Syndrome de Gragne
Le syndrome de Gragne est une expression du géographe français Alain Gascon qui désigne la situation de l'Éthiopie qui est dans l’obligation de s’isoler par rapport aux pays européens catholiques afin de conserver son identité orthodoxe tout en devant garder des contacts avec ces pays pour lutter contre les risques d’invasion musulmane.
L'Éthiopie, une île chrétienne
Selon Alain Gascon, les Éthiopiens considèrent leur position géographique comme une « épreuve envoyée par Dieu au peuple élu »[1]. En effet, l'Éthiopie est un des trois premiers pays chrétiens au monde qui dans la géographie régionale se sent entourée d’un océan musulman. Les invasions qui ont marqué le pays en atteignant son cœur furent celles de l’émir Ahmed Gragne au XVIe siècle, d’où l’expression « Syndrome de Gragne ». Ces invasions partaient d’ailleurs des terres chaudes, assimilées à l’enfer[1] ; les soldats pillèrent et saccagèrent des villes, des monastères, des églises et la ville-symbole « sainte » de la chrétienté en Éthiopie : Axoum. Afin de contrer ces attaques, le négus Gelawdéwos appela les puissances chrétiennes à l’aide, appel auquel les Portugais, répondront en envoyant des renforts militaires qui seront décisifs pour mettre une fin à ce « jihad ». Seulement, les Européens voulurent en profiter pour faire basculer l'Éthiopie – pays orthodoxe - dans l’obédience romaine. Ainsi, elle est en même temps obliger de s’isoler pour éviter de perdre son identité orthodoxe tout en gardant des relations avec les pays chrétiens, faux frères de religion, pour prévenir toute tentative future d’invasion musulmane. C’est l’apparition du syndrome de Gragne.
Conséquences
L'Éthiopie, sauvée des invasions musulmanes mais consciente du danger européen, s’isolera pendant trois siècles après avoir perdu les conquêtes des trois derniers siècles. Ensuite, après la « reconquista éthiopienne » sous Tewodros II, Yohannes IV et Ménélik II, le pouvoir politique éthiopien devra se méfier des régions à majorité ou à forte présence musulmane. Ayant retenu la leçon, les négus des XIXe et XXe siècles feront de leur mieux pour ne pas dépendre d’une seule puissance étrangère dans leurs relations diplomatiques. Ainsi, Ménélik II s’approchera des Français et des Russes pour battre les Italiens à la bataille d’Adoua, plus tard le rapprochement de Hailé Sélassié Ier avec les USA ne l’empêchera pas d’avoir de bonnes relations avec Tito ou l’URSS.
À l’intérieur du pays, Ménélik II et Hailé Sélassié Ier maintenaient le contrôle sur les hautes terres du Harar et de Jimma. Le rivage de la mer rouge devint un enjeu après que les troupes italiennes, composées de nombreux musulmans recrutés dans les colonies, lancèrent la seconde guerre italo-éthiopienne. Les Italiens jouèrent sur cette rivalité religieuse en se présentant comme protecteur de l’islam au Harar et en Érythrée dans le but d’effacer l’orthodoxie de l’identité religieuse éthiopienne. Le peuple également est marqué par une certaine méfiance envers l’islam, bien que chrétiens et musulmans cohabitent pacifiquement dans les agglomérations.
Enfin, les hommes politiques ont su jouer de cette méfiance. La guerre de l’Ogaden raviva le souvenir de Gragne, la guerre fut gagnée mais les somalis éthiopiens subirent de dures représailles. Mengistu Haile Mariam utilisera le terme de Shabiya, pour désigner les fronts rebelles érythréens, un mot arabe signifiant « peuple », afin de mettre en évidence les liens étroits entre le monde arabe et ces rebelles. De nos jours, c’est l’opposition politique au Premier ministre Meles Zenawi qui agite l’épouvantail en dénonçant sa gestion de la question érythréenne et ses liens avec le millionnaire Mohammed Al Amoudi, l’homme le plus riche du pays qui possède un nombre considérable d’entreprises.
Sources
- La guerre comme rite géographique : l'exemple de la corne de l'Afrique, d'Alain Gascon: http://www.conflits.org/index78.html
- La Grande Éthiopie, une reconquista revanche d’un djihad, d'Alain Gascon: http://www.cairn.info/revue-herodote-2002-3-page-41.htm
Notes et références
- La Guerre comme rite géographie: l'exemple de la Corne de l'Afrique. Alain Gascon
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