Pierre Choderlos de Laclos

Pierre Choderlos de Laclos [ʃodɛʁlodəlaklo][1], né à Amiens le et mort à Tarente le , est un officier de carrière qui a traversé la Révolution française et a beaucoup écrit sur des sujets très divers, mais qui est surtout connu comme l’auteur du roman épistolaire Les Liaisons dangereuses.

Pour les articles homonymes, voir Choderlos et Laclos.

Choderlos de Laclos
Portrait par Quentin de La Tour
Nom de naissance Pierre Ambroise François Choderlos de Laclos
Naissance
Amiens,
Royaume de France
Décès
Tarente,
 Royaume de Naples
Activité principale
Auteur
Langue d’écriture Français
Mouvement Libertinage

Œuvres principales

Biographie

Carrière militaire

Deuxième fils d’un secrétaire à l’intendance de Picardie et d’Artois, d'une famille de robe anoblie seulement en 1750[2], il est poussé par son père à s'engager dans l'armée. Il choisit l’artillerie, bien que les perspectives de promotion y soient restreintes, car son extraction ne peut lui permettre plus noble carrière[3] ; mais cette arme technique convient bien à son esprit mathématique. Il est admis en 1760 à l’École royale d'artillerie de La Fère. Il est nommé successivement aspirant en 1761 puis sous-lieutenant en 1762. Rêvant de conquêtes et de gloire, il se fait affecter à la Brigade des colonies, en garnison à La Rochelle. Mais le traité de Paris de 1763 met fin à la guerre de Sept Ans. Faute de guerre, le jeune lieutenant de Laclos est obligé d’étouffer ses ambitions dans une morne vie de garnison, au 7e régiment d’artillerie de Toul en 1763. Il devient franc-maçon dans la loge L’Union[4], à Strasbourg de 1765 à 1769, à Grenoble de 1769 à 1775, puis à Besançon de 1775 à 1776. Cette année-là, affilié à la loge parisienne Henri IV, il en devient le vénérable maître[4]. Parvenu dans les hauts grades de la franc-maçonnerie, il crée son propre chapitre, la Candeur[4]. Nommé capitaine à l’ancienneté en 1771 – il le restera durant dix-sept ans jusqu’à la veille de la Révolution – cet artilleur, froid et logicien, à l’esprit subtil, s’ennuie parmi ses soldats grossiers. Pour s'occuper, il s'adonne à la littérature et à l’écriture. Ses premières pièces, en vers légers, sont publiées dans l’Almanach des Muses. S’inspirant d’un roman de Marie-Jeanne Riccoboni, il écrit un assez mauvais opéra-comique, Ernestine, dont le chevalier de Saint-Georges compose la musique[5]. Cette œuvre n’a qu’une seule et désastreuse représentation, le , devant la reine Marie-Antoinette.

Lors de cette même année 1777, il reçoit la mission de préparer l’installation à Valence d'une nouvelle école d’artillerie qui recevra notamment le jeune Napoléon Bonaparte. De retour à Besançon en 1778, il est promu capitaine en second de sapeurs. Durant ses nombreux temps libres en garnison, il rédige plusieurs œuvres, où il apparaît comme un fervent admirateur de Jean-Jacques Rousseau et de son roman la Nouvelle Héloïse, qu’il considère comme « le plus beau des ouvrages produits sous le titre de roman ». En 1778, il commence à rédiger Les Liaisons dangereuses.

Sur l'île d'Aix, en 1778, devant la menace anglaise, Montalembert propose la construction d’un fort au fond de la rade, construit en bois, avec une importante capacité d'artillerie disposée dans des casemates. Laclos est chargé de superviser les travaux engagés, sous le contrôle des officiers du Génie. Il joue, à priori, le rôle de conseiller technique. À la suite de cette mission, il rédige un Mémoire sur les troupes destinées à la défense du fort de l’île d’Aix où il propose une réforme au sein de l’armée qui supprimerait la distinction entre infanterie et artillerie. Ce dossier sera classé sans suite, si ce n’est qu’il alimentera le discrédit porté à l’officier tout au long de sa carrière, en raison de son non conformisme[6].

Choderlos de Laclos est promu maréchal de camp le [7].

Les Liaisons dangereuses

Durant sa mission à l'Île-d'Aix mais également à Paris[8], il passe du temps à l'écriture des Liaisons dangereuses. Promu à la fin de l’année 1779 capitaine de bombardier, il demande un congé de six mois qu’il passe dans la capitale française où il écrit ; il sait que désormais son ambition littéraire doit passer avant son ambition militaire qui est dans l'impasse.

