Sous les pavés, la plage !
« Sous les pavés, la plage ! » est un slogan de Mai 68[1], qui a inspiré une chanson de Léo Ferré en 1972 (album Seul en scène) et une photo prise en juin 1968 par l'agence de photographes Roger-Viollet, le slogan étant écrit sur un mur sous une fenêtre, à la bombe de peinture et sans pochoir.
Ne doit pas être confondu avec Sous les pavés, la plage.
Même si elle ne fait pas partie des affiches de l'atelier des Beaux-Arts de 1968, la phrase fait partie des symboles de Mai 1968. Lorsque les premières barricades furent élevées avec des pavés, les étudiants constatèrent qu'ils reposaient posés sur un lit de sable.
Mais plus qu'une incitation au jet de pavés sur les CRS, le slogan résume les aspirations de Mai 68. Selon l'historien Philippe Artières, il symbolise le «surréalisme», à l'époque où tout le monde lit André Breton et évoque 1936 et les premiers congés payés[2],[3].
Origine
Cet aphorisme, qui n'est reproduit sur aucune des affiches de l'atelier des Beaux-Arts de 1968, a deux auteurs différents, affirmant tous les deux être le seul, mais son origine n'est revendiquée qu'une quinzaine d'années après Mai 68. Aucun des deux ne réclame des droits d'auteur en 1978, quand Daniel Cohn Bendit lance à Francfort un magazine politico-culturel qu'il titre "Pflasterstrand"[4], traduction en allemand de "Sous les pavés, la plage".
Le premier à revendiquer en être l'auteur est le pamphlétaire Jean-Edern Hallier, qui affirme en 1982 dans son ouvrage Bréviaire pour une jeunesse déracinée être l'inventeur de ce slogan : « Ce mot d'ordre que j'inventai au tableau noir du grand amphithéâtre Richelieu à la Sorbonne en mai 68 : Sous les pavés la plage... »[5]. Jean-Edern Hallier a ensuite créé, l'année suivante (), le journal satirique L'Idiot international[6] puis se lance en littérature et publie en La Cause des Peuples, qu'il présente comme « un livre d'humour »[7].
Une dizaine d'années après le décès en 1997 de Jean-Edern Hallier, un autre auteur se manifeste, du nom de Bernard Cousin[8],[9], devenu ensuite médecin, qui travaillait alors dans une petite agence de publicité, « Internote Service », en plus de ses études[10]. Il réagit d'abord en écrivant en février 2008 à un livre de Laurent Joffrin, publié en 1998 mentionnant que le graffiti a été écrit le 10 mai 1968[11].
Selon ses souvenirs racontés dans un livre publié en mai 2008, le soir du , il s'attable au café la Chope, Place de la Contrescarpe[12], à Paris, avec son ami et patron le publicitaire Bernard Fritsch[12], qui a fondé « Internote Service » avec deux copains. Ils envisagent d'abord « Il y a de l'herbe sous les pavés ». Mais le mot « herbe » pouvant faire allusion au haschich ou au cannabis) ou au « naturisme »[12], ils décident de le remplacer par le mot sable[12] puis le mettent sur les murs une première fois place du Panthéon puis une centaine de fois sur d'autres murs de Paris, selon le livre[12],[13],[14].
« On cherchait quelque chose à rechercher sous les pavés pour inciter le chaland à les retirer, c'est venu assez naturellement car pour noyer les grenades des CRS on ouvrait les vannes des trottoirs et l'eau coulait sur le lit de sable qui servait d'assise aux pavés parisiens. Pour évoquer un avenir paradisiaque commun aux deux compères, si différents de philosophie, nous n'avons trouvé que notre joie d'enfant à la plage. »
— Bernard Cousin, Sous les pavés, la plage. Quarante ans après.[14]
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Reprise en 1973
En avril 1973, sans que personne en revendique la paternité, le slogan est repris en première phrase d'un article dans Le Monde[3], consacré au mouvement des lycées contre la loi Debré. Le journal explique ce slogan voulait dire que « l'existence épuisante et stupide que nous fait mener la société industrielle étouffe le bonheur de vivre », ou encore « si vous grattiez la muflerie, l'âpreté au gain et la dureté de cœur de nos contemporains, vous trouveriez l'amour et la tendresse »[3] et estime un peu plus loin que « pour les lycéens, ces journées tumultueuses et joyeuses, ce n'est pas la grève, c'est la plage »[3].
