Théorème de Midy
En mathématiques, le théorème de Midy, dû au mathématicien français Étienne Midy[1],[2], est un énoncé concernant le développement décimal périodique d'une fraction ap (comprise, sans perte de généralité, entre 0 et 1), où p est un nombre premier (différent de 2 et 5) tel que la période soit paire. Une telle fraction s'écrit
et le théorème établit que les chiffres dans la deuxième moitié de la période sont les compléments à 9 de ceux qui leur correspondent dans la première moitié. En d'autres termes :
ou encore :
Par exemple,
On peut donner des preuves expéditives de ce théorème en utilisant la théorie des groupes. On peut aussi le démontrer par des calculs d'algèbre élémentaire et de congruence sur les entiers.
Théorème de Midy dans d'autres bases
Le théorème de Midy ne dépend pas de propriétés particulières du développement décimal, c'est-à-dire qu'il est encore valable dans n'importe quelle base b non divisible par p, à condition bien sûr de remplacer 10k – 1 par bk – 1 et 9 par b – 1.
(Accessoirement, on peut en déduire[3] que si p > b et si b n'est pas un résidu quadratique modulo p, le chiffre de rang p + 12 du développement de 1p en base b vaut b – 1.)
Par exemple, en base cinq :
La seconde des deux formulations du théorème en base b = 10 données en introduction peut d'ailleurs s'interpréter comme un cas particulier de la première, pour un développement 2-périodique en base B = 10k. De même, l'exemple ci-dessus, 6-périodique en base b = 5, se réécrit comme 2-périodique en base B = 125 :
Compte tenu de cette remarque, le théorème de Midy en base quelconque s'écrit donc simplement : si p est un nombre premier ne divisant pas B et si le développement de ap en base B s'écrit 0,a1a2a1a2…, alors a1 + a2 = B – 1.
Théorème de Midy étendu
De même, on peut donner du théorème de Midy étendu[4],[5] une reformulation simple :
Si p est un nombre premier ne divisant pas B et si le développement ap = 0,a1a2a3… en base B est de période h > 1, alors a1 + a2 + … + ah est un multiple de B – 1 :
L'encadrement de l'entier s vient du fait que les h chiffres, tous compris entre 0 et B – 1, ne peuvent pas être tous nuls ni tous égaux à B – 1, puisque h > 1.
Le théorème de Midy original est le cas h = 2 : dans ce cas, 0 < s < 2 donc s = 1.
Lorsque h > 2, s peut être supérieur à 1 ; pour h = 3, on a cependant encore s = 1 si a est égal à 1, 2 ou 3, sauf, dans certaines bases, si a = 3 et p = 7[5].
Par exemple, en reprenant 37, on a également :
- en bases cent et dix[5] :
- en bases vingt-cinq et cinq (puisque 0,2032415 = 0,(10)(17)(21)25) :
Cas p non premier
Dans l'énoncé ci-dessus du théorème de Midy (même non étendu), la primalité de p est cruciale. Par exemple[5] (en base mille) :
En effet, lorsqu'on ne suppose plus que p est un nombre premier ne divisant ni a ni B, mais seulement que p est un entier premier avec a et B, si la période — c'est-à-dire l'ordre multiplicatif de B mod p — est égale à 2, on n'a plus nécessairement B ≡ –1 mod p. Or c'est sous cette forme que le critère apparaît naturellement, dans une démonstration qui n'utilise même pas la 2-périodicité (elle s'en déduit)[6],[7] :
Soit ap ∈ ]0, 1[ une fraction irréductible, de développement 0,a1a2a3… en base B. Les chiffres ai vérifient ai + ai+1 = B – 1 si et seulement si B ≡ –1 mod p.
On peut cependant remarquer — toujours en supposant que l'ordre multiplicatif de B mod p est 2, c'est-à-dire que p divise B2 – 1 mais ne divise pas B – 1 — que si B – 1 est premier avec p (en particulier si p est une puissance d'un nombre premier impair), la condition B ≡ –1 mod p est encore automatiquement vérifiée[5].