Son ouvrage en gestation contient ses frustrations militaires — n’avoir jamais pu faire valoir ses qualités lors d’une guerre — mais aussi les nombreuses humiliations qu’il estime avoir subies au long de sa vie, de la part des « vrais » nobles, ainsi que des femmes qu’il pense inaccessibles[9]. Les Liaisons dangereuses pourraient donc aussi être considérées comme une sorte de revanche et de thérapie[réf. nécessaire].

En 1781, promu capitaine-commandant de canonniers, il obtient un nouveau congé semestriel au cours duquel il achève son chef-d’œuvre. Il confie à l’éditeur Durand Neveu la tâche de le publier en quatre volumes qui sont proposés à la vente le . Le succès est immédiat et fulgurant ; la première édition comprend deux mille exemplaires qui sont vendus en un mois — ce qui pour l’époque est déjà assez extraordinaire — et dans les deux années qui suivent une dizaine de rééditions sont écoulées. Le roman est même traduit en anglais dès 1784[10].

Portrait de Mme Laclos
attribué à Alexandre Kucharski (1786).

La publication de cet ouvrage, dont l'anonymat a été facilement percé à jour, est considérée comme une attaque contre l'ordre social, est jugée comme une faute par la hiérarchie militaire. Sommé de se rendre immédiatement dans sa garnison en Bretagne, depuis laquelle il est envoyé à La Rochelle en 1783 pour participer à la construction du nouvel arsenal, il fait la connaissance de Marie-Soulange Duperré[11], qu'il charme et avec qui il a rapidement un enfant. Il a 42 ans, elle seulement 24, mais, réellement amoureux, il l’épouse en 1786 et reconnaît l’enfant[12]. Marie-Soulange est le grand amour de sa vie et lui donnera deux autres enfants.

Choderlos de Laclos ne ressemble en rien à Valmont, le séducteur archétype de son roman épistolaire, et n’en a aucune des tares[13]. Il n'a rien d'un séducteur : on le décrit comme « un monsieur maigre et jaune » à la « conversation froide et méthodique », un « homme de génie ; très froid ». Sa vie sentimentale est teintée de rousseauisme[14]  ; il est fidèle à son épouse, de même qu’il est pour ses enfants un père attentionné.

En 1783, il participe à un concours proposé par l'Académie de Châlons-sur-Marne dont le sujet est « Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner l’éducation des femmes ? », ce qui lui permet de développer des vues plutôt féministes sur l’égalité des sexes et l’éducation des jeunes filles. Dans son traité De l'éducation des femmes resté inachevé, il dénonce l’éducation donnée aux jeunes filles qui ne vise, selon lui, « qu’à les accoutumer à la servitude, et à les y maintenir ». Le thème de l’émancipation féminine avait déjà dans Les Liaisons dangereuses un rôle important.

Le , il écrit au Journal de Paris son projet de numérotation des rues de Paris[15].

La Révolution

En 1788, il quitte l’armée. Après une période de recherche personnelle du meilleur moyen de favoriser son ambition et diverses tentatives pour approcher un grand seigneur, il entre au service du duc d’Orléans dont il partage les idées sur l’évolution de la royauté.

La révolution qui éclate est enfin pour lui l’occasion de vivre intensément, il s'engage dans la Ligue des aristocrates, un groupuscule de petits nobles qui sera interdit par Robespierre[réf. nécessaire]. Dès le début, il mène des intrigues en faveur de son maître et organise complots et machinations. Les 5 et , il travaille aux journées versaillaises. D’après Gonzague Saint Bris, Choderlos de Laclos aurait organisé de bout en bout la marche des femmes à Versailles pour réclamer du pain[16]. Parmi les manifestantes, quelques hommes déguisés auraient été prévus pour s'infiltrer dans le palais[16]. En , il fonde le Journal des Sociétés des amis de la constitution, émis par le Club des Jacobins. Le , il négocie le rachat des six cents piques du . Il rédige avec Brissot la pétition à l’origine de la fusillade du Champ-de-Mars.

Il se rallie à l'idée républicaine et quitte l'exil à Londres qu'il aurait partagé avec le duc d'Orléans[16] pour un poste de Commissaire du Conseil exécutif[17] au ministère de la Guerre où il a la charge de réorganiser les troupes de la jeune République. Ce poste de commissaire du ministère était équivalent au grade de général de brigade. Grâce à ses activités, il est chargé de l'organisation du camp de Châlons en et il prépare de façon décisive la victoire de Valmy.

