Pierre Claude Lebaillif

Pierre Claude Lebaillif ou Le Baillif, militaire français, colonel, né à Préaux, dans le département de la Mayenne, le , mort le à Paris.

Pour les articles homonymes, voir Baillif (homonymie).

Pierre Claude Lebaillif
Naissance 8 juillet 1772
Préaux
Décès 30 mai 1822 49 ans)
Paris
Origine France
Grade colonel
Conflits Guerres de la Révolution
Guerres napoléoniennes
Distinctions Officier de la Légion d'honneur
Chevalier de Saint-Louis

Biographie

Origine

Il est né de parents aux moyens modestes et au sein d'une fratrie de seize enfants, dont il est le quinzième. Il perd sa mère à l'âge d'un an ; son éducation est confiée au curé de la paroisse. Il apprend machinalement à lire et à écrire et l’arithmétique, tout cela sans principes, sans même apprendre la grammaire française. À douze ans il est forcé de quitter cette école.

Révolution française

Il s'occupa ensuite aux travaux les plus pénibles et le , il s'engage dans l'armée. Il ne négligea pas de faire profiter sa famille du prix de son engagement, et que ce fut comme remplaçant du fils d'un fermier de Préaux qu'il s'enrôla sous les drapeaux. Il se rendit à Château-Gontier où s'organisaient les compagnies franches. Avant même que ses vraies qualités militaires se fussent révélées, son extérieur imposant, sa taille élevée, le désignèrent au choix de ses camarades comme chef d'ordinaire, puis comme sergent, enfin un mois plus tard comme lieutenant de la compagnie.

Pendant deux ans il fit dans le deuxième bataillon de la Sarthe la guerre de la Vendée[1] Il sauva le drapeau à la bataille de Martigné et à la bataille de Vicé. Cette déroute si honteuse le découragea au point qu'il voulait abandonner le service et rentrer dans ses foyers ; « mais je fus retenu, dit-il humblement, par la crainte d'être fusillé. »[2]

À la suite d'une blessure il faillit être amputé d'une jambe. Il fit ensuite la campagne d'Espagne. À Marseille où il tint garnison en 1796 il rendit service à deux neveux de ses hôtes, prisonniers pour cause d'opinion, en les faisant évader au moment où ils allaient être embarqués pour Saint-Domingue.

Premier Empire

C'est à Marseille qu'il vit pour la première fois « celui qui devait commander en chef l'armée d'Italie, dicter des traités, faire et défaire les souverains, et faire trembler toute l'Europe : le général Napoléon Bonaparte. » Il fait partie de la campagne d'Italie, de l'expédition d'Égypte et revient à Malte[3] Il participe au siège de Malte. Il épouse une maltaise, Marcelle Panicotte[4] le à Sainte-Zacharie[5].

Pendant qu'on préparait la descente en Angleterre M. Lebaillif était à Brest, où sa femme accoucha d'une fille[6] qui n'avait encore que deux mois, quand l'ordre vint à son père de parer pour le Haut-Rhin. Il prit part à la campagne d'Autriche, à celle de Prusse ; il eut un cheval tué sous lui à la bataille d'Eylau et y reçut cinq blessures. Il se trouve encore à la nouvelle campagne d'Autriche.

Au commencement de la Campagne de Russie il fut fait major en pied et officier de la Légion d'honneur sur le champ de Bataille de Valutino. Au passage de la Moskowa il eut un cheval tué sous lui et reçut une blessure à sept heures du soir. La fatale retraite vint enfin[7]. Bloqué dans Hambourg après la bataille de Leipzig avec Louis Nicolas Davout, il y apprit tout à la fois l'invasion de la France par les alliés, la déchéance de l'empereur et le rétablissement des Bourbons sur le trône de France.

Arrivé à Douai le 1er juin, il prend le commandement sous l'ordre du roi du Régiment du Dauphin, 3e de Ligne. Il est nommé chevalier de Saint-Louis le 6 août[8]. Il se rend ensuite à Longwy pour prendre le commandement du 90e Régiment. Il apprend le débarquement de Napoléon Ier, et conserve avec quelques difficultés son régiment dans les rangs du roi[9].

