Porte-au-nez

En psychologie sociale, la porte dans la face ou encore porte-au-nez est une variante inverse de la technique de manipulation du pied dans la porte. Elle consiste à faire précéder une demande de comportement plus ou moins coûteuse par une demande beaucoup plus coûteuse, parfois même fantaisiste.

Découverte

Auparavant connue dans les milieux de la vente et de la prospection, cette technique fut officiellement dévoilée en 1975 lors d'une expérimentation dans laquelle Robert Cialdini et ses collaborateurs (Vincent, Lewis, Catalan, Wheeler et Darby, 1975) demandaient à des étudiants de parrainer un adolescent d'un centre de détention pour jeunes délinquants, deux heures par semaine et ce, pendant deux ans[1]. Une fois cette requête fort coûteuse refusée, les auteurs proposaient alors aux étudiants précédemment sollicités, une sortie unique de deux heures durant laquelle ils parraineraient un des garçons du centre de détention. Précéder cette dernière demande, de la sollicitation coûteuse, permit de tripler le nombre d'acceptations de parrainage pour la sortie unique, par rapport à un groupe contrôle d'étudiants auxquels seule cette sortie unique était proposée.

Une étude de 2020 publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology a reproduit les résultats de l'expérience originale de Cialdini de 1975[2].

Mécanismes cognitifs à l’œuvre

Un des points de discussion importants de la recherche sur ce mécanisme consiste à rechercher si la technique est efficace en fonction d’un processus dit de «concessions réciproques» ou de «responsabilité sociale»[3]. L'explication en termes de concessions réciproques est la plus fréquemment évoquée. Elle suppose un désir de réciprocité dans la transaction, i.e. le besoin pour la personne sollicitée de se conformer à la deuxième demande, moins importante, parce qu’elle considère que le demandeur a fait une concession en renonçant à sa demande initiale[4]. L'explication en termes de responsabilité sociale suppose que nous avons intégrée des normes internes sur l'importance d'aider les autres qui donnent à la personne sollicitée le sentiment qu'elle doit se conformer à la deuxième demande moins coûteuse pour lui[3]. D'autres explications de l'effet DITF impliquent le maintien d'une présentation de soi positive et la réduction de la sensation de culpabilité.

Critique majeure

Une méta-analyse de 35 publications sur le sujet réalisée en 2012 remet fortement en cause les résultats des travaux originaux[5]. En effet, si les sujets affirment bien verbalement qu’ils vont se conformer à la seconde demande (compliance verbale), cela se transforme bien plus rarement en actes (compliance comportementale).

Exemple de porte-au-nez

  • Le locuteur demande à quelqu'un de lui prêter sa voiture pour une semaine. Il essuie un refus logique, auquel il s'attendait car il n'a jamais réellement voulu emprunter la voiture pour une semaine.
  • Il fait alors une demande moins coûteuse, lui prêter sa voiture pour une journée. Par effet de contraste, de concession perçue (il s'est sacrifié par rapport à sa demande initiale) et de culpabilité chez la personne à manipuler (je n'ai pas pu satisfaire sa demande et désire donc me racheter) cette technique augmente fortement les chances d'acceptation de ladite personne.

Le sentiment de culpabilité fonctionne d'autant mieux que la personne à manipuler se sent proche du locuteur et en conséquence ne veut pas perdre son amitié.

Notes & références

  1. (en) Robert B. Cialdini, Joyce E. Vincent, Stephen K. Lewis et Jose Catalan, « Reciprocal concessions procedure for inducing compliance: The door-in-the-face technique. », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 31, no 2, , p. 206–215 (ISSN 1939-1315 et 0022-3514, DOI 10.1037/h0076284, lire en ligne, consulté le )
  2. (en) Oliver Genschow, Mareike Westfal, Jan Crusius et Léon Bartosch, « Does social psychology persist over half a century? A direct replication of Cialdini et al.’s (1975) classic door-in-the-face technique. », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 120, no 2, , e1–e7 (ISSN 1939-1315 et 0022-3514, DOI 10.1037/pspa0000261, lire en ligne, consulté le )
  3. (en) Kyle James Tusing et James Price Dillard, « The Psychological Reality of the Door-in-the-Face: It’s Helping, not Bargaining », Journal of Language and Social Psychology, vol. 19, no 1, , p. 5–25 (ISSN 0261-927X et 1552-6526, DOI 10.1177/0261927X00019001001, lire en ligne, consulté le )
  4. (en) Monique Mitchell Turner, Ron Tamborini, M. Sean Limon et Cynthia Zuckerman-Hyman, « The Moderators and Mediators of Door-in-the-Face Requests: Is it a Negotiation or a Helping Experience? », Communication Monographs, vol. 74, no 3, , p. 333–356 (ISSN 0363-7751 et 1479-5787, DOI 10.1080/03637750701543469, lire en ligne, consulté le )
  5. Thomas Hugh Feeley, Ashley E. Anker et Ariel M. Aloe, « The Door-in-the-Face Persuasive Message Strategy: A Meta-Analysis of the First 35 Years », Communication Monographs, vol. 79, no 3, , p. 316–343 (ISSN 0363-7751, DOI 10.1080/03637751.2012.697631, lire en ligne, consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Léon Beauvois & Robert-Vincent Joule, Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Presses Universitaires de Grenoble, 2002.
  • Cialdini, R., Vincent, J., Lewis, S., Catalan, J., Wheeler, D. & Darby, B. (1975), « Reciprocal concessions procedure for inducing compliance: the door-in-the-face technique », Journal of Personality and Social Psychology, 31, 206–215.
  • Sénémeaud, C., Somat, A., Terrier, L., Noël Y (2007). Porte au nez et préférence pour la consistance : quand les sujets à forte préférence pour la consistance ne reproduisent pas les effets de l'influence sociale.
  • Terrier Lohyd, Joule Robert-Vincent, « La procédure de porte-au-nez : vers une interprétation motivationnelle [*] », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2008/1 (Numéro 77), p. 5-14. DOI : 10.3917/cips.077.0005. URL : https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2008-1-page-5.htm

Articles connexes

Liens externes

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