Scandale du charnier de l'université Paris-Descartes
Le scandale du charnier de l'université Paris-Descartes (devenue université Paris-Cité, après sa fusion en 2022 avec Paris-Diderot et l’Institut de physique du globe) fait suite à la révélation par L'Express en novembre 2019 des conditions de conservation indignes de corps et d'organes humains confiés au centre de don des corps (CDC) de l'université Université Paris-Descartes: corps démembrés et inutilisés, pannes d’électricité, incinération de masse, prolifération de mouches, de vers et de rats… Plus de 170 personnes issues des familles des personnes ayant fait don de leur corps portent plainte dans les mois qui suivent. Le centre est fermé administrativement en novembre 2019. Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte en juillet 2020 par le Parquet de Paris, l'Université Paris-Cité, deux employés du centre et l'ancien président de l'université Paris-Descartes Frédéric Dardel sont mis en examen pour « atteinte à l’intégrité physique de cadavres » en mai et juin 2021.
Affaire du charnier de Descartes | |
L'école de chirurgie de l'Université Paris-Descartes | |
Fait reproché | atteinte à l’intégrité physique de cadavres |
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Lieu | Centre du don des corps de l'Université Paris-Descartes |
Jugement | |
Statut | en cours |
Révélations
Le , le magazine d'actualité français L'Express révèle les conditions de conservation indignes de corps et d'organes humains confiés au Centre de don des corps (CDC) de l'université[1],[2]. Des parties de cadavres étaient vendues à des organismes privés, contrairement aux règles éthiques en la matière[3]. La ministre de la Recherche Frédérique Vidal (dont le conseiller Frédéric Dardel présidait Paris-Descartes de 2011 à 2019) annonce la fermeture du centre[4] et l’ouverture d’une inspection conjointe avec l’IGAS. Une enquête pénale pour « atteinte à l'intégrité de cadavres » est ouverte par le pôle santé publique du parquet de Paris et confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP)[5]. En , vingt-quatre familles avaient porté plainte[6], début juillet 2020 elles étaient 72[7], fin , 82[8], début , 111[9] ; elles se regroupent dans l'association « Charnier Descartes justice et dignité »[10]. Finalement, 170 proches de défunts portent plainte[9],[11],[12].
Un cambriolage nocturne en [13] entraîne la disparition potentielle[10] de documents administratifs ; l'université dépose une plainte « pour vol et intrusion du système informatique »[10],[14].
L'Express révèle également que Guy Vallancien, directeur du centre entre 2004 et 2014, a créé en 2001 une société privée, l'école européenne de chirurgie, qui faisait indirectement commerce de ces corps[15]. Olivier Gagey, ancien professeur d’anatomie au sein de Paris Descartes, avait dénoncé ce conflit d'intérêt sans succès en 2004 auprès de l’Ordre des médecins et de l’académie de médecine[16].
En , la cellule investigation de Radio France publie les documents démontrant que les alertes lancées depuis au moins 2012 et concernant de graves dysfonctionnements du CDC ont été ignorées[17], y compris par Frédéric Dardel, Gérard Friedlander (le doyen de la faculté de médecine) et Antoine Tesnière (actuel vice-président de l’université et également conseiller ministériel « coronavirus »)[18]. Un document de 2012 pointe le problème de tabagisme et l'alcoolisme du personnel travaillant au CDC, au point qu'un mégot a été retrouvé dans les viscères d'un cadavre ; des corps séropositifs au VIH ou à l'hépatite B et C ont été mis à disposition d'étudiants en chirurgie, les mettant en danger. Des alertes envoyées entre 2015 et 2018 décrivent une situation de « barbarie », avec des corps entassés et grignotés par les rongeurs dans des chambres froides éteintes[17]. Selon des témoignages recueillis par les journalistes de Radio France, des crânes et des squelettes humains auraient aussi été vendus sous le manteau à des collectionneurs de curiosités macabres[19].
Le , le magazine Paris Match diffuse des photographies suggérant que le charnier existait déjà en 1988[20],[21].
Une enquête diffusée le sur France 2 dévoile que des corps ont été cédés à des industriels automobiles pour être utilisés lors de crash-tests ou à l'armée pour des expérimentations militaires, dans le cadre d'une contractualisation privée, sans que les familles en aient été informées[22].
Le CDC est aussi soupçonné d'avoir favorisé un petit nombre de transporteurs funéraires alors que plusieurs centaines de sociétés sont habilitées en Ile-de-France. Selon Le Monde, il s'agirait d'un marché de plusieurs centaines de milliers d’euros entre 2017 et 2019[23].
Conséquences judiciaires
Le , l'IGAS publie une synthèse de son rapport[24],[25], dont les conclusions sont sévères[10]. La mission évoque les alertes « très régulières et très concrètes (présence de rongeurs, corps en décomposition, « charnier » dans la chambre froide négative où s’accumulent les têtes…) » qui ont été « parfois entendues, mais jamais à la hauteur de ce qu’elles portaient »[25]. Selon elle, « la responsabilité de l’université est établie », au plan collectif plutôt qu'au plan individuel[25]. Contrairement à la demande des familles, Frédérique Vidal ne rend pas le rapport public[26],[10] mais elle le transmet au parquet de Paris[10] et démet de ses fonctions l’un de ses principaux conseillers et ex-président de Paris-Descartes, Frédéric Dardel[10]. Une information judiciaire est ouverte le [7].