Restauration

Il est remplacé par décret du 24 avril. Il reçoit l'ordre de commander la place de Nogent-sur-Seine le 9 juin[10], où il reçoit les Russes. Il se soumet au roi. Le 7 septembre, il doit organiser la légion de la Corrèze, où il reste jusqu'au [11] Il rejoint Nîmes le 1er septembre. Le 13 septembre, il reçoit la nouvelle de sa mise en demi-solde et l’ordre de se rendre dans mes foyers. Revenu en grâce, le il est nommé au commandement de la place d'Ajaccio[12].

En 1819, prévu pour prendre le commandement d'Amiens, il prend finalement le commandement de Belle-Île-en-Mer[13]. Le , il est mis en réforme, et on lui ordonne de se rendre dans ses foyers sans motifs[14].

Monsieur Lebaillif a conservé ses sentiments religieux jusqu'à la fin de sa vie. Étant malade à Paris pendant huit ou neuf mois, il sortait à cinq heures du matin pour aller entendre la sainte messe, à laquelle il communiait souvent. Chaque année dans quelque lieu qu'il se trouvât en garnison, il ne manquait jamais d'écrire à sa famille de faire célébrer de sa part une messe pour son père. »[15]

Notes et références

  1. Il maudit Antoine Joseph Santerre « qui eût beaucoup mieux fait de continuer à brasser sa bière que de venir commander une armée pour perdre tout son matériel et son honneur. »
  2. « Je fus assez heureux, dit-il encore, pour rendre quelques services aux malheureuses victimes qui étaient persécutées plutôt pour leur fortune que pour leur opinion. Cinq cents dames ou demoiselles furent arrêtées à Angers, et conduites au Pont-de-Cé, Brissac et Montreuil[Lequel ?] ; j'eus le bonheur de sauver une famille tout entière, la mère et quatre filles ; il y allait de ma vie ; mais heureusement que Robespierre tomba et avec lui ses satellites … »
  3. « Dès le commencement du siège de Malte par les Anglais, dit-il, je fis connoissance avec Melle Panicotte âgée d'environ quinze ans, que j'épousai dans les six premiers mois du siège. »
  4. Née le 14 juin 1783 à La Cormala (Malte).
  5. « Pendant le siège de Malte je fis partie de la commission militaire du deuxième conseil de guerre. Je fus assez heureux pour rendre quelques services à deux Maltais qui étaient impliqués dans la révolte de Gillerme. Sans moi ils eussent sûrement perdu la vie. Je fus commandé pour une sortie de nuit qui n'avait d'autre but que de piller une église à Cazal-Zabarnis. Je commandais 150 hommes du régiment et il y en avait 500 commandés par M. Combes, capitaine. Cette sorte eut lieu à minuit, et le village fut attaqué à la pointe du jour. L'ennemi y était en force. Officiers et soldats y firent leur devoir, excepté M. Combes qui se cacha au premier coup de fusil. Comme le plus ancien capitaine je dus prendre le commandement. L'ennemi perdit beaucoup de monde, et nous eûmes à regretter M. Faradon, capitaine, qui fut tué sur la place au milieu de ses grenadiers. Le pillage projeté par ceux qui ne se battaient pas n'eut pas lieu. Nous ramenâmes avec nous plusieurs bestiaux qui furent d'un grand secours pour les malades qui étaient à l’hôpital. Je reçus les félicitations du général Vaubois et du chef de la garnison sur ma conduite dans cette sortie. »
  6. Marie Magdeleine Marceline Lebaillif, née le 10 juin 1804 à Brest.