Il participe à la mise au point, dans les années 1795, des boulets de canon explosifs, « c'est-à-dire creux, emplis de poudre et capables – en faisant exploser la poudre qu'ils contiennent – d'envoyer des éclats à leur arrivée au sol »[18]. Nommé commissaire en chef des expériences par le ministre de la Marine, il prend possession du château de Meudon le , mais est arrêté le lendemain chez lui, en vertu de la loi sur les suspects[19]. À cause de la trahison de Dumouriez, il est emprisonné comme orléaniste. Incarcéré à la prison de La Force, puis à Picpus, il échappe à la guillotine grâce à des protections et finit par être libéré le sous la Convention thermidorienne. En 1795, espérant être réintégré dans l’armée, il rédige un mémoire intitulé De la guerre et de la paix qu’il adresse au Comité de salut public, mais sans effet. Il tente aussi d’entrer dans la diplomatie et de fonder une banque sans davantage de succès.

Finalement, il fait la connaissance du jeune général Napoléon Bonaparte, le nouveau Premier Consul, artilleur comme lui, et il se rallie aux idées bonapartistes. Le , il est réintégré comme général de brigade d’artillerie et affecté à l’Armée du Rhin sous le général Eblé, où il reçoit le baptême du feu à la bataille de Biberach. Affecté au commandement de la réserve d’artillerie de l'armée d'Italie, il meurt le à Tarente, non pas lors d’un affrontement, mais affaibli par la dysenterie et le paludisme, et est enterré sur place. Au retour des Bourbon en 1815, sa tombe est violée et détruite.

Œuvres les plus connues

  • Ernestine, opéra-comique, 1777
  • Les Liaisons dangereuses, 1782
  • De l'éducation des femmes, 1783[20]. Le texte inachevé de Laclos, composé d'un Discours sur la question proposée par l'Académie de Châlons sur Marne et d'une dissertation titrée Des femmes et de leur éducation, a été édité sous ce titre par Édouard Champion à la Librairie Léon Vanier en 1908. Il est réédité en 2018 aux éditions des Équateurs[21], complété par un court texte, établi par Jean Dagnan-Bouveret et titré par ses soins Essai sur l'éducation des femmes (le manuscrit original n'en avait pas), paru dans La Revue bleue en mai 1908, qui commence par ces mots : « La lecture est réellement une seconde éducation qui supplée à l'insuffisance de la première[22]. »
  • Instructions aux assemblées de bailliage, 1789
  • Journal des Sociétés des amis de la Constitution, 1790-1791
  • De la Guerre et de la Paix, 1795

Prononciation du nom de famille

Il convient de préciser que le nom Choderlos se prononce cho-der-lo (le s est muet) et non ko-der-lo. Roger Vailland, dans son Laclos par lui-même (p. 65), donne le fac-similé d’un Mémoire pour demander la Croix de Saint-Louis rédigé par Laclos et daté du , où celui-ci se dénomme Chauderlot de Laclos. D'ailleurs, on trouve souvent dans les écrits de l'époque l'orthographe Chauderlos-Laclos, qui confirme la prononciation cho-der-lo. Par exemple, dans son Histoire de France[23], Rocques de Montgaillard écrit en 1827 que « […] la compagnie d'artillerie destinée à agir contre l'Assemblée nationale, est commandée par Chauderlos-Laclos (si connu par son infâme roman intitulé Les Liaisons dangereuses), officier entièrement dévoué au duc d'Orléans… » Les actuels descendants de Choderlos de Laclos prononcent leur nom : cho-der-lo. Cependant, certains universitaires[Qui ?] militent encore aujourd'hui en faveur de la prononciation ko-der-lo, sans justification précise.

