9. Jean-Michel MOUTON – Andrei POPESCU-BELIS, La fondation du monastère SainteCatherine du Sinaï selon deux documents de sa bibliothèque: codex Arabe 692 et rouleau Arabe 955 , Collectanea Christiana Orientalia 2 (2005), pp. 141-205
  10. Gabriel Said Reynolds, review of The Covenants of the Prophet Muhammad with the Christians of the World by John Andrew Morrow, First Things, Briefly noted, February 2014, 240
  11. Ahmed El-Wakil, The prophet's treaty with the christians of Najran : an analytical study to determine the authenticité of the covenant, Journal of Islamic Studies 27:3, 2016, p. 273–354
  12. (en) John Andrew Morrow, Charles Upton (Préface), The Covenants of the Prophet Muhammad with the Christians of the World, Angelico Press, , 466 p. (ISBN 978-1-59731-465-7)
  13. (en) « The Covenants of the Prophet Muhammad with the Christians of the World », sur covenantsoftheprophet.org, (consulté le )
  14. (en) « Letters | Various », First Things, (lire en ligne, consulté le )

Bibliographie

  • Massignon, “La politique islamo-chrétienne des scribes nestoriens de Deir Qunna à la cour de Bagdad au IXe siècle de notre ère”, Opera Minora, Paris, 1969, I, pp. 250-257
  • Jean-Michel Mouton – Andrei Popescu-Belis, "La fondation du monastère Sainte Catherine du Sinaï selon deux documents de sa bibliothèque: codex Arabe 692 et rouleau Arabe 955", Collectanea Christiana Orientalia 2 (2005), pp. 141-205
  • Ahmed El-Wakil, The prophet's treaty with the christians of Najran : an analytical study to determine the authenticité of the covenant", Journal of Islamic Studies 27:3, 2016, p. 273–354.
  • John Andrew Morrow (Dir), Islam and the People of the Book, Volumes 1-3: Critical Studies on the Covenants of the Prophet, Cambridge Scholars Publishing, 2017, 1782 p., (ISBN 978-1527503199)

Voir aussi

Liens externes

Articles connexes

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