Procambarus virginalis

Procambarus virginalis, couramment appelée Écrevisse marbrée, est une écrevisse anormalement parthénogénétique[1] qui a d'abord été découverte dans le commerce des animaux de compagnie en Allemagne dans les années 1990[2]. ' Dans un premier temps, les scientifiques ont considéré qu'il s'agissait d'une sous-espèce de Procambarus fallax, lui adjoignant le qualificatif forma virginalis. En 2017 cependant, un examen poussé de son génome lui a donné rang d'espèce à part entière[3],[4], confirmant les observations in vivo que les deux populations ne sont pas interfécondes[5].

Procambarus virginalis

Elle pourrait éventuellement (cela reste une hypothèse) être issue d'un accident reproducteur survenu dans un aquarium vers 1995 quand deux écrevisses molles, importées de Floride pour le commerce aquariophile en Allemagne, se sont accouplées[6]. Le fait que tous les exemplaires connus de cette espèce (sur plusieurs continents) soient des clones est cependant confirmé par toutes les données disponibles[7].

Cette forme est proche du Procambarus fallax, lequel est fortement présent autour de la Floride, mais aucune population naturelle de P. virginalis n'est connue[8].

L'espèce très ubiquiste fait d'importants dégâts là où elle se répand dans la nature, dont à Madagascar où elle est rapidement devenue une menace pour les sept écrevisses autochtones[6]. Elle est de plus porteuse d'un Oomycète pathogène (Aphanomyces astaci) qui peut tuer des populations autochtones[9],[10].

Description

Procambarus fallax et Procambarus virginalis sont morphologiquement très proches, mais chez la seconde, probablement grâce à sa triploïdie, « la croissance et la fécondité sont considérablement plus grandes, ce qui en fait un animal différent et mieux adapté à son milieu »[7].

Régime alimentaire

Cette écrevisse est omnivore et a un large régime alimentaire allant d'organismes animaux vivants (insectes, petits poissons, escargots aquatiques) aux végétaux en putréfaction[6].

Invasivité

Cette espèce, capable de se reproduire asexuellement, semble s'être échappée dans la nature en Allemagne.

Depuis l'espèce est devenue invasive dans un nombre croissant de pays[6] et elle prolifère étonnamment facilement alors que « près de la moitié des espèces américaines sont en péril »[11] et que « environ un tiers des écrevisses du monde » sont menacées[11].
En 20 ans, ses clones se sont répandus en Europe et en Afrique, dévastant localement les écosystèmes et menaçant des espèces indigènes.

En 2015, il s'agit toujours de l'écrevisse la plus populaire chez les aquariophiles nord-américains[12]. Dans l'Union européenne elle est inscrite depuis 2016 dans la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union européenne[13], ne pouvant être vendue, gardée, distribuée ou libérée dans la nature[6],[14].

En 2022, elle est hors de contrôle à Madagascar, où la recherche s'oriente dorénavant vers une valorisation alimentaire, voire pharmaceutique.[15]

Génome

En 2015, les données génétiques acquises montrent que les clones étudiés contiennent assez de différences génétiques avec Procambarus fallax pour justifier que l'on parle d'une espèce séparée[16]. Depuis 2017, elle est considérée comme telle (espèce nouvelle)[4].

Fin 2017, le génome d'une douzaine d'écrevisses marbrées venant de plusieurs parties du monde avait déjà été analysé et des études moins détaillées de deux douzaines d'individus capturés à Madagascar étaient disponibles[6]. Selon une étude publiée début 2018 dans la revue Nature Ecology and Evolution, avec 3,5 milliards de bases d'ADN de longueur, le génome de cet animal est plus grand que celui de l'être humain, mais avec à peu près le même nombre de gènes (21 000)[6].

Les études comparatives des teneurs en ADN des hémocytes et l'analyse des locus microsatellites nucléaires (par cytométrie en flux) ont confirmé une triploïdie en suggérant qu'une autopolyploïdisation est la cause de la situation très particulière de cette espèce [7].