Notes et références

Notes

  1. Voir la section Prononciation du nom de famille.
  2. Dictionnaire de la vraie noblesse, éditions Tallandier, p. 69.
  3. « famille de la petite noblesse »
  4. Monique Cara, Jean-Marc Cara, Marc de Jode, Dictionnaire universel de la franc-maçonnerie, Paris, Larousse, 2011, 640 p., (ISBN 978-2-035861-36-8)
  5. 1777, représentation unique d’Ernestine
  6. « De La Rochelle à l’île d’Aix : Les Liaisons dangereuses », sur La Pierre d’Angle, (consulté le )
  7. Louis Susane, Histoire de l'ancienne infanterie française, vol. 6.
  8. Pierre Choderlos de Laclos sur Evene.fr (consulté le 8 septembre 2011).
  9. Antoine Oury, « Le manuscrit autographe des Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos », ActuaLitté, (lire en ligne, consulté le )
  10. Dangerous Connections : Or, Letters Collected in a Society, and Published for the Instruction of Other Societies, T. Hookham, At his Circulating Library, New Bond Street, Corner of Bauton Street, (lire en ligne)
  11. Sœur de Guy-Victor Duperré
  12. Ce fils, Étienne Fargeau Choderlos de Laclos, auteur des Carnets de marche du commandant Choderlos de Laclos (An XIV- 1814), suivis de lettres inédites de Mme Pourrat, publiées avec une préface et des notes par Louis de Chauvigny (Payot, 1912), est né le 1er mai 1784. Il mourra à la bataille de Berry-au-Bac le 18 mars 1814 lors de la campagne de France sous les ordres du Maréchal Marmont.
  13. On considère habituellement qu'un des modèles vraisemblables de Valmont est le libertin Paulin de Barral, qu'il a pu rencontrer lorsqu'il était en garnison à Grenoble, et dont Stendhal écrit, dans Mémoires d'un touriste (Grenoble, le 18 août [1837], à onze heures du soir), « Tout Allevard est encore rempli du souvenir d'un homme aimable, M. D. B*** qui mettait sa gloire à être l'amant de toutes les jolies filles du pays ».
  14. « un rousseauisme quasiment idéal»
  15. Laclos proposa un système de découpage par secteurs égaux, désignés par des lettres de l'alphabet, ensuite, à l'intérieur de ces secteurs de numéroter les rues en affectant les numéros impairs aux rues parallèles à la Seine, et les pairs, à celles qui lui sont perpendiculaires. La Révolution stoppa temporairement les projets de numérotation.
  16. Gonzague Saint Bris, La Fayette, Éditions Télémaque, Paris, 2006, 406 p. (ISBN 978-2-75330-039-2).
  17. Recueil des actes du comité de salut public avec la correspondance officielle et le registre du Conseil exécutif provisoire, publié par F.(François).-A.(Alphonse) Aulard, Table alphabétique des cinq premiers volumes, Paris 1893, p.51
  18. https://www.cairn.info/revue-corps-2014-1-page-137.htm
  19. Emile Dard, Le général Choderlos de Laclos, auteur des Liaisons dangereuses, 1741 -1803, Paris, Perrin et cie, , 516 p. (lire en ligne)
  20. 1783, Projet de discours pour l’académie de Châlons-sur-Marne
  21. Choderlos de Laclos (préf. Geneviève Fraisse), De l'éducation des femmes, Paris, Éditions des Équateurs, coll. « Équateurs parallèles », , 124 p. (ISBN 978-2-84990-554-8)
  22. De l'éducation des femmes, , p. 107
  23. Guillaume-Honoré Rocques de Montgaillard, Histoire de France depuis la fin du règne de Louis XVI jusqu'à l'année 1825, (lire en ligne), p. 155-156.

Voir aussi

Bibliographie

  • Laclos et le libertinage 1782-1982 (actes du Colloque du bicentenaire des Liaisons dangereuses, Chantilly, 1982, organisé par l’université de Picardie, préface de René Pomeau), Paris, Presses universitaires de France, 1983, 327 p. (ISBN 978-2-13037-871-6)
  • La Fin de l’Ancien régime : Sade, Rétif, Beaumarchais, Laclos (études réunies et présentées par Béatrice Didier et Jacques Neefs), Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1991, 203 p. (ISBN 978-2-90398-170-9)
  • Jean-Paul Bertaud, Choderlos de Laclos l’auteur des Liaisons dangereuses, Paris, Fayard, 2003, 570p.  (ISBN 978-2-21361-642-1)
  • (en) Betty Becker-Theye, The Seducer as mythic figure in Richardson, Laclos and Kierkegaard, New York & Londres, Garland, 1988, 151 p. (ISBN 978-0-82407-481-4)
  • Jean Goldzink, Le Vice en bas de soie ou le roman du libertinage, Paris, José Corti, 2001, 205 p. (ISBN 978-2-71430-748-4)
  • André Malraux, Le Triangle noir, Paris, Gallimard, 1970
    Reprise d'un texte publié en 1939 dans le Tableau de la littérature française, même éditeur.
  • Georges Poisson, Choderlos de Laclos ou l’obstination, Paris, B. Grasset, 1985, 525 p. (ISBN 978-2-24631-281-9)
  • (en) Larry W. Riggs, Resistance to culture in Molière, Laclos, Flaubert and Camus : a post-modernist approach, Lewiston, Queenston & Lampeter, E. Mellen Press, 1992, 209 p. (ISBN 978-0-77349-159-5)
  • (it) Jacqueline Spaccini, La polvere d'ali di una farfalla. Scrittori “femministi” del XVIII secolo : Choderlos de Laclos e il suo trattato sull'educazione delle donne, Rome, Aracne editrice, 2011, 137 p. (ISBN 978-8-85483-826-0)
  • Roger Vailland : Laclos par lui-même, éditions du Seuil, Paris, 1953
  • (en) Colette Verger Michael, Choderlos de Laclos : the man, his work and his critics : an annotated bibliography, New York & Londres, Garland, 1982, 144 p. (ISBN 978-0-82409-363-1)

Articles connexes

Liens externes

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