  7. « Je n'avais pas de commandement, dit M. Lebaillif, je suivais le 7e Léger et par mes soins les plus pénibles je procurai aux officiers et soldats des secours qui sauvèrent la vie à plusieurs d'entre eux ; ils me surnommèrent le Père du soldat. J'arrivai à Wilna le 4 décembre 1812 ; l’armée n'y arriva que le 8 et le 9. Le lieutenant général, comte de Hoguendark, me donna l’ordre d'accompagner jusqu'à Varsovie la princesse Guisdroysl, qui se rendait à Paris, dame d'honneur de l'impératrice. Avant mon départ j'expédiai les six fourgons du régiment, qui étaient restés à Wilna, et dans lesquels étaient les effets des officiers, deux mille paires de souliers et pour vingt mille francs de drap bleu. Le tout arriva à bon port à Tharn, où les débris du régiment arrivèrent le 30 décembre. Je partis pour Posen avec 20 000 hommes gelés en partie. En arrivant dans cette ville je fus voir le prince de Neufchâtel, qui me donna l'ordre de me rendre en poste à Mayence et d'y attendre les ordres du gouvernement. J'y arrivai le 1er février et j'y restai jusqu'au 20 avril, époque où je reçus l'ordre de me rendre à Givet pour y prendre le commandement du 33e Régiment d'Infanterie Légère. »
  8. « Arrivé à Douai le 1er juin, je reçus l'ordre de Son Altesse Royale Monseigneur le duc de Berry de prendre provisoirement le commandement du régiment Dauphin, 3e de Ligne, et de travailler à son organisation jusqu'à l'arrivée de son colonel, M. d'Albignac, qui arriva le 26 septembre. Je partis de suite pour Paris ; j'avais été reçu chevalier de Saint-Louis par Son Altesse Royale le duc de Berry le 6 août à Douai. »
  9. « En arrivant à Paris je reçus l'ordre de me rendre à Longwy pour prendre le commandement du 90e Régiment et de l’organiser. J'y arrivai le 1er octobre ; il était fort de 800 hommes. Je reçus peu de temps après 1 400 prisonniers de guerre, qui rentraient de Russie. Je formais trois beaux bataillons. Les esprits étaient inquiets et divisés ; je parvins à les réunir et à faire aimer le gouvernement du roi. Tout le monde paraissait content, chacun jouissait du bonheur de la paix dont nous avions été privés depuis vingt-cinq ans. Telle était ma position lorsque les événements du 20 mars arrivèrent. Je n'eus pas plutôt appris le débarquement de Napoléon que je prévis tous les malheurs qui allaient tomber sur notre malheureuse patrie. Je maintins mon régiment dans les bornes du devoir, non sans peine, car il me fallut déployer un caractère de fermeté auquel je n'étais pas accoutumé. Quelques officiers turbulents voulurent m'enlever le drapeau, pour le brûler ; je m'y opposais de toutes mes forces et prévins qu'on ne me l’arracherait qu'après m'avoir ôté la vie. Ils se retirèrent et de suite je fis partir pour Paris le drapeau que m'avait confié le roi. »
  10. « Je fus remplacé par décret du 24 avril ; je me rendis à Paris dans l'intention de ne solliciter aucun emploi. J'y arrivai le 1er juin 1815, et le 9 au matin je fus surpris de recevoir un ordre pour me rendre à Nogent-sur-Seine pour y commander la place. »
  11. « Ma position ne me permettait pas de refuser ; je partis de suite comme l'ordre me le prescrivait. Je restai à Nogent jusqu'au 8 juillet : il s'était passé de grands événements pendant les 20 jours qui ont fait renaître tant de passions et de prétentions qui étaient entièrement oubliées. Je partis de Nogent le 8 juillet au matin après avoir fait arborer le drapeau blanc, et donné des ordres pour faire recevoir 12 000 Russes qui arrivaient le soir. Je me rendis le même jour à Sens, de là à Orléans, puis à Poitiers, j'avais déjà adressé ma soumission au roi, je sollicitai du ministre la permission de me rendre à Paris, elle me fut accordée, j'y arrivai le 24 août, je fus présenter au roi le drapeau que Sa Majesté m'avait confié au 90e régiment et que j'avais sauvé intact. Par ordonnance du 7 septembre suivant, je reçus l'ordre d'aller organiser la légion de la Corrèze. L'ancienne armée venait d'être dissoute et renvoyée dans ses foyers ; d'après le vœu des puissances alliées qui redoutaient tant de braves, qui leur avaient si souvent dicté la loi. Je restai à Tulle