Subsomption (Marx)

La subsomption (Subsumption en allemand) est un concept fondamental de la philosophie marxiste. Il décrit la subordination des relations sociales par l'outil de production économique, c'est-à-dire de la soumission des travailleurs aux logiques du capital. Il est utilisé dans un sens différent de son acception traditionnelle, car la subsomption désigne en règle générale le rapport d'un énoncé universel aux faits particuliers qu'il recouvre. Répandu par Emmanuel Kant dans sa Critique de la raison pure, il est ensuite utilisé en logique[1].

Pour l’article homonyme, voir Subsomption.

La subsomption chez Marx

Un rapport de conditionnement

Marx utilise le terme dans l'Idéologie allemande, où il soutient que la subsomption est un rapport de conditionnement du comportement individuel par les rapports sociaux, qui eux-mêmes sont déterminés par le mode de production d'une époque. Les rapports sociaux informent de la réalité sociale, car ils sont le reflet de la réalité matérielle. Les actions individuelles ont toujours une certaine indépendance, car, bien qu'elles soient subsumées par la généralité sociale, elles ne sont pas produites par celle-ci[2].

Ce concept est le reflet de la pensée marxiste de l'aliénation. La subsomption est présentée comme la conséquence de la domination exercée par les rapports sociaux sur les individus au niveau individuel. Il est ainsi une forme de microphysique du pouvoir, car il a trait à la manière dont le travailleur est, au niveau micro, asservi. Avec le concept de subsomption, Marx quitte sa vision macrophysique et structurelle[3].

Les étapes de subsomption

Marx distingue dans sa Critique de l'économie politique la subsomption formelle de la subsomption réelle. Ces termes recouvrent les deux phases par lesquelles la subsomption passe. La subsomption formelle a lieu en premier, à l'époque de la manufacture, avant l'industrialisation des tâches. La seconde a lieu après, lorsque le capital a pleinement pris contrôle de la production[4].

La subsomption formelle est la manière dont l'activité de travail "passe sous le commandement, la direction et la surveillance du capitaliste" sans pour autant que le travailleur et son travail ne subissent d’autre changements substantiels que celui de sa disciplinarisation. Historiquement, c'est la phase durant laquelle les tisserands travaillent à domicile[5].

La subsomption réelle suit. Elle est réelle lorsque la logique capitaliste de la production de survaleur ne s'arrête plus à la simple appropriation du produit du travail et à la surveillance des travailleurs, mais qu'elle va au-delà : lorsqu'elle "transforme la nature réelle du procès de travail ainsi que ses conditions réelles", lorsque, dans le cadre d'un régime industriel, les processus de travail auxquels les travailleurs doivent adhérer est réaménagée en vue de la production de plus-value, alors la subsomption est réelle. C'est la phase où trois mutations modifient le rapport travail/capital : mutation des formes de la division du travail, mutation du rapport de l’activité de travail aux machines et dépossession du savoir ouvrier[6].

Cette division entre la subsomption formelle et la subsomption réelle, rattachée à deux temps différents, permet de mettre en relief la manière dont les rapports sociaux déterminés par le capital déterminent à leur tour la matérialité sociale. Marx ne conçoit pas ainsi les relations sociales dans un monde capitalistique comme déterminées par des grandes lois sociales inflexibles du capitalisme ; il conçoit les relations sociales dans le processus dynamique de la subsomption, qui transforme les pratiques des travailleurs pour les rendre toujours plus conformes à la logique de la valorisation. Cela permet de conformer le travailleur aux rapports sociaux capitalistes[7].

La subsomption chez les penseurs marxistes

La « subsomption totale » chez Toni Negri

Toni Negri étend le concept de subsomption en l'appliquant à la société postmoderne. Il soutient qu'il arrive un moment où le capital, détenant un pouvoir totalitaire et généralisé sur le social, permet une subsomption dite « totale ». Cette totalisation de la subsomption est toutefois dangereuse pour le capital ; c'est un triomphe ambigu pour lui, parce qu'à partir du moment où le capitalisme met sous tutelle l'ensemble du social, la résistance devient également généralisée. En se diffusant pour prendre contrôle de la nature entière, la subsomption lève des résistances contre le capital[8].

La subsomption coloniale

Les théoriciens marxistes des relations internationales éclairent la colonisation, considérée comme l’œuvre du grand capital pour asservir une main d’œuvre étrangère bon marché et en soutirer les ressources, comme ayant usé de la technique de la subsomption[2].

Notes et références

  1. Julia, Didier (1934-....)., Petit dictionnaire de la philosophie, Larousse, dl 2013, cop. 2013, 301 p. (ISBN 978-2-03-589319-2 et 2-03-589319-4, OCLC 862745049, lire en ligne)
  2. Ann Stoler, « Transitions à Sumatra : capitalisme colonial et théories de la subsomption », dans Transitions et subordinations au capitalisme, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Hors collection », (ISBN 978-2-7351-1973-8, lire en ligne), p. 345–377
  3. Zarader, Jean-Pierre (1945-....). et Worms, Frédéric (1964-....)., Le vocabulaire des philosophes. 4, La philosophie contemporaine (XXe siècle), Paris, Ellipses, 1116 p. (ISBN 978-2-340-00984-4 et 2-340-00984-7, OCLC 946830406, lire en ligne)
  4. Antoine Artous, « L’actualité de la théorie de la valeur de Marx. À propos de « Temps, travail et domination sociale », de Moishe Postone – CONTRETEMPS » (consulté le )
  5. Marx, Karl (1818-1883). (trad. de l'allemand), Le capital. Livre I, Paris, Gallimard, 2267 p. (ISBN 978-2-07-035574-7, 2-07-035574-8 et 978-2-07-035617-1, OCLC 494778506, lire en ligne)
  6. Emmanuel Renault, « Comment Marx se réfère-t-il au travail et à la domination ? », Actuel Marx (n° 49), , Pages 15 à 31 (lire en ligne)
  7. Maurice Godelier, « La théorie de la transition chez Marx », Sociologie et sociétés, vol. 22, no 1, , p. 53–81 (ISSN 0038-030X et 1492-1375, DOI https://doi.org/10.7202/001301ar, lire en ligne, consulté le )
  8. Nicolas Poirier, Martine Lemire, recueillant les propos de Toni Negri, « Questions à Toni Negri », Le Philosophoire (n° 24), , Pages 142 à 157 (lire en ligne)
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