Bibliographie et sources
- Kétévan Djachy, L'argot dans le roman de Robert Merle : « Derrière la vitre », in Argot(s ) et variations, Peter Lang Edition, 2014, (ISBN 978-3-631-62565-1), page 10.
- Maurice Meuleau, L'histoire de France en 100 mots célèbres, Armand Colin, 2010, page 201.
- Michel Onfray, Contre-histoire de la philosophie, conférence n°213, Université populaire de Caen Basse-Normandie, 2012-2013, page 5.
- Michal Kozlowski, Sous le pavé la plage, in La beauté est dans la rue - Mai 68 au présent, Variations, printemps 2008, lire en ligne.
- Michel Le Séac'h, La petite phrase : d'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, éditions Eyrolles, 2015, page 97.
- (en) Justin L. Baggett, “L’héritage” is in the Streets: The text, images and legacy of May 1968, Honors Theses, University of Southern Mississippi, 2014, lire en ligne.
Iconographie
- Le slogan a été photographié par Roger-Viollet[15], ainsi que par des anonymes[16].
Postérité
- En 1972, Léo Ferré retourne ce slogan dans la chanson Il n'y a plus rien (album Seul en scène). Il dit : "Sous les pavés il n’y a plus la plage / Il y a l’enfer et la Sécurité".
- En 1975, Renaud reprend ce slogan dans sa chanson "Amoureux de Paname"
- En 1978, Daniel Cohn Bendit, figure du mouvement de la contestation de Mai 68 lance à Francfort un magazine politico-culturel anarchiste qu'il titre "Pflasterstrand"[4], traduction en allemand de "Sous les pavés, la plage".
- En 1993, chez Fnac Music Production, en distribution chez WMD, paraît une compilation CD intitulée Sous les Pavés...La Plage sous-titrée Les tubes de Mai 68 et comprenant 23 chansons. Elle est éditée en partenariat avec la revue Le Nouvel Observateur.
- En 1994, Gilles Caron publie un recueil de textes sous le titre Sous les pavés la plage : Mai 68 vu par..., Sirene, (ISBN 978-2840450474).
Références
- « Les murs parlent », Le Monde, (ISSN 1950-6244, lire en ligne).
- "Pourquoi les slogans de Mai 68 sont-ils repris dans chaque manifestation " par Esther Paolini dans Le Figaro du 3/05/2018
- "La plage et la grève" par Gilbert Cesbron le 4 avril 1973 dans Le Monde
- Thomas Harms, « L’objet : le pavé », Karambolage, émission n°469, sur https://sites.arte.tv/karambolage/fr, Arte,
- Jean-Edern Hallier, Bréviaire pour une jeunesse déracinée, Albin Michel, 2012, [lire en ligne].
- cf. « J'accuse », Le Monde, .
- Jean Edern Hallier "La Cause des peuples", INA.
- Christian Gambotti, « Les processus de rupture instruits par les slogans », Le nouvel Économiste, (lire en ligne).
- Bernard Cousin, Pourquoi j'ai écrit « Sous les pavés la plage », éditions Rive Droite, mai 2008, (ISBN 2841521095), [lire en ligne].
- "Mai 68: histoire des événements", par Laurent Joffrin, en 1998
- Anne Vidalie, « Sous les pavés, les slogans », LExpress.fr, (lire en ligne).
- Michel Le Séac'h, La petite phrase : d'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, éditions Eyrolles, 2015, page 98.
- « Sous les pavés, la plage. Quarante ans après. », sur Skynet.be
- Roger-Viollet, Évènements de mai-juin 1968, Paris. Slogan révolutionnaire : "Sous les pavés, la plage", voir en ligne.
- Sous les pavés, la plage !, Paris 1968, voir en ligne.
Voir aussi
Liens externes
- Daniel Dzierzgowski, « Slogans et graffiti - Mai 68 », .
- Lukas Stella, « Graffiti, slogans, détournements de pub pendant les événements de mai 1968 », sur Inventin, .
- Bureau of public secrets, « Graffiti de Mai 1968 », sur bopsecrets.org, .
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