L'écrevisse marbrée dispose en effet de trois séries de 92 chromosomes au lieu de deux, et deux de ces séries sont très proches des séries de chromosomes de l'écrevisse (P. fallax). Mais la troisième est assez différente pour que l'étude publiée en 2018 ait pu conclure que l'origine de cette « nouvelle » écrevisse marbrée soit un accouplement de deux écrevisses provenant de différentes régions du monde introduites dans un même aquarium. L'ovule de la femelle[6] ou le spermatozoïde fécondant apporté par le mâle devait être anormal et contenir deux copies des chromosomes au lieu d'une seule copie comme c'est normalement le cas dans les cellules germinales mâles ou femelles. Et dans ce cas la jonction de deux patrimoines génétiques éloignés a amélioré la variation génétique des clones qui en sont issus, ce qui pourrait expliquer les caractéristiques d'invasivité et de grande adaptativité de cette espèce (qu'on a trouvé dans des habitats d'eau douce très variés en termes de salinité, températures (trouvée dans des eaux chaudes à froides[17], dont en Ukraine en 2016[18], Italie et jusqu'au Japon[19] ou à Madagascar) et degré d'acidité[6]. Selon l'un des auteurs de l'étude, une telle union « ne se produirait jamais dans la nature » mais a pu avoir lieu dans un milieu contraint tel qu'un aquarium[6]. Bien comprendre l'origine et la génétique de cette espèce pourrait aider les défenseurs de l'environnement à mieux en suivre ou prédire la propagation, et éventuellement de mieux en gérer les effets[6].

Reproduction

L'écrevisse marbrée est le seul crustacé connu dans le monde (parmi environ 14 000 espèces) qui se reproduit uniquement par parthénogenèse (auto-clonée)[6].
On n'en connait que des femelles qui se clonent à partir d'œufs non fécondés[20].

Elle copule facilement avec P. fallax mais sans résultats en termes de progéniture ce qui montre qu'il existe une barrière reproductive (probablement située au niveau cytogénétique plutôt que comportemental ou anatomo-physiologique)[7].

Recherche

Ses caractéristiques génétiques et de reproduction intéressent les chercheurs pour plusieurs raisons :

  • parce que cette espèce semble issue d'un événement évolutionnaire extrêmement rare (saut évolutif issu de la combinaison d'une triploïdie et d'une parthénogenèse toutes deux anormales chez l'espèce d'origine)[7],[21],[22] ;
  • parce que son extension évoque celle de cellules normales devenues cancéreuses dans un organisme ;
  • pour les mécanismes de base sous-jacents à l'épigénétique que ce mécanisme évoque[23],[20] (« La méthylation globale de l'ADN est significativement réduite chez les écrevisses marbrées, ce qui plaide pour l'implication de mécanismes épigénétiques moléculaires dans son origine »[7]) ;
  • pour son invasivité qui montre qu'il y a des cas où au moins durant un certain temps des clones animaux ne sont pas désavantagés face à la sélection naturelle (une autre espèce, un nématode disposant de trois jeux de chromosomes et se reproduisant de manière asexuée est également connu) ;
  • pour son méthylome[24].