Un ancien préparateur en anatomie CDC est perquisitionné et placé en garde à vue le , puis mis en examen et placé sous contrôle judiciaire le pour « atteinte à l’intégrité d’un cadavre »[9]. Frédéric Dardel est entendu, le , sous le régime de la garde à vue[9]. La demande de l’Université de Paris de se constituer partie civile a été refusée par la justice[9] ; elle est mise en examen en du chef « d’atteinte à l’intégrité d’un cadavre »[27], de même que deux préparateurs[28] et l'ancien président de l'Université Frédéric Dardel le [29],[30]. Le procès-verbal d’interrogatoire de Jean-Rémy H., l'ancien responsable des préparateurs, a été commenté dans Le Monde[31]. Les deux préparateurs sont soupçonnés d’avoir de 2013 à 2018 « porté atteinte au respect et à l’intégrité de corps de personnes ayant fait le don de leurs corps à la science, notamment en récupérant sur les corps des dents en or et des bijoux, en leur portant des coups de couteau et en les laissant volontairement à la merci des rongeurs »[31].
Conséquences juridiques
En réaction à cette affaire, de nombreux professionnels demandent une réforme de cette pratique[32]. Un amendement proposé par Caroline Fiat (LFI), voté en seconde délibération et contre l'avis du gouvernement, ajoute au projet de loi bioéthique que « les établissements de santé, de formation ou de recherche s’engagent à apporter respect et dignité aux corps qui leur sont confiés. »[33].
Un décret paru en avril 2022[34] précise les modalités d’accueil et de transport des corps et crée un comité d’éthique, scientifique et pédagogique[35].
Références
- Anne Jouan, « Don de corps à la science : un charnier au coeur de Paris », L'Express, (consulté le ).
- « Le charnier de Descartes », sur France Culture (consulté le )
- « Un charnier au cœur de l'université Paris-Descartes fait scandale », sur Le Point, .
- Paul Benkimoun, « Fermeture du Centre du don des corps de l’université Paris-Descartes », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
- AFP, « Scandale du don de corps : le parquet de Paris ouvre une enquête », L'Express, .
- Rémi Dupré, « Affaire du « charnier » à Paris-Descartes : la colère des familles des défunts », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
- « Affaire du « charnier » de Paris-Descartes : le parquet de Paris ouvre une information judiciaire », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Paris Match, « Exclusif-Charnier de Descartes : la femme qui accuse », sur parismatch.com (consulté le )
- « Première mise en examen dans l’affaire du « charnier » de Paris-Descartes », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Rémi Dupré, « Affaire du « charnier » de Paris-Descartes : les familles demandent l’accès au rapport de l’IGAS », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- « Scandale des cadavres à l'université Paris-Descartes : on vous résume l'affaire qui secoue "le temple de l'anatomie française" », sur Franceinfo, (consulté le )
- « Affaire du « charnier » de Paris-Descartes : un an après le début du scandale, la colère des familles », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Rémi Dupré et Camille Stromboni, « Nouvelles zones d’ombre autour du scandale des cadavres de Paris-Descartes », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
- « VIDÉO. Scandale du charnier de Paris Descartes : les familles « anéanties » manifestent », sur leparisien.fr, (consulté le )
- « A l'université Paris-Descartes, le business de la vente de corps humains », sur LExpress.fr, (consulté le )
- Fabien Leboucq et Luc Peillon, « Qu’est-il reproché au chirurgien Guy Vallancien, membre de la commission «Bronner» contre les fake news ? », sur Libération (consulté le )
- Elodie Guéguen et Anne Jouan, « "Charnier" de Paris-Descartes : les 10 documents qui accablent les autorités », France Inter, (consulté le ).
- Elodie Guéguen et Anne Jouan, « Scandale du Centre du don des corps de Paris : qui savait ? », France Inter, (consulté le ).
- Elodie Guéguen et Anne Jouan, « Le trafic des crânes, l’autre scandale de Paris-Descartes », France Inter, (consulté le ).
- Paris Match, « Charnier de Descartes : les diapos de l'horreur », sur parismatch.com (consulté le )
- « L’affaire du « charnier de Descartes » remonterait jusqu’en 1988, selon des photos exhumées par « Paris Match » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « Paris-Descartes : l'université a mis à disposition des corps pour des crash-tests et des expériences militaires », sur LEFIGARO (consulté le )
- Rémi Dupré, « Affaire du charnier de Descartes : zones d’ombre autour des transporteurs funéraires », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
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- C.Courrèges, Dr M-A.Desailly-Chanson et M.Saïe (IGAS) – E.Pimmel et P.Poquillon (IGéSR), « Conditions du fonctionnement du centre du don des corps de l’université Paris-Descartes », IGAS, (lire en ligne [PDF])
- Paris Match, « Scandale du don des corps : le rapport Igas rendu… mais pas publié », sur parismatch.com, (consulté le )
- « Affaire du « charnier » de Paris-Descartes : l’Université de Paris mise en examen », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « Affaire du « charnier de Descartes » : « Je comprends que ce soit choquant, mais on n’avait pas le choix » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « Don de corps à la science : Frédéric Dardel, l’ancien président de l’université Paris-Descartes, mis en examen », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
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- un collectif, « Don du corps : l’indispensable réforme », sur Libération (consulté le )
- « A l’Assemblée nationale, comment une « seconde délibération » a fait adopter un amendement de La France insoumise », Les cuisines de l’Assemblée, (lire en ligne, consulté le )
- « Décret n° 2022-719 du 27 avril 2022 relatif au don de corps à des fins d'enseignement médical et de recherche », sur www.legifrance.gouv.fr, (consulté le )
- « Don du corps : l’encadrement renforcé à la suite du scandale du « charnier » de Descartes », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
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