Preuve du théorème étendu
Soient p un nombre premier ne divisant pas la base B, et ap une fraction strictement comprise entre 0 et 1 et dont le développement 0,a1a2… en base B est de période h > 1. On peut alors démontrer que h est l'ordre multiplicatif de B modulo p (c'est-à-dire le plus petit entier n tel que p divise Bn − 1), en particulier p ne divise pas B − 1 (puisque h > 1) et N := Bh – 1p est un entier.
Notons m l'entier Bh − 1B − 1. Alors, pN = Bh − 1 = m(B − 1) et p ne divise pas B − 1 donc il divise m, si bien que la fraction
est un entier. A fortiori :
Or l'entier aN est égal à apBh – ap, donc s'écrit a1a2…ah en base B. Par conséquent, modulo B − 1, on a bien :
Notes et références
- (en) « Etienne Midy (c. 1773 - fl. 1846) », sur numericana ; « QDM 27: Cherchez Midy à quatorze heures! », sur les-mathematiques.net.
- Pour un historique de ce théorème, voir (en) Leonard Eugene Dickson, History of the Theory of Numbers (en) [détail des éditions], vol. 1, 1919 (notes 19 p. 161 et 27 p. 163) et (en) Maurice Shrader-Frechette, « Complementary rational numbers », Mathematics Magazine, vol. 51, no 2, , p. 90-98 (DOI 10.2307/2690144) (p. 96-98). C'est Henry Goodwyn qui a observé cette propriété dans (en) A correspondent, « Curious properties of prime numbers, taken as the divisors of unity », Journal Nat. Phil. Chem. Arts (en) (Nicholson's Journal), new series, vol. 1, , p. 314-316 (lire en ligne), puis Midy qui l'a démontrée dans E. Midy, De quelques propriétés des nombres et des fractions décimales périodiques, Nantes, , 21 p.. La note dans le Nicholson's Journal est simplement attribuée à « un correspondant », mais due à Goodwyn, d'après Dickson et (en) Scott B. Guthery, A Motif of Mathematics, Docent Press, (lire en ligne), p. 89 et 232. Selon Lewittes 2007, qui a réussi à trouver la publication de Midy (sur microfilm à la New York Public Library) et a été inspiré par sa richesse, les seuls auteurs qui la mentionnent n'en ont lu que ce qu'écrit Dickson.
- Si b est un résidu quadratique, on sait déjà que ce chiffre est 0. Le cas b = 10 est signalé par Jérôme Germoni, « Développement décimal de 1/p (d'après O. Mathieu), diaporama », sur CRDP de Lyon 1, , p. 21-26. Grâce à la loi de réciprocité quadratique, le critère (10 résidu quadratique modulo p ou pas) se calcule en fonction de la classe de p modulo 40.
- (en) Bassam Abdul-Baki, Extended Midy's Theorem, 2005.
- (en) Joseph Lewittes, « Midy's theorem for periodic decimals », Integers, vol. 7, no 1, , Paper A02 (arXiv math.NT/0605182, lire en ligne).
- (en) W. G. Leavitt, « A theorem on repeating decimals », American Mathematical Monthly, vol. 74, no 6, , p. 669-673 (JSTOR 2314251, lire en ligne). — Dans ce journal à large public, Leavitt présente ce théorème comme une jolie application de la notion d'ordre d'un élément d'un groupe. La conclusion contient des corollaires destinés à inciter le lecteur à s'intéresser au critère d'Euler, à la loi de réciprocité quadratique et aux nombres de Fermat.
- (en) W. G. Leavitt, « Repeating decimals », The College Mathematics Journal, MAA, vol. 15, no 4, , p. 299-308 (JSTOR 2686394).
- Arithmétique et théorie des nombres