jusqu'au 16 août 1816. Ma légion était organisée du 1er janvier, j'avais trois cents hommes. Le meilleur esprit régnait dans ce nouveau corps qui formé presque tout entier d'hommes du département semblait ne faire qu'une même famille. J'avais donné plusieurs fêtes à l'occasion de celle du Roi et de la bénédiction des drapeaux et j'eus lieu de remarquer un enthousiasme qui ne laissait rien à désirer pour l'amour et la fidélité que nous devions tous au Roi. Je reçus à ce sujet deux lettres de Son Excellence M. le duc de Feltre, au nom du Roi qui me témoignait sa satisfaction, la dernière était du 23 août. »
  12. « Je partis de Tulle le 15 août pour Nîmes, emportant avec moi l'estime et le regret de tous les habitants. En passant par le Cantal et l’Aveyron ma légion donna partout des preuves du bon esprit qui nous animait. Tous les officiers ne formaient qu'une seule table durant toute la route et c'était toujours au cri de « Vive le Roi » que nos dîners étaient terminés. Nous arrivâmes à Nîmes le 1er septembre ; nous y fûmes reçus par trois mille gardes nationaux qui vinrent à une lieue de la ville dans la tenue la plus brillante, ils furent reçus par nos soldats au cri mille fois répété de Vive le Roi ! Nous entrâmes dans la ville, tout le monde voulait nous voir. Nous reçumes un banquet qui nous fut offert par MM. les officiers de la garde nationales où la plus franche gaieté nous prouva que les habitants de Nîmes nous voyaient avec plaisir. Le 13 du mois de septembre, je reçus la nouvelle de ma mise en demi-solde et l’ordre de me rendre dans mes foyers, cette nouvelle fut un coup de foudre pour moi, si des sentiments bien puissants ne m'avaient attaché à la vie, j'aurais fini mon existence. Mais le souvenir d'une épouse et d'une fille adorées retint mon bras. Je partis au milieu des larmes de toute ma légion et des regrets de tous les habitants de Nîmes. J'arrivai à Paris je fis toutes les démarches possibles auprès du ministre qui avait prononcé ma mise en demi solde, et qui un mois auparavant m'avait adressé des compliments flatteurs au nom de Sa Majesté, qui se disait satisfaite du dévouement qui lui était témoigné par ma légion. Mais que faire auprès d'un ministre qui avait été trompé et qui ne veut pas revenir sur des ordres donnés arbitrairement ? J'avais, il est vrai, de mon côté le sentiment de la justice de ma conduite qui était sans reproches, qui fut reconnue telle par le gouvernement, mais cela n'était pas suffisant. J'étais un officier de l'ancienne armée, j'avais vingt et une campagnes pour la défense de ma patrie, cinq blessures et vingt-cinq années de bons et loyaux services. Enfin j'étais plébéien et nommé au gouvernement de la Corrèze par le digne et respectable maréchal de Saint-Cyr. C'en était trop, je ne devais plus être employé tant que l'injuste duc de Feltres serait ministre de la guerre, il me fallut ronger mon frein et mes petites économies pendant dix-huit mois. Heureusement ce ministre mourut, avant de mourir il avait déjà été remplacé par M. de Gouvyon Saint-Cyr. Aussitôt son avènement au ministère je lui remis une pétition et une demande de service, et trois mois après je fus employé. Les déplacements que j'avais subis depuis six ans m'avaient occasionné des dépenses extraordinaires, je crus devoir prendre un commandement de place pour finir ma carrière militaire en continuant de servir mon pays et le Roi. Le 10 juin 1818 je fus nommé au commandement de la place d'Ajaccio (Corse), je dus me séparer de ma femme et de ma fille, cette dernière était à la maison royale de Saint-Denis, j'arrivai en Corse le 14 juillet après avoir failli périr sur mer près de Bastia. La Corse était commandée par M. le lieutenant général comte de Signol, préfet Bruni, et Langeron maréchaux de camp. Je me plaisais beaucoup en Corse, mais les habitants sont détestables, tant par leur opinion que par leurs principes de vindicte. Ils sont, pour ainsi dire, tous en guerre les uns contre les autres, ce qui fait que l'autorité y est souvent exposée. Après un séjour d'un an dans cette île, je demandai mon changement il me fut accordé.»
