Réinformation

Le terme apparait en 1925 sous la plume du philosophe Étienne Souriau, qui parle de « réinformation idéative » dans Pensée vivante et perfection formelle[1]. Il réapparait dans les années 1970 dans la théorie cybernétique pour traduire la notion de « feedback » (« boucle de réinformation »)[2], ainsi qu'en aéronautique (« réinformation en vol »), en psychanalyse (« réinformation par la réalité »)[3], en anthropologie[4] ou en théorie littéraire[5].

Dans le champ de la critique de l'information, le terme apparaît en 1983 dans la recension d'un ouvrage de géopolitique sur l'armement nucléaire, où il est opposé au terme de désinformation[6]. En 1989, il est présent dans un livre sur les traumatismes de la guerre d'Algérie : « L'urgence d'une réinformation dynamisante paraît claire, bien que l'on retrouve là un problème qui concerne l'ensemble de la population et des secteurs professionnels »[7]

Au début des années 1990, le terme glisse dans l'univers des militants chrétiens. Un débat sur la « bataille de la réinformation » a lieu dans le cadre de la rencontre des Cadets de l'Europe chrétienne qui se réunit à Paris en mars 1991[8].

Il est repris en 1997 sous la plume de Bruno Mégret, qui, dans le cadre d'un colloque du Conseil scientifique du Front national sur l'information, appelle alors de ses vœux « une réinformation qui gomme le stigmate des années de désinformation subies »[9]^,[10].

Ce concept est théorisé au début des années 2000 par Henry de Lesquen, personnalité d'extrême droite, « raciste assumé ». Pour diffuser ses idées sur le rétablissement de la peine de mort, l'antiféminisme ou la réémigration des « congoïdes », Lesquen reprend les méthodes des forums Internet de Jeuxvideo.com, dont proviennent ses Community Managers selon Tristan Mendès-France, spécialiste du numérique[11]^,[12]. Nouveau président de Radio Courtoisie, Henry de Lesquen crée en 2007 un Bulletin de réinformation, dont il confie la direction à Jean-Yves Le Gallou[11]^,[12]. Celui-ci le dirigera jusqu'en 2016, quand il se brouille avec Lesquen[13].

Le terme de « réinformation » est, par la suite, décliné sur Internet par des sites d'extrême droite[14]^,[15] ou conspirationnistes[16]^,[17], qui se baptisent « réinfosphère »[18].

Selon Le Monde, « réinformation » est « une formule forgée par l’extrême droite pour définir des médias militants de la fachosphère »[19], définie comme « une nébuleuse de sites, de comptes sur les réseaux sociaux, visant à diffuser de la « réinformation », en clair de la propagande allant dans le sens des militants qui les animent. »[20].

Selon Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence, les sites de « ré-information » de la « fachosphère », avec les sites « d'alter-info », « qui réécrivent l'histoire », sont une des deux principales communautés poreuses qui constituent la « complots-sphère »[17].

Selon L'Express, pour l'ultra droite, « sur les sites Internet qualifiés par leurs créateurs de "réinformation", les querelles de chapelle s'estompent grâce à des articles ciblant les ennemis communs que sont les ministres Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem, la journaliste Caroline Fourest ou les Femen. Nouvelles de France, Le Salon beige, le Panier à salades, le Rouge et le Noir, Agence Info libre, TV Libertés : la liste n'a pas de fin parce qu'il en naît chaque mois. » Leurs audiences cumulées rivalisent avec certains média « dominants » et Boulevard Voltaire est l'un des plus influents[21]. Ces sites ont répandu des expressions comme celle du grand remplacement.

Le site Égalité et Réconciliation d'Alain Soral est le plus lu et a une audience plus grande que celle d'Atlantico mais est encore loin de celle des médias comme Le Figaro, Le Monde ou L'Express auxquels ces sites (selon Adrien Sénécat de L'Express[22]) vouent une « haine féroce », les qualifiant parfois de « "merdia", bien pensant, politiquement corrects. »[23]. Selon Samuel Laurent et Michaël Szadkowski du Monde, les sites de droite ou d’extrême droite penseraient qu'il existe « un pacte secret » entre les médias et le pouvoir politique qui s'est amplifié avec l'opposition au mariage homosexuel en France[24].

Selon France Inter, « sous couvert de “ré-information”, on a une presse d’opinion, d’extrême droite, qui sape la légitimité des médias et prospère sur Internet. »[25]. Pour Tristan Mendès France, enseignant en cultures numériques à l'université Sorbonne-Nouvelle, ces critiques essayent de : « discréditer les journalistes en optant pour un discours de l'alternative, ils s'assurent les faveurs d'un public déçu ou méfiant des médias traditionnels ». Pour Dominique Albertini, auteur de l'ouvrage La Fachosphère, « la "réinformation" est avant tout un concept marketing car la plupart de ces médias sont des médias d'opinion. »[26]. Pour Jean-Marie Charon, sociologue des médias, « de l'avènement de la télévision jusque dans les années 1990, les courants minoritaires dont l'extrême droite n'ont plus eu accès à la télé officielle », ils ont « profité de l'essor du numérique pour lancer leur propre plateforme d'information »[26].