Sources

Références

  1. Martin, P., Dorn, N. J., Kawai, T., van der Heiden, C., & Scholtz, G. (2010). The enigmatic Marmorkrebs (marbled crayfish) is the parthenogenetic form of Procambarus fallax (Hagen, 1870)ép. Contributions to Zoology, 79(3).
  2. Scholtz et al. 2013.
  3. Vogt et al. 2015.
  4. LYKO, F. (2017). The marbled crayfish (Decapoda: Cambaridae) represents an independent new species. Zootaxa, 4363(4), 544-552.
  5. (en) Günter Vogt, « The marbled crayfish as a paradigm for saltational speciation by autopolyploidy and parthenogenesis in animals », Biology Open, vol. 4, no 11, , p. 1583-1594 (lire en ligne)
  6. Pennisi E (2018) An aquarium accident may have given this crayfish the DNA to take over the world ; News de la revue science, publiée par BiologyEvolutionPlants & Animals | doi:10.1126/science.aat2188.
  7. Günter Vogt, Cassandra Falckenhayn, Anne Schrimpf, Katharina Schmid, Katharina Hanna, Jörn Panteleit, Mark Helm, Ralf Schulz, Frank Lyko () The marbled crayfish as a paradigm for saltational speciation by autopolyploidy and parthenogenesis in animals | Preprint |bioRrxiv | 23 aout 2015|doi: https://doi.org/10.1101/025254 Now published in Biology Open doi: 10.1242/bio.014241 |CC-BY-NC-ND 4.0.
  8. Martin et al. 2010.
  9. Keller, N. S., Pfeiffer, M., Roessink, I., Schulz, R., & Schrimpf, A. (2014). First evidence of crayfish plague agent in populations of the marbled crayfish (Procambarus fallax forma virginalis). Knowledge and Management of Aquatic Ecosystems, (414), 15.
  10. Steyskall, C., Konar, M., Wieser, G., & Vogl, G. (2013). Is the marbled crayfish Procambarus fallax forma virginalis a potential vector for the crayfish plague pathogen Aphanomyces astaci. In 16th International Conference on Diseases of Fish and Shellfish. Tampere, Finland.
  11. DeMarco E (2015) The missing mudbug | Science | 28 aout | Vol. 349, Issue 6251, pp. 915-917 |DOI: 10.1126/science.349.6251.915 | résumé.
  12. Faulkes, Z. (2015). Marmorkrebs (Procambarus fallax f. virginalis) are the most popular crayfish in the North American pet trade. Knowledge and Management of Aquatic Ecosystems, (416), 20|résumé.
  13. « List of Invasive Alien Species of Union concern - Environment - European Commission », sur ec.europa.eu (consulté le )
  14. « RÈGLEMENT (UE) No 1143/2014 du parlement européen et du conseil du 22 octobre 2014 relatif à la prévention et à la gestion de l'introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes »
  15. (en) Université de Bangor, « Perfect Invader », sur bangor.ac.uk (consulté le )
  16. Günter Vogt, Cassandra Falckenhayn, Anne Schrimpf, Katharina Schmid, Katharina Hanna, Jörn Panteleit, Mark Helm, Ralf Schulz, Frank Lyko (2015) The marbled crayfish as a paradigm for saltational speciation by autopolyploidy and parthenogenesis in animals ; Biology Open doi: 10.1242/bio.014241 |doi: https://doi.org/10.1101/025254 | résumé.
  17. Kaldre, K., Meženin, A., Paaver, T., & Kawai, T. (2016). A preliminary study on the tolerance of marble crayfish Procambarus fallax f. virginalis to low temperature in nordic climate. Freshwater crayfish: a global overview, 54-62.
  18. Novitsky, R. A., & Son M.O (2016). The first records of Marmorkrebs [Procambarus fallax (Hagen, 1870) f. virginalis(Crustacea, Decapoda, Cambaridae) in Ukraine]. Ecologica Montenegrina, 5, 44-46.
  19. Faulkes, Z., Feria, T. P., & Muñoz, J. (2012). Do Marmorkrebs, Procambarus fallax f. virginalis, threaten freshwater Japanese ecosystems?tep. Aquatic biosystems, 8(1), 13.
  20. Pennisi E (2015) Crayfish create a new species of female ‘superclones’ News de la revue Science ; 2015/08/26.
  21. Chucholl, C., Morawetz, K., & Groß, H. (2012). The clones are coming–strong increase in Marmorkrebs [Procambarus fallax (Hagen, 1870) f. virginalis] records from Europe. Aquat. Invasions, 7(4), 511-519.
  22. Gutekunst J (2018) Clonal genome evolution of the marbled crayfish, Procambarus virginalis (Doctoral dissertation) | résumé.
  23. Vogt, G. (2017). Investigating the genetic and epigenetic basis of big biological questions with the new crayfish model Procambarus virginalis.
  24. Falckenhayn C (2017). The methylome of the marbled crayfish Procambarus virginalis (Doctoral dissertation).

Bibliographie

  • (en) Peer Martin, Nathan J. Dorn, Tadashi Kawai, Craig van der Heiden, Gerhard Scholtz, « The enigmatic Marmorkrebs (marbled crayfish) is the parthenogenetic form of Procambarus fallax (Hagen, 1870) », Contributions to Zoology, , p. 107–118 (lire en ligne)
  • (en) Gerhard Scholtz, Anke Braband, Laura Tolley, André Reimann, Beate Mittmann, Chris Lukhaup, Frank Steuerwald et Günter Vogt, « Parthenogenesis in an outsider crayfish », Nature, (DOI 10.1038/421806a)
  • (en) Günter Vogt, Cassandra Falckenhayn, Anne Schrimpf, Katharina Schmid, Katharina Hanna, Jörn Panteleit, Mark Helm, Ralf Schulz, Frank Lyko, « The marbled crayfish as a paradigm for saltational speciation by autopolyploidy and parthenogenesis in animals », Biology Open, (DOI 10.1242/bio.014241, lire en ligne)
  • Shinji, J., Miyanishi, H., Gotoh, H., & Kaneko, T. (2016). Appendage regeneration after autotomy is mediated by Baboon in the crayfish Procambarus fallax f. virginalis Martin, Dorn, Kawai, Heiden and Scholtz, 2010 (Decapoda: Astacoidea: Cambaridae). Journal of Crustacean Biology, 36(5), 649-657 | résumé.
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  • Vojkovská, R., Horká, I., Tricarico, E., & Ďuriš, Z. (2014). New record of the parthenogenetic marbled crayfish Procambarus fallax f. virginalis from Italy. Crustaceana, 87(11-12), 1386-1392 | résuméu.
  • Kato, M., Hiruta, C., & Tochinai, S. (2015). Androgenic gland implantation induces partial masculinization in Marmorkrebs Procambarus fallax f. virginalis. Zoological science, 32(5), 459-464.

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Liens externes


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