  13. Ma nouvelle lettre de service était pour aller prendre le commandement d'Amiens. Je partis d'Ajaccio le 4 mai 1819, j'arrivai à la Ciotat le 7 où je fus forcé six jours de quarantaine pour me purifier de maladies que je n'avais heureusement pas. Le 18 au matin je partis pour Marseille et de là pour Paris où j'arrivai le 22 au soir exténué de fatigue. À mon arrivée à Paris ma femme me remit l'ordre du ministre d'aller prendre le commandement de Belle-Ile-en-Mer. Le Roi avait disposé du commandement d'Amiens en faveur d'un député qui n'avait jamais été militaire, il fallut se résigner. Après être resté quinze jours à Paris je me rendis à Belle-Ile-en-Mer, j'y arrivai le 14 juin. C'est un commandement tout à fait militaire mais extrêmement ennuyeux ; les habitants ne peuvent se souffrir, ils se déchirent et sont jaloux les uns des autres. Ma femme arriva au mois d'août, ma fille était restée à Saint-Denis. Le climat de Belle-Ile, extrêmement vif eut bientôt porté sur les nerfs si délicats de ma femme, et sa santé était bien délabrée par les chagrins que lui avaient causés les injustices commises envers moi. L'éloignement de ma fille était aussi pour beaucoup dans son indisposition. Elle partit pour Paris le 10 août 1820 avec l'intention de ramener ma fille et de la sortir de pension, ce projet fut exécuté, l'une et l'autre arrivèrent à Belle-Ile au mois de septembre j'étais au comble de la joie, il y avait deux ans que je n'avais vu ma fille, si ce n'est pendant quinze jours, j'étais heureux d'avoir près de moi tout ce que j'avais de plus cher au monde. Mais hélas ! ce bonheur ne devait pas durer longtemps, ma femme tomba malade le 14 novembre d'une maladie nerveuse, elle fut obligée de garder le lit pendant cinq mois consécutifs avec des souffrances extraordinaires. Enfin vers la fin de mars 1821 elle commença à se rétablir ; désespérant de la voir reprendre sa santé ordinaire, je la fis partir, avec sa fille pour Paris avec une demande pour obtenir mon changement, cette demande était motivée sur ce qu'il y avait trois ans que j'étais dans les îles, et sur la mauvaise santé de ma femme. On me fit toutes les promesses possibles, on me donna l'espoir que je désirais, mais peut-on fonder son espoir pour l'avenir, sous un gouvernement qui n'a rien de fixe et où les délations sont autorisées, même récompensées ? Quel fut mon étonnement de recevoir le 25 juin 1821 un ordre du ministre qui me mettait en réforme, et m'ordonnait de me rendre dans mes foyers sans m'en dire le motif.
  14. Mon chagrin fut inexprimable, je partis le 1er juillet et j'arrivai à Paris le 8, je me rendis dès le jour suivant au ministère de la guerre, et fis tout mon possible pour savoir quel pouvait être le motif qui avait obligé le gouvernement à prendre une mesure aussi sévère à mon égard. Il me fut impossible de rien découvrir, toutes les bouches étaient closes. M. de Conchi le lieutenant général me dit de voir le ministre, je vis Son Excellence M. de la Tour Maubourg. Après m'avoir entendu, Son Excellence me dit : « M. le Colonel ; il existe contre vous un rapport qui a nécessité la mesure rigoureuse dont vous vous plaignez. Mais si les faits qui y sont énoncés sont faux, il me sera bien agréable de faire droit à vos services et de vous rendre justice. » Je suppliai Son Excellence de me dire de quoi j'étais accusé ; le Ministre me dit alors, vous avez contracté des dettes à Belle-Ile. - Aucune, je ne dois rien à personne, lui répondis-je, en donnant ma parole d'honneur. - Vous êtes joueur, me dit Son Excellence. - Je ne joue jamais, pas même au jeu de société du plus simple intérêt. - Mais vous vous enivrez, me dit le ministre. - Depuis quinze ans que je suis officier supérieur cela ne m'est jamais arrivé. - Vous fréquentez les cafés et les mauvais lieux. - C'est une infâme calomnie, je n'ai jamais eu aucun de ces défauts et puis répondre de ne les avoir jamais. Je suis père de famille, les soins les plus empressés sont de donner à mes enfants l'exemple d'une conduite irréprochable et d'une bonne morale. - Mais vous vivez en mauvaise intelligence avec votre femme. - Cela est aussi faux que tout le reste. Il y a vingt ans que je suis marié, ma femme est de l’île de Malte, je lui sers de père, de tuteur et d'époux, elle n'a que moi sur le continent, elle partage mes peines et mes plaisirs et nous vivons aussi heureux que nos moyens nous le permettent. Les larmes coulaient de mes yeux. Le Ministre parut y être sensible, j'étais extrêmement agité. Il me dit : Colonel, veuillez m'adresser le plus tôt possible votre justification, et il me sera agréable de récompenser vos services. Je reviens chez moi en maudissant les hommes qui étaient capables de tromper ainsi le ministre et le gouvernement et de perdre un homme qui n'avait heureusement à se reprocher aucun des défauts qui lui étaient imputés. Ma femme et ma fille s'aperçurent en entrant chez moi de mon agitation, elles s'empressèrent de m'en demander la cause. Quelle fut leur surprise en entendant le récit que je leur fis de ma conversation avec M. le Ministre. Elles maudirent les calomniateurs ; mais me recommandèrent de me tranquilliser puisqu'il m'était si facile de me justifier. Le lendemain j'écrivis à Belle-Ile, et l'on s'empressa de m'envoyer toutes les pièces qui pouvaient servir à justifier ma conduite pendant le temps que j'étais resté dans cette île. Je réunis à ces pièces plusieurs autres qui m'avaient été données des diverses autorités, des lettres du prince de Foix, du duc de Mouchy, du comte de Nantouillet, etc., et des certificats de ma conduite dans les régiments que j'avais commandés et organisés. Toutes les pièces furent envoyées au ministre avec un mémoire de ma conduite à Belle-Ile. Son Excellence fit faire une enquête à Belle-Ile et se fit faire un rapport générai ; tout fut fait à mon avantage ; le ministre m'écrivit le 27 octobre que j'étais réintégré sur les tableaux des lieutenants du Roi, et qu'il saisirait la première occasion pour m'être favorable. Son Excellence fut remplacée à la fin de décembre par le Maréchal de Bellune. Il me fallut faire une nouvelle demande et de nouvelles démarches, je fus toujours bien accueilli du ministre ; et le 25 février Son Excellence m'adressa une lettre par laquelle elle m'informait que j'étais porté sur le travail pour lieutenant du Roi. Voilà neuf mois que je languis dans ce malheureux état. Mon innocence est pleinement reconnue et ma position n'est pas changée. Comment est-il possible qu'on laisse ainsi un officier gémir sous le poids d'une injuste calomnie, puisque son innocence est reconnue !'' »
  15. Détails fournis par M. l'abbé Chaussot, confesseur du colonel Lebaillif et de sa fille.

Source

  • Abbé Angot, Monographie paroissiale : Saint-Martin de Préaux, diocèse de Laval, suivie des Mémoires du colonel Lebaillif : 1792-1822. Mamers, G. Fleury et A. Dangin, 1884 .
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